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——————————— Saturday 19, August 2017 ———————————

Beau comme un camion trafiqué

Ils s’entendaient comme larrons en foire. Ils s’en mettaient plein les poches. L’Europe était leur terrain de jeu. Ça a duré quatorze ans. Ils viennent d’écoper de la plus grosse amende jamais infligée pour des faits similaires : 2,93 milliards d’euros.

Au sein du cartel des camions se retrouvaient les six principaux constructeurs européens : le suédois Volvo, qui détient Renault, les allemands Daimler et MAN, détenus par Volkswagen (déjà bien connu pour sa grandiose arnaque sur les émissions de gaz polluants), le suédois Scania, le néerlandais DAF et l’italien Iveco. Entre 1997 et 2011, ils se sont entendus pour surfacturer le prix des camions sortis d’usine et ralentir l’introduction de technologies permettant de réduire les émissions de CO2. Et ce ne sont pas des petites économies qu’ils ont faites ainsi mais des fortunes : à eux seuls, ils fournissent 95 % du marché européen, soit jusqu’à 300 000 camions chaque année.

Comme toujours dans ce genre d’histoire, c’est l’un d’eux qui a lâché le morceau : l’allemand MAN, qui, du coup, a été dispensé de mettre la main à la poche. Il a raconté comment tout avait commencé, dans un grand hôtel de Bruxelles, puis comment, à l’occasion des salons annuels, les six constructeurs s’étaient rencontrés pour actualiser leur arnaque. Pendant ce temps-là, la Commission s’échinait à pondre des normes visant à freiner l’augmentation des émissions de gaz carbonique des camions…

Lesquelles ont bondi de 36 % entre 1990 et 2010, à la grande satisfaction du réchauffement climatique. Et ce ne sont pas les cars Macron qui vont arranger l’affaire…

Dans le Canard enchaîné du 26 juillet 2017.

Petites astuces et grosses ficelles pour des élus cumulards

L'après non-cumul des mandats parlementaires et locaux… Qui est coupable ? Les élus en question et/ou les personnes qui votent en faveur des combines et/ou les citoyen⋅ne⋅s ? Un peu tout le monde. Comment se fait-il que ça magouille autant si proche du peuple (la mairie et la métropole c'est chez nous, pas "loin là-bas à Paris") ?


Après avoir vilipendé la loi interdisant le cumul d’un mandat d’exécutif local avec celui de parlementaire, quelques dégourdis s’en accommodent fort bien. En témoignent les exploits d'une dizaine d’anciens députés-maires qui ont réussi à maintenir leur niveau de vie quasi inchangé, malgré la perte de leur indemnité parlementaire de base, s’élevant à 5 600 euros brut mensuels.

Pour réaliser ce prodige, il leur a suffi d’augmenter fortement leurs indemnités municipales et d’y adjoindre une autre fonction locale, comme celle de président d’agglomération ou de métropole. De quoi atteindre ou frôler de nouveau le plafond autorisé pour les cumulards, fixé à 8 270 euros brut par mois…

Le maire LR d’Orléans, Olivier Carré, a droit à une mention spéciale. Cet ex-député a fait voter par sa majorité municipale une hausse de 330 % de ses indemnités, passant de 960 à 4 120 euros mensuels.

Si M. le Maire s’était arrêté la, il n’y aurait pas eu de quoi fouetter un électeur. En effet, pour que le plafond légal soit respecté, ses indemnités de maire avaient été réduites d’autorité lors de son entrée au Palais-Bourbon, en 2007. Il semble donc logique que, n’étant plus député, Olivier Carré récupère la totalité de son traitement municipal

Agglomération de pognon

Mais cet élu astucieux a poussé le bouchon plus loin. Jusqu’à présent, moyennant une indemnité de 1 257 euros mensuels, il siégeait également, en tant que vice—président, au conseil d’Orléans Métropole. Surprise : au début de juin, le président LR de la métropole, Charles-Eric Lemaignen, a eu la chic idée de quitter son fauteuil et de le laisser à Olivier Carré. Avec, à la clé, une enveloppe de 3 680 euros mensuels. Résultat : le maire encaisse désormais un total de 7 800 euros, contre 8 000 auparavant. Vite, une souscription…

Son collègue de Belfort, Damien Meslot (également LR), n’a pas démérité non plus. Lors de son élection à l’hôtel de ville, en 2014, ce petit malin avait cru bon de se faire mousser en claironnant qu’il renonçait à son « salaire » de maire. En réalité, Meslot — qui touchait par ailleurs ses indemnités de député et de président de la communauté d’agglomération — était déjà au plafond : il ne pouvait donc pas faire autrement, à moins de violer la loi…

Cinq ans plus tard, ce maire d’élite a dû ramer pour expliquer à son conseil municipal que, tout compte fait, il verrait bien son indemnité passer de 0 à 3 180 euros. Pour faire bonne mesure, il a demandé et obtenu que son « salaire » de président d’agglomération soit gonflé de manière à lui permettre d’atteindre de nouveau le maximum légal

Cette épidémie d’augmentations a pareillement frappé le maire de Valenciennes, l’UDI Laurent Degallaix, et celui de Cholet, le divers-droite Yves Bourdouleix. Mais c’est leur collègue de Roanne, le LR Yves Nicolin, qui a fait le plus fort. Non content de doubler ses gains à la présidence de l’agglomération, Nicolin a, le même jour, joué les pères la rigueur en annonçant son intention de tailler dans les salaires des agents à temps partiel. L’élu, qui, en séance, avait lancé un vibrant « je ne connais personne qui vit de l’air du temps » pour justifier son augmentation, a dénoncé la situation de ces infâmes profiteurs, travaillant à 90 % de temps et payés… 91,25 % d’un salaire plein.

