L'une des œuvres majeures de Marx, Le Capital adaptée en manga. J'en ai appris l'existence dans une vidéo des humoristes du Rire jaune, et je me suis dit pourquoi pas, ça peut être sympa, c'est original, tout ça.
Le Capital, c'est l'analyse du capitalisme comme modèle de production et de commerce. Le tome 1, le seul totalement rédigé par Marx (les autres ont été finalisés par son pote Engels qui s'est basé sur les notes de Marx) analyse la production capitaliste, c'est-à-dire comment de l'argent sert à produire… de l'argent. Le tome 2 analyse la circulation du capital (production -> commerce -> production, etc.). Le tome 3 analyse la reproduction de l'ensemble et la pagaille que ça génère.
Un bien a au moins deux valeurs. La valeur d'usage est subjective et dépend de nos besoins : un affamé accordera plus de valeur à un pain qu'à un diamant. La valeur d'échange se veut objective en représentant in fine la quantité de travail, donc de peine, nécessaire à sa production, car, in fine, tout est travail (la fabrication d'une machine-outil ou l'extraction d'énergies, c'est du travail) ou ressource naturelle. La faisabilité d'un troc dépend de la valeur d'usage : si je possède déjà le bien que tu proposes en trouzemille exemplaires, je ne vais pas accepter l'échange. Et puis, combien de sacs de riz équivalent à un ordinateur portable ? Ça dépend de la faim des interlocuteurs. Pour comparer objectivement les valeurs d'usage, il faut une valeur étalon. Ça pourrait être des sacs de blé, mais l'or est quand même plus pratique à transporter car il vaut cher (en valeur d'échange, car son extraction, nettoyage et affinage coûtent du travail), même en petite quantité. L'or devient le médiateur entre un acheteur qui veut acheter un bien sans posséder, sur l'instant, un autre bien qui intéresse le vendeur. Et si l'on pré-pesait la quantité d'or en amont afin de faciliter encore plus les échanges ? Bonjour les pièces de monnaie en or. La quantité d'or sur Terre est finie donc si l'on veut produire plus de pièces afin de permettre au plus grand nombre de personnes de commercer, la valeur d'une pièce augmenterait trop et empêcherait les échanges (on ne peut pas diviser la valeur d'une pièce en une infinité de pièces de valeur inférieure, impossibilité technique). D'autres métaux plus courants que l'or sont alors utilisés dans les pièces, car, ce qui compte, c'est la confiance / croyance partagée que cette pièce représente la valeur qui est gravée dessus (0,10 €, 2 €, etc.) même si la fabrication de cette pièce ne coûte effectivement pas le montant gravé dessus (en 2016, le travail nécessaire à la confection d'une pièce de 2 € coûtait objectivement 0,17 €). Ainsi, on oublie les valeurs d'usage pour tout évaluer avec une monnaie étalon qui mesure la valeur d'échange (ce qui est dommage puisqu'on oublie ce dont chacun de nous a réellement besoin). Les billets puis la monnaie scripturale (écriture virtuelle dans des livres de compte) est le prolongement de cela : l'espérance qu'une banque stocke, mais surtout honorera, la dette mentionnée sur le billet ou l'écriture et que ce montant représentera toujours la même quantité de biens au cours du temps (ce qui, en pratique, n'est pas le cas à cause de l'inflation, l'argent perd de sa valeur). Le but du jeu devient alors d'accumuler le plus d'argent afin d'être sûr de manquer de rien puisqu'il est échangeable contre tout bien ou service (ce qui n'était pas possible avec le troc puisqu'on ne savait pas ce qu'autrui accepterait en échange le jour J).
