Un livre qui rassemble quelques-uns des écrits d'Aaron Swartz, informaticien, penseur, militant.
Ce qui m'a le plus déçu est le fait que ni la traduction, ni les contributions externes comme la préface ne sont diffusées sous une licence libre alors que les billets de blog originaux d'Aaron sont sous licence CC-BY-NC-SA. De plus, Larry Lessig sait pertinemment que ce livre n'aurait pas plu à Aaron (il l'écrit dans la préface), car ressortir de vieux écrits et les exposer à la vue de plus de personnes que l'auteur en attendait lors de la publication initiale est une forme d'atteinte à la vie privée.
D'un autre côté, sans ce livre, je ne me serais jamais intéressé aux écrits d'Aaron. Et quels écrits ! Ceux d'un insatiable penseur. De la culture à l'économie en passant par la politique et le social, Aaron s'intéressait à tous ces sujets.
Pour le travail documentaire, le style et la diversité des sujets abordés, je recommande vivement la lecture de ce livre.
Quelques notes :
- Lessig émet l'idée que le suicide d'Aaron n'est peut-être pas totalement lié à son procès judiciaire dont ses avocats finirent par être convaincus de le remporter, mais aussi à l'épuisement de sa fortune personnelle (issu de la vente de Reddit) qui l'aurait contraint à mener une vie dédiée à autre chose qu'à la défense des idées qu'il estimait être justes et à ne plus approfondir ses réflexions ;
- Quand les lobbies culturels dénoncent le téléchargement illégal d'œuvres, ils évoquent toujours les ventes que le téléchargement leur aurait fait perdre. Cela veut dire que ces lobbies culturels veulent des condamnations pénales pour compenser des ventes probables. N'est-ce pas là un fonctionnement autoritaire à la Minority Report ? "Tu as peut-être lésé quelqu'un⋅e, mais on ne sait pas avec certitude si le délit a bien eu lieu" ;
- La protection sociale existait aux USA avant Obama. Depuis 1937. Comment se fait-il qu'un pays aussi libéral ait un semblant de système de santé public ? Parce que de riches industriels, comme John D. Rockefeller ne voulaient plus consacrer une partie de leurs bénéfices à payer des compléments de retraite à leur salarié⋅e⋅s, autant que ça soit l'État qui le fasse en prélevant les sommes adéquates sur le salaire des travailleur⋅euse⋅s dans le cadre du New Deal ;
- La licence globale est entachée par des attentes contradictoires : il faut rémunérer ceux et celles qui participent à la création d'œuvres sans nuire à la vie privée (il n'est pas sain qu'une quelconque entité connaisse les lectures et visionnages de toute une population), de manière fiable (il faut que chacun⋅e déclare sa consommation car procéder par échantillonnage n'est pas pertinent car les contenus sur Internet forment une série longue traîne : des contenus sont peu vus et des contenus sont beaucoup vus) et sécurisée (on ne veut pas que les artistes déclarent plus de lecture que leurs œuvres en ont fait ni que les rémunérations soient truquées au profit d'une minorité). Aaron propose un système de bons d'achat dont la cryptographie permet d'assurer toutes ces propriétés, mais je trouve son système affreusement complexe (plusieurs aller-retours entre chaque individu et l'organisme de collecte mandaté, par exemple) ;
- J'ignorais qu'Aaron avait théorisé un mécanisme acentré et basé sur une blockchain pour l'enregistrement des noms de domaine quelques mois avant l'apparition de NameCoin ;
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Le taux de participation aux élections pour la première Chambre des représentants (équivalent, aux USA, de notre Assemblée nationale) était de 1,3 % (40 000 électeurs pour 3 millions de citoyens). Alors, oui, c'était un peu le zouk à l'époque (répartition géographique et moyens de communication, nouveauté du système, etc.), d'où ce chiffre, mais ça permet d'illustrer qu'un très faible taux de participation à une élection ne semble pas enlever la légitimité d'action de nos représentant⋅e⋅s. Abstention, solution ou non, du coup ?
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Faut-il vraiment réduire le nombre de nos député⋅e⋅s et sénateur⋅rice afin de faire des économies comme on l'entend souvent ? Dans la première Chambre des représentants des USA, il y avait 1 élu pour 600 électeurs / pour 46 000 citoyens (tenir compte du taux de participation exposé au point précédent !). En 2008, il y avait 1 élu pour près de 700 000 électeur⋅rice⋅s. Au temps de la première Chambre des représentants, l'élu avait une vision d'à quoi ressemble vaguement ses électeurs, de ce qui les intéresse, de leurs idées politiques, etc. Cela forme un même tissu social cohérent. L'électorat loge laaaaaaaargement dans les tribunes d'un stade de foot d'une petite ville. Ce n'est plus le cas. Donc, forcément que l'élu⋅e moderne n'est plus humainement en capacité de savoir à quoi ressemble son électorat et s'accroche donc aux généreux donateurs qui sont en nombre beaucoup plus réduit.