Ces gueux sont d’une indécence…

Dans le Canard enchaîné du 26 juillet 2017.

ÉDIT DU 11/09/2017 À 20H15 : un cas gratiné pour compléter la série. FIN DE L'ÉDIT.

Greffe de pognon dans les tribunaux de commerce

L'Open Data sur les données concernant les sociétés commerciales, c'est toujours pour demain.


Toujours éloquents lorsqu’il s’agit de défendre leur chasse gardée (la commercialisation de données sur les boîtes privées), les greffiers des tribunaux de commerce sont, depuis quelques semaines, d’une discrétion de violette. Le Conseil d’État a pourtant rendu un arrêt, le 12 juillet, présenté par une partie de la presse comme signant la fin de leur lucratif business. Bien à tort

Ces greffiers, qui ne sont pas des fonctionnaires mais exercent une profession libérale — sauf en Alsace-Moselle et dans les collectivités d’outre-mer —, utilisent deux filons pour monnayer les informations transmises par les sociétés. Soit ils traitent directement avec les usagers (via le service Infogreffe), soit ils les revendent en gros à d’autres prestataires de services, comme « societe.com », « verif.com » et compagnie. Ce petit trafic génère, bon an mal an, un chiffre d’affaires de plus de 60 millions et permet aux greffiers des tribunaux de commerce les plus importants — surtout dans la région parisienne — de gagner largement plus de 100 000 euros par mois !

Les greffiers avaient attaqué devant le Conseil d’Etat un décret pris par Emmanuel Macron quand il était ministre de l’Economie, qui les oblige à mettre gratuitement leurs données à la disposition de l’Institut national de la propriété industrielle (Inpi). Ils ont finalement perdu leur recours, mais ils s’en sortent très bien.

Ce décret a été pris en application de la loi Macron de 2015 (loi fourre-tout, voir : radio lockdown, label zone fibrée, diverses dispositions numériques comme le délai de rétractation de 14 jours et le changement des prérogatives du gendarme des télécoms et son nouveau pouvoir de requalifier un service comme Skype en opérateur, l'impossibilité d'obtenir la destruction d'un bien immobilier quand le permis de construire associé est annulé alors que le bien est achevé, etc.) dont l'une des dispositions visait à rendre disponible, via l'INPI, le Registre du Commerce et des Sociétés (RGS) en Open Data (à l'exception des comptes financiers annuels si la sociéte en fait la demande explicite). Disposition reprise et généralisée par la loi pour un République numérique de 2016.


En effet, l’Inpi n’offre pas le même service que les sites concurrents. Pas question de se contenter de taper un nom de dirigeant ou de société pour avoir accès aux informations. Il faut d’abord solliciter une « licence » et indiquer l’usage que l’on compte faire des précieuses données !

Ministre serviable

L’Inpi ne dispose aujourd’hui que de 400 clients pour ce service, ouvert depuis le mois de mars. Une goutte d’eau, comparé aux millions de connexions enregistrées par les autres sites spécialisés. Normal : contrairement à ces derniers, l’Institut ne délivre aucun compte rendu des assemblées générales d’actionnaires. Seulement des renseignements de base et des comptes annuels. Durant des décennies, l’Institut a pourtant proposé toutes les informations souhaitées au public. Mais il a dû laisser le champ libre aux greffiers en 2007, à la demande expresse de Pascal Clément, le dernier garde des Sceaux de Jacques Chirac.

Et, aujourd’hui, cette sinécure semble partie pour durer… encore un peu ?

Dans le Canard enchaîné du 9 août 2017.

Le Medef clame dans une note son dépit amoureux pour Macron

Je retiens que le Medef (sans doute autoradicalisé) n'est pas disposé à lâcher les moindres miettes, et c'est son droit le plus strict. Nous aurons donc l'obligation d'être aussi fermes dans la rue début septembre pour lutter contre le détricotage de nos droits en tant que salarié⋅e⋅s. Les cartes de l'adversaire sont sur la table et elles sont claires.


Après lui avoir lancé des fleurs, l’organisation patronale recense “mesures négatives”, taxes et prélèvements dont le Président va les accabler.

