Ça fait quelque temps que j'ai envie de prendre des notes pour me souvenir de Nuit Debout.
- Un mouvement parmi d'autres, comme Les Indignés d'Espagne et Occupy Wall Street : des happenings joyeux et puis… c'est tout (bon, Podemos prend ses racines dans Indignés mais bon, un blocage politique qui reconduit les vieux routards de la politique politicienne, ce n'est pas une réussite, àmha) ;
- Le truc qui m'avait le plus fait rire jaune sur le vif, c'était les jeunes qui s'y croyaient en mode "OMG les gens de tout horizon se parlent, on n'a jamais vu ça, on apprend la démocratie mais OMG quoi c'est trop inédit OMG !" (exemple ici : https://www.youtube.com/watch?v=RJqhRNH5Uzc ). Pour moi, Nuit Debout est un prolongement des débats ouverts qui avaient lieu à la Sorbonne et ailleurs en 68. Pour moi, c'est un prolongement des lieux d'échange que l'on a sur le net. Pour moi, on est loin d'une révolution de la parole libérée qui occupe un espace, on est sur une ré-édition. Ça n'enlève pas les vertues du mouvement mais ça aide à mieux se positionner et à se présenter ;
- Ma remarque la plus négative sur le mouvement était et est toujours son inaptitude à bouger en dehors de l'organisation de trucs choupis comme des stands, une bibliothèque, des pirate box ou une cuisine populaire (là encore des modes d'action vus et revus). Voir : https://odieuxconnard.files.wordpress.com/2016/04/nuitdebout.jpg . Dans ma tête, je fais le parallèle avec l'IETF qui, à l'inverse, fonctionne : ça discute beaucoup, par écrit et en public, au-delà de simples considérations techniques, parfois sur des points clés sur lesquels une masse de personnes n'est jamais d'accord, mais pourtant, ça produit des normes techniques et du « running code » par consensus sans dire si ça sera utilisé/appliqué ensuite "dans la vraie vie". Nuit Debout, comme Occupy et les Indignés, a foiré sa transition, àmha. On pourra m'objecter que le profile démographique n'est pas du tout comparable mais je ne pense pas que ça change tout : qu'est-ce qui empêche la spécification du projet "nuit debout" d'aboutir ? C'est ça, la question ;
- Pour nuancer le point précédent, je reconnais aussi que Nuit Debout a produit des choses intéressantes : des hackathons à visée politique (mais y'a pas que Nuit Debout sur ce créneau-là, loin s'en faut), des jeux vidéos militants, l'apprentissage de la lutte et de la construction en temps et terrain hostiles (même si je n'ai pas vu beaucoup de documentation en sortir :( ), apprendre à ne pas se faire bouffer par la communication (voir http://www.regards.fr/web/article/nuit-debout-anticapitalistes-et-bisounours-se-disputent-la-communication ) et les politiques de carrière (chose qui a dépassé le Parti Pirate qui niait ce besoin d'apprendre l'existant et comment se jouer de lui) ;
- Est-ce qu'on est sur un mouvement inclusif ? Pas sûr : le mouvement s'est construit sur l'anti-élite et la lutte contre le fascisme, à partir de là, y'a déjà de l'exclusion (mais c'est contre des personnes dominantes donc ça passe, probablement). Voir : https://www.youtube.com/watch?v=D7kmQer2wOg . On voudrait que tout le monde participe sauf les relou-e-s arbitrairement désigné⋅e⋅s. Sauf qu'il faudra faire société avec eux-elles à moment donné, hein. Ouais, on refait une élite, quoi. On voudrait faire un mouvement Politique apolitique alors qu'il y aura toujours des avis divergents donc des "clans" qui n'auront pas la même définition du projet de société à conduire. On voudrait un mouvement disruptif mais consensuel. Et c'est peut-être pour cela que la spécification du projet "nuit debout" échoue : on essaye de synthétiser tous les avis divergents pour produire ZE projet de société. Décider, c'est quand il n'y a pas de choix idéal, ce n'est pas faire plaiz' à 100 % de la population française ou mondiale. Parler au nom des 99 % quand t'as un public en majorité jeune, blanc et qui a fait des études, c'est mignon aussi. De même pour les femmes qui ont eu du mal à se faire entendre et à se faire respecter sur place (voir https://www.slate.fr/story/117733/nuitdebout-agressions-sexuelles-sexisme ) ;
- De là à vouloir basher les personnes présentes aux Nuits Debout comme l'ont fait Copé ("personnes déconnectées de la réalité") et Sarko ("des personnes sans cerveau"), de là à vouloir interdire ces rassemblements et à les dégager par la force, faut pas pousser ;
- La question posée par Nuit Debout comme par les autres mouvements sus-cités est la même : comment prolonge-t-on les débats, c'est-à-dire comment agit-on et sous quelles formes ? Une question sous-jacente est : comment re-motiver les déçu-e-s du mouvement (comme le fût Renaud vis-à-vis de 68) ?