J'ai découvert Gee via son blog Grise Bouille, notamment les BD satiriques sur un thème d'actualité. Il publie aussi des BDs de vulgarisation scientifique, de pinaillage sur le vocabulaire, et des BDs qui mixent fantasy et lutte des classes que j'apprécie énormément.
Tout est publié sous licence libre, à prix libre (qui peut être 0), et avec une transparence sur la décomposition des prix.
J'ai voulu remercier l'auteur et me procurer son roman Working Class Heroic Fantasy au format papier. Donc un don d'un côté et un téléchargement + impression de l'autre ne m'intéressait pas. Mais, recevoir un colis pour un seul livre est quand même bien boarf. J'ai donc aussi commandé les cinq recueils de Grise Bouille (l'auteur me montrerait lui-même les différents pans de son art) et Les aventures inutiles de Superflu.
Ci-dessous, un inventaire des BDs que j'ai appréciées et que je n'ai pas déjà shaarliées.
Un rentier (héritier d'un château) décide de combattre le crime avec son assistante envoyée par Pôle emploi… dans un bled paumé français dénué de toute délinquance.
Ça détend, ça fait parfois pouffer de rire, sans être l'éclate totale non plus, mais c'est très court (43 pages).
P.-S. : j'ai lu ces livres en 2022.
Dernier livre du Comité invisible après L'insurrection qui vient et À nos amis. On est toujours sur un livre qui distille une doctrine révolutionnaire, mais il comporte un poil plus de "solutions" (toujours aussi abstraites, et qui supposent d'embrasser le courant de pensée de la destitution) que le précédent.
Le bouquin commence par un constat amer (certains diront qu'il s'agit d'apitoiement) : il ne sert plus à rien de critiquer, de révéler, de donner mauvaise conscience, etc. car l'adversaire est déjà une caricature de lui-même, tout et son contraire en alternance, et pourtant, il tient bon ; la confusion actuelle permet de retarder la bataille, mais la défaite est déjà là ; il n'y a plus d'unité ni nationale ni internationale (les COP illustrent que ça sera chacun pour soi) ; une assemblée (nationale ou Nuit Debout) reproduit au niveau collectif le problème de la prise de décision à l'échelle individuelle : absence de Moi conscient, souverain et cohérent en tout temps, d'où le cirque / théâtre plutôt que l'action ; vouloir de la politique partout, même dans une banale association, c'est tout transformer en une société de Cour, et il y aura toujours quelqu'un pour se prendre pour le Roi Soleil (on retrouve ici la destitution) ; l'espoir, c'est la lâcheté d'attendre quelque chose (des moyens ou que les choses soient autrement) en déclarant ne pas avoir prise dessus, donc c'est avouer son impuissance et retarder sa prise de position (n'est-ce que ce que fait le Comité, attendre ? Attendre la maturation simultanée des esprits, attendre qu'une idée insurrectionnelle grandisse en chacun ‒ en rédigeant des livres intello-branlette ‒, attendre qu'une harmonie spontanée et enchantée fleurisse ?).
Quoi faire ?
Divers :
Baratin :
P.-S. : j'ai lu ce livre début 2020, après avoir visionné une entrevue de jz.
Deuxième livre du Comité invisible après L'insurrection qui vient et avant Maintenant, qui distille une doctrine révolutionnaire basée sur une analyse du monde et des récents mouvements sociaux défaits (comme le mouvement des places).
Comme pour le premier tome, on retourne dans du pompeux, de l'abstrait à outrance, et de la grandiloquence. L'intello-branlette parle à l'intello-branlette. Morceaux choisis : "le local existe uniquement par contraire du global, car c'est quand on a été privé d'un attachement qu'on souhaite le retrouver" ; "la terre rend possible l'existence du peuple, le peuple donne du sens à la terre" ; "on n'est pas libre, on est, tout simplement. Se dire libre, c'est avoué être lié à une réalité qui nous dépasse", "la détox technologique est une sottise car l'expérience est avant tout vécue comme une projection mentale du moment de la reconnexion, donc ça sert à rien" ; etc.
Pour comprendre les parties les plus arides du bouquin, qui sont les mêmes que celles de L'insurrection qui vient, il faut situer le Comité dans le courant de pensée de la destitution. Celle-ci a deux sens :
Partant de là, on arrive à plusieurs des idées défendues dans ce bouquin : les mouvements sociaux des places (type Nuit Debout, mais ça existait avant en Espagne) sont voués à l'échec ; nous ne devrions pas articuler nos causeries sur les institutions à instaurer mais sur la forme de vie désirable (l'intendance suivra…) ; l'insurrection doit grandir en chacun (sinon la tête qui dépasse sera retournée contre le mouvement par le pouvoir en place, cf. IRA entre 1969 et 1972) ; les liens affectifs sont supérieurs à ceux codifiés (syndicat, parti, etc.) ; il n'y a pas à gérer les biens communs, juste à partager un rapport commun à ce que l'on ne veut pas s'approprier ; il y a des formes (langage, amour, habitudes, etc.) dans ce qui vit, donc il est inutile de les codifier, la vie elle-même est institution ; on ne gère pas la vie, on ne gouverne pas, on devine (sic) ce dont un groupe humain ou une période a besoin pour se développer ; la démocratie est l'expression d'une angoisse : celle qu'advienne quelque chose en dehors de toute procédure prévisible, qu'un événement nous dépasse, etc. ; il ne faut ni hégémonie ni organisation, juste « l'intelligence de la situation » pour trouver des solutions aux obstacles. Bref, tout s'organiserait par magie.
Je ne crois pas à cela. Tout groupe social a des formes institutionnelles, sauf peut-être de très petits groupes extrêmement homogènes qui peuvent se réguler par un « on se comprend ». Pour le reste, il y a toujours des règles (y compris implicites), un cadre, un substrat commun, etc.
Reproches adressés aux mouvements des places (type Nuit Debout, qui, même s'il n'avait pas eu lieu à la sortie de ce livre, prendra sa dose dans Maintenant) :
Fragments de stratégie révolutionnaire :
Le chapitre sur le numérique est à la fois intéressant et navrant :
Divers :
P.-S. : j'ai lu ce livre à la fin de 2019, après avoir visionné une entrevue de jz.
Le point de départ de ce livre est la note de désirabilité que Tinder aurait attribué à ses clients (on en apprendra rien, l'auteure n'a pas réussi à en savoir plus ni à récupérer la sienne via l'exercice de son droit d'accès RGPD), puis il s'élargit autour d'une prise de conscience que notre manière de consommer l'amour engendre des conséquences néfastes dont nous sommes tous responsables, avant de présenter quelques-uns des algorithmes potentiellement utilisés par Tinder (je divulgue : le fameux document de 27 pages qui « contient de quoi faire trembler Tinder » annoncé dans la 4e de couverture n'est que l'un des brevets rachetés par la marque, rien de neuf ni de transcendant).
Consommer l'amour et turpitudes :
Les sites web de rencontre transforment l'amour en marché économique sur lequel les femmes veulent l'exclusivité afin de se sentir aimées, d'où elles privilégient la qualité (en ne remplissant pas leur profil ? :)))) ), alors que les hommes veulent se mettre en avant par leur nombre de conquêtes, et privilégient donc la quantité. Ce cliché… Source : la sociologue Eva Illouz. J'ajoute que la dernière enquête sur la sexualité des Français confirme ce biais. Mais, puisqu'il s'agit d'un marché, d'une construction sociale, cela signifie que la dèche amoureuse est socialement construite par une société humaine, comme l'est la pauvreté (cf. Marx). Étrangement, l'auteure s'étonnera par ailleurs que Tinder Gold (boost du profil) est une solution mercantile à un problème de visibilité induit par le classement algorithmique de Tinder… Oui bah, comme d'hab, le capitalisme vend un problème et sa solution ;
Turpitudes de l'auteure :
Techniques brevetées de mise en relation :
Divers :
P.-S. : j'ai lu ce livre en 2020 et je l'ai pris en compte pour rédiger mon avis sur les sites web de rencontres amoureuses.
Un livre écrit par Isabelle Attard, ancienne députée 2012-2017 EELV puis Nouvelle Donne (apparenté écolo) qui avait fait le pont avec les défenseurs des libertés à l'heure du numérique (exemple) avant d'exposer ses désillusions sur notre système démocratique (regarder ça et/ou ça).
Elle ambitionne de réhabiliter le mot anarchie en nous le faisant découvrir progressivement à travers un résumé de son parcours intellectuel et politique. Ce bouquin n'est pas une autobiographie.
Définitions :
Le déjà-là anarchiste :
Mon avis : c'est toujours les quelques mêmes exemples qui reviennent. Or, ils se placent chacun dans un contexte éco / géo / politique particulier (zone de guerre, absence de matières premières, etc.), une temporalité éphémère ou courte, et à une échelle micro-locale (donc l'intégralité de la division du travail n'est pas assumée, donc le développement sera limité). Pas sûr que ce soit transposable… Le Chiapas permet à Coca-Cola d'extraire 100 millions de litres d'eau par an… alors que 12 millions d'habitants n'ont pas accès à l'eau potable (source), donc on est loin de l'égalité et de l'indépendance.