Entre les patrons et Emmanuel Macron, ce devait être une romance. Contrairement à son prédécesseur, François Hollande, le nouveau président, qui a grandi à l’ombre de la maison Rothschild, ne déteste ni les riches ni le grand capital. À l’époque de l’instauration de la taxe de 75 % sur les hauts salaires, alors conseiller, il s’était même récrié : « C’est Cuba sans le soleil ! » Hélas, la lune de miel risque de tourner court…

À la fin de juillet, le Medef a élaboré une note sobrement intitulée : « Point sur les sujets fiscaux d’actualité ». Ce document de trois pages, sur lequel « Le Canard » a mis son bec, salue l’« effort de baisse des dépenses publiques » et se félicite que « les mesures entrepreneuriales du programme d’Emmanuel Macron soient mises en œuvre dès 2018 ». Un beau bouquet de fleurs — mais les épines ne tardent pas à pointer. « Nous restons vigilants sur l’équilibre global des mesures fiscales à venir. » Et la. « vigilance » de faire rapidement place à la méfiance. Ainsi, le Medef tient à attirer l’attention de ses responsables sur une possible dérive. Évoquant le taux d’imposition sur les sociétés (IS), censé descendre à 25 % en 2022, il rappelle qu’il « privilégie une première tranche de baisse uniforme dès 2018 », alors que le gouvernement étudie d’autres paliers alternatifs. Macron serait—il tenté de jouer la montre ?

Après quoi, l’organisation patronale prend carrément ses distances. Si elle approuve, évidemment, la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) envisagée pour début 2018, elle voit d’un très mauvais œil l’instauration d’un impôt sur la fortune immobilière (Ifi). « Il faut s’assurer, recommande la note, que l’immobilier nécessaire à l’activité de l’entreprise ne sera pas taxé, quel que soit le dispositif juridique (SCI, location… ). »

Patronat martyrisé

Vient enfin la franche hostilité. Au chapitre des « mesures négatives », le Medef cible trois projets en particulier.

Primo, l’institution, pour trois ans, d’un prélèvement sur le revenu des grandes entreprises. Il est destiné à compenser le coût des contentieux (de 5 à 6 milliards) perdus par l’État face à ces mêmes grosses boîtes ! Et cette façon de reprendre ce qu’on ai perdu dans les caisses du bénéficiaire est jugée « inacceptable » et « incohérente ». Voilà qui pourrait annuler en partie une promesse du candidat Macron : la suppression dès 2018 de la taxe de 3 % sur les dividendes.

Secundo, une augmentation de la taxe carbone à 44 euros la tonne, contre 39 euros initialement prévue. Dans son style si littéraire, le Medef estime que « les PMI et les entreprises de transport seront très impactées ».

Tertio, la transformation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), qui s’élève actuellement à 7 % de la masse salariale, en baisse de charges sociales (6 %) ne lui convient pas du tout. La perte pour les entreprises, a-t-il calculé, serait de 5 à 7 milliards d’euros !

À la rentrée, si les syndicats de salariés la jouent conciliants (FO et CFDT ont semblé séduits), c’est le Medef qui va descendre dans la rue !


L’État en marche passe à la caisse

Si Macron prend le risque de fâcher (un peu) le patronat avec la perspective de nouvelles taxes (lire ci-dessus), ce n’est pas de gaieté de cœur. Au sein du budget 2018, il lui faut en effet dégager une quinzaine de milliards pour financer les largesses promises dans son programme… et celles consenties par Hollande pendant la période électorale — sans que le moindre financement ait été prévu.

Côté héritage, c’est 5 milliards qu’il convient de dénicher afin de compenser, notamment, une première tranche de baisse de l’impôt sur les sociétés.

Mais, le gros morceau, ce sont les promesses de Macron lui-même. Entre les baisses de recettes prévues et les dépenses imprévues, il y en a, cette année, pour 11 milliards environ.

  • La transformation de l’ISF en impôt sur la fiscalité immobilière lui coûte ainsi 3 milliards de recettes.

  • La suppression de la taxe d’habitation pour 80 % des contribuables vaporise 3 milliards dès cette année, et 7 autres les deux années suivantes.

  • Le taux d’imposition unique à 30 % pour les revenus du capital fait maigrir les recettes de 1 milliard.

  • La taxe de 3 % que les entreprises payaient jusqu’ici sur les dividendes distribués à leurs actionnaires a été déclarée illégale par la Cour de justice européenne en mai. Et voilà 2 milliards de plus escamotês. Sans oublier les 6 milliards que l’État va devoir rembourser aux boîtes ayant indûment versé, par le passé, cette taxe à 3 % : 2 milliards cette année et 4 autres les deux suivantes.

Avec ce pactole qui leur tombé du ciel, Macron va pouvoir demander un petit effort aux patrons !



Je retiens que tout cet équilibrage fiscal est pitoyable. Alors je retire 3 sous ici, j'ajoute 2 sous ici et 1,5 sous ici (le 0,5 c'est le surplus en douce ;) )… Sérieusement… À quand les profondes réformes cohérentes (en faveur des citoyen⋅ne⋅s, pas des sociétés commerciales, bien entendu) ?

Dans le Canard enchaîné du 16 août 2017.

Le désordre règne-t-il à Varsovie ?

