Dans “Le ministre est enceinte” (Seuil), Bernard Cerquiglini tente de calmer la querelle du genre.
En 2005, on pouvait lire dans « Le figaro » : « Chaussée d’escarpins à talons aiguilles et vêtue d’un coquet tailleur rose, le chancelier allemand a serré la main de Jacques Chirac. » Il s’agissait d’Angela Merkel et non d’une drag-queen… En 1991, à propos d’Edith Cresson, un confrère écrivait : « Le Premier ministre n’est pas vraiment inquiète. »
De ces incohérences, Bernard Cerquiglini, linguiste et universitaire, livre ici une chronique savante et souriante (il est aussi membre de l’Oulipo). Dans la féminisation des noms de métiers, des titres et des grades, qu’il approuve, il voit « un des changements les plus rapides et les plus étendus qu’ait connus notre langue. » Aucun militantisme : entre « purisme androcentriste » et « féminisme rudimentaire », il cultive l’art du compromis. Pour faire accoucher la langue de beaux enfants, cet homme est une vraie sage-femme.
Un peu de culture historique ne nuisant pas, Cerquiglini rappelle qu’avant l’« épuration linguistique qu’effectuèrent les grammairiens du XVIIe siècle », la féminisation des noms de métiers a prospéré sans tapage jusqu’en 1600. En cet heureux temps, personne n’était choqué d’aller chez la « boutonnière », la « poulaillère » et autre « tavernière ». Au sommet de l’Etat, Catherine de Médicis et Anne d’Autriche furent des « ré- gentes » et non des « régents » de France. Les puristes ne restaient pas inertes : Vaugelas s’offusquait d’entendre une femme dire : « Heureuse, je la suis » (il préconisait « je le suis »). A quoi Madame de Sévigné répondait : « Je croirais avoir de la barbe si je disais autrement. » Poil au complément !
Il est vrai que le féminin professionnel était souvent conjugal : l’« ambassadrice » resta longtemps l’épouse de l’ambassadeur. Aujourd’hui, une femme n’a pas besoin de mari pour être « préfète » ou « pharmacienne ». L’affaire est plus disputée pour « auteure », passé aujourd’hui dans l’usage. Mais la querelle persiste avec « autrice », qui heurte moins les esprits que les oreilles. Cerquiglini ne vote pas pour : « Son succès est imrobable. Nous-mêmes, sans pavoiser avons opté pour “auteure”. » Au fait, que reste-t-il des « doctoresses » et des « mairesses » d’antan ?
Dans la partie la plus technique du livre, l’auteur plaide pour un masculin « générique non spécifique », pouvant désigner un groupe mixte, pas exclusivement mâle. Ainsi, « tous les voyageurs sont priés de descendre » ne devrait offenser personne : pas besoin d’alourdir le message avec « tous les voyageurs et les voyageuses ». Ajouter le féminin est possible mais ouvre sur un autre sens : « Les candidats et les candidates passeront une épreuve de natation » souligne que tout le monde est désormais dans le même bain.
Tant pis pour les puristes, qui ne s’appellent plus Vaugelas mais « académiciens ». Cerquiglini raconte avec verve le combat d’arrière-garde mené par ces messieurs-dames de la Coupole, admettant aujourd’hui, l’épée dans les reins, « docteure » et « proviseure ». Quant à l’écriture inclusive, qui n’est pas le vrai sujet du livre, elle n’est pas la tasse de thé de l’auteur, opposé au « point médian » (« les candidat.e.s »).
Heu ? Je ne sais pas si l'erreur vient du Canard ou de l'œuvre, mais « candidat.e.s » n'est pas féminisé avec des points médian (sinon, cela aurait donné : candidat⋅e⋅s).
Certains prétendent que, informée de cette position, Hélène Carrère d’Encausse, secrétaire perpétuelle de l’Académie française, se serait exclamée : « Heureuse, je la suis ! »
Dans le Canard enchaîné du 7 novembre 2018.