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——————————— Sunday 18, November 2018 ———————————

Des perquisitions sévèrement contrôlées… par des fantômes

L'affaire Mélenchon braque les projecteurs sur le rôle des procureurs, qui enquêtent et perquisitionnent à peu près comme bon leur semble. Le contrôle des juges des libertés, qu’ils mettent en avant, reste souvent illusoire…

Depuis le coup de chaud de Mélenchon et ses accusations baroques contre le pouvoir politique, le gouvernement et le parquet de Paris brandisent, tel le saint sacrement, la décision du juge des libertés et de la détention (JLD) ayant autorisé les 17 perquisitions effectuées le 17 octobre. Et pour cause : ce magistrat est supposé totalement indépendant, contrairement au procureur, placé sous l’autorité de la ministre de la Justice et à l’origine des demandes de perquises.

Pas sûr que cela suffise à faire taire les soupçons. Le plus souvent, les juges des libertés se contentent de donner un coup de tampon machinal sur les demandes présentées par les procureurs. Cet automatisme n’a pas échappé à la commission des Lois du Sénat, qui a récemment déploré le « contrôle souvent trop formel » exercé par ces magistrats.

Les copieurs du palais

« Les JLD sont démunis : le dossier qui leur est présenté reste très partiel. ils ne peuvent donc pas toujours vérifier si l’atteinte à la vie privée des justiciables reste bien proportionnelle aux infractions soupçonnées », constate un procureur général. Et d’ajouter : « En général, il y a une pression très forte des enquêteurs, et le Juge des libertés finit par céder pour ne pas prendre le risque d’être accusé d’avoir fait échouer les investigations. » Imparable…

Dans les affaires de terrorisme, les JLD font souvent preuve d’une belle plasticité. En décembre 2015, par exemple, le juge des libertés de permanence au tribunal de Montpellier s’est contenté de copier-coller l’arg‘umentaire du procureur pour autoriser la fouille du domicile d’un couple présenté par des voisins comme des sympathisants de Daech. En janvier 2018, la Cour de cassation a sèchement rappelé tout le monde à l’ordre : dans un arrêt, elle a répété que les motivations des JLD devaient être « adaptées et circonstanciées », et qu’elles constituaient « une garantie essentielle » pour les libertés individuelles.

D’autres juges des libertés ont tenté de la jouer rebelle : après avoir réclamé en vain les éléments « précis » censés les justifier, ils ont retoqué des perquises ou des écoutes. Mal leur en a pris : les récalcitrants ont carrément été sommés par le procureur — qui n’en a pourtant pas le droit — de justifier leur veto devant une escouade de policiers furibonds. le qu’ils ont refusé aussi sec !

Dans les affaires politiques ou financières, en revanche, les JLD hésitent un peu moins à se pousser du col. Les demandes de perquisitions « prestigieuses » — chez un fillon ou chez un Mélenchon —— sont, en général, examinées de plus près que les dossiers visant un banal réseau de cambrioleurs. Depuis sa création, en décembre 2013, le parquet national financier a ainsi essuyé quelques (rares) refus pour des visites domiciliaires. Un JLD de Nanterre a également envoyé sur les roses le procureur qui lui demandait, en 2013, une perquisition chez Michèle Alliot-Marie, dont le père était soupçonné d’abus de confiance. « Le JLD a estimé qu’il fallait ouvrir une instruction, se souvient un enquêteur. Du coup, les perquises ont eu lieu un an après. »

Justiciable baladé

La plaisanterie ne fait sans doute que commencer. Très inspiré par le ministère de l’Intérieur, le projet de loi de programmation de la justice de Nicole Belloubet renforce (encore) les prérogatives des parquets. Ceux-ci mènent déjà près de 95 % des enquêtes judiciaires, sans la moindre intervention d’un juge d’instruction. Et sans que les avocats puissent demander le moindre acte ni assister aux perquisitions (voir encadré).

Une disposition — refusée par le Sénat mais qui devrait être rétablie par l’Assemblée — va même étendre encore la possibilité, pour les procureurs, de procéder à des perquisitions, à des écoutes téléphoniques, à des interceptions électroniques ou à des géolocalisations. Jusqu’à présent, les faits reprochés devaient être punissables d’au moins 5 ans de prison (en pratique : la grande criminalité ou le terrorisme). Désormais, ce sera 8 ans seulement — une limite permettant d’englober la quasi-totalité des infractions passibles de la correctionnelle...

La Chancellerie entend, à l’inverse, limiter davantage le rôle des juges d’instruction. Le justiciable souhaitant saisir directement un magistrat instructeur devra dorénavant se lancer dans un véritable parcours du combattant.

Depuis 2007, la loi lui impose déjà de soumettre au préalable sa plainte au procureur, lequel dispose de trois mois pour décider d’ouvrir ou non une enquête. Demain, ce sera six mois ! Et, si le proc l’envoie balader, le plaignant ne pourra rien faire avant d’avoir réitéré sa démarche devant le procureur général… Les ministres et responsables politiques soupçonnés de traîner quelques casseroles y gagneront, au passage, un précieux répit. Merci qui ?


Zone interdite aux avocats

Aujourd'hui, aucun texte ne prévoit la présence d’un avocat lors d’une perquisition. Le 10 octobre, pourtant, le Sénat a adopté, à l’occasion de l’examen du projet de loi de programmation de la justice, une disposition mettant fin à cette anomalie.

Le gouvernement s’y est farouchement opposé et n’a pas caché son intention de faire supprimer cette modification par l’Assemblée. Nicole Belloubet, la garde des Sceaux, a expliqué sans rireaux sénateurs que cette avancée des droits de la défense constituerait « une complexification majeure de la procédure pénale ». Son projet de loi entend renforcer les pouvoirs des parquets, pas ceux de la défense, nuance…

Ho bah oui, c'est vrai que la reste de la procédure pénale est tellement simple que ça serait une hérésie de rajouter une surcouche protégeant les droits de l'accusé⋅e. Quand une complexification est utilisée comme rhétorique d'un foutage de gueule.

Dans le Canard enchaîné du 31 octobre 2018.

Drôles de copains de Macron à Bruxelles

Six mois avant les élections européennes, Emmanuel Macron est un homme seul, à Bruxelles. La droite européenne devait exploser et Macron ramasser les morceaux ? Raté. Les sociaux-démocrates ? Ils feront cavalier seul. Les écolos ? Dany Cohn-Bendit les a dragués en pure perte. « Macron est coincé. Il ne voulait pas s’afficher avec Guy Verhofstadt, le patron des libéraux, trop affairiste a ses yeux, et maintenant il ne fait plus le difficile, les émissaires de LRM défilent dans son bureau », se marre un eurodéputé.

C’est donc avec ce groupe des libéraux, le quatrième en termes d’effectifs au Parlement européen, qu’En marche ! a entamé des discussions en vue du scrutin de mai. Mais, si la vitrine peut séduire, l’arrière-boutique s’avère nette-ment moins reluisante.

Le président du groupe libéral au Parlement européen, l’ex-Premier ministre belge Verhofstadt, déjà cité, se voit régulièrement reprocher ses fonctions d’administrateur au sein de plusieurs sociétés : la Sofina — une holding actionnaire, notamment, de Danone et de GDF Suez —, l’armateur Exmar — spécialisé dans le transport de gaz liquéfié — et le fonds de pension néerlandais APG. Selon Transparency International, ces petites grattes lui procurent un revenu annuel supérieur à 1 million d’euros. Mais il facture aussi la plupart de ses interventions publiques environ 13 000 euros chacune. « Verhofstadt pourrait faire vivre 40 familles grecques », ironisent les socialistes belges.

Le président du parti libéral européen, l’eurodéputé néerlandais Hans Van Baalen, était, lui, administrateur, jusqu’en 2015, de Mercedes-Benz et de la RAI, un lobby automobile. A la suite du scandale du « Dieselgate », il a renoncé à ces fonctions, le conflit d’intérêts devenant trop criant. Autre élu désintéressé : l’eurodéputé libéral allemand Wolf Klinz, administrateur d’un groupe bancaire et d’un lobby financier. Et la liste n’est pas close.

