Un livre consacré à la marchandisation de l'attention à l'ère du numérique (je rappelle que la vente du temps de cerveau humain disponible est antérieure aux réseaux sociaux numériques).
Ce bouquin alterne entre le baratin et le vrai…
Commençons par le baratin :
- Le titre lui-même est pipeau. D'après Google, le « temps d'attention » / « temps de concentration » d'un poisson rouge serait de 8 secondes alors qu'il serait de 9 secondes chez les milléniaux (génération Y). Sur le web, on trouve un autre couple de chiffres relayé par Microsoft : poisson rouge = 9 secondes, milléniaux = 8 secondes. Mettez-vous d'accord ? L'attention / concentration n'est pas définie : est-ce la réaction à un stimuli extérieur ? Est-ce la capacité à se concentrer sur un sujet qui nous passionne ? Etc. D'autres personnes ont déjà souligné l'absence de crédit scientifique de ce chiffre : 1, 2 ;
- Tim Berners-Lee, déçu par sa création (le web), créerait un « contre-Internet ». Sans plus de précision. Qu'il s'agisse du projet Solid ou d'autre chose, il n'y a point de contre-Internet (ni conceptuellement, ni en pratique) ;
- Une étude publiée dans le Journal of Social and Clinical Psychology évalue à 30 minutes/jour le temps maximal d'exposition aux réseaux sociaux et aux « écrans d'Internet » (sic) au-delà duquel apparaît une menace pour la santé mentale (quelle menace ?). Pipeau : faible échantillon, faible durée de l'étude, déclaratif ;
- On ressort le vieux cliché du quai de gare où tout le monde a les yeux rivés sur son smartphone, plus personne se cause ni se regarde olala c'est la fin de la civilisation. Mouais, il y a un siècle, les journaux remplaçaient les smartphones. Bien sûr que l'ingénierie derrière les sites web consultés avec le smartphone actionne, d'une façon nouvelle, des pulsions humaines, et c'est de ça dont il faut parler ;
- L'auteur utilise les mots « hackers », « expérience utilisateur », « post-vérité », « post-information », « web 1.0 », « web 2.0 », « web sémantique », etc. sans les définir ou sous leur seul aspect négatif. De même, plusieurs grands mots creux sont utilisés pour appuyer le propos mais sans être définis, comme data-capitalisme ou technocapitalisme (olala, ça impressionne) ;
- Internet entraînerait la fin des mythes collectifs, donc la destructuration de la société. Olala, ça fait peur. Quid des complots ou des histoires écrites collectivement (backrooms, par ex.) ou des mèmes récurrents que l'on trouve en masse sur le web ? Ce n'est pas forcément les mêmes mythes qu'avant, donc ça peut être déconcertant, mais de là à déstructurer une société humaine… ;
- On terminera par le transhumanisme, l'IA (pourtant plutôt bien défini dans le premier chapitre), etc. qui vont nous faire des choses fortement désagréables mais on ne sait pas encore quoi (olala, ça fait peur).
Sur le reste, ce livre vise juste :
- Il rappelle quelques-uns des effets des techniques de capture de l'attention mises en œuvre par des multinationales capitalistes afin de maximiser leur gain : "addiction" liée à la récompense aléatoire qui découle de la présentation des contenus, du scroll infini et des notifications incessantes, approbation-récompense par les likes / commentaires (et mal-être quand on en a moins), anxiété devant des contenus toujours plus angoissants (plus que la presse, notamment les chaînes d'info en continu ?), peur de manquer / de paraître ignorant (c'était si facile de savoir, pourquoi suis-je à la bourre ?), moins d'oubli (qui harmonise les relations humaines), les interruptions incessantes qui nuisent au besoin de compléter des tâches "complexes" afin d'en tirer satisfaction, uniformisation des contenus, biais de conformation par l'effet de bulle de filtres (pour moi, il est inhérent à tout groupe social ‒ la famille, les amis, les profs, sont de très bons prescripteurs ‒ et à toute recherche, précisément car on la débute par ce qu'on connaît d'un sujet), biais de représentativité, biais de répétition, impatience (on veut une réponse immédiate à une qustion précise sans étudier le sujet attenant), fausses nouvelles (pour moi, rien de neuf : tous les gouvernements mentent partiellement et tous les journaux présentent les faits d'une manière erronée ou partielle qui sert leur ligne éditoriale, d'où la nécessité de la pluralité), effet Rashōmon : plusieurs récits d'un même fait font disparaître la vérité (rien de neuf, on pensera à la vérité alternative de Trump mais aussi à tous les contre-feux médiatiques des façonneurs d'image dont les efforts titanesques de l'industrie du tabac), etc. ;
- L'auteur explicite qu'il ne s'agit pas d'un problème avec la technologie, ni d'une perte de culture, mais d'une mutation d'un système utopique (ainsi est présenté Internet) vers l'économie de l'attention. Il s'agit d'un choix politique (organisation de la vie en commun). Il ne peut y avoir d'éthique tant que le paramétrage des algorithmes s'explique par des considérations économiques (dégager un max de revenu publicitaire) ;
- La fin se veut légèrement plus posée que le baratin qui la précède immédiatement : le transhumanisme et l'IA sont encore au stade du blablabla, les algorithmes déçoivent, le refus de l'économie de l'attention n'équivaut pas à un refus du numérique, ce modèle économique est néfaste, mais il en existe d'autres, etc.
L'auteur propose majoritairement des solutions systémiques (= pas basées sur des gestes individuels) :
- Régulation : champ et application des algorithmes (afin de différencier contenu et pub, de ne pas jouer sur les pulsions humaines, etc.). Je pense que c'est illusoire : le moindre journal, la moindre prise de parole joue sur les émotions (tristesse, nostalgie, colère, dégoût, etc.) ;
- Trouver un cadre juridique entre le statut de l'hébergeur et celui de l'éditeur. Bon courage, y'en a qui réfléchissent depuis des décennies… ;
- Offres alternatives à l'économie de l'attention. L'auteur ne pense pas à des solutions techniques (comme la décentralisation), à part une « IA écologique » (sic et lol) ou des algorithmes émancipateurs (lol), mais à des solutions politiques (comme les médias publics ont été un contre-pied aux puissances d'argent) ;
- Créer des lieux géographiques et des moments sans sollicitation numérique. J'avoue que les relous qui dégainent leur tél quand tu leur causes, ça a toujours été un no-go pour moi ;
- Éduquer. Ouais, ça atténuera la portée et l'emprise des mythes et du bullshit (transhumanisme, transnational, IA, etc.), hein ;) ;
- Modération personnelle de son usage des plateformes qui capturent l'attention.
P.-S. : j'ai lu ce livre en 2020 et j'en avais fait un très concis résumé dans mon article « (Presque) trois ans sans smartphone ».