Ah, quel naufrage pour l’antiterrorisme, cette relaxe générale prononcée, le 12 avril, au procès dit « Tarnac » ! Comment qualifier autrement ces dix ans de procédure, de filatures plus ou moins légales, de mensonges policiers, d’errance et d’aveuglement judiciaires et politiques ? Soupçonnés d’avoir saboté des caténaires de la SNCF, les prévenus avaient immédiatement été taxés de « dangereux groupe terroriste » par Alliot-Marie, alors ministre de l’Intérieur.
Dès le début, « Le Canard », avait révélé les trouvailles des avocats de la défense, Claire Abello et Jérémie Assous, démontrant les failles, les erreurs ou les boniments des flics et du juge d’instruction. Autant d’arguments retenus par le tribunal, mené par la présidente Corinne Goetzman.
Dans le jugement de 314 pages, courent ses critiques contre les « stratagèmes » policiers. Du PV 104, base de l’accusation, il ne reste, sous sa main, rien ou presque. Bourré d’inexactitudes. fait de bric et de broc, de déclarations recueillies auprès de policiers couverts par le secret-défense. « Impossible », donc, aux juges d’en « vérifier la véracité ». Le PV 104 devient « sans valeur probante ». La juge parle même de « déloyauté ». C’est glorieux !
De ces dix ans d’une procédure désormais en lambeaux, il faudra retenir le coût énorme et inchiffrable. Il faudra surtout retenir ce jugement. Il dit aux magistrats que leur devoir est de contrôler les policiers, et non de se laisser « contrôler » par eux. Il dit aux politiques de ne pas se mêler de justice, ce qu’a également martelé le procureur.
Et puis quoi, encore ?
Ce jugement expose aussi qu'on ne peut condamner une personne pour ses écrits (l'insurrection qui vient) ou sur les écrits (affiches, brochures, livres) trouvés à son domicile, car ils ne prouvent pas un passage à l'acte.
Ce jugement illustre aussi que des délais de prescription courts et une justice rapide sont indispensables pour que la justice soit juste. En effet, aucun des flics antiterros qui ont accepté de participer au procès étaient capables de se souvenir de la filature au-delà de choses déjà mentionnées dans le PV 104. Tu m'étonnes, on est 10 ans après. 10 ans ! Comment veux-tu te défendre quand tout ce qu'on te reproche se fonde sur de vagues souvenirs "ouais, on était en filature, peut-être qu'il⋅elle étaient ici ou là, ouais, il était peut-être telle heure, etc.". Or, la précédente législature a rallongé les délais de prescription en matière pénale…
Ce jugement, qui se fonde beaucoup sur l'absence de preuves, est une véritable torgnole. En effet, le tribunal aurait pu condamner à de la prison ferme dont la durée correspondrait à la détention provisoire déjà effectuée. Ainsi, la flicaille n'aurait pas été désapprouvée et les gauchistes n'auraient pas crié victoire. Or, ce n'est pas l'option qui a été retenue par les juges, ce qui, pour moi, est un révélateur fort qu'il⋅elle⋅s sont confiants dans la justesse de leur verdict.
Notons que plusieurs prevenu⋅e⋅s ont été reconnu⋅e⋅s coupable pour avoir refusé un prélèvement ADN et un prélèvement des empreintes génétiques (source) : 500 € avec suris pour Becker, dispense de peine pour Coupat et Lévy, relaxe pour Burnel, Rosoux et Hauck. Argumentation du tribunal :
Sur les huit prévenus, six étaient poursuivis pour refus de prélèvement ADN, lors de leur garde à vue en 2008. Là encore, la présidente fait du droit, rappelant qu’« en l’absence d’indices graves ou concordants, le refus de prélèvement est légitime ». Mathieu Burnel et Benjamin Rosoux, poursuivis pour ce seul délit, sont relaxés, ainsi qu’Elsa Hauck, pour laquelle le tribunal a estimé que ces indices n’étaient pas réunis. […] Julien Coupat et Yildune Lévy sont déclarés coupables de refus de prélèvement ADN, mais dispensés de peine, compte tenu notamment de l’ancienneté des faits et de leurs situations personnelles stables. Seul Christophe Becker, qui avait également refusé de donner ses empreintes, écope de 500 euros d’amende avec sursis, qui s’ajoutent aux quatre mois de prison avec sursis pour le recel de quatre cartes d’identité et une tentative de falsification.
Je me demande si cette décision est conforme à celle de la CJUE. La gravité des infractions devait-elle être appréciée par le tribunal ou être prévue par la loi ?
Ni le parquet, ni les prévenu⋅e⋅s n'ont fait appel donc ce jugement est devenu définitif.
Dans le Canard enchaîné du 18 avril 2018.