Les affranchis

Le groupe des libéraux abrite d’autres curieux loustics encore. L’ALDE roumaine, petit parti membre de la coalition gouvernementale à Bucarest, est mise en cause dans des affaires de corruption. Son patron, l’ancien Premier ministre Calin Popescu-Tariceanu, est désormais le président du Sénat roumain. Au côté du très controversé leader socialiste Liviu Dragnea, il dirige une campagne incriminant l’indépendance de la justice roumaine. A Bruxelles, la Commission envisage très sérieusement l’ouverture d’une procédure pour infraction à l’Etat de droit.

Parmi les cas plus problématiques, l’ANO, parti du Premier ministre populiste tchèque, Andrej Babis. Ce milliardaire, deuxième fortune et premier employeur du pays, est un ancien collaborateur de la police politique communiste, surnommé « le Berlusconi tchèque ». L’Olaf, l’office antifraudes de Bruxelles, soupçonne son entreprise, Agrofert, d’une fraude de 2 millions d’euros aux… subventions européennes ! Pas question pour autant de prendre ses distances avec lui : l’ANO, avec 80 % des voix aux dernières élections, est le premier parti du pays.

Tous ces libéraux ont un point commun : une aversion profonde pour la notion de régulation. « Ils sont complètement du côté des industriels. Pour leur faire accepter l’idée de normes sociales ou environnementales, c’est la croix et la bannière ! » s’étrangle l’eurodéputée française Tokia Saïfi, du PPE, qui travaille au Parlement européen sur les dossiers de libre-échange.

Pittoresques, les nouveaux amis d’Emmanuel Macron !

Dans le Canard enchaîné du 7 novembre 2018.

C'est grave, docteure ?

Dans “Le ministre est enceinte” (Seuil), Bernard Cerquiglini tente de calmer la querelle du genre.

En 2005, on pouvait lire dans « Le figaro » : « Chaussée d’escarpins à talons aiguilles et vêtue d’un coquet tailleur rose, le chancelier allemand a serré la main de Jacques Chirac. » Il s’agissait d’Angela Merkel et non d’une drag-queen… En 1991, à propos d’Edith Cresson, un confrère écrivait : « Le Premier ministre n’est pas vraiment inquiète. »

De ces incohérences, Bernard Cerquiglini, linguiste et universitaire, livre ici une chronique savante et souriante (il est aussi membre de l’Oulipo). Dans la féminisation des noms de métiers, des titres et des grades, qu’il approuve, il voit « un des changements les plus rapides et les plus étendus qu’ait connus notre langue. » Aucun militantisme : entre « purisme androcentriste » et « féminisme rudimentaire », il cultive l’art du compromis. Pour faire accoucher la langue de beaux enfants, cet homme est une vraie sage-femme.

Un peu de culture historique ne nuisant pas, Cerquiglini rappelle qu’avant l’« épuration linguistique qu’effectuèrent les grammairiens du XVIIe siècle », la féminisation des noms de métiers a prospéré sans tapage jusqu’en 1600. En cet heureux temps, personne n’était choqué d’aller chez la « boutonnière », la « poulaillère » et autre « tavernière ». Au sommet de l’Etat, Catherine de Médicis et Anne d’Autriche furent des « ré- gentes » et non des « régents » de France. Les puristes ne restaient pas inertes : Vaugelas s’offusquait d’entendre une femme dire : « Heureuse, je la suis » (il préconisait « je le suis »). A quoi Madame de Sévigné répondait : « Je croirais avoir de la barbe si je disais autrement. » Poil au complément !

Il est vrai que le féminin professionnel était souvent conjugal : l’« ambassadrice » resta longtemps l’épouse de l’ambassadeur. Aujourd’hui, une femme n’a pas besoin de mari pour être « préfète » ou « pharmacienne ». L’affaire est plus disputée pour « auteure », passé aujourd’hui dans l’usage. Mais la querelle persiste avec « autrice », qui heurte moins les esprits que les oreilles. Cerquiglini ne vote pas pour : « Son succès est imrobable. Nous-mêmes, sans pavoiser avons opté pour “auteure”. » Au fait, que reste-t-il des « doctoresses » et des « mairesses » d’antan ?

Dans la partie la plus technique du livre, l’auteur plaide pour un masculin « générique non spécifique », pouvant désigner un groupe mixte, pas exclusivement mâle. Ainsi, « tous les voyageurs sont priés de descendre » ne devrait offenser personne : pas besoin d’alourdir le message avec « tous les voyageurs et les voyageuses ». Ajouter le féminin est possible mais ouvre sur un autre sens : « Les candidats et les candidates passeront une épreuve de natation » souligne que tout le monde est désormais dans le même bain.

Tant pis pour les puristes, qui ne s’appellent plus Vaugelas mais « académiciens ». Cerquiglini raconte avec verve le combat d’arrière-garde mené par ces messieurs-dames de la Coupole, admettant aujourd’hui, l’épée dans les reins, « docteure » et « proviseure ». Quant à l’écriture inclusive, qui n’est pas le vrai sujet du livre, elle n’est pas la tasse de thé de l’auteur, opposé au « point médian » (« les candidat.e.s »).

Heu ? Je ne sais pas si l'erreur vient du Canard ou de l'œuvre, mais « candidat.e.s » n'est pas féminisé avec des points médian (sinon, cela aurait donné : candidat⋅e⋅s).


Certains prétendent que, informée de cette position, Hélène Carrère d’Encausse, secrétaire perpétuelle de l’Académie française, se serait exclamée : « Heureuse, je la suis ! »

Dans le Canard enchaîné du 7 novembre 2018.

La méthanisation sent le gaz (pour ne pas dire la merde)

Grâce au caca de vaches, on peut produire de l’électricité et du gaz. Ça s’appelle la méthanisation, une énergie verte que le gouvernement veut favoriser sur tout le territoire. Enfin une bonne idée ? Eh bien non.

Prenez du fumier bien frais et mettez-le à fermenter dans une grosse cuve en béton. Au bout de quelques jours, vous obtiendrez du gaz à base de méthane, à utiliser directement ou servant à produire de l’électricité, racheté a des prix avantageux par EDF. « La méthanisation est un des outils qui permet de verdir le gaz », s’enthousiasmait en mars le secrétaire d’État Sébastien Lecornu, bien décidé à développer cette chouette filière, qui représente aujourd’hui 400 unités en France. L’objectif du gouvernement ? Mettre les gaz pour en avoir deux à trois fois plus…

Georges Baroni, de la Confédération paysanne, a participé à ce raout gouvernemental du 26 mars. Il se marre : « Autour de la table, il y avait la FNSEA, GDF, les industriels… La discussion a vite démarré sur : “Pourquoi ça ne marche pas ?” » Tout simplement, déjà, parce que ça ne rapporte pas assez. Georges Baroni précise : « Sept agriculteurs sur dix qui ont un méthaniseur sont en faillite. » Il y aurait trop de contraintes administratives. En effet : en dessous de 50 tonnes de matière sèche, une simple déclaration suffit. Au-dessus de 100 tonnes, il faut une autorisation. Et qui dit autorisation dit enquête publique et dit emmerdements… Le gouvernement a donc proposé de se passer d’autorisation pour les gros méthaniseurs !

Oui mais voilà : le méthaniseur ne fait pas que recracher du gaz. Une fois le lisier (ou les restes de plantes, de déchets organiques) libéré de son carbone, reste le digestat. Présenté comme « ultra fertilisant », ce digestat est en réalité un concentré de nitrates. Épandu sur les sols, loin de les fertiliser, il les appauvrit. Et pollue les cours d’eau. À Gramat, dans le Lot, des citoyens ont tenté par tous les moyens d’empêcher la construction d’un mégaméthaniseur censé traiter 65 000 tonnes de déchets organiques en plein parc naturel des Causses du Quercy. En février dernier, des scientifiques ont signé une tribune pour alerter sur le risque pour les sols et le patrimoine historique du Quercy. En vain. Jacques Philbert, de l’association Gadel, raconte : « Les épandages ont démarré depuis six mois et il y a déjà des fuites, avec des écoulements en surplomb du gouffre de Padirac. On avait prévu une catastrophe et on ne nous a pas écoutés ! » Et vive l’énergie verte selon Macron !

