Ça faisait un moment que je voulais lire cet essai de La Boétie dans lequel il nous explique que la servitude envers un tyran (que l'on peut entendre aujourd'hui au sens d'une autorité quelconque) est volontaire et qu'il n'y a pas besoin d'une révolution dans le sang pour défaire un tyran.
Quelques notes sur La Boétie :
- 16e siècle, 1530-1563.
- Conseiller du Roi au Parlement de Bordeaux. Un parlement était une cour pour dispenser la justice royale (pénale et civile) par délégation, enregistrer les ordonnances royales, faire régner l'ordre dans la province ;
- Traits de caractère : tolérant (période de la Réforme ;) ), loyaliste, non-violent et légaliste (paix et loi, disait-il), notions d'éthique ;
- Ami de Montaigne. Ce qui m'a fait me replonger dans la définition de l'amitié donnée par ces deux-là : estime mutuelle, assurance mutuelle de l'intégrité de l'autre. Il n'y a pas d'amitié entre des malfaiteurs, juste une crainte et un intérêt commun à avancer de manière ordonnée. Montaigne écrira : « Si on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu’en répondant : Parce que c’était lui, parce que c’était moi ».
Quelques erreurs à propos du Discours de la servitude volontaire :
- Ce texte n'est pas un appel à la sédition, à un soulèvement contre un pouvoir établi, qu'il soit royal ou non. Cet aspect lui sera conféré après la mort de La Boétie ;
- Ce texte n'est pas non plus un appel "fuck toute forme d'État et de pouvoir" ;
- Ce texte est un essai de réflexion doctrinale de philosophie politique qui cherche à expliquer les causes de la servitude ;
- Quand La Boétie évoque le peuple, c'est péjoratif, c'est pour dire masse informe, grouillot de base. Il est aucunement question de souveraineté ou de citoyenneté à l'époque.
Quelques notes sur le discours :
- République = res publica = chose publique. Une monarchie n'est pas adaptée pour gérer la chose publique en cela qu'il n'y a rien de public dans ce mode de gouvernance mais la volonté privée d'un seul. De même, il y a des rapports publics entre l'État et les individus contrairement au patronat ou au paternalisme qui sont des rapports privés entre les individus. De là découle que les citoyen-ne-s ne sont pas lié-e-s à l'État mais que l'État est une émanation collectiviste du citoyen-ne ;
- Il n'y a pas de bon ou de mauvais tyran : le simple fait de placer quelqu'un-e au sommet d'une pyramide est le problème en lui-même. En effet, même si cette personne a toujours fait le bien, elle pourra faire le mal. C'est en gros ce que j'exprimais dans le shaarli suivant : De la violence politicienne ;
- Les humain-e-s sont différent-e-s par nature. La tolérance et la fraternité permettent leur complémentarité. Je trouve ça très joliment formulé sous la plume de La Boétie ;
- La liberté est naturelle, elle s'exprime même chez l'animal. Exemple de l'éléphant qui négociera son ivoire contre sa vie sauve face à un braconnier et de la domestication animalière en général ;
- La servitude des Peuples ne peut pas être de la lâcheté ni uniquement de l'admiration envers un-e ni une résignation face à une force militaire imposante car elle concerne trop de personnes à travers le monde et que les tyrans qui ont des facultés exceptionnelles réelles admirables sont très rares ;
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Du coup, qu'est-ce qui explique la servitude des peuples ?
