Ce livre présente la faisabilité de trois grandes utopies : fin de la pauvreté (par le revenu de base), réduction du temps de travail, et suppression des frontières. Pourquoi celles-ci plus que d'autres ? Aucune idée.
Vu que les utopies présentées ne sont pas novatrices, on s'attend à de solides arguments, mais, rien de neuf (mais il y a des chiffres et des graphiques sourcés sur la réduction du temps de taff, l'absence de lien entre PIB et bien-être, les inégalités, etc.) :
- Fin de la pauvreté : la pauvreté a un coût (services sociaux, flics, justice, médecine, y compris psychiatrique), elle abîme la société (défiance envers les politiciens, privation de talents trop occupés par leur charge du quotidien, réduction de la solidarité ‒ un humain est plus solidaire quand ça lui profite aussi, d'où la nécessaire inconditionnalité du revenu de base ‒, etc.), le PIB n'est pas synonyme de bien-être (hausse de l'instruction, réduction de la mortalité infantile, hausse de l'espérance de vie, baisse du taux d'homicides, de la dépression, de la population carcérale, de l'immobilité sociale, etc.), cf. étude de Wilkinson et Pickett ;
- Réduction du temps de travail : ça réduit le stress, les inégalités, le chômage, ça émancipe, y compris les femmes (mouais, du travail pour tous ne signifie pas du travail de qualité pour tous…). Il faudrait taxer les bullshit jobs, taxer pour inciter à embaucher plutôt qu'à payer des heures complémentaires, taxer le capital (pour contrôler le progrès technique dont l'auteur ne dit rien de l'utilité et du contrôle social qu'il opère), réallouer les gains de productivité ailleurs que dans la consommation dans le but d'entretenir la production et donc les profits (en France, la productivité a aussi servi à réduire le temps de travail : au 19e siècle, on était en moyenne moins payé pour 3 100 heures/an de travail que pour nos 2 000 heures actuelles) ;
- Suppression des frontières : ça restreindra les inégalités de richesses au niveau mondial (à mon avis : non, tout dépend de comment on l'organise, pour servir quels intérêts, etc., comme d'hab).
Plusieurs arguments sont douteux :
- L'Alaska aurait un revenu de base depuis bien longtemps… Non, ni en montant, ni en origine (pétrole, gaz) ni sur la méthode (bourse) ;
- L'auteur évoque la loi de Speenhamland qui est un revenu complémentaire afin de garantir un minimum, pas un revenu de base inconditionnel qui émancipe du salariat. Il y a d'autres confusions du genre (comme la proposition de Nixon d'un revenu conditionné au retour à l'emploi) ;
- Les exemples historiques de temps de travail ne sont pas forcément pertinents. 1 500 heures/an de taff en France dans les années 1300, mais le temps libre était beaucoup alloué à l'Église (il n'était donc pas une concession faites aux "travailleurs" ni aux loisirs), la diversité des activités productives était moindre, et il faudrait vérifier comment est calculé ce chiffre car une moyenne dans une société bipolaire (seigneurs / serfs) a peu de sens ;
- Il y avait peu de frontières et de passeports avant la 1ere guerre mondiale. Peut-être car peu de gens voyageaient ? L'aviation grand-public, la voiture moderne, la réduction du temps de travail (congés), ont densifié les flux.
Au final, ce livre ne traite pas d'utopies radicales (qui tentent de résoudre un problème à sa racine) : point de fin du salariat, point de communisme, point de fin de l'héritage patrimonial ou du crédit bancaire, etc. De même, les solutions proposées sont sociales-libérales (taxation, aides sociales dont revenu de base, etc.), donc mollassonnes. Le déjà-là peine à convaincre.
Notes :
- Nous avons bâti le pays de l'abondance, donc nous n'avons plus d'ambition ni de projet. Nous faisons des calculs économiques, nous réparons les problèmes techniques, nous satisfaisons nos exigences de consommation. D'où le vide ressenti : quel intérêt de se lever le matin ? La société de l'abondance était une utopie… que nous avons transformé en dystopie (obésité, dépression, surconsommation, taff dénué de sens, etc.) ;
- Dans le cadre d'un sondage, 12 % des jeunes de 1950 affirment être spéciaux, contre 80 % de nos jours (attention aux biais habituels : représentativité de l'échantillon, etc., et, dans le cas présent, les sondages étant réalisés à plus de 60 ans d'écart, il faudrait vérifier que la question posée est la même, que le vocabulaire utilisé porte toujours le même sens dans l'esprit des gens, etc.) ;
- Distribuer des aides sociales dans une société de consommation sert à rien, car, sans maîtrise des désirs, tout le monde voudra toujours acheter la dernière merde ;
- La mondialisation a-t-elle freinée le progrès technique ? Travailleurs du clic, enfants de pays pauvres, etc. au lieu de robots ;
- Il est difficile de changer d'opinion car ça consiste à changer de place dans un groupe social (Église, famille, amis, etc.) alors que l'humain veut froisser personne par peur de l'exclusion (cf. expérience d'Asch : les humains nient l'un de leur sens pour se conformer à un groupe, mais une voix dissonante suffit à les réveiller). Sans compter que ce changement d'opinion et de place induit une forme de changement d'identité.
P.-S. : j'ai lu ce livre en 2020.