Je vois que certain⋅e⋅s attendent toujours de trouver l'énergie renouvelable-uber-over-mega-trop-parfaite-sans-défaut-pas-chère… On n'est pas prêt de sortir de l'auberge…

Dans le Siné mensuel d'octobre 2018.

Narbonne, capitale de la radioactivité ?

La ville occitane accueille la plus grande décharge de déchets uranifères en Europe : 400 000 m² de boues de décantation. Avec de lourdes conséquences sur la santé des riverains.

L'été dernier, l'acteur Pierre Richard, du haut de ses 84 ans, a gravi l'oppidum de Montlaurès, près de Narbonne, dans l'Aude, par une matinée caniculaire. Son objectif ? Observer par lui-même les étendues de déchets du site de Malvési. « J'ignorais qu'on était pollué au radon ici, avec la mer et la nature, on ne pense pas être exposé à ça », explique-t-il à la rédaction. Et pourtant, ce site est la porte d'entrée en Europe de l'uranium depuis 1959. Le minerai importé de divers pays sous forme de concentré minier (yellow cake) est purifié et transformé sur le site en tetrafluorure d'uranium (UF4). Quels que soient les mots savants : de la merde ! En près de soixante ans, 500 000 tonnes d'uranium purifié ont été produites à Narbonne Malvési. Ce la représente environ le quart de la production mondiale d'uranium traité et c'est l'unique site européen. Tous les déchats solides et liquides de la production d'uranium à Narbonne ont été stockés ici durant les six dernières décennies. Cela constitue la plus importante décharge de déchets uranifères en Europe : 400 000 m² de boues de décentation sont stockés dans des bassins saturés côtoyant les cultures (vignes, céréales), proches des habitations riveraines et des premiers quartiers narbonnais.

André Bories, docteur en sciences, directeur de recherche honoraire à l'Inra et président de l'association Rubresus (association de protection et sauveharde de l'environnement des basses plaines de l'Aude) lutte depuis de nombreuses années pour dénoncer cette pollution : « Orano [ nouveau nom d'Areva, NDLR ] a choisi de retraiter les déchets liquides par un procédé thermique de combustion des nitrates avec du charbon. Ce procédé va valotiliser à 800 °C les effluents dans l'atmosphère. » Ce projet d'incinération a été nomé, sans rire, « Thor », par Orano.

Cerise sur le gâteau, à la suite d'une rupture de digue d'un des bassins en 2004, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a fait des prélèvements sur les boues qui se sont répandues aux alentours. Le verdict fut inattendu : des éléments radioactifs qui n'auraient jamais dû se trouver là comme le plutonium, l'américium ou le technétium ont été détectés. Le pot aux roses a été rapidement découvert : « En fait, entre 1960 et 1983, Malvési a recyclé en catimini de l'uranium », explique brièvement André Bories. En d'autres termes, le site a pratiqué de l'enrichissement non déclaré, et a contaminé les stocks de boues déjà contaminés par le nitrate. Double peine pour tous ! L'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a démontré en 2007 la présence de plutonium dans le blé d'un champ voisin. « Il y a du radon 222, un gaz radioactif qui s'échappe en permanence. Ce radon se transforme à son tour en produits radioactifs encore plus toxiques comme le polonium ou le plomb », ajoute André Bories. Quid des impacts sur la santé ? « L'IRSN cite un chiffre de 3000 décès par an en France par cancer du poumon attribué au radon, deuxième cause de cancer du poumon après le tabac. D'après nos calculs, pour le bassin d'habitation narbonnais, soit 80 000 habitants, le nombre de décès serait de 24 par an, soit 720 sur les trente dernières années d'activité maximale du site et 720 supplémentaires pour les trente prochaines années. » Le Radon de la Méduse, c'est une peinture grandeur nature peinte par Orano, que vous pourrez contempler pendant des millions d'années au musée en plein air de Malvési.

Heu ? Depuis quand le plomb est radioactif ? Depuis quand recycler est-il forcément un synonyme d'enrichissement ? Pour le reste : chaaaaud.

Dans le Siné mensuel d'octobre 2018.

Les marcheurs pour le climat et les gilets jaunes sont sur un bateau…

Quelques chiffres :

  • Nombre de participants aux marches pour le climat (8 septembre et 13 octobre 2018, j’ai retenu le max des deux) : environ 115 000 dans toute la France dont environ 50 000 à Paris selon les organisateurs. Environ 18 500 à Paris selon les flics donc environ 42 500 dans toute la France, si l'on fait le calcul inverse ;

  • Nombre de participants au mouvement des gilets jaunes : environ 290 000 personnes dans toute la France selon les flics.

Je reformule : une marche pour dire "arrêtons de foncer obstinément dans le mur, changeons drastiquement de modèle de société" a rassemblé environ 42 500 personnes là où une journée d'action pour dire "mouin mouin mon pouvoir d'achat, moi pas content car je vais payer plus cher mon énergie fossile qu'on me vend déjà moins chère que ce qu'elle coûte car son exploitation est subventionnée, mouiiiiiin, rien à foutre du climat et des autres, moi vouloir argent donc moins de taxes, d'impôts et de cotisations sociales" a rassemblé 290 000 personnes, soit un facteur d'environ 7 (environ 2,5 si l'on mélange les chiffres les plus favorables à chaque mouvement, même si leur source diffère).

Pour moi, la messe est dite : des actions concrètes pour lutter contre notre massacre écologique, ça sera pour demain, aujourd'hui chacun⋅e d'entre nous est plus occupé⋅e à penser à sa petite personne, à ses petits intérêts économiques (certain⋅e⋅s auront le culot de nommer ça « survie au quotidien »), à s'arrimer coûte que coûte à un mode de vie que la planète ne peut soutenir. Continuons ainsi, tout va bien se passer.

Aller, bonne semaine quand même.

L'Etat veut une Sécu aux petits soins

La réforme de la Constitution promise par Macron ne verra sans doute pas le jour avant janvier 2019, ou à la saint-glinglin. Pourtant, elle a déjà pris son envol lors du vote de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2019. Les députés ont été priés de faire comme si. L’article 7 de la réforme stipule en effet que « les projets de loi de financement de la Sécurité sociale et de finances (jusqu’ici séparés) [pouvaient] être examinés conjointement » par le Parlement. Pour l’opposition et certains syndicats, ces quelques mots annoncent l’annexion du budget de la Sécu par celui de l’Etat.

Sans attendre, quelques fouineurs ont déniché dans le projet de loi un tableau de chiffres retraçant les projections comptables pour chaque branche. Dans les trois années suivant 2019, le résultat de l’exercice tient à trois chiffres : 0,00. C’est-à-dire ni trou ni bénéfice. Un « ex—patron de la Sécu reformule : « Dorénavant, la Sécurité sociale n’affichera pas d’excédents, car ils seront versés en amont à l’Etat. » Les commentaires du gouvernement figurant en annexe de la loi a propos des prestations familiales sont d’ailleurs assez clairs : « Le solde de la branche restera équilibré, après prise en compte des transferts à l’Etat. »

Caisses de traite

Mais, pour qu’il y ait siphonnage — pardon, transferts —, encore faut-il qu’il y ait bénefs. Dans ce domaine, c’est la fête assurée : les allocations familiales, l’allocation personnalisée au logement et sept autres allocs (dont celles destinées aux personnes âgées et aux veuves) seront augmentées de 0,3 % seulement, soit beaucoup moins que le coût de la vie. Idem pour les retraités du régime général, dont la pension est « désindexée » de l’inflation. Au total, 6 milliards s’envoleront en 2019 du bas de laine des caisses sociales au profit de Bercy.

Avant même l’intégration totale au budget de l’Etat, les ponctions vont commencer par la fin des compensations. Depuis 1994, la loi imposait au gouvernement de reverser aux caisses de Sécurité sociale le manque à gagner résultant des allégements de cotisations patronales. C’est fini : les articles 5 et 7 stipulent que les allégements décidés par le gouvernement s’effectueront désormais sur le dos de la Sécu, et ce dès le rétablissement de l’exonération des cotisations pour les heures supplémentaires. Ces allégements représentent aujourd’hui une cinquantaine de milliards par an.