Parcours politique d'Attard :
Quelques pratiques d'autogestion :
Baratin :
Divers :
P.-S. : j'ai lu ce livre en 2020.
Livre du blogueur Korben qui se veut être un guide pratique pour réduire son utilisation de son smartphone.
Korben serait passé par là suite à une hausse de son niveau de stress liée à une surcharge de travail. Or, comment se poser quand on reçoit des notifs en permanence ? Bien sûr, on ne vient pas à bout d'une surcharge de travail et de son mal-être en mettant simplement son smartphone de côté, et tel n'est pas mon propos ni celui de l'auteur (qui s'organise mieux, qui a pris du recul sur son travail, qui s'est mis au sport et à une nourriture plus saine, etc.).
Ça donne un livre illustré, direct (pas de circonvolution), et structuré sous forme d'un tutoriel progressif (car on ne stoppe pas "l'addiction" d'un seul coup net). Sur le fond, j'aurais rien à dire puisque je n'ai jamais eu besoin de me désintoxiquer de mon smartphone.
Pourquoi réduire son utilisation de son smartphone ? Santé physique (vue, cou, articulations, sommeil) et mentale (déprime, angoisse, peur de manquer / de l'ennui / de la solitude), perturbation des relations sociales (on zieute son smartphone au lieu d'écouter, de vivre l'instant présent), baisse de la mémoire (car à force d'avoir tout dans son agenda, carnet d'adresses, blablabla, pipeau !), un potentiel cancer lié aux ondes qu'il vaut mieux prévenir que guérir (… … …).
Certains des conseils peuvent également être appliqués par les non-accrocs ou les voyageurs : désinstaller un max d'appli, au besoin utiliser la version web (effort supplémentaire, moins de flicage) ; tél et SIM bas de gamme en vacs pour limiter le préjudice d'un vol ou d'une perte ; personne n'a obligation de se rendre disponible dans l'immédiat ; restreindre l'accès à ses réseaux sociaux / trier ses "amis".
Plusieurs sous-chapitres sont redondants (un appareil par usage = remplacer son smartphone par 1) téléphone, 2) agenda papier, 3) montre, 4) réveil, 5) une prévision de ses itinéraires ; mode avion = éteindre son téléphone pour se concentrer = couper la data et le wifi = éloigner son téléphone) et un même conseil revient dans plusieurs sous-chapitres.
Conseils :
P.-S. : j'ai lu ce livre en 2020, donc j'ai la version auto-éditée de 2019 (couverture bleu clair), et j'en avais fait un très concis résumé dans mon article « (Presque) trois ans sans smartphone ».
Un livre qui se veut pratique pour prendre de la distance avec le numérique.
Pourquoi réduire son utilisation du numérique ? Écologie (déchets, minerais rares), flicage (point assez peu développé), sécurité (fuites de données via, par exemple, les objets connectés), économie de l'attention, baisse de nos facultés comme notre mémoire, notre sens de l'orientation, ou notre empathie (ces points ne seront pas argumentés), et absence d'un aspect humain du numérique (ce n'est pas explicité autrement que comme la préservation du petit commerce et des rapports sociaux, alors que le numérique a pour lui de gommer une partie des handicaps).
Là encore, beaucoup de baratin :
Le reste est correct :
Solutions :
Notes :
P.-S. : j'ai lu ce livre en 2020 et j'en avais fait un très concis résumé dans mon article « (Presque) trois ans sans smartphone ».
Un livre consacré à la marchandisation de l'attention à l'ère du numérique (je rappelle que la vente du temps de cerveau humain disponible est antérieure aux réseaux sociaux numériques).
Ce bouquin alterne entre le baratin et le vrai…
Commençons par le baratin :
Sur le reste, ce livre vise juste :
L'auteur propose majoritairement des solutions systémiques (= pas basées sur des gestes individuels) :
P.-S. : j'ai lu ce livre en 2020 et j'en avais fait un très concis résumé dans mon article « (Presque) trois ans sans smartphone ».
Énième livre de François Ruffin pour lequel il n'y a pas de lutte climatique sans lutte des classes et sans lutte sociale. Le réchauffement climatique éteindrait la guerre des classes au nom d'un intérêt humain supérieur ? Sur les revenus, la fiscalité, etc. les dominants se moquent du sort commun, ils font sécession, mais il faudrait être écolos tous ensemble ? Cette fois-ci, ils vont accepter les nouvelles règles du jeu ?
Les arguments sont éculés (les riches polluent plus, etc.), sauf un : pour remporter la lutte climatique, il faudra au préalable changer d'imaginaire / de mentalité : adieu la société de consommation / de l'abondance, etc. Le sociologue Veblen a constaté qu'une classe sociale envie la classe immédiatement supérieure (un temps, Ruffin illustrait ça par les nobles français qui suivaient la mode impulsée par le roi). C'est en cela que la classe supérieure doit donner l'exemple : pour impulser le changement.
Ruffin propose de ne pas se fissurer sur les prolos pas écolos (ils voudraient le carburant pas cher, ils ne voudraient pas isoler leur maison, blablabla), car on a besoin des prolos et des intellos de gauche. Quand les Goodyear veulent préserver leurs emplois dans un secteur climaticide, bien sûr qu'ils pensent à leur gueule, et c'est le rôle des intellos et des politiciens d'accompagner la lutte, de parler de réduction du temps de travail (à rémunération égale ? Ruffin ne le dit pas) par ex., ce qui n'a pas été fait, et a donné une image individualiste à leur mouvement social. Quelles solutions (carotte et bâton) apporter pour initier le changement systémique ? Quelle direction, quel horizon ? Parce que si c'est pour avoir une taxe carbone sur les carburants qui n'est même pas affectée à des mesures pro-climat…
Ruffin pose également les premières briques de ce qu'il développera dans Fakir durant et après le Covid : quel est le sens de l'existence, qu'est-ce que le bonheur ? Découle-t-il du progrès technique ou de la consommation ? L'ONU, comme d'autres, rappelle que, si les premières étapes du développement économique procurent le bonheur, au-delà de 20-30 k$ de revenu national par habitant, il n'y a plus d'effet sur l'espérance de vie ni sur le ressenti (sondages "êtes-vous satisfait de votre vie ?").
Gramsci écrivait que, quand une classe est dominante par la coercition, c'est que le peuple ne croit plus en son idéologie. Ce qui fait dire à Ruffin que plus grand-monde ne croit à la croissance, à la compétitivité, à la mondialisation, etc. Reste l'hypothèse d'un système qui nous embarque tous, alors ?
Notes :
Modèle prédictif HANDY qui tient compte des effondrements sociétaux précédents (romains, mayas, etc.). Des disparités économiques trop fortes et une sur-exploitation de la nature peuvent toutes deux, et indépendamment, entraîner un effondrement de la société. Mais, en l'absence de stratification économique, le tir est plus facile à rectifier.
Ruffin s'étonne des sondages qui mesurent en même temps une défiance envers les partis politiques, et une confiance envers un gouvernement informé pour prendre les bonnes décisions sur le climat. Pour moi, c'est la lâcheté habituelle : "laissons d'autres personnes faire le sale boulot, et tant que ce n'est pas fait, ne pas changer mes pratiques". C'est oublier que l'action politicienne ne suffit pas :
P.-S. : j'ai lu ce livre en 2020.
Ce livre présente la faisabilité de trois grandes utopies : fin de la pauvreté (par le revenu de base), réduction du temps de travail, et suppression des frontières. Pourquoi celles-ci plus que d'autres ? Aucune idée.
Vu que les utopies présentées ne sont pas novatrices, on s'attend à de solides arguments, mais, rien de neuf (mais il y a des chiffres et des graphiques sourcés sur la réduction du temps de taff, l'absence de lien entre PIB et bien-être, les inégalités, etc.) :
Plusieurs arguments sont douteux :
Au final, ce livre ne traite pas d'utopies radicales (qui tentent de résoudre un problème à sa racine) : point de fin du salariat, point de communisme, point de fin de l'héritage patrimonial ou du crédit bancaire, etc. De même, les solutions proposées sont sociales-libérales (taxation, aides sociales dont revenu de base, etc.), donc mollassonnes. Le déjà-là peine à convaincre.
Notes :
P.-S. : j'ai lu ce livre en 2020.
Un roman centré sur une hackeuse spécialisée en doxing et un assistant parlementaire.
L'une, qui aspire à changer les choses depuis la marge, nous parle d'Anonymous, d'Assange, de Snowden, du lulz, des zero-day, de la société de la surveillance diffuse (tout le monde surveille tout le monde, notamment entre conjoints), de la do-ocratie (qui est ici défini comme faire sans attendre et convaincre les autres uniquement si t'as besoin d'eux), de son boulot alimentaire de merde (domination, infantilisation, effet de groupe), de l'évolution des mouvements hackers et politiques autour d'Internet dans les années 2010, etc.
