Un livre qui se veut pratique pour prendre de la distance avec le numérique.
Pourquoi réduire son utilisation du numérique ? Écologie (déchets, minerais rares), flicage (point assez peu développé), sécurité (fuites de données via, par exemple, les objets connectés), économie de l'attention, baisse de nos facultés comme notre mémoire, notre sens de l'orientation, ou notre empathie (ces points ne seront pas argumentés), et absence d'un aspect humain du numérique (ce n'est pas explicité autrement que comme la préservation du petit commerce et des rapports sociaux, alors que le numérique a pour lui de gommer une partie des handicaps).
Là encore, beaucoup de baratin :
- L'auteure emploie le mot « digital » à gogo. Plusieurs définitions sont erronées : hacker, fin du RTC qui forcerait l'usage d'une box (le problème est ici l'interopérabilité des flux TV et téléphonie). Point culminant : la box Internet convertirait un signal téléphonique en signal web ‒ sic ‒) ;
- Plusieurs points peinent à me convaincre : l'auteure fait comme si la diffamation, l'injure, la désinformation, les mauvaises rencontres, etc., n'existaient qu'AFK (qu'Internet prolonge H24 le pouvoir de nuisance de harceleurs, je suis d'accord, mais ce n'est pas tout à fait la même chose) ; il faudrait veiller à sa réputation en ligne, c'est contraignant (ha, il ne faut pas faire de même AFK ? Quelle est la limite entre contrôler sa réputation et la pudibonderie ? ‒ tout le monde a déjà fini torché ‒) ; contrairement à l'écriture manuscrite, la saisie rapide au clavier n'est pas une reformulation, donc on n'assimilerait pas les notions (parce qu'en classe, avec un stylo, on reformule le baratin du prof ? Le clavier oblige à ne pas reformuler ? Certaines personnes ne mémorisent-elles pas plus efficacement en écoutant alors que d'autres y parviennent en écrivant ou en lisant ?) ; rien ne serait aussi efficace que la conversation ou le jeu pour apprendre (du coup, l'école ? :)))) Le numérique permet également d'expérimenter plus facilement genre devenir rédacteur d'un journal avec un peu d'audience) ; les écrans impacteraient les résultats scolaires (je vois une corrélation, mais pas de causalité, ça me semble être une conséquence à plusieurs facteurs) ; les intermédiaires techniques pourraient abuser (oui, comme la librarie du coin, ce n'est pas une spécificité d'Internet, c'est plus une question de taille) ;
- Plusieurs des solutions référencées font vieille France : toute la maison téléphone via un fixe situé au milieu de la maison (et la vie privée ? T'as vraiment envie de savoir quand ta gamine va se faire troncher ?) ; le numérique devrait venir en récompense (de résultat scolaire)… pire moyen d'éduquer… ; pratiquer un maximum d'activités en famille genre film ou musique (à moins d'avoir des parents tolérants, ça va conduire à du conformisme) ;
- L'auteure peine à faire la part des choses entre les conséquences négatives intrinsèques à la technologie et celles liées aux usages, notamment formatés par une économie capitaliste. Une sortie du numérique est préférée par rapport à des ressources numériques éthiques (Mutins de Pangée, radios associatives diffusées sur le web, réseaux sociaux libres, etc.). De même, l'auteure préconise l'achat d'objets dédiés à une seule fonction (appareil photo disjoint du téléphone, par ex.), car ça limite de facto la possibilité de se laisser harponner par une appli / un autre usage (source). Or, la convergence numérique, qui, certes, peut entraîner des impacts néfastes, permet, à l'heure actuelle, de consommer moins de minerais rares et de produire moins de déchets ;
- D'après une étude danoise de 2015, des personnes qui ont quitté Facebook se déclarent heureuses. Sauf que l'étude dure une semaine, que c'est déclaratif, et que l'échantillon n'est pas représentatif.
Le reste est correct :
- Il n'y a pas de fatalité liée au numérique et aux smartphones. Plein d'initiatives permettent d'exercer une forme de contrôle (LQDN, Framasoft, logiciels libres, Écran Total, etc.) ;
- L'auteure égrene les effets néfastes du numérique (j'ai déjà listé ici la plupart de ceux liés à la marchandisation de l'attention) : les écrans retardent le sommeil et en affectent la qualité ; les écrans ne véhiculent pas les émotions ; rêvasser, ce qui suppose de stopper les interruptions incessantes, permet de créer et/ou de réfléchir ; le fait de faire plusieurs choses simultanément nous fatigue et nuit à notre productivité (dans le sens on a tous besoin d'accomplir chaque jour des tâches afin d'en retirer une satisfaction).
Solutions :
- Collectives : exiger que les services publics demeurent en présentiel et en papier ; favoriser la réparation de nos bidules électroniques ; proposer de la formation ; adopter un droit à la non-connexion (l'auteure rêve complet, à mon avis) ;
- Individuelles : renouveler son matériel en fonction des besoins, pas de la mode ; acheter d'occasion ; acheter en présentiel afin de préserver les commerces des centre-villes et de ne pas transformer tous les emplois en emplois dans un entrepôt ; limiter le temps devant les écrans, surtout avant de dormir ; pas de téléphone ni d'ordinateur individuel avant 15 ans (d'où sort ce chiffre ? pourquoi pas 14 ou 16 ans ?) ; utiliser des logiciels et systèmes libres ; ne pas évaluer un service / une personne à tour de bras ; profiter de la vie sans être un VRP de soi donc sans raconter toutes nos sorties sur le web ; renoncer aux applications facilitatrices de sorties et se laisser vivre ; réduire sa liste d'amis (nombre de Dunbar : un humain ne pourrait pas entretenir des relations avec plus de 100 à 230 personnes ; au-delà, plus de confiance ni de comm', donc le fonctionnement du groupe n'est pas assuré ‒ ceci dit, veut-on que nos amis fonctionnent ? l'analyse de Dumbar est-elle pertinente dans ce contexte ? ‒, il faudrait ajouter une hiérarchie et des règles pour piloter le groupe) ; se méfier du faux collaboratif, de la fausse économie du partage, qui cache celle de la précarité (louer un gardien ou un cuisinier) ; refuser la numérisation de données personnelles à l'école (notes, absences, devoirs), à l'hosto (refuser le Dossier Patient Informatisé, le codage, etc.), au travail (entretien annuel), etc. (bon courage, c'est juste impossible !).
Notes :
- La différence entre le téléphone au volant et une causerie avec un passager : le téléphone requiert une attention continue (un silence vaut relance), alors qu'un passager s'adapte à la situation routière, à la météo, à la fatigue du conducteur, etc. ;
- Un bureau (le mobilier, pas la pièce) Lean / règles des 5S japonaises (minimalisme, froid / pas de personnalisation, interchangeable) réduirait la productivité de 15 à 30 % par rapport à des bureaux enrichis par les salariés. Attention, il s'agit du résultat d'une unique étude (de 2010, de l'université d'Exeter), donc prudence ;
- Quand tout est facile, notre vie se résume à agencer des activités interchangeables.
P.-S. : j'ai lu ce livre en 2020 et j'en avais fait un très concis résumé dans mon article « (Presque) trois ans sans smartphone ».