La Sécu est en passe de devenir l’une des plus belles vaches à lait de la République.

Dans le Canard enchaîné du mercredi 31 octobre 2018.

Dégage, avec ton Brésil !

Les brésiliens ont tiré le gros lot. Ils ont choisi pour président un phénomène tropical. Un député vulgaire, méprisé par ses pairs, paresseux qui, prétendant combattre le « politiquement correct » et le « système », a multiplié les provocations pour faire parler de lui, critiqué les médias et traité les journalistes d’imbéciles. Ce n’est pas en France qu’on connaîtrait pareil hurluberlu !

Un homme soi-disant « neuf », élu depuis vingt—sept ans et passé par une dizaine de partis sans avoir déposé plus de deux propositions de loi ! Le nouveau président du Brésil est un cas qui, en plus de cumuler tous ces avantages, s’assume ouvertement raciste dans une société métissée, homophobe — il préfère que son fils meure dans un accident plutôt que de le voir vivre avec un moustachu —, pleinement misogyne — il a eu une fille, « fruit d’une petite faiblesse » —, voire pire, quand il explique à une journaliste qu’il ne la violera pas parce qu’elle « ne le mérite pas », elle est trop « moche ».

Surtout, comme le dit joliment « Le Figaro » (31/10), habile dans la litote, Jair Bolsonaro est « démocrato-sceptique ». Il a un petit doute sur la démocratie, assimilée à la corruption des années Lula. Il lui préfère les régimes autoritaires où les armes, qu’il veut en vente libre, sont entre les mains des militaires qui gouvernent. Il a la nostalgie des généraux qui ont mis le pays au pas entre 1964 et 1985, mais il garde son esprit critique : plutôt que de beaucoup torturer, l’ armée aurait mieux fait de tuer la racaille communiste, dit-il.

En attendant, le vieux Le Pen est aux anges, qui prie pour ne pas mourir avant de voir la vague brune submerger vieux et nouveau mondes. Fifille Marine a adressé ses plus vives félicitations à Bolsonaro. L’Intemationale populiste est en train de s’étendre, de Trump à Salvini, d’Orbàn à Duterte. Et l’extrême droite, parfois venue de la gauche, s’installe comme une alternative à la démocratie avec ses têtes de Turc genre « le Juif Soros ». Quand le peuple a peur de l’insécurité, de l’immigration et s’indigne de la corruption, il vote pour qui prétend la combattre, même si le remède est pire que le mal. Il n’y a pas que le pronunciamiento qui amène les dictateurs au pouvoir : il y a les urnes, aussi.

La démocratie est de moins en moins à la mode, assimilée à un « système ». Place donc au « président antisystème », comme le dit encore « Le Figaro », qui a tout un tas de synonymes en magasin pour ne pas écrire « facho ». Les ennemis de la démocratie ont le vent en poupe, comme dans les années 30. Ils ont de la chance, le peuple n’a pas de mémoire. Le Brésilien a oublié les généraux, l’Allemand de l’Est Hitler, l’Italien Mussolini. A moins que ce ne soit l’inverse, que tous aient la nostalgie de ces hommes du pire. Saudade !

Dans le Canard enchaîné du 31 octobre 2018.

”La Piscine” bien arrosée

Enfin un budget qui va augmenter franchement : celui affecté aux barbouzes de la DGSE. En 2019, « la Piscine », sise boulevard Mortier, à Paris, devrait ainsi disposer de 342,922 millions d’euros pour financer ses investissements et de 465,281 millions pour payer son personnel.

A la fin de l’année prochaine, si l’on en croit les documents budgétaires du projet de loi de finances, la DGSE devrait compter 5 843 salariés. Et embaucher 200 ingénieurs ou techniciens, pour la plupart experts en cyberespionnage, en écoutes téléphoniques et en big data. Avis aux chômeurs…

Pour apprécier la générosité du gouvernement, il suffit de rappeler les sommes attribuées en 2018 à la DGSE : 285,62 millions pour les investissements et 445,6 millions pour le personnel. A comparer aux 342,922 millions et aux 465,281 millions de 2019. Soit 76,98 millions de mieux. Quel autre service de l’Etat peut se flatter d’une telle hausse de crédits ? La DGSE dispose aussi d’une autre source de financement qui, comme son budget propre, ne donne lieu à aucun débat devant les assemblées parlementaires : celui dit « des fonds spéciaux ». Leur enveloppe a été fixée pour 2019 à 67,19 millions d’euros.

Ces millions sont en principe, et ce depuis 2002, destinés à financer les actions clandestines de la DGSE, ainsi que celles de la DGSI (le Renseignement intérieur) et de la DRM (le Renseignement militaire). Il est d’usage que la dotation initiale soit régulièrement abondée par le budget de l’Etat au cours de l’année, pour atteindre près de 75 millions.

Sans plus de débat parlementaire ni plus d’explications venues du gouvernement.

Le budget 2018 de la DGSE était déjà en hausse par rapport à 2017 : +40 millions pour les salaires , +50 millions pour les investissements.

Dans le Canard enchaîné du 7 novembre 2018.

Le hold-up de l'État sur la fiscalité ”verte”

En 2019, malgré une hausse de 3,9 milliards des prélèvements “écolos”, les dépenses environnementales vont baisser de 400 millions.

Où passent les taxes « vertes » perçues sur l’essence, ces recettes censées dorloter l’environnement, auxquelles Macron et ses ministres ne cessent de proclamer leur attachement ? Pas toujours dans le financement de la transition écologique, malgré leur doux parfum de chlorophylle. En 2019, la quasi-totalité des nouveaux prélèvements « écolos » sera en effet redirigée vers le budget général de l’Etat, sans la moindre application verte

Cette mesure ne serait-elle qu’un prétexte pour augmenter la ponction fiscale ? L’examen des documents du budget pour 2019, que les commissions des finances de l’Assemblée et du Sénat sont en train de décortiquer, semble l’indiquer. A vos calculettes !

C’est vert mais pas juste

Côté recettes, l’an prochain, la part écologique des taxes sur les carburants (TICPE) va augmenter de 3,9 milliards par rapport à 2018. Et même de plus de 4,2 milliards, en comptant la TVA (lire ci-dessous).

Côté dépenses et aides aux ménages, censées accompagner la transition écologique, l’évolution est tout autre. Le « chèque énergie » (versé, pour compenser la hausse du prix des carburants, à ceux dont le revenu est proche du RSA) va augmenter de 120 millions par rapport à 2018. Le compte d’affectation spéciale écologie et la mission écologie recevront, pour leur part, 280 millions de plus que l’an dernier. Voilà pour les hausses.

Car la TVA réduite (5,5 %) sur les travaux dans les logements restera la même que l’année dernière (1,1 milliard). De même, l’augmentation du bonus automobile et de la prime de conversion pour acheter des véhicules plus propres sera intégralement compensée par la forte augmentation (300 millions) du malus auto.

Enfin, le crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE), qui permet de déduire de son impôt certaines dépenses domestiques réduisant la consommation d’énergie, va, lui, baisser… énergiquement. De 1,68 milliard cette année à 880 millions en 2019, soit 800 millions de moins.

Au total, face à la hausse des ponctions (3,9 milliards) au titre de la transition énergétique, on constate une baisse des dépenses environnementales : 400 millions ! Comble de l’ironie, le budget du ministère de l’Ecologie lui-même est en baisse, à missions constantes, de 23 millions.

Un petit dernier pour la route ? Le rétablissement de 1 milliard de taxe sur le gasoil non agricole va financer… la suppression du forfait social payé par les entreprises sur la participation et l’intéressement !

Le CO2 au service de l’emploi

Ce dévoiement de la fiscalité verte n’est pas inédit. Dans son rapport sur le budget de cette année, le rapporteur spécial de la mission écologie du Sénat, Jean-François Husson, notait ainsi que, sur les 3,7 milliards de prélèvements écologiques supplémentaires, seulement 180 millions étaient affectés aux dépenses nouvelles en faveur de l’environnement. La différence — plus de 3,5 milliards — va donc directement dans les caisses de l’Etat, qui en fait ce que bon lui semble.