Ces derniers temps, les médias évoquent beaucoup la Turquie, son régime devenu fou et ses journalistes emprisonné⋅e⋅s, mais on entend peu parler de la Pologne. Dire que les eurodéputé⋅e⋅s polonais⋅e⋅s avaient mené un travail fabuleux pour enterrer ACTA… Comme quoi, tout peut changer très vite…


Comme Jaroslaw Kaczynski, le tout-puissant président du PiS (le parti Droit et Justice), au pouvoir en Pologne, doit regretter le bon temps où son jumeau, Lech, était le président du pays, avant sa mort dans un accident d’avion en 2010… Car voilà que l’actuel président polonais, Andrzej Buda, pourtant lui aussi membre du PiS, vient, contre toute attente, de le défier en mettant son veto, le 24 juillet, à deux des trois lois liberticides que le parti a fait voter…

La première de ces lois prévoit de virer tous les magistrats du Conseil national de la justice, dont les nouveaux membres doivent désormais être désignés par le Parlement, dominé par le PiS. Vous avez dit purge ? Et la deuxième, votée par le Sénat dans la nuit du 21 juillet, réduit le nombre de membres de la Cour suprême de 87 à 43, en l’inféodant au ministre de la Justice, qui est également le procureur général…

Dénonçant une violation de la séparation des pouvoirs, l’UE a aussi sec menacé la Pologne de lui retirer son droit de vote au Conseil européen, une sanction jamais utilisée. Mais le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, a volé au secours de Varsovie… Un soutien encombrant !

Surtout, des dizaines de milliers de manifestants ont protesté pendant le week-end, y compris sous les fenêtres de Jaroslaw Kaczynski. Pas sûr, pour autant, que le président Duda, en cédant à la rue, se soit vraiment rebellé contre son chef de parti. D’après Radoslaw Markowski, un chercheur cité par « liberation.fr » (25/7), il s’agirait d’une manœuvre de « diversion » menée par les deux hommes, en attendant de refaire passer ces lois scélérates en douce, « une fois la pression populaire retombée ».

Ou alors il s'agit peut-être d'un épouvantail permettant de cristalliser la colère sur ces deux projets de loi alors que le véritable but a toujours été de faire passer la troisième loi. Le brave Peuple pense avoir été écouté, les deux projets de lois sont reportés, mais en fait, il a perdu : ils ont été créés et mis en scène uniquement pour permettre le passage de la troisième loi… ;)


D’ailleur, Duda a entériné, le 25 juillet, la troisième loi, qui donne tout pouvoir au ministre de la Justice de nommer les présidents de tribunaux ordinaires…

Pourvu que Bruxelles ne capitule pas sur la Vistule !

Dans le Canard enchaîné du 26 juillet 2017.

Graines de violence sociale

L'habit ne fait pas le moine et agir pour la liberté des semences agricoles ne signifie pas que l'on respecte les droits (et libertés) humains…


Tomate charbonneuse, aubergine ronde de Valence, pourpier doré… Sans Kokopelli, ces espèces anciennes et goûteuses ne seraient peut-être plus cultivées dans les jardins. Basée au Mas-d’Azil (Ariège), cette association écolo fondée en 1999 par Dominique Guillet se bat pour « libérer » les semences potagères du joug de l’agro-industrie type Monsanto. Kokopelli commercialise 2 200 types de semences libres de droit et reproductibles issues de l’agriculture biologique. Et tant pis si Bruxelles tique et ne reconnaît que les seules semences industrielles homologuées… Les amoureux du potager applaudissent. Ils risquent donc d’être quelque peu surpris par « Nous n’irons plus pointer chez Gaïa » (1), un livre où quatre anciens salariés de Kokopelli se racontent. Et c’est du genre brutal…

Julie, manutentionnaire en CDD en 2013, emballe des graines debout toute la journée : « Quand j’arrache une pause de dix minutes le matin, c’est bien sûr à condition qu’elle ne soit pas rémunérée. » Elle discute avec ses collègues, se fait recadrer : « Parler est interdit. Ça nuit à la productivité. » Proteste. Erreur : « Je suis surveillée en permanence. La direction dit que je suis un élément dérangeant, nuisible. »

Amateur de la matrice

Solen, préparatrice de commandes en CDD en 2014, se plaint du « climat oppressant » à une collègue. Bien mal lui en prend : celle-ci la dénonce au directeur, Ananda Guillet, fils de Dominique. Lequel gronde l’insolente, en présence du « témoin » ! Chargée de la campagne « Semences sans frontières », embauchée fin 2013, Laura se questionne sur le choix discutable d’envoyer, certes généreusement, des semences de salade reine des glaces… en Inde. « Les entretiens devant le directeur sont de plus en plus fréquents. Le père, la mère se joignent au fils pour me tancer. » Laura finit affectée aux papiers-cadeaux. Elle fait une dépression, et obtiendra un arrêt de travail pour harcèlement moral… Ah, il est beau, l’engagement écolo !

