Quand on évoque les subventions publiques aux associations, on se focalise surtout sur le point de vue de l'association et le clientélisme que ça implique. Ce papier examine l'autre côté : urbanisation intensive, exil "dans la joie et la bonne humeur" de tout ce qui dépasse, simulacre de démocratie, etc. J'en recommande vivement la lecture.
[…] Au lieu de cette friche où zonaient des SDF, les carrés bien nets des bacs à légumes bio. Au lieu de ce squat hanté par on ne sait quels fantomatiques anars ou sans-papiers, un collectif d'artistes qui ouvre ses portes deux fois par an. Au lieu de ce camp de Roms, de la pelouse, une estrade et une buvette, des spectacles engagés. Tout est à sa place, on sait qui est où et qui fait quoi, plus une miette d'espace laissé à la marge, plus de rencontres hasardeuses, plus de coins interlopes. La ville est propre. Le prix du mètre carré augmente, la population s'embourgeoise et les édiles s'enorgueillissent du dynamisme associatif de la commune, qu'ils se réjouissent de soutenir par le saupoudrage de subventions qui pompent une partie du budget ainsi maigrement redistribué. […]
C'est ainsi que s'accomplit l'enrôlement de la moyenne bourgeoisie et de la bourgeoisie culturelle prolétarisée, dans l'occupation intégrale de l'espace urbain, dans son gardiennage bénévole et dans la chasse au plus pauvre. Les populations précaires, marginalisées, qui trouvaient auparavant dans les interstices de la ville, ses terrains vagues, ses friches, ses maisons abandonnées, un refuge, sont réduites au trottoir avant de se résoudre à l'exil. L'urbanisation intensive, qui se fonde sur une conception de la ville non plus comme un espace commun à habiter mais comme une source d'investissement et de profits pour les bureaux d'études, les promoteurs et les possédants, fait disparaître peu à peu les espaces vacants. Mais les communes incitent aussi les habitants à gérer par eux-mêmes les dernières parcelles en attente d'être bétonnées puis livrées aux propriétaires. Et pour les sans logis, on encouragera une association d'architectes inventifs qui sauront imaginer la cabane parfaite pour le réfugié, le Rom, le SDF, sans toutefois leur céder le foncier sur lequel installer ces roulottes écoresponsables et qu'elles servent.
Budget participatif, habitat participatif, démocratie participative où seuls participent les citoyens dont il n'y a rien à craindre du choix raisonnable de la couleur des pots de fleurs et de celui de l'emplacement du boulodrome là où la mairie l'a déjà acté, concours d'occupation des friches remportés par des associations aussi inoffensives que peu actives, domestication des associations et des collectifs contestataires : la paix sociale a un prix, assez bon marché.
Gardienne de son frère de misère, qu'elle participe à chasser du lieu qu'il habitait ou pourrait habiter, l'association précairement logée et chichement subventionnée devient aussi la gardienne d'elle-même. Comment persister dans la critique politique et sociale, qui était parfois la raison d'être de l'association, quand sa survie dépend des petites subventions distribuées de manière discrétionnaire par l'équipe municipale et dont on sait qu'elles peuvent disparaître d'un trait de plume? L'action potentiellement subversive de ces occupations de l'espace public par des collectifs, ne peut que s'affadir, voire se transformer en relais docile de la politique du pouvoir en place, qu'elle critiquait tant au départ. En guise de réappropriation de l'espace public par les habitants quels qu'ils soient, un mille-feuilles associatif qui place les associations en concurrence pour la jouissance de lieux de plus en plus rares. Dès lors, on comprend pourquoi l'on trouve si peu d'associations, voire aucune, se proposant d'aider les familles Roms que la municipalité veut chasser du territoire, et leur préférence pour des actions ciblées sur des publics moins enracinés localement, les mineurs étrangers isolés par exemple. […]
[…] La marchandisation poursuit son avancée totalitaire. Tout est privatisé. S'organiser en collectifs, en associations de défense contre la violence du pouvoir économique et de ses alliés politiques, est maintenant une question de survie pour une part croissante de la population. Nous avons besoin de vraies cantines solidaires, de potagers locaux, de maraudes pour la récupération des rebuts utilisables, gâchis de la société de consommation, d'espaces où exposer l'art hors marché que les galeries refusent, de squats ou de nouvelles formes d'habitats pour loger ceux qui sont laissés à la rue, d'hébergement et d'accueil pour les réfugiés qui subissent les agressions de l’État policier. Le pouvoir l'a bien compris. Qui ne cède pas aux sirènes de la récupération et de la mise sous tutelle des actions politiques, sociales ou culturelles entreprises, se voit aussitôt traité en criminel. La bourse ou la vie est une alternative trop rude pour une dictature douce. La subvention ou la prison?