Dans ce contexte d'accumulation, comment se faire de l'argent sur tout ce qui est vendu ? Il faut bien le prendre quelque part… Les matières premières ont un coût qui finit par ne plus être négociable… Les machines outils ont une production constante indexée sur l'énergie fournie (qui, elle, a le coût d'une matière première). Il reste donc le travail. Un chameau consomme environ la même nourriture, quelle que soit la charge qu'il transporte, on a donc intérêt à le charger au maximum. Même chose pour un humain, ainsi le coût du travail diminue. On détruit le savoir-faire en utilisant, entre autres, la division horizontale du travail (un salarié contribue à un tout petit bout du produit final au lieu de sa globalité, donc il devient capable de produire très rapidement ce petit bout) et la division verticale du travail (ceux qui décident ne sont pas ceux qui font). Avec cette spécialisation, on obtient des ouvriers remplaçables que l'on peut mettre en concurrence. L'emploi perd de son sens, car le salarié ne sait pas vraiment à quoi sert ce qu'il fait, mais la productivité augmente (plus de biens sont produits sur une même période). L'employé remplaçable perd de sa valeur, ce qui diminue le coût du travail. On peut également mettre la pression sur les salariés afin qu'ils produisent plus en les menaçant de chômage. C'est donc l'exploitation salariale, le travail non-payé, qui génère la plus-value. C'est pour cela que l'on nous bassine sans arrêt avec la réduction du coût du travail. Pour remédier au problème, les salariés devraient recevoir le résultat de leur travail, le travail global, c'est-à-dire la somme du travail nécessaire et de la plus-value (et non leur unique force de travail nécessaire comme c'est le cas)… comme quand ils étaient artisans à leur compte. Si je résume : une société commerciale dans laquelle tous ceux qui y participent sont propriétaires, ont les mêmes emplois (ou à tour de rôle), et perçoivent une part égale des bénéfices (ce qui est assimilable au partage du résultat du travail) et qui ne cherche pas à grossir indéfiniment, mais à satisfaire une demande concrète n'est pas une société commerciale capitaliste ?
Le gain de l'exploitation humaine obtenu sur chaque bien est faible, donc, pour en vivre, il faut le reproduire massivement… C'est pour cela que la réduction du temps de travail est perçue comme une hérésie : produire la quantité de biens strictement nécessaire ou employer plus de salariés réduisent le gain. Pour ce faire, il faut vendre plus. Pour cela, on peut innover sans cesse, tromper le client (moins de matière pour le même prix, faire croire que la marque est plus importante que le produit pour en retirer du fric, etc.). Mais, la méthode la plus efficace est de produire plus en automatisant. Pour une même quantité de travail global, cela réduit le temps de travail nécessaire… donc ça augmente les profits. Si d'autres sociétés commerciales suivent le mouvement, les bénéfices diminuent, d'où l'intérêt des monopoles, du secret industriel, des nouveaux produits, de remplacer sans cesse les machines-outils par des plus productives, etc. L'automatisation augmente l'endettement. Et, surtout, l'investissement dans des machines réduit la rentabilité, c'est-à-dire les profits divisés par la somme du coût des machines et de la force de travail. Cet indicateur montre qu'il va être de plus en plus difficile d'engranger des profits, donc qu'il sera bientôt difficile d'investir dans l'appareil productif, ce qui rend la société commerciale vulnérable à la concurrence et au remboursement des prêts (bancaires ou actionnariaux ou obligataires). On ne peut pas réduire le nombre de machines car la productivité est basée dessus. En revanche, les machines réduisent la responsabilité des salariés donc la valeur de leur force de travail, ce qui maintient temporairement les profits (c'est vrai uniquement si le salaire est modulable facilement ou si le salarié est licenciable facilement, tiens, tiens)… Mais pour les augmenter, il faut faut pressurer les salariés… ou les licencier… ce qui, dans les deux cas, les empêchent de consommer par manque de revenus. Si cela se généralise, les biens produits ne trouvent plus d'acquéreur, c'est une crise de surproduction. Pour y survivre, il faut pressurer les salariés ou fusionner avec d'autres sociétés commerciales (afin de produire plus - un plus qui ne trouvera pas forcément preneur même si ça peut faire baisser les prix - ou de se débarrasser de concurrents) ou acquérir de nouvelles machines-outils (qu'on ne peut plus se payer seule)… qui réduiront encore la rentabilité… Tout le monde est pris dans ce tourbillon… C'est la contradiction du capitalisme : il faut produire plus pour obtenir des gains et les maintenir face aux autres capitalistes (ce qui n'existait pas auparavant : les sociétés humaines produisaient uniquement ce dont elles avaient besoin pour vivre et se développer - ce qui inclut l'armement, bien sûr -), mais produire plus nécessite toujours de réduire l'humain (réduction des coûts, remplacement par des machines, etc.)… qui est pourtant le seul générateur de la plus-value dans ce système…
Au final, les prêts contractés pour s'agrandir, se moderniser, acheter des machines, ne peuvent plus être remboursés. Les sociétés commerciales coulent. Le chômage augmente. Les banquiers ne créent plus de monnaie puisqu'elles refusent de prêter vu le risque élevé de non-remboursement. Les déposants veulent récupérer leur argent (pour vivre le temps de leur chômage et par déficit de confiance). Sauf que la banque dispose uniquement d'une petite réserve d'argent qui ne couvre pas toute la monnaie émise (car elle en est un tout petit pourcentage légal). La confiance s'écroule… La puissance publique doit intervenir pour transformer la dette privée en dette publique et la répartir sur les épaules de tous les contribuables… Ainsi, la crise de surproduction entraîne une crise financière.