L'autre, qui aspire à changer les choses de l'intérieur, nous parle de son désarroi, de sa lassitude, du cynisme, de la lâcheté et de l'inaction de son député PS de patron, de la petite politique, de l'amplitude horaire de son taff qui ne lui laisse pas l'opportunité d'écrire un bouquin, etc. Il y a une symbiose avec les désillusions d'Isabelle Attard et les propos de Ruffin sur "les députés sont des technocrates au service de l'exécutif, l'Assemblée nous étouffe, aucune vision politique, etc.".
J'ai été déçu sur un point : la 4e de couverture dit « comment continuer le combat quand l'ennemi semble trop grand pour être défait ? ». Or, le livre n'apporte aucun début de piste, rien. Il se termine abruptement, dans une ferme de hippies (je caricature) sans qu'on sache ce que devient le mec de la protagoniste, un hacker arrêté par les flics après une action contre une société commerciale spécialisée dans la surveillance. Je suis resté sur ma faim et triste de quitter cette histoire.
Ce livre est un coup de cœur. Les deux personnages centraux parlent du monde dans lequel j'ai évolué. De mes références culturelles et techniques (plutôt bien maîtrisées, on peut toujours pinailler sur la précision d'une vulgarisation, mais ça n'a aucun intérêt). De certains de mes combats. De mes désillusions politiques. De l'échec politique malgré les alliances entre les hackers et les politiciens dans la première moitié des années 2010. C'est très rare, donc appréciable.
Divers :
‒ [ Qu'est-ce qui pousse une jeune fille comme toi à se plonger dans les ordinateurs ? ]
‒ Si je faisais du piano, personne ne m'emmerderait à vouloir savoir pourquoi je fais du piano ».
P.-S. : j'ai lu ce livre fin 2020 sur "conseil" de Fakir.
Le dernier recueil de la série « un autre regard » de la dessinatrice Emma. (Je n'ai pas rédigé d'article sur les deux premiers tomes de la série car ils contiennent uniquement des BD publiées en ligne, sur lesquelles je m'étais déjà exprimé avant de lire les livres-recueils.)
Il contient 4 BD dont 2 sont disponibles sur le web :
Fun fact : d'après une étude de 2012 de Elinder et Erixon, portant sur 18 naufrages de navires durant les trois derniers siècles, l'expression « les femmes et les enfants d'abord » est fausse : le plus haut taux de survie va aux membres de l'équipage (61 %) puis aux hommes (37 %) puis aux femmes (27 %) puis aux gosses (15 %). Le Titanic fait exception avec 70 % de femmes survivantes contre 20 % des hommes.
Historique simplifié de l'organisation du travail :
P.-S. : j'ai lu ce livre à sa sortie (fin 2019).
Je n'ai pas compris la trame narrative de cette BD. Une femme participe subitement à une manif' "comme ça" puis à une autre, puis elle participe à une action anti-pub puis elle sert le thé à des sans-abris puis elle file un coup de main dans une cantine populaire, puis retour en manif'. S'agit-il de montrer des actions concrètes dans lesquelles s'engager ? Pourquoi celles-ci plus que d'autres ?
Je n'ai pas compris comment cette BD entend atteindre son objectif (de nous faire bouger) :
Pour nuancer, il y a bien quelques mots d'explication : manif' = rituel collectif pour se redonner de l'énergie ; « tout le monde est bienveillant [ dans une manif' ], je n'ai pas peur des autres manifestants [ sans pour autant aller jusqu'à nommer la violence policière qui est dessinée ] » ; « t'en as pas marre de subir ?! C'est facile de justifier sa flemme ou son indifférence en disant que les manifs servent à rien. Au moins, on essaie […]. On voit qu'on n'est pas seuls à vouloir autre chose ».
Au final, cette BD est simplement descriptive (y a ci et ça qui se pratique, dans telles conditions, etc.). Ça permet de s'imprégner un peu du vocabulaire militant.
Une BD qui retrace l'histoire de résistants du Musée de l'Homme (entre autres) entre 1938 et 1942 (date du procès suite au démantèlement opéré par la Gestapo au début 1941 à la suite de dénonciations). Notamment des ethnologues pour qui le concept de race est infondé qui, dès 1938, et malgré l'air du temps, maintiennent leurs expositions afin de chasser l'obscurantisme, y compris lors de l'arrivée de l'armée allemande à Paris.
Tous les propos prononcés par un personnage l'ont vraiment été (ils sont issus de lettres, journaux, procès-verbal, entretiens, rapports de résistance, etc.), seuls le contexte (tel propos dans tel lieu) et le récit (leur agencement) n'est pas garanti.
Je n'ai pas accroché plus que ça : j'ai rien appris de neuf, le format BD délivre très peu d'infos en beaucoup de vignettes et de pages, et l'authenticité des propos conduit à de franches cassures dans le récit.
Un livre qui expose le mal-être, la dissolution et les désastres de nos sociétés occidentales, qui leur oppose une insurrection comme remède, et qui documente le processus révolutionnaire qui encadre cette insurrection. J'ai lu ce livre par esprit de contradiction. Durant le procès judiciaire du groupe dit de Tarnac, L'insurrection qui vient, ainsi que d'autres écrits (tracts, brochures) retrouvés chez les ex-accusés, avaient été retenus comme des éléments à charge. J'ai toujours trouvé ça choquant : en dehors des injures, de la diffamation, de l'appel à la haine, etc. qui peuvent éventuellement faire l'objet d'un traitement différencié (et encore…), je pense qu'il faut juger sur des actes et non des paroles. Voilà pour quelle raison je me suis procuré un exemplaire de ce livre. Le bout de phrase portant sur le sabotage des réseaux de transports qui a fait grincer les dents des enquêteurs est une goutte d'eau dans l'océan de ce que les auteurs préconisent de frauder, de paralyser, et de saboter. Faut-il se servir de cet écrit pour tenir le groupe responsable de tous les actes litigieux se déroulant à leur proximité immédiate ? Le jugement définitif du groupe dit de Tarnac expose que l'on ne peut pas condamner une personne pour ses écrits. Si, ci-dessous, je parle « des auteurs », ce n'est pas tant que je connais ce que recouvre le terme « Comité invisible » (une personne ? Plusieurs?), mais plutôt que j'applique mon préjugé selon lequel un comité est un groupe, donc plusieurs personnes.
La première grande partie de ce bouquin, consacrée à l'analyse des maux qui rongent notre société a rien d'original : l'analyse est plus radicale (elle cherche et attaque la racine des problèmes) et les mots sont plus affûtés, mais le constat dressé est habituel chez l'ultragauche. Gros résumé : nous n'avons plus de projet commun, nous n'avons plus de langage issu d'expériences communes (notamment de luttes), donc nous ne formons plus une société.
Nous sommes devenus des VRP de nous-mêmes : individualisation, personnalisation marketing, affirmation de nos différences. Cette injonction à être quelqu'un (plutôt qu'un collectif) entretient la faiblesse individuelle qui justifie encore plus l'injonction qui justifie une réponse marketing (te faire croire que t'as besoin de béquilles afin de te les vendre, en somme). Nous nous produisons même nous-même : s'entraîner à sourire pour un entretien d'embauche, se blanchir les dents pour avoir une promotion, sortir pour stimuler un esprit d'équipe, apprendre l'anglais pour booster sa carrière, participer à des stages de théâtre afin de devenir des leaders, pratiquer le développement personnel afin de parvenir à la stabilité émotionnelle. En réalité, chacun est lié à des lieux, à des gens, à des émotions, à des souffrances, à des ancêtres, à des langues, à des événements, à des idées, etc. qui ne sont pas de lui et d'où émerge le moi. En somme, le moi est un produit du collectif. Or, les lieux de vie et les relations sociales ont été brisés. Faut-il prôner la liberté de s'arracher à des communautés (famille, par exemple) ou la liberté de s'y mouvoir malgré les oppositions ? Forcément, les auteurs protestent contre la destruction des liens sociaux qui fait que nous sommes personne. Jusque dans l'amour où la pornographie est accusée de tuer notre imaginaire (et que dire des sites web de rencontre qui tuent la rencontre fortuite) et le couple de donner du réconfort "seuls contre tous, contre ce monde de merde" comme si l'amour se privatisait. Forcément, on énonce que la suite du capitalisme, c'est de reconstruire, à sa manière et à son image, les liens sociaux précédents détruits dont il a besoin et de les consommer.
Forcément, les auteurs récitent Marx (Le Capital existe même en version manga) : le capitalisme, c'est l'appropriation privée ou sociale de la plus-value générée par les salariés. C'est aussi la participation à une œuvre commune par des liens qui se tissent entre ceux qui coopèrent au sein d'un même carcan, celui de la production et sous la contrainte managériale. Le salariat est une méthode disciplinaire, comme l'école (voir ici pour les origines de l'école américaine, clairement orientée sur le contrôle social des ouvrières), la prison ou l'armée. Nous avons trop de biens et trop d'emplois sans aucune répartition. Nous-mêmes et les sociétés commerciales érigeons la compétition et la sélection comme un idéal… mais attention, seulement quand chacun à des chances égales, sinon il faut sévir (restreindre artificiellement la concurrence, comme le désirent les mutuelles, par exemple). Récompenser le mérite… seulement quand les chances sont égales, c'est un non-sens.