Mais tout ceci n’est qu’un horrible malentendu. Car Dominique Guillet est en connexion directe avec Gaïa, notre terre mère. Sur le site « liberterre.fr », le « résistant » offre sa vision inspirée de John Lash, écrivain américain new age. Ainsi, quand Martin, gestionnaire des stocks, lui fait part d’un désaccord, Dominique Guillet répond : « Je ne tolérerai aucune perversion des règles gaïennes. Les règles et lois du monde de la Matrice (sic) ne m’importent que peu. » Alors, le droit au syndicat, on s’en tamponne… Curieusement, personne ne moufte. Florian Martinez, du syndicat Asso-Solidaires, décrypte ce paradoxe pour « Le Canard » : « Dans certaines associations, il y a un management à l’affect : si on se révolte, on nuit à la cause. » Et les vilains industriels se frottent les mains…

Interrogé par le Palmipède, Ananda Guillet, l’actuel directeur, fustige les « mensonges » diffusés par ces « anars de comptoir » (sic). Et assume : « Kokopelli est une association qui fonctionne comme une entreprise. Moi, je bosse 90 heures par semaine ! » Preuve que ça rapporte, avec ses 20 salariés, Kokopelli a réalisé 3 millions de chiffre d’affaires en 2016. Et prévoit d’ouvrir une nouvelle boutique et un musée. Les auteurs du livre s’interrogent : « Nous pensions être complices de résistants anticapitalistes face à la justice, nous avons été les auxiliaires d’une imposture. Était-ce un aveuglement volontaire ? » Pourtant, la carotte jaune du Doubs, c’est bon pour la vue…

Dans le Canard enchaîné du 26 juillet 2017.

Hulot ma non troppo

C'est donc par un discret décret, paru en pleine torpeur estivale, le 11 août, que le gouvernement a géré le « cas Hulot ». Comme « Le Canard » (5/7) l’a raconté, Macron avait failli se débarrasser de son ministre écolo en découvrant l’ampleur de ses revenus et des potentiels conflits d’intérêts qui vont avec. Car, depuis les années 90, le télécologiste touche des royalties sur les produits de beauté de la marque Ushuaïa, fabriqués par L’Oréal. Et les montants ne sont pas vraiment anecdotiques...

D’après sa déclaration d’intérêts, publiée le 11 août sur le site de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, Hulot s’est versé, via sa société Eole, entre 176 000 et 338 000 euros de salaire annuel de 2012 à 2016. De quoi rendre verts de jalousie ses collègues ministres, qui sont loin de gagner autant… Et il faut ajouter les dividendes, qui n’apparaissent pas dans cette déclaration. Selon les derniers comptes connus de la société Eole, ceux-ci atteignaient 40 000 euros en 2012 et 60 000 euros en 2013. Or tous ces menus revenus proviennent des produits Ushuaïa…

Autre mélange des genres : la fondation présidée par Hulot a touché des centaines de milliers d’euros de mécènes aussi verts qu’EDF, Veolia ou L’Oréal. Plutôt gênant, au moment de prendre position, en tant que ministre, sur l’EPR ou sur les fermetures de centrales nucléaires…

Après avoir demandé un avis confidentiel à la Haute Autorité, le gouvernement a tenté de résoudre ce double casse-tête par un décret qui tient en deux articles de deux lignes ! Le ministre, dit le texte en jargon administratif, « ne connaît pas des actes de toute nature relatifs à la Fondation Nicolas Hulot » ni des actes relatifs « au développement, à la fabrication et à la commercialisation de produits cosmétiques ». Sur ces questions, Hulot devra laisser la main à Matignon. Ça va être pratique pour gérer le dossier des perturbateurs endocriniens, qui concerne, notamment, les cosmétiques…

Quant à la société Eole, « Nicolas Hulot ne percevra aucune rémunération de celle-ci, assure le ministère de l’Ecologie au “Canard”. Les royalties L’Oréal seront exclusivement versées à la société Eole ». Sauf que Hulot en est actionnaire à 99 % ! Toutes les royalties seront donc mises en réserve, et il les touchera simplement plus tard, quand il ne sera plus ministre, sous forme de bénefs pas vraiment cosmétiques…

Dans le Canard enchaîné du 16 août 2017.

La discrète niche à conseillers de Bercy

Ha, la bonne vieille blague de la limitation du nombre de conseiller⋅e⋅s par cabinet ministériel continue encore et toujours. :') Le nouveau monde de Macron ressemble étrangement au monde habituel…


Le ministre de l’Economie et des finances, Bruno Le Maire, n’a rien à envier en termes de créativité à son collègue de la Place Beauvau, Gérard Collomb, pour passer outre le décret publié au « Journal officiel » du 19 mai. Un texte qui interdit à tout cabinet ministériel de compter plus de dix membres.

« Le Canard » saluait en effet, le 28 juin, les méthodes inventives du ministre de l’Intérieur pour contourner cette règle, pourtant imposée par le chef de l’État.

Le premier flic de France a créé ex nihilo « une mission opérationnelle de sécurité et de défense » composée de neuf membres directement rattachés à son directeur de cabinet… sans pour autant faire partie de l’équipe officielle de son cabinet !

Bruno Le Maire a eu une idée tout aussi efficace pour gonfler en douce ses effectifs : il s’est servi de la Direction générale du Trésor pour caser ses conseillers surnuméraires.