Les budgets participatifs qui ont fleuri partout autour du globe me font halluciner. Les citoyen⋅ne⋅s peuvent décider quels seront les investissements réalisés par leur ville. Enfin… d'une fraction minoritaire des investissements, faut pas pousser non plus, hein. Mais… heu… N'y a-t-il pas déjà un endroit dans lequel tou⋅te⋅s les citoyen⋅ne⋅s devraient pouvoir décider de toutes les décisions impactant leur ville ? Est-ce que ça ne se nomme pas un conseil municipal ? Avec le budget participatif, dois-je comprendre qu'en fait je n'ai la main sur rien, que mon conseil municipal reste sourd et isolé dans sa tour d'ivoire, mais que, par grande bonté, il nous laisse, moi et mes concitoyen⋅ne⋅s, décider d'une toute petite fraction des investissements de notre ville ? De qui se moque-t-on ?! Contester le dernier PLU qui fait un cadeau démesuré à une grande société commerciale ou contester le dernier PPP qui manque de transparence, surtout pas, malheureux, c'est des choses de grandes personnes, ça ! Va plutôt jouer dans le bac à sable du budget participatif ! La démocratie meurt dès que s'approche un budget participatif car il est l'aveu même de l'échec de la démocratie, il signifie le renoncement à nos droits fondamentaux de citoyen⋅ne⋅s pour se contenter de quelques miettes… Oui, « le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée » est un droit fondamental qui nous a été confisqué (détails).
Ces budgets participatifs ont amené le développement de sites web (il est convenu de dire « plateformes digitales collaboratives en ligne d'empowerment citoyen », u know) coûteux qui auraient pu servir à impliquer les citoyen⋅ne⋅s dans l'ensemble des décisions de leur ville et pas uniquement aux quelques miettes inoffensives que les élu⋅e⋅s ont bien voulu leur donner. Quel manque d'ambition, quel gâchis.
Rien d'innovant ni de disruptif (comme il est convenu de s'exprimer de nos jours) ne peut émerger d'un budget participatif, car la ville veille à chaque étape : fixation des règles du jeu et des tranches du budget, étude de faisabilité, etc. Les projets qui ne sont pas dans la norme sociale actuelle ou les projets contestataires n'ont aucune chance, ils seront retoqués « infaisables », comme une banque retoque froidement un projet. À quoi sert alors la puissance publique ?! Comment faire émerger un débat sans idées/lieux contradictoires/contestataires ? On affaiblit le débat démocratique.
Bref, c'est ce que je nomme la démocratie du⋅de⋅la délégué⋅e de classe : c'est mis en place et encouragé pour entretenir le culte de l'existence de la démocratie, la vraie, dans notre pays et de sa vitalité, mais il ne faut pas que ça dépasse ni que ça morde, gentil toutou, gentil. Illusion de la démocratie.
Mon avis détaillé sur les subventions et la réduction d'impôt pour cause de dons associatifs.
Via la liste de discussion du HackStub, hackerspace strasbourgeois.