Forcément, le Comité passe au vitriol les divertissements qui permettent, par le confort, de tuer dans l'œuf les envies de révolte. Les auteurs rappellent que les flics protègent les dominants. Ils rappellent tout autant que la finance (que les auteurs assimilent sans nuance à l'économie…) est incomprise, même par ceux qui la font tourner (on pense aux propos d'Alan Greenspan, ancien président de la réserve fédérale des États-Unis en 2008). Forcément, le Comité tacle les bobos qui communient dans l'illusion d'une humanité retrouvée en buvant leur thé, en parlant ni trop fort ni trop faible, en étant politiquement incorrect juste comme il faut, en binant la terre d'un jardin de quartier avant d'aller regarder un film d'animation. Forcément, on conteste la forme suprême de la civilisation que représenterait l'État-Nation. Forcément, les auteurs dissertent sur la métropole, cette ville que l'on ne cesse de débarrasser de ce qui gêne (saleté, SDF, squats, immigration, contestation, lieux de vie réellements dissidents, etc.). Les ambiances sont prédéfinies. Les rencontres fortuites sont évitées. L'uniformisation des infrastructures est triste mais permet le contrôle de la ville par les flics. Tout est valorisable, tout doit être du patrimoine. Que dire des mégalopoles, dans lesquelles un individu est un parmi des millions… Forcément, le Comité tacle la mobilité professionnelle qui déracine par le déménagement (on retrouve ici la pensée de la philosophe Simone Weil selon laquelle le déracinement met en incapacité de penser et d'agir ou qu'il met en capacité de déraciner toujours plus d'humains - ce qu'elle constate chez les Romains ou l'Allemagne prolétarienne pré-Hitler -). On est arraché au présent et à l'ici par les transports et les technologies de la communication, donc on s'en fout de créer du collectif en un point donné. On aménage son intérieur pour fuir l'infrastructure des villes, pour transporter son petit monde, pour se donner un sentiment de contrôle (on retrouve cette idée du contrôle par la personnalisation chez Damasio). Forcément, enfin, les auteurs dénoncent les platitudes comme « revaloriser les aspects non économiques de la vie » et la pensée moderne qui consiste à contenir les affirmations, à contester les incertitudes et à faire croire que tout est relatif à coup de « c'est ton avis ». Il s'agit là du meilleur moyen de contrôle possible.
L'écologie ou la décroissance (les décroissances, en fait), ou la croissance 0 poursuivent un même objectif : il faut consommer peu afin de pouvoir continuer à consommer. Il faut produire bio afin de pouvoir continuer à produire. Il faut s'auto-contraindre afin de toujours contraindre. L'écologie est la nouvelle idéologie coercitive : il faudra se serrer la ceinture pour elle, se sacrifier pour elle, et les dominants s'autoriseront tout en son nom.
La deuxième grande partie de ce livre expose le processus d'une insurrection désirée par les auteurs.
À ceux qui trouvent que ce qui précède est violent, je recommande la lecture suivante : comment la non-violence protège l’État : essai sur l’inefficacité des mouvements sociaux. À celles qui trouvent que tout ce qui précédait est choquant, je recommande la lecture de la Constitution du 24 juin 1793 dont l'article 35 stipule « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. ». Cette Constitution n'a pas été appliquée, mais elle illustre que des personnes ont déjà conçue l'insurrection comme un droit des humains.
Notes diverses :
Je recommande la lecture de ce livre, même si je trouve que le discours est râpeux, complexe et plein de sous-entendus. Je ne pense donc pas que le livre se suffise à lui-même : il faut une certaine connaissance des idées dites de l'ultragauche pour l'aborder.
Ce livre fait partie d'une trilogie avec À nos amis et Maintenant.
Un livre qui traite du lien entre les décisions techniques, économiques et organisationnelles prises par les acteurs de l'Internet et les droits humains, et, plus généralement, la manière dont nous faisons société (ce que le terme galvaudé « politique » signifie). Ceux que ça intéresse peuvent regarder les vidéos des dissertations orales de l'auteur sur le même sujet : à Radio France (mes notes) et lors de la JCSA 2018. Plus d'infos sur l'auteur et les débuts d'Internet en France.
Contrairement à d'autres, l'auteur défini les termes de la causerie. Les droits humains sont ceux de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948. Internet est l'interconnexion de plusieurs réseaux informatiques physiques propriétés d'acteurs différents qui doivent se mettre d'accord entre-eux même s'ils n'en ont pas toujours envie et que leurs intérêts divergent.
Ce bouquin est découpé en deux parties. La première explique, de manière très pédagogique, le fonctionnement technique de l'Internet, des câbles dans les trottoirs et les océans aux applications, les acteurs d'Internet et les organes de prises de décisions collectives. La deuxième partie présente des débats d'actualité et tente de les alimenter à l'aide de la culture technique acquise dans la première partie.
L'angle d'attaque de l'auteur est que chaque portion de la technologie, chaque technique impose des fonctionnements, en interdit d'autre, permet, facilite ou restreint l'exercice des droits humains. Les décisions techniques de construire telle ou telle architecture de telle ou telle manière, ou de programmer tel logiciel de telle ou telle façon ont des conséquences. Exemple ? Les logiciels disponibles dans la logithèque et les options activées par défaut dans les logiciels restreignent la liberté de choix de l'utilisateur. Autre exemple ? L'internationalisation c'est-à-dire la capacité technique d'utiliser ta langue, ton alphabet et de lire de droite à gauche, non seulement pour lire et rédiger des contenus, mais aussi pour nommer des services (noms de domaine), des gens (adresses emails) et lire des messages d'erreur, conditionne l'accès à la technologie et à ce qui en découle (savoir, expression, etc.). Autre exemple ? Dans un logiciel, faut-il implémenter une fonctionnalité de censure ou, au contraire, rendre le système le plus incensurable possible ? Autre exemple ? La possibilité technique de conserver des journaux des activités et le choix technique d'envoyer parfois plus d'informations que nécessaire (je pense au protocole web, HTTP) restreignirent le droit à la vie privée… mais facilite l'analyse de problèmes et la chasse aux activités illégales. Dernier exemple ? Le débit asymétrique entre le citoyen et son FAI (choix politique suite à une contrainte technique) qui entraîne le déport de contenus auprès d'autres acteurs (choix technique) qui lui-même entraîne des problèmes de facturation entre les opérateurs, ce qui entraîne des choix techniques douteux (filtrage, bridage, priorisation, etc.). Certains des exemples précédents sont de mon cru, pas de l'auteur.
Autre point de vue de l'auteur : on a rien sans rien, les droits humains eux-mêmes s'opposent parfois les uns aux autres, donc il faut faire des compromis. Échange pair-à-pair ou vie privée (l'IP apparaît dans les échanges) ? Utiliser des services mutualisés par une petite structure (email, framapiaf, searx, etc.) masque l'IP… mais ce sont des services centralisés. Les options par défaut restreignent les utilisateurs avancés, mais permettent l'utilisation du produit ou du service par plus de monde. L'absence de sécurité (notamment dans les appareils connectés) réduit le coût de production, facilite l'utilisation des produits, mais représente un danger pour l'utilisateur (fuite de données personnelles sensibles) et pour la communauté (attaques par déni de service). La dématérialisation de Pôle Emploi permet d'agir tout le temps depuis partout (ça facilite l'exercice des droits), mais ça exclu les illettrés du numérique et les exclus d’un accès décent à Internet (ça complique l'exercice des mêmes droits). Certains des exemples précédents sont de mon cru, pas de l'auteur.
Quelques-uns des thèmes abordés : non-neutralité de la technique, internationalisation, censure, chiffrement, nommage, neutralité du net et des intermédiaires, sécurité, centralisation ou pair-à-pair, rémunération des créateurs de contenus, vente de ses données personnelles, gouvernance (mécanismes de prise de décisions qui affectent des acteurs aux intérêts divergents en dehors des institutions et du formalisme établis), régulation, etc.
Le résumé des différentes opinions au sein de l'IETF au sujet de « faut-il que les droits de l'humain soient inclus dans l'architecture d'Internet ? » est intéressant. Première réponse : non, car les droits humains ne sont pas absolus (les machines ne peuvent pas appliquer quelque-chose d'aussi flou), il y a d'autres outils pour ça, il ne faut pas formuler de fausses promesses (on ne peut pas garantir techniquement la protection de la vie privée, par exemple), et il est parfois nécessaire d'enfreindre des droits humains (Résistance, par exemple). Deuxième réponse : les acteurs de l'Internet ont un pouvoir, donc la responsabilité morale de faire appliquer les droits humains. Troisième réponse : à défaut de pouvoir forcer le respect des droits humains, il faut considérer Internet comme un bien commun protégé au même titre qu'un parc naturel et tout mal qui y est fait doit être sanctionné. Quatrième réponse : on n'est pas sûr des conséquences des protocoles Internet sur les droits humains, il faut collecter des infos et réfléchir. Cinquième réponse : Internet crée de nouveaux droits en lui-même (vivre sans accès à Internet aujourd'hui réduit la liberté d'action).