La production capitaliste se base sur la finance, mais aussi sur le commerce capitaliste. La rotation du capital, c'est-à-dire le temps nécessaire pour que l'argent génère de l'argent, inclut le temps de production (durant lequel l'argent est transformé en marchandise + la force de travail) et le temps de circulation (durant lequel la marchandise est transformée en argent). Il est impératif de réduire ces deux temps afin d'éviter de se faire doubler. La réduction du temps de circulation est d'autant plus cruciale que la marchandise peut se périmer ou que les prix de vente peuvent fluctuer. D'où il est nécessaire de développer un commerce de gros et de détail qui assume le coût de circulation mais supplante les petits marchés d'échange à l'ancienne. Le producteur vend ainsi très rapidement aux revendeurs en gros (qui revendent aux détaillants), ce qui augmente la cadence de la rotation de son capital. Dans ce commerce-là, tout le monde s'engage à produire ou à revendre ce qu'il n'a pas encore. D'où la bourse pour définir les prix de vente et les mécanismes d'assurance pour se prémunir des fluctuations (cela inclut les produits dérivés sur les marchés financiers). Ce qui amène la spéculation, notamment des transactions sans prise avec le réel.
D'autres effets sont intéressants à constater. L'argent n'est plus seulement une matérialisation du travail, de la peine qu'un humain se donne ni une contrepartie à un échange, mais aussi un moyen de générer plus d'argent durant le processus de production. Pourquoi faire ? Aucune idée. Il faut produire de la qualité à moindre coût et dans un temps réduit… Qu'est-ce que cela apporte fondamentalement par rapport à produire juste ce qu'il faut dans le temps qu'il faut pour permettre la survie et la satisfaction des besoins des humains ? Aucune idée. Il est nécessaire de garder le contrôle de la connaissance, notamment de faire en sorte que les concurrents n'aient pas connaissance des recettes ou que sous-traitants ne vendent pas les mêmes machines-outils à d'autres sociétés dès que les commandes de la société qui a originalement commandé la fabrication de ces machines-outils diminue (les sous-traitants ont intérêt à faire ça : ils se sont endettés pour produire les machines outils, donc si la commande diminue, le sous-traitant court un risque). D'où les brevets, le secret des affaires, etc. Notons que tout fonctionne en cercle vicieux à cause de la dépendance des sous-traitants… Si la production chute, celle du sous-traitant aussi, ce qui l'oblige à licencier… ce qui réduit la consommation, ce qui affecte la production de son commanditaire, qui réduit donc ses commandes, etc.
Les financiers et les capitalistes ne suent pas mais récoltent l'essentiel des gains. Égalité entre les hommes, hein ? Injustice fondamentale. Ils ont pris tous les risques, il paraît. La force de travail des salariés ne servirait à rien sans eux. Boarf, avant tout ça, le gus bossait très bien tout seul, ce qui laisse à penser que le capitaliste (parasite) a plus besoin de la force de travail (hôte) que l'inverse. Les capitalistes disent également qu'ils ne forcent personne à vendre leur force de travail au prix qu'ils proposent. C'est vrai, mais quand toutes les sociétés commerciales fonctionnent sur le même modèle, le choix est très restreint. Et construire sa petite société dans ce monde-là nécessite des financements (notons que l'héritage lisse ce prérequis, comme quoi…), surtout pour résister à la concurrence… Donc il faudra produire pour rembourser… Le prix de vente et le nombre de commandes étant définis par les autres sociétés présentes sur le marché, le jeu est vite vu : c'est plus compliqué de ne pas vendre sa force de travail à un requin déjà en place, donc la liberté de choix est restreinte.
Plutôt que de concentrer la production afin de servir une demande en hausse, ce qui nécessite des moyens de production coûteux dont l'acquisition met l'entrepreneur à la merci d'un financier, on pouvait aussi choisir de répartir cette production en plein d'artisans. Cela répartit les gains et procure du travail utile à plus de personnes. Néanmoins, cela entraîne des incertitudes sur le fait de disposer de tous les produits et services nécessaires à la vie (peur de manquer de quoi que ce soit). C'est précisément pour cela que le socialisme et le communisme prévoient une solidarité compensatrice…
Bref, ce manga est agréable à lire, j'en recommande vivement la lecture. Les définitions sont plutôt bien posées. Les dessins expriment des émotions qui complètent le texte. Mon seul reproche est que les notions sont présentées dans un ordre qui ne me semble pas être optimal pour permettre de comprendre leur imbrication qui forme le capitalisme, d'où plusieurs lectures peuvent être pertinentes.