Quand on sait que les droits d'auteurs ont été conçu pour protéger les artistes des marchands… Quand on pense qu'Internet n'est pas le seul vecteur du manque à gagner des artistes, loin s'en faut… Quand on sait que ces mêmes gugus⋅e⋅s (Canal+ = Vivendi, ), pas d'autres hein, mais bien eux, étaient dans les tribunes du Parlement français (pendant que les lobbystes de ces groupes étaient dans les bureaux des parlementaires) lors du vote des lois DADVSI et HADOPI afin de forcer l'adoption de mesures permettant soi-disant de protéger les pauvres artistes des méchant⋅e⋅s citoyen⋅ne⋅s… Faîtes ce que je dis, pas ce sur je fais. Écœurant.
Droits d’auteur, productions audiovisuelles, services photo… Lorsqu’il s’agit de passer à la caisse et de régler leurs fournisseurs, les Bolloré et autres Drahi ou Niel, qui figurent parmi les douze premières fortunes de France, ont du mal à trouver leur chéquier.
C'est devenu la marque de fabrique de nos milliardaires propriétaires de médias : ces honorables capitaines d’industrie ne paient plus leurs fournisseurs et leurs partenaires, ou alors très en retard, en exigeant, au passage, des ristournes de marchands de tapis.
Dernier exemple de ces usages de pirates des temps modernes : l’affaire des droits d’auteur des employés de Canal Plus, que Vincent Bolloré a décidé de ne plus régler. Il y a un an, déjà, la Fédération des industries du cinéma, la ficam, avait été alertée par des petits producteurs de la chaîne, sidérés par son nouveau fonctionnement : Canal leur affirmait perdre 400 millions d’euros par an et donc être dans l’impossibilité de payer ses factures en retard. Elle proposait alors de régler tout de suite, mais seulement 80 % du montant. À prendre ou à laisser !
Mécomptes d’auteurs
Bolloré vient de tenter le même coup avec les droits d’auteur. Dès octobre, Canal a coupé le robinet de ses versements à la Sacem, à la SACD, à la Scam, etc., ces sociétés qui se chargent de redistribuer leurs droits aux musiciens, scénaristes, documentaristes, graphistes… Résultat : plus de 50 millions d’euros de moins pour 50 000 auteurs. Dans la foulée, au prétexte que ces auteurs se goinfrent pendant que le pauvre Canal compte ses centimes, les sbires de Bolloré ont voulu négocier, comme dans un vide-greniers du dimanche, des rabais dépassant les 60 % ! Censée être le fer de lance de l’exception culturelle française, la chaîne tape sur la création pour tenter de rattraper ses errements dans le sport, où elle s’est laissé doubler par Altice et beIN. À votre bon cœur, amis créateurs !
Le 18 juillet, le fiston Yannick Bolloré, patron de Havas, a résumé devant l’Association des journalistes médias la doctrine familiale : « Dans un monde normal, où il y a de la concurrence, quand une so- ciété va mal, elle demande de la productivité à ses partenaires. Ça, c’est dans toute industrie normale. » Et la maison mère de Canal, Vivendi, va très mal : sa « trésorerie disponible » n’est que de 4,016 milliards d’euros…
Les sociétés d’auteurs ont décidé, en représailles, d’assigner Canal en justice, le 14 septembre. Un communicant de Bolloré philosophe : « En arrêtant de payer, on a créé volontairement un rapport de force pour renégocier des accords. Ce n’est peut-être pas bien, mais la méthode a le mérite d’être efficace. Et nous n’irons pas au tribunal, vous verrez, nous trouverons une entente avant… »