Je recommande vivement la lecture de ce livre, car il permet de comprendre la technique et les enjeux autour d'Internet. Même les hackers-geeks-nerds-deLaMortKiTue et les professionnels de la profession, quel que soit leur grade, devraient le lire afin de vérifier leurs connaissances, voir de s'ouvrir l'esprit sur certaines thématiques. Le style est sobre (on n'est pas en présence du prix Goncourt, en somme), mais les phrases courtes sont adaptées à la pédagogie. Le ton est dynamique (fun/décontracté, écriture inclusive lisible) et le franc-parler habituel de l'auteur est au rendez-vous, ce qui ne donne pas l'impression de lire un grimoire du 12e siècle et ça, c'est fortement appréciable. Un nombre plutôt élevé de fautes ternissent la lecture, mais elles ont été corrigées dans les réimpressions.
Quelques notes :
Sur son blog, l'auteur expose ses raisons d'écrire un livre plutôt que des articles de blog et il détaille ses choix techniques compte-tenu de l'environnement multi-acteurs de la rédaction d'un livre (séparation texte, sémantique et mise en forme). C'est suffisamment rare pour être instructif.
Un livre qui réfute la tactique de la non-violence comme seule méthode utilisable dans une lutte. L'auteur ne prône pas la violence à tout prix, mais l'idée qu'il ne faut pas s'en priver. Ce livre a été écrit en 2007 par un auteur âgé de 25 ans et traduit en français en 2018, ce qui explique qu'il manque des exemples de luttes récentes. Je ne sais plus par quel canal j'ai eu connaissance de ce livre, mais il m'a intéressé, car la non-violence est au cœur des combats climatiques français de ces dernières années et, à la vue des images de l'oppression policière subie malgré tout par ces pacifistes (exemple), je m'interrogeais sur la pertinence d'une telle stratégie. Le débat activisme violent contre activisme non-violent n'est pas nouveau : il émerge dans les années 1960 (on en trouve même trace dans la chanson Cheveux longs et idées courtes de notre Jojo national) avant de prendre son envol dans les combats climatiques au début des années 2000.
Avant de commencer, il faut constater que personne est d'accord sur la signification des mots. Qu'est-ce que la violence ? Comptabilise-t-on uniquement la violence physique ou psychologique ? Comptabilise-t-on la violence contre des objets (une vitrine, par exemple), car après tout, elle exerce une violence psychologique sur le propriétaire de l'objet ? Si l'on prend en compte tout ce qui blesse ou provoque une douleur, alors un accouchement est violent. Si l'on prend en compte uniquement ce qui ne serait pas naturel et résulterait d'une décision de l'homme, on rappelle que la nature est violente (exemple 1, exemple 2, via SebSauvage), donc que ça ne tient pas. Si l'on examine les considérations morales des conséquences, alors ce qui est violent dépend de la morale du jour et de chacun (certains trouvent violent de payer des impôts, qu'ils assimilent à un vol organisé), et alors l'échec de la non-violence à faire stopper la violence des dominants peut également être interprétée comme de la violence. L'auteur se gardera bien de préciser quelle définition il retient… Deuxième terme, qu'est-ce que l'efficacité d'une lutte ? Là encore, c'est subjectif. L'auteur considère que le combat pour l'indépendance de l'Inde est inachevé car l'Inde est toujours le terrain de jeux de multinationales occidentales. Même chose pour le combat pour les droits civiques des Noirs aux USA : l'égalité complète n'est toujours pas acquise. L'auteur étant anarchiste, tant qu'un combat non-violent n'est pas parvenu à éliminer totalement une oppression, alors il est vain. En revanche, l'auteur félicite n'importe quelle avancée d'une lutte armée, quand bien même son résultat est mitigé ou temporaire (l'exemple le plus frappant concerne les Brigades rouges auxquelles l'auteur attribue la réintégration du Parti Communiste au gouvernement - ce que ne voulaient justement pas les BR -, et quelques avancées sociales alors qu'elles étaient d'époque dans toute l'Europe de l'Ouest).
Le premier argument de l'auteur est que les pro-non-violence falsifient l'histoire en omettant l'impact des luttes armées conjointes à des mouvements pacifiques. Ainsi, les causes auraient triomphées uniquement grâce à la capacité de leurs défenseurs de souffrir avec dignité. On attribue l'indépendance de l'Inde à la seule non-violence de Gandhi, en oubliant la lutte armée parallèlement conduite par l'Hindustan Socialist Republican Association (dont Bhagat Singh et Chandra Shekhar Azad étaient membres). On attribue la signature des traités de non-prolifération d'armes nucléaires aux manifestations pacifiques en oubliant les groupes qui ont commis des attentats comme Direct Action au Canada ou Marco Camenisch en Suisse. Quand on parle du combat pour les droits civiques des Noirs aux USA, on mentionne Martin Luther King en oubliant le Black Panther Party, la Black Liberation Army et des événements comme celui du 7 mai 1963 (et jours suivants) à Birmingham (3 000 Noirs se révoltent contre les violences policières, jettent des projectiles sur les flics et saccages leurs voitures. Après des semaines, la fin de la ségrégation dans les magasins de la ville est décrétée et la Civil Rights Law est votée). Quand on évoque le combat pour faire cesser l'apartheid en Afrique du Sud, on oublie que le prétendu pacifiste Mandela soutenait la lutte armée et qu'il a été impliqué dans des attentats à la bombe et la préparation d'un soulèvement armé. Quand on parle de la guerre au Vietnam, on pense aux gigantesques rassemblements aux USA pour la faire cesser et aux nombreux objecteurs de conscience, en oubliant l'efficacité au combat des viets, les mutineries (assassinats à la grenade d'officiers, sabotages, émeutes, etc.) au sein de l'armée américaine (le Pentagone a estimé qu'environ 3 % des officiers envoyés au combat ont été tués en interne…)., les 174 plasticages de campus universitaires en 9 mois, et les prises d'assaut de camps d'entraînement de l'armée et d'offices du gouvernement. Quand on évoque la deuxième guerre mondiale, on oublie le sabotage des usines et des trains, la révolte aux camps de Treblinka , Sobidor (qui seront fermés suite à ça), Auschwitz (un four crématoire y est détruit en octobre 1944), et la lutte armée dans les ghettos de Varsovie et de Bialystok durant des semaines qui contribuèrent à occuper l'armée nazie déjà à la peine sur le front de l'est). L'auteur égraine d'autres exemples. Bref, les grands événements mélangent tactiques violentes et non-violentes et il est difficile de dire quelles tactiques ont fait pencher la balance (s'il y a en…). Je retiens que, dans un débat, chacun, y compris l'auteur, choisi les détails des événements afin de l'emporter. Je préfère en retenir que la réalité est complexe et qu'il faut décortiquer chaque exemple énoncé à la va-vite.
Le deuxième argument est que les quatre grandes stratégies non-violentes ne fonctionnent pas (plus ?).
Le troisième argument est que la non-violence est l'un des mécanismes de défense des privilégiés. Par privilégiés, l'auteur désigne l'État, et les hommes occidentaux, ceux qui ont une petite vie tranquille basée sur une violence structurelle qu'ils ignorent. Pourquoi accepter la violence systémique et établie des dominants et refuser celle des opprimés ? Le but de ce baratin est de pacifier les opprimés afin de maintenir sa situation, ses privilèges. Ainsi, l'opprimé se voit intimer l'instruction d'attendre que les contestataires privilégiés atteignent une masse critique (car la protestation pacifique repose sur le nombre) pour être sauvé (on reconnaît le triangle dramatique). S'il veut, il peut distribuer des tracts et organiser des manifestations pour attirer la sympathie des privilégiés… Cela n'est pas accessible à ceux qui sont déjà exclus du système (exemple : employées qui enchaînent des boulots de misère donc qui disposent de peu de temps libre). Ceux qui utilisent la violence malgré ces bons conseils ne recevront pas les labels "bon Noir", "gentille femme" (qui fuit son mari violent alors que ça devrait être à lui de fuir), "bon citoyen", etc. qui leur octroieraient l'acceptation sociale. C'est moralisateur, paternaliste et ça participe à contrôler un mouvement (comme le Liberation Support Movement le fit, durant le combat pour les droits civiques des Noirs aux USA, en propageant l'idée que la violence n'est pas la solution). C'est en cela que le refus des moyens de lutte d'autrui quand ils sont violents protégent les dominants dont l'État, en privant les opprimés de légitimité. Tous les individus ou groupes sociaux n'ont pas la liberté de choisir la non-violence, car cela dépend du contexte à un instant T, chaque lutte étant unique : conseiller de désarmer les Indiens d'Amérique face aux colons, c'pas forcément un plan ; des catégories sociales sont plus souvent exposer au faciès, etc. Vouloir propager des moyens de luttes conformes à l'image confortable qu'un privilégié se fait d'une lutte, donc apprendre à l'autre comment lutter, comment lui apprendre à apprendre, c'est prendre sa situation comme une généralité, c'est prendre la grille de lecture qui découle de sa situation comme applicable partout, tout le temps, en faisant fi des différences. L'anti-autoritarisme, c'est d'accepter que des gens rejoignent la cause avec leurs moyens de lutte. Exposer que la violence décrédibilise les femmes relève d'une analyse qui oublie les Amérindiennes, les suffragettes, le sabotage des raffineries par les nigériennes, etc. Associer la femme à la non-violence confirme un rôle social genré. De même, exposer que la violence enlève sa crédibilité au Noir, c'est confirmer son statut social d'homme bestial. De plus, l'État a besoin d'une opposition loyale pour se justifier (qui croirait que tout le monde puisse être d'accord avec un seul ?). Il tolère donc la critique qui ne le menace pas (pétitions, manifestations non-violentes avec itinéraire qui dérange personne, consultations, référendum, etc.). Exemple : en 2004, à New York, le maire avait distribué des badges aux manifestants non-violents. Ceux-ci donnaient droit à des réductions sur le prix d'hôtels, de bouffe, de spectacles. Mais dès que ça sort des rails, olala. La violence fait peur, car nous n'en avons plus l'habitude, car nous avons """"collectivement"""" acté et admis l'emploi d'autres moyens pour régler nos différends (justice, manifestations, etc.). Mais, quand ces conventions sociales de résolution des conflits, présentes dans nos sociétés, dans nos familles, dans nos associations, etc. sont vaines, il apparaît nécessaire d'en changer, de monter d'un cran, et de potentiellement surprendre grâce à la violence, sinon on reste englué dans une contestation agrée par l'État (ou par la famille, les amis, etc.), donc gérée par le dominant. Quand la violence n'est plus en faveur de l'État, elle est dénoncée par celui-ci, comme en Irak ou les USA faisaient publier des articles semblant être rédigés par d'autres Irakiens demandant la fin des guérillas. Ou comme la marche sur Washington de 1963 pour les droits civiques des Noirs où des "chefs" Noirs furent appelés à la rescousse pour calmer les esprits et acheter la manifestation (liste des banderoles autorisées, choses à faire ou non, etc.).