Or les documents annexes du budget sont éloquents : la hausse des taxes carbone, indique un codicille au budget de 2018, « contribuera au financement des baisses de la fiscalité pesant sur le travail et le capital en vue de favoriser l’emploi et l’activité ». Mais pas à la protection de la nature ? De même, selon le rapporteur du Sénat, « entre 2014 et 2016, la hausse des produits de la fiscalité énergétique a principalement servi à compenser une partie du coût du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) » accordé aux entreprises.

Macron, dans un entretien accordé, le 4 novembre, à la presse régionale, le reconnaît de manière sibylline : « Je préfère la taxation du carburant à la taxation du travail. »

Pour l’instant, le rapport entre hausse de l’essence et baisse du chômage ne crève pas les yeux…


Les taxeurs taxés

Comme si la flambée des taxes sur l’essence ne suffisait pas, la TICPE supplémentaire perçue par l’Etat en 2019 — 3,9 milliards — est elle-même… taxée ! La TVA ainsi prélevée rapportera 345 millions d’euros. 4,25 nouveaux milliards vont donc être ponctionnés, sans aucun bénéfice pour l’écologie (voir ci-contre). La fiscalité française n’est jamais en retard d’une absurdité. Depuis près de trente ans, par exemple, une partie de la CSG — environ 2,5 % — réglée par les salariés (c’est-à-dire non perçue par eux) est imposable comme un revenu.

Au fait, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Pourquoi ne pas soumettre la TVA sur la TICPE à la CSG ? Ça rapporterait tout de même quelques centaines de millions de plus à l’Etat !


Avis d’experte

Segolène Royal réalise une rentrée politique tonitruante en s’élevant notamment contre la flambée des taxes vertes. « Vous ne pouvez pas, du jour au lendemain, taxer d’une façon aussi violente les automobilistes », a-t-elle ainsi déclaré sur RTL (23/10). L’ancienne ministre de l’Ecologie de Hollande sait de quoi elle parle : la suppression de l’écotaxe sur les poids lourds (notamment étrangers), qu’elle a décrétée en octobre 2014, a coûté plus de 1 milliard aux contribuables pour la seule rupture du contrat. A quoi s’ajoute un autre milliard annuel pour compenser les recettes que devaient procurer les portiques — une somme qu’elle avait récupérée… en augmentant la TICPE.

Rien ne vaut le zèle des pêcheurs repentis !

Dans le Canard enchaîné du 7 novembre 2018.

Quand la police a le droit de défourailler

Depuis les lois issues de l’état d’urgence, les policiers n'ont plus besoin d’invoquer la seule légitime défense pour faire usage de leurs armes. Un simple refus d’obtempérer peut mettre la vie du fuyard en péril. Welcome in the American way of life !

Comment la violence s’instaure dans une société humaine ? Qu’est-ce qui fait la différence entre la criminalité de l’Europe et celle des États-Unis (rapport de 1 à 35) ? Sans doute l’histoire du pays. En France, en revanche, le nombre d’armes à feu est logiquement contrôlé. Les personnes habilitées à en porter (police, armée, sécurité privée sur autorisation et chasseurs) sont répertoriées. Bien sûr, des armes circulent sous le manteau, utilisées à des fins de délinquance voire de terrorisme. L'exemple américain montre que l’usage des armes est une escalade sans fin. Plus il y a d'armes du côté des forces de l‘ordre, plus il y en a du côté de la délinquance, chacun étant persuadé de répondre à l’autre. Jusqu'à récemment, en France, l’usage d'une arme à feu par la police était défini par la légitime défense et donc par la mise en danger du policier lui-même, d’un collègue ou de toute autre personne menacée. Il y avait souvent des abus, des enquêtes de l’IGPN et parfois de sérieux doutes sur la réalité de la légitime défense. Depuis les lois antiterroristes du 28 février 2017, la police est autorisée - entre autres - à sortir le flingue en cas de « périple meurtrier » et lorsqu‘elle ne peut arrêter un véhicule dont les occupants sont « susceptibles de perpétrer des atteintes à la vie ».

On mesure là l’incroyable flou laissé à l’appréciation du policier souvent en stress, parfois jeune ou peu formé. L’usage des armes (autour de 500 fois depuis 2017, en augmentation de 30 %) se banalise et en particulier pour des refus d’obtempérer lors de contrôles de véhicule (1)… C’est le cas de Romain, 26 ans, qui a refusé de s’arrêter au barrage routier et qui a été abattu à Paris en août alors qu’il ne menaçait personne. À l’identique de ce jeune Nantais de 22 ans, le 3 juillet 2018 ou de cet autre le 30 août qui, circulant sur l’A9, a refusé de se soumettre au contrôle routier et a été abattu lors de sa fuite. Les policiers sont finalement dans leur droit, ils peuvent supposer que l’individu en question s’apprête à commettre un délit… Certes, mais on sait que dans la très grande majorité des cas, le refus d’obtempérer des automobilistes est dû à un défaut d’assurance, de permis ou à un état alcoolique.

Si l’on ajoute à ce triste constat la récente autorisation donnée aux policiers de garder leurs armes de service lorsqu’ils sont en civil, on comprend mieux comment s’instaurent sournoisement la banalisation de l’arme à feu, le recours systématique au fusil face à une menace ou à une violence qui, autrefois, auraient pu se régler à coups d’insultes, de bourre-pifs ou de fuite. Merde ! Là aussi, les Américains ont gagné la partie. Il n’y a plus qu’à attendre que les citoyens s'arment légitimement et nous y serons. Un chiffre ? 36252 morts par armes à feu aux États-Unis en 2016 !

(1) 63 % des armes à feu sont utilisées par des policiers sur des véhicules, 25 % sur des animaux, 10 % sur des personnes et 2 % pour le reste.

Dans le Siné mensuel d'octobre 2018.

J'ai testé ”Sugar Baby !”

Le concept est simple : *les Sugar Daddy ou Sugard Mama, hommes et femmes fortunés, offrent de l'argent ou des biens à des personnes bien plus jeunes qu'elles, les Sugar Babies, en échange d'une « relation ». Une prostitution qui ne dit pas son nom.

Graphisme sobre et épuré, Sugardaters.fr est un de ces sites de rencontre entre des hommes murs, aux portemonnaies plutôt bien garnis appelés ici Sugar Daddy, comprenez « Papa-Gâteau » avec des jeunes femmes, étudiantes pour la plupart, ayant des difficultés à boucler les fins de mois. La version « Maman-gâteau » existe aussi d’ailleurs. « Le SugarDating, c’est la recherche d’une histoire romantique et d’attraction hasée sur le respect et la confiance », précise la page d’accueil du site martelant a de nombreuses reprises que son utilisation est interdite « aux activités d’escorte ou similaire » et « pour vendre ou acheter des services sexuels » (1).

En octobre dernier, une enquête pour « proxénétisme aggravé » a été ouverte par le parquet de Paris contre le site Richmeetbeautiful.fr qui n’avait pas hésité à installer des panneaux publicitaires mobiles aux abords des facultés franciliennes pour inviter les étudiantes a sortir avec un Sugar Daddy ou une Sugar Mama plutôt que de souscrire des prêts étudiants !

En quelques clics je deviens à mon tour une grande Sugar Baby de 20 ans. La photo est obligatoire, c’est même la condition pour avoir accès à celle d’un Sugar Daddy. Je choisis l’option lunettes de soleil. Mon profil à peine validé que je reçois déjà un premier message de Darlands, 49 ans, homme d'affaire londonien, qui juge ma photo tronquée : « sexy ». En parallèle, je tente ma chance en suivant les pertinentes recommandations du site : « N'attendez pas qu'un homme vienne vous parler, et soyez la première a envoyer un message, vos rencontres n'en seront que meilleures ! » Un judicieux conseil, sans lequel je n'aurais peut-être jamais fait la connaissance de VT BM, 33 ans, qui à un classique « Bonjour comment ca va ? », répond un gracieux « As-tu une belle chatte qui aime l'argent ? ».

