Le point de départ de ce livre est la note de désirabilité que Tinder aurait attribué à ses clients (on en apprendra rien, l'auteure n'a pas réussi à en savoir plus ni à récupérer la sienne via l'exercice de son droit d'accès RGPD), puis il s'élargit autour d'une prise de conscience que notre manière de consommer l'amour engendre des conséquences néfastes dont nous sommes tous responsables, avant de présenter quelques-uns des algorithmes potentiellement utilisés par Tinder (je divulgue : le fameux document de 27 pages qui « contient de quoi faire trembler Tinder » annoncé dans la 4e de couverture n'est que l'un des brevets rachetés par la marque, rien de neuf ni de transcendant).
Consommer l'amour et turpitudes :
- L'auteure relate quelques-unes des pulsions humaines sur lesquels jouent les sites web de rencontre et leurs effets : peur de la solitude ; besoin de se sentir désiré ; dont l'extrême est le narcissisme (je plains autant ? \o/) ; capture de l'attention et récompense aléatoire ; hiérarchisation des profils (à ne pas confondre, comme je l'ai longtemps fait, avec le tri : que je décide d'exclure de ma recherche les mères et celles qui veulent le devenir, c'est du tri, et ça me regarde, mais qu'un site web décide de ma comptabilité avec quelqu'un avant de me le présenter, c'est discutable) qui renforcerait nos stéréotypes et nous enfermeraient dans une bulle… (Je ne suis pas convaincu sur ce point : tout comme AFK, on cherche ce qui nous ressemble : à partir de 68 likes d'une personne, on peut déduire sa couleur de peau, son orientation sexuelle, son orientation politique, etc.) ;
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Les sites web de rencontre transforment l'amour en marché économique sur lequel les femmes veulent l'exclusivité afin de se sentir aimées, d'où elles privilégient la qualité (en ne remplissant pas leur profil ? :)))) ), alors que les hommes veulent se mettre en avant par leur nombre de conquêtes, et privilégient donc la quantité. Ce cliché… Source : la sociologue Eva Illouz. J'ajoute que la dernière enquête sur la sexualité des Français confirme ce biais. Mais, puisqu'il s'agit d'un marché, d'une construction sociale, cela signifie que la dèche amoureuse est socialement construite par une société humaine, comme l'est la pauvreté (cf. Marx). Étrangement, l'auteure s'étonnera par ailleurs que Tinder Gold (boost du profil) est une solution mercantile à un problème de visibilité induit par le classement algorithmique de Tinder… Oui bah, comme d'hab, le capitalisme vend un problème et sa solution ;
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Turpitudes de l'auteure :
- Elle a besoin de se sentir unique donc elle exige un début de conversation original. Mais… Personne ne va faire un effort pour que tu ne répondes pas ou que tu refuses la converse… C'est normal… Perte de temps… D'abord on initie la converse avec la politesse de base, puis on amène des choses originales, comme lors d'une causerie AFK. En plus, comment être original quand on ignore les connaissances et les intérêts d'une personne (surtout que la majorité des femmes ont un profil vide, pour rappel). Le sommet de l'absurde est de reprocher à ses matchs de lui faire en blague en rapport avec la blague Blablacar de son profil… De quoi veux-tu qu'ils te parlent ?! ;
- L'auteure se plaint d'avoir des réponses de queutards… alors qu'elle initie la conversation par « je sors d'une longue relation, je cherche de nouvelles expériences, à réaliser mes fantasmes »… … … Mensonge pour tromper l'autre. Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ;
- En date, un mec l'informe qu'il ne donnera pas suite car il espère « trouver mieux ». L'auteure est offensée, blessée, comment peut-on classer les gens, je suis moins bien que « mieux », blablabla… On peut sortir d'une relation et vouloir retrouver un partenaire similaire. On peut aussi avoir plusieurs critères, dont des obligatoires et des facultatifs et laisser une chance, ou non, s'ils ne sont pas remplis mais qu'on sent que ça peut le faire malgré tout ;
- L'auteure, déçue par ses rencards et matchs sans intérêt, est paumée et cynique. Elle fini par envoyer des phrases-types, par ne plus répondre aux messages, etc. c'est-à-dire par se comporter comme elle ne veut pas qu'on se comporte avec elle… Elle en prendra conscience en lisant les 802 pages de réponse de Tinder à son droit d'accès RGPD, et notamment les converse avec ses matchs (y'a du dalleux et de l'impoli, mais aussi des gentils et originaux qu'elle a laissé en plan et aussi des personnes autant paumées qu'elle). Hé oui, tout le monde est responsable de cette situation merdique.