Le 3 août, la secrétaire générale du Trésor, Astrid Milsan, a ainsi envoyé un courriel à tous les agents de l’administration centrale du ministère (lire l’entête du document, ci-dessous) pour les prévenir de l’arrivée dans leurs murs de Pierre Ferrand et d’Anna Klarsfeld, « conseillers discours, veille, synthèse de la direction générale ». Ces derniers sont notamment chargés de la « rédaction des projets de discours du ministre et du secrétaire d’État sur lesquels la DG Trésor sera sollicitée ». Si ce n’est pas un travail typique de conseiller ministériel, ça y ressemble étrangement…

Dans ce même document, Astrid Milsan insiste sur le fait qu’« une contribution aux activités du futur porte-parolat du ministère » sera également attendue de la part de Pierre Ferrand et d’Anna Klarsfeld, tout comme un travail de « veille et synthèse d’ouvrages contemporains en matières géostratégique, économique et financière ». Là encore, des missions classiques de conseillers…

Et, dans leurs heures sup, les deux nouvelles recrues joueront aussi le rôle de nègre de Bruno Le Maire pour ses romans ?

Dans le Canard enchaîné du 16 août 2017.

Gattaz le stratège

Quel général entraînera à sa suite ce patronat de combat ? En réponse à l’article du « Canard » (19/7) annonçant son projet de départ anticipé de la présidence du Medef, Pierre Gattaz a assuré à l’AFP (20/7 ) qu’il resterait en poste, « comme prévu, jusqu’en juillet 2018 » et que la campagne de succession « ne débutera[it] qu’en janvier ». Étonnant, quand on sait que le patron du Medef a déjà convoqué pour le 13 septembre le comité statutaire de l’organisation patronale. Au menu ? Sa succession, pardi !

« Pierre Gattaz veut obtenir une modification des statuts pour permettre à Jean-Dominique Senard de se porter candidat sans risque de se faire retoquer », explique un fin connaisseur des arcanes patronaux. Le président du groupe Michelin, qui a soufflé ses 64 bougies en mars, part avec un petit handicap. Le Medef a en effet fixé l’âge limite de son président à 65 ans…

Le patron des patrons a trouvé la parade : plutôt que de repousser l’âge du capitaine, il compte proposer une « réinterprêtation » des textes. Ainsi, toute personne pourrait se présenter au mandat de président tant qu’elle se trouverait dans sa… soixante-cinquième année !

Le boss du Medef est prêt à toutes les concessions juridiques pour convaincre Jean-Dominique Senard — réputé proche de Macron — de prendre le job. Ainsi, à l’occasion de l’université d’été des patrons, qui se tiendra à Jouy-en-Josas à partir du 29 août, il a convié le président de Michelin à ouvrir la conférence de 20 heures. Le thème : « Quelle équipe de France pour conquérir le monde ? »

Conquérir la croissance et l’emploi serait déjà un bon début…



Ouais, quand les règles ne permettent pas de satisfaire une envie personnelle ou une lubie collective à la mode, on les change brutalement ou on fait mine de les comprendre différemment tout en faisant appel au bon sens pour asséner que l'interprétation originale est désuète. Ça marche aussi bien chez les élu⋅e⋅s qui modifient la loi (voire la Constitution) à l'arrache que dans les associations qui modifient leurs Statuts à l'arrache. Bref, je n'ai pas plus envie que ça de cracher sur le Medef sur ce point, ce shaarli est plutôt une illustration d'une pratique qui m'insupporte et que j'espère voir disparaître… aussi bien dans la petite asso du coin que chez nos élu⋅e⋅s que dans la grosse structure représentative.

Dans le Canard enchaîné du 16 août 2017.

La CFDT ”hackée” à tous les vents

Ce moment où l'on apprend que la CFDT ne semble pas être à même de protéger les données personnelles de ses syndiqué⋅e⋅s ni de les protéger financièrement lors des grèves ni même de respecter un semblant de justice. Bon, la CFDT n'est pas la seule à avoir des pratiques qui me semblent manquer d'éthique : entre les nominations de responsables CGT et FO par les pouvoirs publics et la rénovation, à un coût exorbitant, du bureau de l'ex-secrétaire général de la CGT


Les enfants de la deuxième gauche ont toujours prôné l’esprit d’ouverture. Mais de là à tout montrer ! Jusqu’au 21 juillet, les portes du site Internet de la CFDT étaient si béantes qu’en quelques clics le syndicat de Laurent Berger se transformait en maison de verre.

La CFDT avait réuni sous un même portail son site Internet, consultable par tout le monde, et son Intranet, réservé à ses responsables. Or « Le Canard » a découvert que les cloisons entre les deux étaient aussi minces que dans un HLM des années 50.

Nul besoin de « hacker » un code secret ou de « cracker » un mot de passe, un innocent tripotage de clavier permettait d’entrer comme dans un moulin dans le secret des délibérations du temple réformiste. Pour le moindre petit curieux, il était simple de passer de l’Internet à l’Intranet et aussi facile de suivre les entretiens de Laurent Berger avec Edouard Philippe que les étapes du Tour de France sur le site de « L’Equipe ».

