L'habit ne fait pas le moine et agir pour la liberté des semences agricoles ne signifie pas que l'on respecte les droits (et libertés) humains…
Tomate charbonneuse, aubergine ronde de Valence, pourpier doré… Sans Kokopelli, ces espèces anciennes et goûteuses ne seraient peut-être plus cultivées dans les jardins. Basée au Mas-d’Azil (Ariège), cette association écolo fondée en 1999 par Dominique Guillet se bat pour « libérer » les semences potagères du joug de l’agro-industrie type Monsanto. Kokopelli commercialise 2 200 types de semences libres de droit et reproductibles issues de l’agriculture biologique. Et tant pis si Bruxelles tique et ne reconnaît que les seules semences industrielles homologuées… Les amoureux du potager applaudissent. Ils risquent donc d’être quelque peu surpris par « Nous n’irons plus pointer chez Gaïa » (1), un livre où quatre anciens salariés de Kokopelli se racontent. Et c’est du genre brutal…
Julie, manutentionnaire en CDD en 2013, emballe des graines debout toute la journée : « Quand j’arrache une pause de dix minutes le matin, c’est bien sûr à condition qu’elle ne soit pas rémunérée. » Elle discute avec ses collègues, se fait recadrer : « Parler est interdit. Ça nuit à la productivité. » Proteste. Erreur : « Je suis surveillée en permanence. La direction dit que je suis un élément dérangeant, nuisible. »
Amateur de la matrice
Solen, préparatrice de commandes en CDD en 2014, se plaint du « climat oppressant » à une collègue. Bien mal lui en prend : celle-ci la dénonce au directeur, Ananda Guillet, fils de Dominique. Lequel gronde l’insolente, en présence du « témoin » ! Chargée de la campagne « Semences sans frontières », embauchée fin 2013, Laura se questionne sur le choix discutable d’envoyer, certes généreusement, des semences de salade reine des glaces… en Inde. « Les entretiens devant le directeur sont de plus en plus fréquents. Le père, la mère se joignent au fils pour me tancer. » Laura finit affectée aux papiers-cadeaux. Elle fait une dépression, et obtiendra un arrêt de travail pour harcèlement moral… Ah, il est beau, l’engagement écolo !
Mais tout ceci n’est qu’un horrible malentendu. Car Dominique Guillet est en connexion directe avec Gaïa, notre terre mère. Sur le site « liberterre.fr », le « résistant » offre sa vision inspirée de John Lash, écrivain américain new age. Ainsi, quand Martin, gestionnaire des stocks, lui fait part d’un désaccord, Dominique Guillet répond : « Je ne tolérerai aucune perversion des règles gaïennes. Les règles et lois du monde de la Matrice (sic) ne m’importent que peu. » Alors, le droit au syndicat, on s’en tamponne… Curieusement, personne ne moufte. Florian Martinez, du syndicat Asso-Solidaires, décrypte ce paradoxe pour « Le Canard » : « Dans certaines associations, il y a un management à l’affect : si on se révolte, on nuit à la cause. » Et les vilains industriels se frottent les mains…
Interrogé par le Palmipède, Ananda Guillet, l’actuel directeur, fustige les « mensonges » diffusés par ces « anars de comptoir » (sic). Et assume : « Kokopelli est une association qui fonctionne comme une entreprise. Moi, je bosse 90 heures par semaine ! » Preuve que ça rapporte, avec ses 20 salariés, Kokopelli a réalisé 3 millions de chiffre d’affaires en 2016. Et prévoit d’ouvrir une nouvelle boutique et un musée. Les auteurs du livre s’interrogent : « Nous pensions être complices de résistants anticapitalistes face à la justice, nous avons été les auxiliaires d’une imposture. Était-ce un aveuglement volontaire ? » Pourtant, la carotte jaune du Doubs, c’est bon pour la vue…
Dans le Canard enchaîné du 26 juillet 2017.