Par jour, seulement cinq demandes de contact sont possible, alors j'en profite au maximum en approchant pêle—mêle un médecin, un artiste et un fonctionnaire. Ils ont entre 33 et… 80 ans. Un mail me notifie qu'un membre me donne accès à ses photos privées. En cliquant, je prépare toujours mon esprit au pire, mais entre selfies peu avantageux et photo mal cadrés, y a rien de très croustillant. Le soir venu, le site s'active et je reçois mes premières demandes « d'arrangement », bel euphémisme ! VT BM est sans aucun doute le plus entreprenant : il me propose, non sans m'avoir auparavant poétiquement évoqué sa passion pour les « chattes ahsolument parfaitement épilées », 1500 euros par mois pour une relation exclusive avec lui afin que je m’occupe de « ses testicules ». Charitable, il se dit prêt à monter à 2000 euros si je suis vierge. A côté de ça, Darlands me propose 200 livres la nuit, en plus des frais de déplacement jusqu'à Londres. Pour TomThor, parisien, la cinquantaine, c'est plus arrangeant de venir a moi, et le pauvre projette avec entrain des dates pour me retrouver à Marseille, où il promet de « bien me traiter ».

HiddenCharms, tente une approche un peu plus romantique : « Coucou, tu es merveilleusement belle », m'écrit—il. Ce belge de 61 ans m’assure avoir travaillé à la Commission Européenne. Ses réponses sont longues et soignées. Il me dit ne pas payer les Babies et ne pas « avoir nécessairement de relations sexuelles » avec elles. Mais il finance tout de même le déplacement, le logement et des sorties pharaoniques à base de « cocktails et musique live » aux demoiselles en échange de leur compagnie. A savoir à quelle sauce je serais mangée sur place… Jim58, 60 ans, joue lui aussi sur son patrimoine pour espérer construire une relation à long terme avec moi : l'homme d'affaire danois m'énumère tous les caractéristiques et avantages qu'il y a a vivre dans sa « splendide villa en bord de mer » située sur la Côte d'Azur. J'ai presque l'impression qu'il veut me la vendre !

Les jours suivants, VT BM, à qui j'ai volontairement oublié de répondre, s'impatiente. Quand j'ai l'audace de lui demander ce qu'il veut faire avec moi, il dresse une liste de fantasmes sexuels si explicites et violents que j'en ai presque la nausée. Je comprends mieux pourquoi il paie si cher. Je le laisse tranquillement se noyer dans ses messages de relance lourdauds et désespérés. Abattue, je quitte le site au bout de deux jours, non sans une pensée pour les étudiantes en situation de précarité qui devront le rouvrir demain…

1 : Par mail, « l'équipe marketing » de Sugardaters, a répondu à nos questions par ce message : « tous les textes de profil sont approuvés manuellement et ne doivent pas contenir d'escorte ni d'invitations similaires. Un filtre automatique envoie tous les messages contenant des mots problématiques aux administrateurs, qui agissent si nécessaire. Tous les utilisateurs peuvent signaler d'autres prcfils en un seul clic. Tous les avis sont examinés manuellement par les administrateurs »

Dans le numéro d'octobre 2018 du Ravi, journal satirique en PACA.

Nestlé assoiffe Vittel

Bientôt, les habitants de Vittel ne pourront plus boire d’eau de Vittel : seul Nestlé Waters, la filiale spécialisée du géant suisse Nestlé, aura le droit de pomper l’eau qui se trouve dans la nappe phréatique située sous leurs pieds. Et il l’exportera à bon prix en Allemagne ou en Suisse sous la marque Vittel Bonne Source. Santé !

Jusqu’à présent, les 18 000 habitants des 45 communes situées autour de Vittel (Contrexéville, Bulgnéville, etc.) buvaient l’eau pompée 200 mètres sous terre dans l’immense nappe des grès du trias inférieur (37 200 km²), qui s’étend jusqu’au sud de l’Allemagne. Sous Vittel, celle-ci forme une poche isolée, imperméable et, du coup, très préservée des pollutions… Cette eau minérale et très pure fait la renommée de cette « Bonne Source ». Problème : elle se recharge très lentement et pas assez. Son niveau baisse de 5 à 10 cm par an. Le Bureau de recherches géologiques et minières a constaté que la nappe se vidait peu à peu et calculé qu’elle perdait chaque année 1,2 million de mètres cubes. Or deux clients consomment, à eux seuls, la moitié des 3,3 millions de mètres cubes qui y sont pompés chaque année : les fromageries Ermitage et l’usine Nestlé de Vittel, qui en avale 750 000 m3, soit autant que tous les habitants de Vittel.

Depuis 2009, préfecture et conseil départemental ont mis en place une commission de l’eau chargée de trouver le moyen de préserver la précieuse ressource. Et, en juillet dernier, ladite commission a trouvé la solution miracle : les habitants de Vittel et des alentours n’auront qu’à s’abreuver à partir des nappes situées sous les communes de Valfroicourt et Attignéville, à 15 km et 20 km delà.

Dialogue de source

Il suffira de construire un système de canalisations, certes légèrement coûteux, évalué au doigt levé entre 8 et 17 millions d’euros. Le contribuable paiera. Et, grand seigneur, Nestlé mettra la main à la poche, on ne sait pour combien. En attendant, des maires de municipalités concernées, comme Christian Franqueville, le maire de Bulgnéville, s’énervent : « On nous dit qu’il s’agit de préserver l’emploi. Mais, quand Nestlé a repris l’usine de Vittel, en 1992, il y avait 4 000 emplois. Il n’y en a plus que 900 ! On peut accepter de ne plus boire cette eau, mais il faut de vraies compensations. »

Contacté par « Le Canard », Franck Perry, le maire de Vittel, préfère le silence. De son côté, la préfecture confirme la tenue d’une concertation publique, qui devrait commencer début décembre.

Et glou et glou…

C'est à ce genre de projets que l'on mesure la stupidité et l'avidité humaine : une ville qui s'est fait allègrement déposséder de la nappe phréatique la plus proche ne pourra plus puiser son eau dans celle-ci sans qu'une société privée ne l'embouteille au préalable dans du plastique polluant, et ce, afin de laisser une quantité suffisante de cette eau à la disposition de ladite société privée dans l'optique qu'elle continue de réaliser une plu-value sur l'extraction de l'eau et la pollution plastique induite. C'est beau.

Dans le Canard enchaîné du 31 octobre 2018.

Rose manque d’humour

Dès le début, j’ai « expliqué que ça me blessait, j’ai dit qu’on ne pouvait pas rire de la Shoah, mais on est passé des blagues sur la Shoah à des saluts hitlériens, puis on invente un jeu qui s’appelle le “freespa” (contraction de “Frisbee” et “kippa"), le lancer de kippa, qu’on jette par terre. » Rose, 20 ans. étudiante en deuxième année de médecine à l’université Paris-XIII, a porté plainte, le 20 octobre, pour injures antisémites (Europe 1, 29/10).

Harcelée par un groupe d’élèves de sa fac, la jeune femme a dû renoncer à se rendre au week-end d’intégration annuel, de peur d’être de nouveau prise pour cible. « Vous, les Juifs, vous n’avez pas d’humour », lui a répliqué l’un des petits rigolos.

C’est vrai, quoi, c’est marrant comme tout, de classer sur Facebook les Juifs de la promotion avec un chiffre et une appréciation : « Juif niveau 31, impliqué mais capacité à traîner avec des guys », « Juive niveau 75, prestige 4, prête à tout pour sa communauté », « Juif niveau 2, il sait qu’il y a une fête qui s’appelle shabbat ». Mais n’est-ce pas encore plus tordant que de vouloir baptiser le week-end d’intégration de l’année prochaine « Auschwitz 2019 » ou « Rafle 2019 » , avec une photo d’un étudiant juif brûlant dans les flammes, comme en attestent les captures d’écran des conversations recueillies sur les réseaux sociaux ?

Une « blague » qui s’inscrit dans un comique de répétition. Le 17 octobre, des tags nazis ont été retrouvés dans les toilettes de l’université Panthéon-Assas (Paris-II). Cinq jours plus tôt, c’est dans une salle de classe de l’école de commerce HEC qu’une série de croix gammées ainsi qu’une inscription « Juden », en lettres rouges majuscules, ont été découvertes sur les murs. Là encore, des jeunes dénués de la moindre capacité d’autodérision l’ont mal pris.