Enfin, l'auteur argumente contre des clichés répandus sur l'activisme violent.
Comment l'auteur envisage-t-il les luttes et le monde post-révolution ? Les luttes doivent être radicales (contrer la source du problème, pas les divers symptômes). Elles doivent faire disparaître toutes les oppressions. On peut envisager des structures locales fédérées à un échelon supérieur. Il faut limiter la hiérarchie et, si elle est nécessaire, avoir des rôles tournants en fonction des compétences. Les organisations sont temporaires durant la révolution. Il convient d'adopter une diversité de philosophies, de modes de vie, de stratégies, avec une diversité des tactiques, violentes comme non-violente, en fonction du contexte précis. Il ne faut pas réprimer les autres courants de pensée de peur de la concurrence, car cela relève de l'autoritarisme de notre culture occidentale. Il faut s'unir sur un objectif (fin du capitalisme, par exemple), plutôt que sur une stratégie ou le type de tactique (violente / non-violente). Il faut faire grandir graduellement l'acceptation des tactiques violentes et/ou radicales, sans fétichiser la violence ni faire croire que le choix est vote ou bombe. Après la révolution, l'auteur imagine des petites communautés humaines qui s'organiseront comme elles le souhaitent. Il faut qu'elles soient petites afin que les membres puissent être d'accord entre eux et ainsi éviter l'apparition d'une structure (l'État) qui force les gens à être d'accord par coercition.
Je recommande vivement la lecture de ce bouquin très documenté, même si le style est lourd (l'impression de ne pas lire naturellement… - est-ce l'effet de la traduction ? -), les répétitions nombreuses et les termes pas clairement définis (voir ci-dessus).
L'une des œuvres majeures de Marx, Le Capital adaptée en manga. J'en ai appris l'existence dans une vidéo des humoristes du Rire jaune, et je me suis dit pourquoi pas, ça peut être sympa, c'est original, tout ça.
Le Capital, c'est l'analyse du capitalisme comme modèle de production et de commerce. Le tome 1, le seul totalement rédigé par Marx (les autres ont été finalisés par son pote Engels qui s'est basé sur les notes de Marx) analyse la production capitaliste, c'est-à-dire comment de l'argent sert à produire… de l'argent. Le tome 2 analyse la circulation du capital (production -> commerce -> production, etc.). Le tome 3 analyse la reproduction de l'ensemble et la pagaille que ça génère.
Un bien a au moins deux valeurs. La valeur d'usage est subjective et dépend de nos besoins : un affamé accordera plus de valeur à un pain qu'à un diamant. La valeur d'échange se veut objective en représentant in fine la quantité de travail, donc de peine, nécessaire à sa production, car, in fine, tout est travail (la fabrication d'une machine-outil ou l'extraction d'énergies, c'est du travail) ou ressource naturelle. La faisabilité d'un troc dépend de la valeur d'usage : si je possède déjà le bien que tu proposes en trouzemille exemplaires, je ne vais pas accepter l'échange. Et puis, combien de sacs de riz équivalent à un ordinateur portable ? Ça dépend de la faim des interlocuteurs. Pour comparer objectivement les valeurs d'usage, il faut une valeur étalon. Ça pourrait être des sacs de blé, mais l'or est quand même plus pratique à transporter car il vaut cher (en valeur d'échange, car son extraction, nettoyage et affinage coûtent du travail), même en petite quantité. L'or devient le médiateur entre un acheteur qui veut acheter un bien sans posséder, sur l'instant, un autre bien qui intéresse le vendeur. Et si l'on pré-pesait la quantité d'or en amont afin de faciliter encore plus les échanges ? Bonjour les pièces de monnaie en or. La quantité d'or sur Terre est finie donc si l'on veut produire plus de pièces afin de permettre au plus grand nombre de personnes de commercer, la valeur d'une pièce augmenterait trop et empêcherait les échanges (on ne peut pas diviser la valeur d'une pièce en une infinité de pièces de valeur inférieure, impossibilité technique). D'autres métaux plus courants que l'or sont alors utilisés dans les pièces, car, ce qui compte, c'est la confiance / croyance partagée que cette pièce représente la valeur qui est gravée dessus (0,10 €, 2 €, etc.) même si la fabrication de cette pièce ne coûte effectivement pas le montant gravé dessus (en 2016, le travail nécessaire à la confection d'une pièce de 2 € coûtait objectivement 0,17 €). Ainsi, on oublie les valeurs d'usage pour tout évaluer avec une monnaie étalon qui mesure la valeur d'échange (ce qui est dommage puisqu'on oublie ce dont chacun de nous a réellement besoin). Les billets puis la monnaie scripturale (écriture virtuelle dans des livres de compte) est le prolongement de cela : l'espérance qu'une banque stocke, mais surtout honorera, la dette mentionnée sur le billet ou l'écriture et que ce montant représentera toujours la même quantité de biens au cours du temps (ce qui, en pratique, n'est pas le cas à cause de l'inflation, l'argent perd de sa valeur). Le but du jeu devient alors d'accumuler le plus d'argent afin d'être sûr de manquer de rien puisqu'il est échangeable contre tout bien ou service (ce qui n'était pas possible avec le troc puisqu'on ne savait pas ce qu'autrui accepterait en échange le jour J).
Dans ce contexte d'accumulation, comment se faire de l'argent sur tout ce qui est vendu ? Il faut bien le prendre quelque part… Les matières premières ont un coût qui finit par ne plus être négociable… Les machines outils ont une production constante indexée sur l'énergie fournie (qui, elle, a le coût d'une matière première). Il reste donc le travail. Un chameau consomme environ la même nourriture, quelle que soit la charge qu'il transporte, on a donc intérêt à le charger au maximum. Même chose pour un humain, ainsi le coût du travail diminue. On détruit le savoir-faire en utilisant, entre autres, la division horizontale du travail (un salarié contribue à un tout petit bout du produit final au lieu de sa globalité, donc il devient capable de produire très rapidement ce petit bout) et la division verticale du travail (ceux qui décident ne sont pas ceux qui font). Avec cette spécialisation, on obtient des ouvriers remplaçables que l'on peut mettre en concurrence. L'emploi perd de son sens, car le salarié ne sait pas vraiment à quoi sert ce qu'il fait, mais la productivité augmente (plus de biens sont produits sur une même période). L'employé remplaçable perd de sa valeur, ce qui diminue le coût du travail. On peut également mettre la pression sur les salariés afin qu'ils produisent plus en les menaçant de chômage. C'est donc l'exploitation salariale, le travail non-payé, qui génère la plus-value. C'est pour cela que l'on nous bassine sans arrêt avec la réduction du coût du travail. Pour remédier au problème, les salariés devraient recevoir le résultat de leur travail, le travail global, c'est-à-dire la somme du travail nécessaire et de la plus-value (et non leur unique force de travail nécessaire comme c'est le cas)… comme quand ils étaient artisans à leur compte. Si je résume : une société commerciale dans laquelle tous ceux qui y participent sont propriétaires, ont les mêmes emplois (ou à tour de rôle), et perçoivent une part égale des bénéfices (ce qui est assimilable au partage du résultat du travail) et qui ne cherche pas à grossir indéfiniment, mais à satisfaire une demande concrète n'est pas une société commerciale capitaliste ?