- À mes yeux, l'auteure ne fait pas la part des choses entre les effets intrinsèques de Tinder et les effets de nos pratiques tout medium confondu.
Techniques brevetées de mise en relation :
- Il ne suffirait pas de faire se rencontrer les gens. Il faut écarter les "indésirés" afin que les profils de haut du panier ne fuient pas (dit autrement : maintenir un minimum de qualité dans le réseau social, minimum qui dépend de chaque individu). Il faut provoquer la rencontre. Etc. ;
- Amazon Rekognition était (est ?) utilisé pour "remplir" les profils vus qu'ils sont souvent vides (une guitare apparaît ? hop, tag "loisirs créatifs") ;
- Mots clés en commun ;
- Faire croire à la destinée : même lieu de naissance ou université ou initiales. Observation de l'auteure : "comme quand mes copines et moi apposions le nom de famille d'un mec à notre prénom pour voir si ça sonnait bien […] nous sommes de grands enfants manipulés" ;
- Niveaux d'expression compatibles déterminés par des tests comme les Flesch–Kincaid readability tests ;
- Success rate d'une photo (50 % = vu/swipé une fois sur deux présentations du profil). Tinder avait (a ?) une option SmartPhoto qui présente à tour de rôle les photos du profil puis uniquement celle qui fait le plus de vues ;
- Outrepasser la distance en fonction de l'attractivité (genre quelqu'un avec le même âge, diplôme, niveau de revenus pourra être présenté même s'il est hors de la zone de recherche), car on sait que les personnes mises en relation sont susceptibles de faire un effort supplémentaire dans ce cas-là ;
- Mettre en relation des hommes plus vieux avec des femmes plus jeunes, moins diplômée et disposant de revenus moindres. Les chiffres de l'INSEE montrent qu'en moyenne, il y a 4 ans et 42 % de revenus d'écart entre homme et femme dans un couple français (dont la majorité n'ont pas eu recours à un site web de rencontre, hein ;) ). Pour l'auteure, c'est la démonstration que Tinder fait perdurer / inscrit dans le marbre le méchant modèle patriarcale… Pas convaincu ;
- Contrairement à l'auteure, je vois rien de scandaleux dans tout ça. Nous faisons la plupart de ces tests également lors d'une rencontre AFK, y compris inconsciemment… Après, chacun est libre de croire qu'AFK il donnerait sa chance alors qu'un site web de rencontre ne présentera même pas le profil, blablabla. L'auteure qui s'indigne sur Tinder Select alors que l'écrasante majorité des soirées AFK sont sur invitations et rassemblent des personnes au profil démographique proche…
Divers :
- En 2014-2015, les associations de consommateurs et l'ICO (CNIL britannique) se seraient déclarées incompétentes pour assister l'auteure dans l'obtention de ses données personnelles Tinder, dont la fameuse note de désirabilité. Concernant l'ICO, je suis étonné…
- Le summum du navrant de ce livre : l'auteure, déçue, désespérée, swipe à tout va avant de se branler le gland du clito avec le revers d'une brosse à dents… ;
- Débuter une enquête : contacter toutes les personnes qui ont bossé ou bossent sur le sujet (journaliste, avocat, universitaire, activiste, etc.).
P.-S. : j'ai lu ce livre en 2020 et je l'ai pris en compte pour rédiger mon avis sur les sites web de rencontres amoureuses.