L'Open Data sur les données concernant les sociétés commerciales, c'est toujours pour demain.
Toujours éloquents lorsqu’il s’agit de défendre leur chasse gardée (la commercialisation de données sur les boîtes privées), les greffiers des tribunaux de commerce sont, depuis quelques semaines, d’une discrétion de violette. Le Conseil d’État a pourtant rendu un arrêt, le 12 juillet, présenté par une partie de la presse comme signant la fin de leur lucratif business. Bien à tort…
Ces greffiers, qui ne sont pas des fonctionnaires mais exercent une profession libérale — sauf en Alsace-Moselle et dans les collectivités d’outre-mer —, utilisent deux filons pour monnayer les informations transmises par les sociétés. Soit ils traitent directement avec les usagers (via le service Infogreffe), soit ils les revendent en gros à d’autres prestataires de services, comme « societe.com », « verif.com » et compagnie. Ce petit trafic génère, bon an mal an, un chiffre d’affaires de plus de 60 millions et permet aux greffiers des tribunaux de commerce les plus importants — surtout dans la région parisienne — de gagner largement plus de 100 000 euros par mois !
Les greffiers avaient attaqué devant le Conseil d’Etat un décret pris par Emmanuel Macron quand il était ministre de l’Economie, qui les oblige à mettre gratuitement leurs données à la disposition de l’Institut national de la propriété industrielle (Inpi). Ils ont finalement perdu leur recours, mais ils s’en sortent très bien.
Ce décret a été pris en application de la loi Macron de 2015 (loi fourre-tout, voir : radio lockdown, label zone fibrée, diverses dispositions numériques comme le délai de rétractation de 14 jours et le changement des prérogatives du gendarme des télécoms et son nouveau pouvoir de requalifier un service comme Skype en opérateur, l'impossibilité d'obtenir la destruction d'un bien immobilier quand le permis de construire associé est annulé alors que le bien est achevé, etc.) dont l'une des dispositions visait à rendre disponible, via l'INPI, le Registre du Commerce et des Sociétés (RGS) en Open Data (à l'exception des comptes financiers annuels si la sociéte en fait la demande explicite). Disposition reprise et généralisée par la loi pour un République numérique de 2016.
En effet, l’Inpi n’offre pas le même service que les sites concurrents. Pas question de se contenter de taper un nom de dirigeant ou de société pour avoir accès aux informations. Il faut d’abord solliciter une « licence » et indiquer l’usage que l’on compte faire des précieuses données !
Ministre serviable
L’Inpi ne dispose aujourd’hui que de 400 clients pour ce service, ouvert depuis le mois de mars. Une goutte d’eau, comparé aux millions de connexions enregistrées par les autres sites spécialisés. Normal : contrairement à ces derniers, l’Institut ne délivre aucun compte rendu des assemblées générales d’actionnaires. Seulement des renseignements de base et des comptes annuels. Durant des décennies, l’Institut a pourtant proposé toutes les informations souhaitées au public. Mais il a dû laisser le champ libre aux greffiers en 2007, à la demande expresse de Pascal Clément, le dernier garde des Sceaux de Jacques Chirac.
Et, aujourd’hui, cette sinécure semble partie pour durer… encore un peu ?
Dans le Canard enchaîné du 9 août 2017.