Tout comme ont osé s’émouvoir des jeunes de Tolbiac (Paris-I) membres de l’Union des étudiants juifs de France, après que leur local a été saccagé, en mars, avec des inscriptions au mur telles que « A mort Israël ».

Aucun humour, décidément.

Yep, c'est pour rire. Comme les cartes postales antisémites dans les années 1920 n'étaient pas sérieuses, c'était juste "comme ça", "dans l'air du temps"… et puis c'est parti en sucette, mais, promis, c'était tonton Adolf le seul et unique très très vilain mézaaaaant pas beau, surtout pas toutes les ordures, y compris de la société civile, qui lui ont préparé le terrain, l'air du temps, les cervelles. Bis repetita ?

Dans le Canard enchaîné du 31 octobre 2018.

La justice laisse les policiers farfouiller librement dans la vie privée

Quasiment en secret, elle a donné à la PJ le droit de “réquisitionner” des documents sans l’aval d’un magistrat. Et la Chancellerie veut aller encore plus loin

Des poulets autorisés à picorer dans la vie privée de leurs concitoyens sans avoir à demander la permission à un magistrat ? Personne ou presque n’est au parfum — même pas les avocats —, mais ce scénario cauchemardesque est déjà une réalité, et il risque fort de se généraliser d’ici à la fin de l’année.

Depuis 2014 — plusieurs documents exhumés par « Le Canard » le prouvent —, la police judiciaire a discrètement reçu le droit de procéder à des « réquisitions » (la remise de documents publics ou privés) sans avoir à solliciter l’autorisation préalable d’un procureur. Le projet de loi de programmation sur la justice, qui sera débattu dans les prochains jours à l’Assemblée, va encore plus loin.

Tampon magique

Au prétexte de « simplifier » le boulot des forces de l’ordre et de les décharger d’une encombrante paperasserie, l’article 30 leur donne le droit de procéder librement à des réquisitions sur la vie privée des justiciables auprès d’organismes publics de type Urssaf, allocations familiales ou Pôle emploi. Pour se justifier, il suffira aux agents de déclarer qu’ils travaillent sur « enquête préliminaire » du parquet.

La garde des Sceaux, Nicole Belloubet, a ardemment défendu cette disposition en octobre devant le Sénat. Elle s’est inspirée de deux précédents. Dès 2014, le procureur de Paris, François Molins avait pris l’initiative de délivrer, en loucedé, une « autorisation permanente » permettant aux poulets de consulter quasiment sans contrainte les enregistrements des caméras de surveillance placées par « les banques, la RATP, la SNCF, les mairies des communes de petite couronne et les réseaux privés de vidéoprotection exploités dans les commerces et les établissements publics ».

Du coup, il suffisait à la PJ de rédiger elle-même les fiches de réquisition. Puis d’y donner un coup de tampon portant la mention « Sur autorisation du procureur de la République », et le tour était joué… Ironie du sort : aujourd’hui, le procureur Molins quitte son poste pour devenir procureur général de la Cour de cassation, le plus haut poste du parquet, où il sera chargé de veiller au respect par la justice de la « volonté du législateur ». Un expert !

Forte du précédent de 2014, la Chancellerie avait rédigé, le 8 septembre 2016, une circulaire ouvrant plus grandes encore les vannes. Passé, lui aussi, totalement inaperçu, ce texte a « simplifié » à tout-va, laissant aux procs le pouvoir de délivrer aux flics et aux gendarmes ces « autorisations permanentes » de réquisitions.

Curiosité débridée

Les possibilités presque infinies d’application de cette circulaire laissent rêveur. Avec elle, la PJ peut, par exemple, farfouiller librement dans les images de vidéosurveillance privées, se procurer les numéros de téléphone de tel ou tel citoyen, le détail de sa facture EDF ou de ses mouvements bancaires. Même traitement pour la liste du personnel d’une société, le nom des voyageurs sur une liaison aérienne ou l’identité des clients d’un site Internet.

Soucieuse de justifier cette entorse aux principes judiciaires, la Chancellerie s’était appuyée sur les plaintes de poulets qui râlaient contre le « temps consacré à l’accomplissement des diligences formelles ou d’exercice des droits (sic !)».

Un souhait exaucé dans le respect le plus parfait, bien sûr, de l’autorité de la justice et de la liberté des citoyens.

Dans le Canard enchaîné du 7 novembre 2018.

Alain bonne heure !

La violence dans les écoles, le philosophe Alain — pseudonyme d’Emile Chartier — n’ignorait pas le problème. Dans son « Propos » du 18 février 1909, il esquissait quelques solutions :

« Tout le monde connaît le mal ; personne n’ose en parler. Les professeurs eux-mêmes rougissent du chahut qu’on leur fait comme d’une maladie honteuse (…). L’administration connaît ces désordres, mais elle veut les ignorer. Elle laisse entendre, dès qu’on la pousse là-dessus, que le professeur est seul coupable. En quoi elle ment… C’est à peu près comme si un gendarme accusait de maladresse ceux qui se laissent assassiner. Non ; le rôle d’un jeune savant est d’instruire, et non pas de faire le garde-chiourme. Aux surveillants, aux censeurs, aux proviseurs il appartient de faire régner l’ordre. Et, dès qu’ils voudront bien agir énergiquement, le professeur fera sa classe en paix. Mais, tout au contraire, ils ont peur de tout, peur des parents, peur des amis des parents, peur du maire, peur du député. »

Difficile de prétendre que cet Emile parlait comme un Chartier !

Je nuance quand même ce texte : ce que cet auteur désigne sous les termes « chahut » et « désordre » devait être d'une ampleur bien moindre que ce que nous constatons de nos jours. Mais, il reste intéressant de constater que la violence dans les écoles et la peur des parents ne datent pas d'hier. Peut-être parce que rien n'a vraiment changé : comme l'exposent Aaron Swartz et Catherine Baker l'école est un lieu qui castre la curiosité naturelle des enfants, qui les formate à être de gentils moutons, qui les traumatise par l'effet de l'autorité et des interminables rabâchages, et les met en concurrence, ce qui génère forcément une forme de violence et de jemenfoutisme que l'on retrouve plus tard dans la société.

Dans le Canard enchaîné du 7 novembre 2018.

Nickel, le référendum !

« Une immense fierté », a tranché Macron, solennel, à Paris. « Il faut sou- ligner la qualité et la sérénité qui ont prévalu », a renchéri Philippe, à Nouméa. « Un scrutin dans les meilleures conditions de sérénité et de sincérité », selon la commission de contrôle. Le référendum en Nouvelle-Calédonie, organisé dimanche dans les règles de l’art — question et liste électorale validées par toutes les parties, observateurs de l’ONU sur place, incidents sporadiques —, quel triomphe !

Les voilà bien avancés, les Caldoches et les Kanaks. Tout le monde a gagné ou personne, au choix : les (autoproclamés) loyalistes, qui arrivent en tête, mais aussi les indépendantistes, premiers surpris d’un scrutin si serré et qui n’ont jamais été autant en position de force, et l’Etat, qui conserve pour l’instant son Caillou si stratégique.

« Ce référendum n’a rien résolu », a constaté l’inusable autonomiste Pierre Frogier. « On nous disait que les jeunes Kanaks contestaient leurs aînés, c’est le contraire », a analysé Roch Wamytan, du camp adverse (Calédonie Première, 5/11).

Une « immense fierté » très partagée !

Et un futur bourbier, un. :)

Dans le Canard enchaîné du 7 novembre 2018.

Fin du numerus clausus ? Belle annonce à deux balles du gouvernement !

Il aura fallu attendre le 18 septembre pour entendre du président de la République un discours politique sur la santé. Depuis sa nomination, la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, ne dispense que des prêches de gestionnaire qui manquent cruellement de vision politique. Elle s‘est encore récemment moquée des parlementaires de gauche en leur disant qu’ils se nourrissaient de la pauvreté. Tollé à l‘Assemblée nationale ! Mais au-delà du mépris, désormais érigé en principe par La République en marche, de tout ce qui n’est pas de sa pensée libérale, il y a le problème du fond.