- Pour comparer, en France, en 2017, il y a un⋅e élu⋅e à l'Assemblée pour 79 000 électeur⋅rice⋅s / pour 117 000 citoyen⋅ne⋅s (et j'ai compté toute la population française, même les personnes qui ne sont pas en âge de voter ou qui n'ont pas le droit de vote). Il faut donc 2 stades de foot d'une grande ville (ou le stade de France) pour loger les électeur⋅rice⋅s d'un⋅e seul⋅e élu⋅e. C'est déjà énorme si l'on cherche à obtenir un lien de proximité entre élu⋅e⋅s et citoyen⋅ne⋅s. Faut-il encore plus réduire les effectifs au risque d'obtenir un pouvoir encore plus dilué ?
- Aaron émettait l'hypothèse qu'il ne peut exister un intérêt commun sur les questions majeures d'intérêt public : riches, pauvres, jeune, vieux, entreprises, syndicats, gauche, droite, tout le monde pense qu'il représente l'intérêt général : tout patron est aussi sincèrement convaincu que n'importe quel syndiqué⋅e⋅s qu'il⋅elle prend des décisions qui, même si elles sont difficiles, vont dans l'intérêt du plus grand nombre genre licencier pour espérer être plus productif… Tout le monde essaye de se réclamer de l'intérêt commun afin de dénoncer ses détracteurs comme étant des représentants d'intérêts particuliers. En conséquence, l'intérêt commun est forcement confisqué par le groupe dominant dans la société. Exemple : ceux et celles qui ont voté Macron sont des personnes qui vivent bien (j'ai pas écrit riche ;) ), à qui le monde actuel convient, donc l'intérêt commun sera celui-ci pendant 5 ans : faire en sorte que rien ne change donc conserver une société violente dans laquelle le tissu social et les libertés s'érodent, entre autres ;
- Aaron pensait que l'Open Data (et la transparence en général) ne rendra pas les élu⋅e⋅s plus ouverts, démocrates et responsables, car les chiffres publiés seront maquillés et/ou les magouilleur⋅euse⋅s trouveront des astuces afin d'utiliser des méthodes qui ne sont pas comptées dans les chiffres publiés. C'est vrai. L'Open Data ne rend pas automatiquement, le monde meilleur comme par magie. Un peu comme le logiciel libre ou la culture libre ou… ne rendent pas automagiquement le monde meilleur (ou même moins mauvais). Mais sans la transparence en politique, on n'obtiendra rien de plus. La transparence de la vie politique est une condition nécessaire mais pas suffisante afin d'avoir des élu⋅e⋅s ouverts, démocrates et responsables. Un peu comme le logiciel libre n'est pas une garantie d'absence de failles de sécurité ou de logiciel gentil pour l'utilisateur ou d'adaptabilité aux besoins, mais sans le logiciel libre, nous sommes incapables d'obtenir cela facilement. La transparence en politique permettra aux journaux de quantifier plus facilement des événements et de mettre plus facilement en exergue les manquements de nos élu⋅e⋅s. Si les chiffres sont véridiques, il suffira de dire à l'élu⋅e : "non mais regardez, vos propres chiffres officiels disent que c'est la catastrophe". Si les chiffres sont maquillés, il suffira de pointer du doigt la contradiction des chiffres, plus besoin de faire appel à un "sens moral" ou à l'éthique" pour décider si c'est bien ou mal, on sanctionnera (médiatiquement ou plus) le défaut de transparence. Si les chiffres sont inexistants, il suffira également de blâmer l'élu⋅e pour manquement à la transparence. La transparence en politique n'est qu'une brique : nécessaire pour construire quelque chose mais pas suffisante ;
- Que faire pour laisser un héritage ? Gutenberg n'était pas le seul à bosser sur l'imprimerie. Newton était suivi de Leibniz sur le calcul infinitésimal. Darwin était suivi d'Alfred Russel Wallace pour la sélection naturelle. Alexander Graham Bell était suivi (ou précédé) par Elisha Grey pour l'invention du téléphone. Marx n'était pas le seul à arriver à la conclusion que la non détention des moyens de production par les salarié⋅e⋅s conduit à leur exploitation. On le voit, il y a des idées dont le temps est venu et que si les découvreurs initiaux avaient échouées, ces découvertes auraient quand même eu lieu, à la même période, réalisées par d'autres. Il est donc compliqué de revendiquer ces héritages. Aaron exposait que le plus important, c'est de faire des choses qui vont à l'encontre du système plutôt que dans son sens. C'est beaucoup plus difficile que de suivre le chemin qui semble prédestiné mais il s'agit là d'un vrai héritage. À mon sens, un⋅e informaticien⋅ne qui réfléchit, avant de pisser du code, à l'impact sur la société de son travail répond à cette définition. Larry Lessig, que ses travaux et ses compétences destinées à siéger à la Cour Suprême (le Conseil constitutionnel des USA) qui choisi de se servir de ses compétences en Droit pour militer et tenter d'affaiblir la corruption lors des élections américaines, répond aussi à cette définition, selon moi ;
- ÉDIT DU 25/09/2022 : pour initier une conversation et/ou pour jauger une personne, la question la plus pertinente serait « À quoi réfléchissez-vous récemment ? ». FIN DE L'ÉDIT.