Tout mauvais payeur qui se respecte compte en effet là-dessus : le créancier, pris à la gorge, renoncera en cours de route ! Primo, parce que, financièrement, il n’a pas les reins assez solides pour supporter le parcours du combattant : lettres de relance, courriers de mise en demeure, menaces d’avocat, puis poursuites judiciaires, injonction de payer, re-avocat, huissier, etc. Deuzio, parce qu’il a une trouille bleue de perdre son gros client. Et, dans ce cas-là, l’omerta règne. Lorsque la célèbre agence Capa rame pour se faire régler ses documentaires par Canal, impossible de trouver un membre de l’équipe pour pester publiquement. L’un d’eux lâche tout juste : « Le rapport de force est complétement déséquilibré. Notre chiffre d'affaires est sans commune mesure avec celui des diffuseurs et on ne peut pas perdre nos marchés… »
Objectif thunes
Mais l'impayé frappe à tous les étages, de l'auteur au producteur, en passant par le dessinateur et le traiteur ! Le groupe Le Monde, du trio Bergé-Niel-Pigasse, qui cumulait l'an dernier des retards de 29 millions d'euros auprès de ses fournisseurs, est en train de se taper une solide réputation dans le milieu. Certains attendent un règlement depuis 2015 ! « C'est une nouvelle technique de gestion. "L'Obs", autre fleuron du groupe, a reçu pour ordre de ne pas payer, persifle un créancier lassé. Même les bouchers et les primeurs qui livrent les salles à manger de l'hebdomadaire ont du mal à se faire payer. Récemment, la compta de l'hebdo a reçu du groupe une maigre enveloppe à distribuer. Mais elle s’arrache les cheveux : par quel créancier commencer ?
Car les plus dépendants sont toujours remboursés les derniers, voire jamais. Exemple : la photo. « L’ Obs » paie les photographes avec huit à douze mois de retard, et jusqu’à dix-huit pour les étrangers. « Dès qu’une facture dépasse 300 euros, c’est problématique. À 900 euros, ils ne remboursent plus rien », balance un représentant du personnel. Pour cette raison, Dalle, une petite agence spécialisée dans le musical, a cessé de vendre ses clichés à l’hebdomadaire fondé par Jean Daniel. À l’AFP, l’arriéré oscille entre 300 000 euros et 500 000 euros, mais la pudique agence refuse d’en parler. Ces derniers mois, elle a coupé l’accès à son « fil » (textes, photos, vidéos) plusieurs jours pour obtenir un début de paiement…
Un dirigeant de Sipa Press a aussi noté un grand changement dans les publications du nouveau groupe Altice Média (« L’Express », « Libération »…), propriété de Patrick Drahi, qui vient de s’offrir le premier groupe de télévision portugais. Le dirlo adjoint de Sipa, Mete Zihnioglu, le dit tout net : « Il y a un an, nous avions signé un accord de bonne conduite avec les médias au ministère de la Culture, mais nous avons toujours des problèmes. Avec Altice, on court toujours après les factures (…). Alors que Sipa est en procédure de sauvegarde et est en train de licencier six personnes. »
Impayé pour un rendu
Chloé Zanni, de l’agence Myop, est à l’origine d’une courageuse lettre ouverte aux mauvais payeurs, publiée le 19 décembre : « “L’Obs” nous a promis de régler toutes les factures depuis janvier au plus tard début juillet. Nous n’avons rien vu venir… »
Serge Corre, patron d’une petite agence photo en Bretagne, Andia, a déjà dû licencier trois salariés sur neuf à cause des retards de paiement : « Quand Drahi a racheté “L’Express”, qui représente 30 % de mon chiffre d’affaires, tout a changé. Au début, son groupe nous a proposé de payer plus vite… si on acceptait de réduire la note ! J'ai dit non. »
Un patron de presse qui connaît la musique et ses nouveaux chefs d’orchestre conclut : « Le système Niel-Drahi consiste à acheter des journaux en deboursant le moins d’argent possible. » Et d’évoquer une négociation mémorable avec Niel : « La question qu’il posait systématiquement était : “Est-ce qu’on peut investir dans cette boîte sans mettre de cash ?” » Tout ça pour obtenir a bas coût une influence politique qui peut rapporter gros.
Les nouveaux rois des médias sont impayables. À quand une série de Canal sur leurs combines à zéro droit d’auteur ?
Dans le Canard enchaîné du 26 juillet 2017.