- L'humain-e a une paresse naturelle et est soumis aux coutumes et aux habitudes. Je ne sais plus où j'ai lu que notre cerveau est inapte au changement en cela que ça lui coûte du temps de calcul d'où il préfère recréer des habitudes et se conformer aux habitudes présentes à sa naissance (de plus, sur ce point précis : on ne se bat pas, on ne revendique pas, ce que l'on ne connaît pas ;) ) ;
- Endormir les masses laborieuses avec des jeux, des loisirs (théâtre, etc.), des festins et des récompenses ;
- Un tyran n'agit pas seul : il a 5-6 personnes envieuses de son statut qui sont très proches de lui, qui sont complices et qui le servent dans l'espoir de pecho des biens (richesse), un statut social et l'espérance de dominer à leur tour autrui en échange. 600 personnes dociles entourent ces 5-6 personnes. 6000 personnes flattées, ravies de gérer les deniers "publics" et de gouverner une province, entourent ces 600 personnes. Etc, etc. C'est ainsi que la servitude se propage de proche en proche dans la population. Qui n'a jamais entendu « lui, faut aller dans son sens car il connaît les bonnes personnes » ? Bah voilà, c'est précisément cela ;
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Et donc, comment on se libère ?
- Le savoir permet de lutter contre la tyrannie (on retrouvera plus tard cela dans la philosophie des Lumières) : si l'on connaît la liberté, on y renoncera uniquement sous la contrainte. Sans compter qu'on ne se laisse plus manipuler par une personne qui se prétend d'origine divine ou guérisseuse ;
- C'est le Peuple qui fait et défait les tyrans : investiture, soutien, flatterie, attention. On retrouve ici la philosophie classique du 18e siècle (et Grecque, aussi, il me semble) dans laquelle le Maître est décrit comme dépendant de ses esclaves car il n'est rien sans eux : il ne sait rien faire et il a besoin des flatteries. Sans compter le nombre de tyrans qui se sont fait tués par leur premier cercle de relations voire par leurs gardes. Si l'on actualise ça : il ne s'agit pas tant d'ignorer les élections ou d'être absentéiste volontaire que de faire (make) ce que nous pensons important indépendamment d'un quelconque pouvoir et de militer pour nos idées en attendant que le changement de société opère. Participer à la vie politique et non pas à la vie politicienne. Tout pouvoir n'y résistera pas ;
- Il ne s'agit pas d'aller décapiter le tyran, de lui retirer ce qu'il a, mais plutôt de ne rien lui donner. On retrouve ce que l'on nomme aujourd'hui la désobéissance civile ;
- Ce n'est pas écrit dans l'œuvre de La Boétie, mais je pense qu'il faut également démolir les strates qui entourent tout pouvoir. En effet, nous avons tendance à être attirer par le pouvoir comme si c'était un objet brillant. Nous créons nous même les tyrans en leur conférant de l'importance (en reconnaissant leur prétendue unicité, par exemple), en les flattant ou en diffusant abondamment leurs faits et gestes comme s'ils étaient importants. Il s'agit de ne pas créer nous même des tyrans et c'est valable au boulot, en associatif tout comme en politique (au sens noble). Et là encore, ça se fait de manière pacifique.
- La personnification du régime, dont la 5e République est une illustration parfaite (on vote pour un-e Président-e, son programme alors qu'il y a toute une équipe derrière lui, d'avant son élection jusqu'à la fin de son mandat, dont on entend jamais parler), n'est pas nouvelle : Pyrrhus attribuait à son gros doigt des pouvoirs de guérison, les rois de France se prétendaient d'origine divine et prêtaient des pouvoirs magiques à la fleur de lys, etc. On voit donc une envie de faire le show, de se démarquer. Leur solitude, crée par leur sentiment d'unicité est la source de leur pouvoir. Mais c'est du flan ;
- Les mauvaises institutions sociales et politiques entraînent inévitablement les humain-e-s dans des sentiers dangereux. Oui, je le pense aussi. C'est pourquoi il faut être minutieux lors de l'écriture de documents fondateurs de structures sociales comme une Constitution ou les Statuts d'une association. C'est pourquoi, il faut toujours tenter de créer l'écosystème (associatif, humain, etc.) le plus pur, le plus complet qui puisse exister et qui respecte des principes fondamentaux banaux comme l'indépendance ou la séparation des pouvoirs ou l'existence de contre-pouvoirs effectifs. Car sinon, la dérive sera facilitée.
Merci à HS-157 ( http://hs-157.moe/ ) pour le prêt du bouquin (d'où la motivation pour le lire :P ).