L’annonce a été faite par le président Macron dans son discours : la fin du concours en médecine. Ah, la belle annonce à deux balles qui pourrait faire danser dans les facultés… mais qui semble un leurre ! Revenons sur ce concours qui a formaté des générations de médecins névrosés et qui a conditionné tout le système de santé.

Années 70 : le choc pétrolier plombe l’économie mondiale ; la France découvre le chômage et le déficit de la Sécu. La théorie des économistes est alors très simple : en diminuant le nombre de soignants, on régule l’offre et donc on fait baisser la demande. Évidemment, les premiers à soutenir ces idées furent les professeurs et les doyens des facultés de médecine, le plus souvent libéraux et presque tous de droite, comme aujourd’hui.

Désertions

Puis ce fut le tournant du début des années 80 où, toujours sur les conseils des économistes et des professeurs de médecine, le numerus clausus ou concours de fin de première année de médecine a chuté à moins de 4000 par an ! Délirant mais, à part les syndicats d’étudiants, aucun parti politique n’a protesté ! C’est ainsi qu'a commencé l‘élitisme. Dehors les étudiants qui ont fait philosophie, littérature ou autre! Place à des cerveaux cartésiens beaucoup plus aptes à absorber les seules priorités qui comptaient et qui comptent : la pensée unique des économies de santé. Exit les préoccupations de santé publique, oublié l’accès aux soins, et surtout l’allongement de l'espérance de vie, l’épidémie du Sida du début des années 80 et la dépendance des personnes âgées! Mais alors, me direz-vous, tous ces économistes et éminents professeurs de médecine (si prompts à défendre l’activité privée dans les hôpitaux publics et leur statut privilégié}, pourquoi n‘ont-ils pas prévu et vu ce qui se tramait pour le peuple et le système de santé ? Silence dans les rangs.

En 1995, la sélection est devenue encore plus drastique avec le plan Juppé. Chute du nombre de reçus au concours sous les 3700… Et, ce qui est rare devenant cher, la médecine est devenue le seul métier à connaître un plein emploi très lucratif. Mais surtout les médecins ont massivement déserté les postes trop lourds en termes de charge de travail comme les urgences ou la chirurgie publique !

La nature ayant horreur du vide, les gouvernements successifs ont alors exploité les pays émergents en engageant leurs médecins et en se fichant pas mal de la difficulté de l’accès aux soins dans ces pays. Ce pillage des praticiens a affaibli le système de santé dans de nombreux pays : Algérie, Maroc, Tunisie, Syrie, Mali, Sénégal… C’est l’époque des statuts de médecins à diplômes étrangers, qui fleurissent alors dans les hôpitaux publics. Ces médecins étrangers, payés 30 % de moins que les français, ont des statuts précaires. Le monde économique de la santé ne trouve alors rien à redire, malgré les grèves et les protestations des syndicats et malgré quelques mesures comme celle en 1997 du gouvernement Jospin pour en titulariser une partie. Mais personne ne touche au concours de médecine !

C'est la canicule de 2003 avec ses 20 000 morts en France (80 000 en Europe) qui bouleverse la donne. Au milieu des années 2000, deux ministres de la Santé, Philippe Douste-Blazy et Xavier Bertrand, augmentent le numerus clausus. Mais il est déjà trop tard. Les jeunes voulant faire médecine se retrouvent dans une concurrence délirante et une course au bachotage effrayante. Certains se suicident, d’autres fracassent leur jeunesse dans l’échec des deux premières années sans débouchés !

Tout est prêt désormais pour que fleurissent des boîtes privées très coûteuses de préparation au concours où les enseignants ne sont autres que les professeurs des facultés de médecine généralement payés en liquide ! Et, bien entendu, s’ajoute la réforme des études de médecine qui sursélectionne les étudiants. Comme si, au bout de six ans d’études et cinquante-quatre examens, ils n‘étaient pas déjà triés, ils ont créé un nouvel examen classant et validant en fin d’études avec des conférences privées de préparation! Les étudiants paient et les familles trinquent ! Les laboratoires pharmaceutiques se sont lancés eux aussi dans la préparation de cet examen de fin d'études avec l’intention probable de formater les cerveaux des futurs médecins.

Mafia ?

Du début à la fin donc, la sélection est à tous les étages avec une véritable organisation parallèle d’enseignement. Peut-on parler de mafia ? C’est un système organisé et extrêmement coûteux qui conduit les étudiants à une hypersélection intellectuelle et financière, comme s’il fallait reproduire indéfiniment la sociologie du film Sept morts sur ordonnance !

Pour les familles, les études de médecine sont longues et chères. Les étudiants qui n'ont pu réussir le concours de première année en France partaient en Belgique pour se former mais ce pays a mis fin a cette filière car il formait trop de médecins. Désormais, c’est la filière roumaine qui est à la mode. Mais ca se passe si difficilement pour eux que certains se sont suicides et que le Samu de Metz leur sert de support psychologique.

La disparition du numerus clausus est hélas une réponse insuffisante. C’est sur l’ensemble des études de médecine qu’il faut se pencher. Car il faudra bien une sélection puisqu’il est impossible de former 60 000 médecins par an ! Si on laisse les doyens et les professeurs de médecine décider seuls, il faut craindre le pire car il vont tenter de mettre en oeuvre l’idée qu’ils ont depuis bien longtemps en tête : la privatisation des études de médecine.

Il faut réussir a conduire cette réforme avec les syndicats étudiants et professionnels afin de moderniser le système de santé et cesser de contempler sa déliquescence au profit de systèmes corrompus. Mais je crains que la ministre, professeure de médecine, serve davantage les intérêts des seuls professeurs que celui du pays.

Dans le Siné mensuel d'octobre 2018.

Porno-chiotte

Judy, Lola, Sofia et moi par Robin D’Angelo (Goutte d’Or)

C’est l'un des rares jobs où les femmes sont plus payées que les hommes. Les féministes pourraient s’en réjouir, mais il n’y a pas de quoi. Parce qu’il aimait consommer du porno, le journaliste Robin D’Angelo a décidé d’aller voir derrière la caméra comment ça se fabrique. Il a plongé dans le monde du porno amateur français. Et ce qu’il a découvert est à pleurer.

On est loin du plaisir chanté par l’ex-pornstar Céline Tran dans sa bio très médiatisée, « Ne dis pas que tu aimes ça » (Fayard). On est au cœur de la misère du monde. De petits producteurs sans le sou et plutôt d’extrême droite sont à la recherche permanente d’actrices pour renouveler leur vivier. Dans des appartements minables, ils font tourner des jeunes filles fracassées dans leur enfance. Pas toujours jolies mais toujours exploitées. Le journaliste ne trouve pas de quoi bander, et il n’est pas le seul. Les hommes bandent mou et les actrices souffrent. L’une d’elles s’évanouit parce qu’un acteur a essayé de lui enfoncer le poing dans le vagin, une autre met trois jours à se remettre d’un « bukkake », un « vide-couilles » où une bande de males ejaculent sur une femme livrée à leur plaisir.

Dans ce monde du sexe misérable, il n’y a ni glamour ni excitation, pas même celle de la transgression. Il y a juste la douleur de femmes qui subissent une violence plus ou moins admise. Quand elle est trop grande, ou pas assez consentie, certaines actrices arrivent à se plaindre et réclament alors plus d’argent. Le porno amateur, ou l’acceptation de l’autodestruction pour payer les fins de mois. « Je comprends pas pourquoi les gens ils disent : “Merci, Jacquie et Michel”! C’est Michel qui se fait péter l’cul ? Non, c’est Lola. Alors, merci, Lola ! » résume ladite Lola, l’une des héroïnes de ce road-porn.

Celui qui profite de ce monde de misère, c’est pourtant bien Michel, 60 ans, ex-enseignant de Tarbes et fondateur du site de vidéos amateur Jacquie et Michel, qui règne en maître sur le secteur. La niche du porno amateur a fait sa fortune : 15 millions de chiffre d’affaires en 2016. Lui, au moins, a eu du cul dans la vie. Merci qui ?

Dans le Canard enchaîné du 7 novembre 2018.

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