Les recettes d’une gestion syndicale efficace y étaient ainsi exposées aux yeux de tous. Un simple clic apprenait aux petits curieux que l’union régionale d’Ile-de-France avait claqué 4,8 millions d’euros pour moderniser son immeuble de la rue de Crimée, à Paris, travaux financés notamment par un prêt à 0,98 % accordé par la Caisse nationale d’action syndicale. Une institution interne à la CFDT fondée pour compenser les pertes de salaires des grévistes ou venir en aide aux victimes de la répression antisyndicale…

Avec cet Intranet ouvert à tous les vents, chacun pouvait aussi être au courant des bides de la centrale, pourtant bien cachés. Ainsi, le 21 avril, la Confédération annonçait la tenue d’un grand barnum destiné aux jeunes, le Working Time Forum, au cours duquel des syndicalistes devaient disserter avec des « startuppers » de l’économie numérique. Las, le 3 mai, l’Intranet dela Confédération siffle la fin de cette grande journée de réflexion, faute d’un nombre suffisant de participants. Dur pour le premier syndicat du secteur privé.

“Secret stories”

Rien n’est épargné à l’internaute, pas même le lavage du linge de la famille. Le 27 avril, Patrice Sinoquet, responsable CFDT de l’usine Whirlpool d’Amiens, devant laquelle le candidat Macron avait été chahuté, annonçait qu’il voterait pour Marine Le Pen. Nombre de responsables de la CFDT suppliaient alors la direction de la Confédération d’exclure séance tenante ce suppôt des fachos. Pas si simple. Sinoquet a le soutien de la base et des responsables départementaux de la métallurgie. Il a fallu attendre 1e 10 mai pour qu’une circulaire interne tranche : « Nous allons suivre le circuit traditionnel de nos procédures afin de traiter cette situation en interne et non sous la pression médiatique. » Ben voyons…

Le surfeur apprenait aussi en passant qu’en quelques semaines les syndicats d’Airbus Helicopters, des cheminots de Paris Sud-Est, des personnels de santé du Rhône et de la chimie de l’Ain avaient été placés sous tutelle. Bref, la sécurité informatique de la CFDT est aussi trouée que l’emmental.

Cette faille, la centrale ne l’a découverte que prévenue par « Le Canard », le 21 juin. Les dirigeants de la CFDT ont alors bloqué tout le système puis verrouillé les entrées à double tour. « On n’a pas été assez vigilants », nous a confié Laurent Berger.

Même à la CFDT, l’ouverture à ses limites.

Dans le Canard enchaîné du 26 juillet 2017.

Les milliardaires des médias sont les rois de l‘impayé

Quand on sait que les droits d'auteurs ont été conçu pour protéger les artistes des marchands… Quand on pense qu'Internet n'est pas le seul vecteur du manque à gagner des artistes, loin s'en faut… Quand on sait que ces mêmes gugus⋅e⋅s (Canal+ = Vivendi, ), pas d'autres hein, mais bien eux, étaient dans les tribunes du Parlement français (pendant que les lobbystes de ces groupes étaient dans les bureaux des parlementaires) lors du vote des lois DADVSI et HADOPI afin de forcer l'adoption de mesures permettant soi-disant de protéger les pauvres artistes des méchant⋅e⋅s citoyen⋅ne⋅s… Faîtes ce que je dis, pas ce sur je fais. Écœurant.


Droits d’auteur, productions audiovisuelles, services photo… Lorsqu’il s’agit de passer à la caisse et de régler leurs fournisseurs, les Bolloré et autres Drahi ou Niel, qui figurent parmi les douze premières fortunes de France, ont du mal à trouver leur chéquier.

C'est devenu la marque de fabrique de nos milliardaires propriétaires de médias : ces honorables capitaines d’industrie ne paient plus leurs fournisseurs et leurs partenaires, ou alors très en retard, en exigeant, au passage, des ristournes de marchands de tapis.

Dernier exemple de ces usages de pirates des temps modernes : l’affaire des droits d’auteur des employés de Canal Plus, que Vincent Bolloré a décidé de ne plus régler. Il y a un an, déjà, la Fédération des industries du cinéma, la ficam, avait été alertée par des petits producteurs de la chaîne, sidérés par son nouveau fonctionnement : Canal leur affirmait perdre 400 millions d’euros par an et donc être dans l’impossibilité de payer ses factures en retard. Elle proposait alors de régler tout de suite, mais seulement 80 % du montant. À prendre ou à laisser !

Mécomptes d’auteurs

Bolloré vient de tenter le même coup avec les droits d’auteur. Dès octobre, Canal a coupé le robinet de ses versements à la Sacem, à la SACD, à la Scam, etc., ces sociétés qui se chargent de redistribuer leurs droits aux musiciens, scénaristes, documentaristes, graphistes… Résultat : plus de 50 millions d’euros de moins pour 50 000 auteurs. Dans la foulée, au prétexte que ces auteurs se goinfrent pendant que le pauvre Canal compte ses centimes, les sbires de Bolloré ont voulu négocier, comme dans un vide-greniers du dimanche, des rabais dépassant les 60 % ! Censée être le fer de lance de l’exception culturelle française, la chaîne tape sur la création pour tenter de rattraper ses errements dans le sport, où elle s’est laissé doubler par Altice et beIN. À votre bon cœur, amis créateurs !

