Les brésiliens ont tiré le gros lot. Ils ont choisi pour président un phénomène tropical. Un député vulgaire, méprisé par ses pairs, paresseux qui, prétendant combattre le « politiquement correct » et le « système », a multiplié les provocations pour faire parler de lui, critiqué les médias et traité les journalistes d’imbéciles. Ce n’est pas en France qu’on connaîtrait pareil hurluberlu !
Un homme soi-disant « neuf », élu depuis vingt—sept ans et passé par une dizaine de partis sans avoir déposé plus de deux propositions de loi ! Le nouveau président du Brésil est un cas qui, en plus de cumuler tous ces avantages, s’assume ouvertement raciste dans une société métissée, homophobe — il préfère que son fils meure dans un accident plutôt que de le voir vivre avec un moustachu —, pleinement misogyne — il a eu une fille, « fruit d’une petite faiblesse » —, voire pire, quand il explique à une journaliste qu’il ne la violera pas parce qu’elle « ne le mérite pas », elle est trop « moche ».
Surtout, comme le dit joliment « Le Figaro » (31/10), habile dans la litote, Jair Bolsonaro est « démocrato-sceptique ». Il a un petit doute sur la démocratie, assimilée à la corruption des années Lula. Il lui préfère les régimes autoritaires où les armes, qu’il veut en vente libre, sont entre les mains des militaires qui gouvernent. Il a la nostalgie des généraux qui ont mis le pays au pas entre 1964 et 1985, mais il garde son esprit critique : plutôt que de beaucoup torturer, l’ armée aurait mieux fait de tuer la racaille communiste, dit-il.
En attendant, le vieux Le Pen est aux anges, qui prie pour ne pas mourir avant de voir la vague brune submerger vieux et nouveau mondes. Fifille Marine a adressé ses plus vives félicitations à Bolsonaro. L’Intemationale populiste est en train de s’étendre, de Trump à Salvini, d’Orbàn à Duterte. Et l’extrême droite, parfois venue de la gauche, s’installe comme une alternative à la démocratie avec ses têtes de Turc genre « le Juif Soros ». Quand le peuple a peur de l’insécurité, de l’immigration et s’indigne de la corruption, il vote pour qui prétend la combattre, même si le remède est pire que le mal. Il n’y a pas que le pronunciamiento qui amène les dictateurs au pouvoir : il y a les urnes, aussi.
La démocratie est de moins en moins à la mode, assimilée à un « système ». Place donc au « président antisystème », comme le dit encore « Le Figaro », qui a tout un tas de synonymes en magasin pour ne pas écrire « facho ». Les ennemis de la démocratie ont le vent en poupe, comme dans les années 30. Ils ont de la chance, le peuple n’a pas de mémoire. Le Brésilien a oublié les généraux, l’Allemand de l’Est Hitler, l’Italien Mussolini. A moins que ce ne soit l’inverse, que tous aient la nostalgie de ces hommes du pire. Saudade !
Dans le Canard enchaîné du 31 octobre 2018.