Le gain de l'exploitation humaine obtenu sur chaque bien est faible, donc, pour en vivre, il faut le reproduire massivement… C'est pour cela que la réduction du temps de travail est perçue comme une hérésie : produire la quantité de biens strictement nécessaire ou employer plus de salariés réduisent le gain. Pour ce faire, il faut vendre plus. Pour cela, on peut innover sans cesse, tromper le client (moins de matière pour le même prix, faire croire que la marque est plus importante que le produit pour en retirer du fric, etc.). Mais, la méthode la plus efficace est de produire plus en automatisant. Pour une même quantité de travail global, cela réduit le temps de travail nécessaire… donc ça augmente les profits. Si d'autres sociétés commerciales suivent le mouvement, les bénéfices diminuent, d'où l'intérêt des monopoles, du secret industriel, des nouveaux produits, de remplacer sans cesse les machines-outils par des plus productives, etc. L'automatisation augmente l'endettement. Et, surtout, l'investissement dans des machines réduit la rentabilité, c'est-à-dire les profits divisés par la somme du coût des machines et de la force de travail. Cet indicateur montre qu'il va être de plus en plus difficile d'engranger des profits, donc qu'il sera bientôt difficile d'investir dans l'appareil productif, ce qui rend la société commerciale vulnérable à la concurrence et au remboursement des prêts (bancaires ou actionnariaux ou obligataires). On ne peut pas réduire le nombre de machines car la productivité est basée dessus. En revanche, les machines réduisent la responsabilité des salariés donc la valeur de leur force de travail, ce qui maintient temporairement les profits (c'est vrai uniquement si le salaire est modulable facilement ou si le salarié est licenciable facilement, tiens, tiens)… Mais pour les augmenter, il faut faut pressurer les salariés… ou les licencier… ce qui, dans les deux cas, les empêchent de consommer par manque de revenus. Si cela se généralise, les biens produits ne trouvent plus d'acquéreur, c'est une crise de surproduction. Pour y survivre, il faut pressurer les salariés ou fusionner avec d'autres sociétés commerciales (afin de produire plus - un plus qui ne trouvera pas forcément preneur même si ça peut faire baisser les prix - ou de se débarrasser de concurrents) ou acquérir de nouvelles machines-outils (qu'on ne peut plus se payer seule)… qui réduiront encore la rentabilité… Tout le monde est pris dans ce tourbillon… C'est la contradiction du capitalisme : il faut produire plus pour obtenir des gains et les maintenir face aux autres capitalistes (ce qui n'existait pas auparavant : les sociétés humaines produisaient uniquement ce dont elles avaient besoin pour vivre et se développer - ce qui inclut l'armement, bien sûr -), mais produire plus nécessite toujours de réduire l'humain (réduction des coûts, remplacement par des machines, etc.)… qui est pourtant le seul générateur de la plus-value dans ce système…
Au final, les prêts contractés pour s'agrandir, se moderniser, acheter des machines, ne peuvent plus être remboursés. Les sociétés commerciales coulent. Le chômage augmente. Les banquiers ne créent plus de monnaie puisqu'elles refusent de prêter vu le risque élevé de non-remboursement. Les déposants veulent récupérer leur argent (pour vivre le temps de leur chômage et par déficit de confiance). Sauf que la banque dispose uniquement d'une petite réserve d'argent qui ne couvre pas toute la monnaie émise (car elle en est un tout petit pourcentage légal). La confiance s'écroule… La puissance publique doit intervenir pour transformer la dette privée en dette publique et la répartir sur les épaules de tous les contribuables… Ainsi, la crise de surproduction entraîne une crise financière.
La production capitaliste se base sur la finance, mais aussi sur le commerce capitaliste. La rotation du capital, c'est-à-dire le temps nécessaire pour que l'argent génère de l'argent, inclut le temps de production (durant lequel l'argent est transformé en marchandise + la force de travail) et le temps de circulation (durant lequel la marchandise est transformée en argent). Il est impératif de réduire ces deux temps afin d'éviter de se faire doubler. La réduction du temps de circulation est d'autant plus cruciale que la marchandise peut se périmer ou que les prix de vente peuvent fluctuer. D'où il est nécessaire de développer un commerce de gros et de détail qui assume le coût de circulation mais supplante les petits marchés d'échange à l'ancienne. Le producteur vend ainsi très rapidement aux revendeurs en gros (qui revendent aux détaillants), ce qui augmente la cadence de la rotation de son capital. Dans ce commerce-là, tout le monde s'engage à produire ou à revendre ce qu'il n'a pas encore. D'où la bourse pour définir les prix de vente et les mécanismes d'assurance pour se prémunir des fluctuations (cela inclut les produits dérivés sur les marchés financiers). Ce qui amène la spéculation, notamment des transactions sans prise avec le réel.
D'autres effets sont intéressants à constater. L'argent n'est plus seulement une matérialisation du travail, de la peine qu'un humain se donne ni une contrepartie à un échange, mais aussi un moyen de générer plus d'argent durant le processus de production. Pourquoi faire ? Aucune idée. Il faut produire de la qualité à moindre coût et dans un temps réduit… Qu'est-ce que cela apporte fondamentalement par rapport à produire juste ce qu'il faut dans le temps qu'il faut pour permettre la survie et la satisfaction des besoins des humains ? Aucune idée. Il est nécessaire de garder le contrôle de la connaissance, notamment de faire en sorte que les concurrents n'aient pas connaissance des recettes ou que sous-traitants ne vendent pas les mêmes machines-outils à d'autres sociétés dès que les commandes de la société qui a originalement commandé la fabrication de ces machines-outils diminue (les sous-traitants ont intérêt à faire ça : ils se sont endettés pour produire les machines outils, donc si la commande diminue, le sous-traitant court un risque). D'où les brevets, le secret des affaires, etc. Notons que tout fonctionne en cercle vicieux à cause de la dépendance des sous-traitants… Si la production chute, celle du sous-traitant aussi, ce qui l'oblige à licencier… ce qui réduit la consommation, ce qui affecte la production de son commanditaire, qui réduit donc ses commandes, etc.
Les financiers et les capitalistes ne suent pas mais récoltent l'essentiel des gains. Égalité entre les hommes, hein ? Injustice fondamentale. Ils ont pris tous les risques, il paraît. La force de travail des salariés ne servirait à rien sans eux. Boarf, avant tout ça, le gus bossait très bien tout seul, ce qui laisse à penser que le capitaliste (parasite) a plus besoin de la force de travail (hôte) que l'inverse. Les capitalistes disent également qu'ils ne forcent personne à vendre leur force de travail au prix qu'ils proposent. C'est vrai, mais quand toutes les sociétés commerciales fonctionnent sur le même modèle, le choix est très restreint. Et construire sa petite société dans ce monde-là nécessite des financements (notons que l'héritage lisse ce prérequis, comme quoi…), surtout pour résister à la concurrence… Donc il faudra produire pour rembourser… Le prix de vente et le nombre de commandes étant définis par les autres sociétés présentes sur le marché, le jeu est vite vu : c'est plus compliqué de ne pas vendre sa force de travail à un requin déjà en place, donc la liberté de choix est restreinte.
Plutôt que de concentrer la production afin de servir une demande en hausse, ce qui nécessite des moyens de production coûteux dont l'acquisition met l'entrepreneur à la merci d'un financier, on pouvait aussi choisir de répartir cette production en plein d'artisans. Cela répartit les gains et procure du travail utile à plus de personnes. Néanmoins, cela entraîne des incertitudes sur le fait de disposer de tous les produits et services nécessaires à la vie (peur de manquer de quoi que ce soit). C'est précisément pour cela que le socialisme et le communisme prévoient une solidarité compensatrice…
Bref, ce manga est agréable à lire, j'en recommande vivement la lecture. Les définitions sont plutôt bien posées. Les dessins expriment des émotions qui complètent le texte. Mon seul reproche est que les notions sont présentées dans un ordre qui ne me semble pas être optimal pour permettre de comprendre leur imbrication qui forme le capitalisme, d'où plusieurs lectures peuvent être pertinentes.
Un livre sur la communication non-violente (CNV) rédigé par son concepteur. Un militant m'a parlé de cette méthode il y a quelques années, donc j'ai eu envie d'approfondir ce sujet.
La CNV est une manière de s'exprimer et de mener à bien des interactions humaines qui renforce notre aptitude à donner avec bienveillance et à inspirer à autrui le désir d'en faire autant. Contribuer sans contrepartie au bien-être d'autrui contribue à notre bien-être (satisfaction procurée par un geste désintéressé). Résoudre nos différends sans violence (au sens large). La CNV n'est pas une méthode pour forcer quelqu'un à faire quelque chose ou pour l'y conduire par la ruse et la connaissance des failles humaines. Selon moi, la CNV est l'une des méthodes pour mettre en pratique le premier des accords Toltèques, « que votre parole soit impeccable ».