Le 18 juillet, le fiston Yannick Bolloré, patron de Havas, a résumé devant l’Association des journalistes médias la doctrine familiale : « Dans un monde normal, où il y a de la concurrence, quand une so- ciété va mal, elle demande de la productivité à ses partenaires. Ça, c’est dans toute industrie normale. » Et la maison mère de Canal, Vivendi, va très mal : sa « trésorerie disponible » n’est que de 4,016 milliards d’euros…

Les sociétés d’auteurs ont décidé, en représailles, d’assigner Canal en justice, le 14 septembre. Un communicant de Bolloré philosophe : « En arrêtant de payer, on a créé volontairement un rapport de force pour renégocier des accords. Ce n’est peut-être pas bien, mais la méthode a le mérite d’être efficace. Et nous n’irons pas au tribunal, vous verrez, nous trouverons une entente avant… »

Tout mauvais payeur qui se respecte compte en effet là-dessus : le créancier, pris à la gorge, renoncera en cours de route ! Primo, parce que, financièrement, il n’a pas les reins assez solides pour supporter le parcours du combattant : lettres de relance, courriers de mise en demeure, menaces d’avocat, puis poursuites judiciaires, injonction de payer, re-avocat, huissier, etc. Deuzio, parce qu’il a une trouille bleue de perdre son gros client. Et, dans ce cas-là, l’omerta règne. Lorsque la célèbre agence Capa rame pour se faire régler ses documentaires par Canal, impossible de trouver un membre de l’équipe pour pester publiquement. L’un d’eux lâche tout juste : « Le rapport de force est complétement déséquilibré. Notre chiffre d'affaires est sans commune mesure avec celui des diffuseurs et on ne peut pas perdre nos marchés… »

Objectif thunes

Mais l'impayé frappe à tous les étages, de l'auteur au producteur, en passant par le dessinateur et le traiteur ! Le groupe Le Monde, du trio Bergé-Niel-Pigasse, qui cumulait l'an dernier des retards de 29 millions d'euros auprès de ses fournisseurs, est en train de se taper une solide réputation dans le milieu. Certains attendent un règlement depuis 2015 ! « C'est une nouvelle technique de gestion. "L'Obs", autre fleuron du groupe, a reçu pour ordre de ne pas payer, persifle un créancier lassé. Même les bouchers et les primeurs qui livrent les salles à manger de l'hebdomadaire ont du mal à se faire payer. Récemment, la compta de l'hebdo a reçu du groupe une maigre enveloppe à distribuer. Mais elle s’arrache les cheveux : par quel créancier commencer ?

Car les plus dépendants sont toujours remboursés les derniers, voire jamais. Exemple : la photo. « L’ Obs » paie les photographes avec huit à douze mois de retard, et jusqu’à dix-huit pour les étrangers. « Dès qu’une facture dépasse 300 euros, c’est problématique. À 900 euros, ils ne remboursent plus rien », balance un représentant du personnel. Pour cette raison, Dalle, une petite agence spécialisée dans le musical, a cessé de vendre ses clichés à l’hebdomadaire fondé par Jean Daniel. À l’AFP, l’arriéré oscille entre 300 000 euros et 500 000 euros, mais la pudique agence refuse d’en parler. Ces derniers mois, elle a coupé l’accès à son « fil » (textes, photos, vidéos) plusieurs jours pour obtenir un début de paiement…

Un dirigeant de Sipa Press a aussi noté un grand changement dans les publications du nouveau groupe Altice Média (« L’Express », « Libération »…), propriété de Patrick Drahi, qui vient de s’offrir le premier groupe de télévision portugais. Le dirlo adjoint de Sipa, Mete Zihnioglu, le dit tout net : « Il y a un an, nous avions signé un accord de bonne conduite avec les médias au ministère de la Culture, mais nous avons toujours des problèmes. Avec Altice, on court toujours après les factures (…). Alors que Sipa est en procédure de sauvegarde et est en train de licencier six personnes. »

Impayé pour un rendu

Chloé Zanni, de l’agence Myop, est à l’origine d’une courageuse lettre ouverte aux mauvais payeurs, publiée le 19 décembre : « “L’Obs” nous a promis de régler toutes les factures depuis janvier au plus tard début juillet. Nous n’avons rien vu venir… »

Serge Corre, patron d’une petite agence photo en Bretagne, Andia, a déjà dû licencier trois salariés sur neuf à cause des retards de paiement : « Quand Drahi a racheté “L’Express”, qui représente 30 % de mon chiffre d’affaires, tout a changé. Au début, son groupe nous a proposé de payer plus vite… si on acceptait de réduire la note ! J'ai dit non. »

Un patron de presse qui connaît la musique et ses nouveaux chefs d’orchestre conclut : « Le système Niel-Drahi consiste à acheter des journaux en deboursant le moins d’argent possible. » Et d’évoquer une négociation mémorable avec Niel : « La question qu’il posait systématiquement était : “Est-ce qu’on peut investir dans cette boîte sans mettre de cash ?” » Tout ça pour obtenir a bas coût une influence politique qui peut rapporter gros.

Les nouveaux rois des médias sont impayables. À quand une série de Canal sur leurs combines à zéro droit d’auteur ?

Dans le Canard enchaîné du 26 juillet 2017.

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