La CNV s'oppose aux actions effectuées dans l'attente d'une contrepartie c'est-à-dire des actions effectuées afin de ne pas éprouver de honte ou de la culpabilité, de se dégager de contraintes, d'obtenir quelque chose en échange d'un geste. Elle s'oppose aussi aux insultes, au dénigrement, aux reproches, aux diagnostics et aux jugements qui expriment qu'autrui est une mauvaise personne ou qu'une action est bonne ou mauvaise. La communication non-violante s'oppose à tout déni de responsabilité, c'est-à-dire effectuer une action en prétextant qu'autrui en est à l'origine (« je l'ai giflé, car il a fait ceci… »), ou en invoquant une force impersonnelle (« je l'ai fait car il fallait que ça soit fait ») ou en justifiant le présent par un passé rendu immuable (« je picole car je suis un alcoolo ») ou en invoquant la pression d'un groupe (« je fume car toute la bande de potes fume »), ou en invoquant des pulsions incontrôlables (« j'ai mangé ce chocolat parce que c'était plus fort que moi ») ou en se cachant derrière une quelconque autorité (hiérarchie, ordres, règlements, etc.). Enfin, la communication non-violente s'oppose aux exigences, c'est-à-dire à toute demande formulée à autrui que celui-ci ne peut refuser sans risquer une quelconque sanction.
Pour ce faire, le principe clé est de faire la différence entre ce que j'observe (les faits), mon interprétation et mes déductions des faits, les sentiments que les faits génèrent en moi en rapport avec mes valeurs et mes souhaits, les besoins que cela soulève et ce que je demande à autrui pour satisfaire mes besoins et accroître ainsi mon bien-être. Selon l'auteur, nous confondons tout en permanence (fait et opinion, opinion et sentiment, etc.) dans notre expression quotidienne, ce qui rend les échanges humains imbitables. Évidemment, la réciproque s'impose : dans ce qu'exprime autrui, il faut distinguer ce qu'il observe, ce qu'il interprète, les sentiments que ça génère en lui… Il faut donc apprendre à écouter les bonnes informations dans les propos d'autrui (je vais y revenir dans quelques paragraphes).
« Elle est irresponsable », « il se croit seule au monde », « tu ne m'aimes pas », « tu es toujours occupé », etc. Tout cela sont des interprétations, des déductions, des évaluations, pas des faits. « Tu ne m'as pas donné de tes nouvelles ces deux derniers mois » (équivalent de « tu ne m'aimes pas ») , « les trois dernières fois où je t'ai proposé une activité, tu as dit que tu ne voulais pas y participer » (équivalent de « tu fais rarement ce que je veux »), sont des faits. Les opinions se détectent facilement : emploi de « tu es » et d'adjectifs sans mise en contexte, emploi de verbes du champ lexical de l'évaluation, etc.
Il ne faut pas mélanger une opinion (« je sens que ce n'est pas bien de mettre la musique aussi forte ») et un sentiment (« cette musique m'inconforte voire m'énerve »). Les phrases « je sais que … » expriment souvent des opinions et des jugements. Il convient d'éviter les phrases génériques pour décrire nos sentiments comme « je me sens mal / bien / con ». « Je me sens incompris » est une évaluation (du niveau de compréhension d'autrui), « je suis en colère / frustré » est un sentiment. Se sentir ignoré peut être agréable dans certaines situations, ce qui montre que ce n'est pas l'origine du mal-être.
Ne pas faire porter la responsabilité de nos sentiments à autrui. « Papa est malheureux que tu aies de mauvaises notes à l'école » est une motivation par la culpabilisation, l'enfant cherchera à échapper à la culpabilité, pas à s'impliquer dans son travail. Il convient de lier un sentiment à une explication de ce qui se passe en nous (quel est le besoin insatisfait) en utilisant « parce que / car » suivi d'autre chose que « tu / vous » : « tu m'as déçu en ne venant pas ce soir, car je voulais te parler d'un truc qui me préoccupe », « lorsque je trouve l'évier plein de vaisselle sale, je me sens agacé car j'ai besoin d'ordre et de propreté », « quand tu es arrivé 30 minutes en retard, j'ai été contrarié, car je voulais m'en tenir à mon emploi du temps afin d'avoir la sensation d'avoir accompli quelque chose de ma journée ».
Exprimer clairement ce que nous attendons de l'autre pour satisfaire nos besoins. Ne pas dire « je veux que tu passes moins de temps au taff » à la place de « je veux que tu passes moins de temps au taff afin de passer plus de temps avec moi », car, dans la première formulation, autrui peut très bien quitter le taff plus tôt et s'inscrire à un club de golf, ça respecte le souhait formulé. Exprimer des actions concrètes : « je veux être traité plus équitablement » ne permet pas à l'autre d'agir… Sur quel plan ? Par rapport à qui ? Etc. Ne pas émettre d'exigence, autrui satisfait notre demande seulement s'il a envie de contribuer à notre bien-être. On peut argumenter, bien entendu, mais seulement après avoir compris la raison précise du refus de notre demande. Plus on interprète un refus comme un rejet, plus les gens se braqueront lors de nos demandes ultérieures, car ils sentiront que ce sont des exigences.
Laisser l'autre s'exprimer. Lui laisser le temps et l'espace. Ne pas juger. Ne pas conseiller. Ne pas rassurer. Laisser nos sentiments de côté (pas de « ho, ma pauvre chérie ! »). Ne pas surenchérir (« c'pas pire que ce qui m'arrive »). Ne pas raconter d'histoires équivalentes (c'est le tour de parole d'autrui, pas le tien !). Ne pas moraliser (« tu pourrais tirer parti de ça si tu … »). Ne pas consoler (« tu as fait de ton mieux ». Ne pas clôturer le sujet (« remet-toi et passe à autre chose ! »), autrui le fera de lui-même (il arrêtera de parler). L'empathie, c'est chercher le sentiment et le besoin de l'autre. Exemple : au jugement « je suis moche ! » émis par quelqu'un, ne pas répondre « mais non, tu es trés belle », car cela met encore plus la pression, mais s'intéresser au sentiment et au besoin sous-jacents (« tu es déçu de la tête que t'as aujourd'hui ? », besoin d'attention ? Besoin d'un nouveau style vestimentaire ? Etc.). On ne peut pas arranger les choses à la place d'autrui. Afin d'être sûr d'avoir bien écouté et compris l'autre, on peut paraphraser et reformuler. On peut également poser des questions, mais uniquement sur les faits, les sentiments, les besoins ou les demandes qu'autrui formule. Il convient d'éviter les questions vagues (« que veux-tu que je fasse ? », « à quoi fais-tu allusion ? », etc.).
Si nous ne savons plus offrir d'empathie, alors c'est que nous en manquons et il faut alors s'administrer les premiers soins : questionner nos sentiments et nos besoins.
Je recommande la lecture de ce livre, car je trouve très pertinentes la séparation faits / interprétations / sentiments / besoins ainsi que l'analyse du déni constant de nos responsabilités. Il est court (80 pages) et il va à l'essentiel. Il est une introduction aux stages et formations payants animés par le réseau d'associations officielles et officieuses, donc il ne faut pas s'attendre à des miracles à sa lecture (comprendre : la lecture ne suffit pas, il faut pratiquer, pratiquer, et encore pratiquer).
Un livre de développement personnel centré sur les relations avec autrui. Aaron Swartz l'évoque en des termes élogieux dans l'un de ses écrits compilés dans le livre Celui qui pourrait changer le monde. Sans cela, je ne l'aurai pas lu.
Au final, pour améliorer ses relations avec les autres, il y a un unique principe à retenir : montrer leur importance aux gens. Rien est plus important pour quelqu'un que sa propre importance. C'est ce qui pousse quelqu'un à financer la rénovation d'un hôpital (et autres actions au service des autres), à revendiquer son statut social et hiérarchique, à désirer une grosse baraque, etc. Toute personne désire qu'on lui accorde de l'attention, qu'on s'intéresse à elle et que l'on parle d'une seule chose : d'elle, de ses doutes, de ses soucis, de ses souvenirs, afin qu'elle puisse démontrer son importance à travers ses expériences, etc. Quelqu'un ne veut pas reconnaître qu'il a tort parce que cela porte atteinte à son importance. Personne veut t'aider pour réaliser quoi que ce soit, mais tout le monde veut savoir comment t'aider va servir ses intérêts, affirmer son importance et flatter son égo.
Tous les principes de vie suivants sont déclinés de ce qui précède (tout ce qui n'est pas en gras est un ajout personnel) :
Ce livre est bien conçu, avec des résumés de fin de chapitre et une mise en forme qui permet de retrouver rapidement un contenu, etc. Il est donc facile à relire. Je pense également qu'il contient beaucoup d'analyses véridiques sur la condition humaine, et, à ce titre, je trouve qu'il est intéressant à lire.
L'auteur travaillait sur tout ça depuis 1936, donc autant dire que le style date d'une autre époque et que toutes les suggestions, je pense à un modèle de lettre mettant en avant le désir d'autrui, ne peuvent pas être reprises telles quelles de nos jours (ça se voit, quoi). Les histoires qui introduisent les principes sont ennuyeuses, surtout quand l'auteur en enchaîne 8 d'un coup. Le style est prétentitieux en mode "moi j'ai connu tout le gratin"… Le livre est très axé sur le monde professionnel. Enfin, beaucoup de points sont redondants et reviennent dans plusieurs principes.