Judy, Lola, Sofia et moi par Robin D’Angelo (Goutte d’Or)
C’est l'un des rares jobs où les femmes sont plus payées que les hommes. Les féministes pourraient s’en réjouir, mais il n’y a pas de quoi. Parce qu’il aimait consommer du porno, le journaliste Robin D’Angelo a décidé d’aller voir derrière la caméra comment ça se fabrique. Il a plongé dans le monde du porno amateur français. Et ce qu’il a découvert est à pleurer.
On est loin du plaisir chanté par l’ex-pornstar Céline Tran dans sa bio très médiatisée, « Ne dis pas que tu aimes ça » (Fayard). On est au cœur de la misère du monde. De petits producteurs sans le sou et plutôt d’extrême droite sont à la recherche permanente d’actrices pour renouveler leur vivier. Dans des appartements minables, ils font tourner des jeunes filles fracassées dans leur enfance. Pas toujours jolies mais toujours exploitées. Le journaliste ne trouve pas de quoi bander, et il n’est pas le seul. Les hommes bandent mou et les actrices souffrent. L’une d’elles s’évanouit parce qu’un acteur a essayé de lui enfoncer le poing dans le vagin, une autre met trois jours à se remettre d’un « bukkake », un « vide-couilles » où une bande de males ejaculent sur une femme livrée à leur plaisir.
Dans ce monde du sexe misérable, il n’y a ni glamour ni excitation, pas même celle de la transgression. Il y a juste la douleur de femmes qui subissent une violence plus ou moins admise. Quand elle est trop grande, ou pas assez consentie, certaines actrices arrivent à se plaindre et réclament alors plus d’argent. Le porno amateur, ou l’acceptation de l’autodestruction pour payer les fins de mois. « Je comprends pas pourquoi les gens ils disent : “Merci, Jacquie et Michel”! C’est Michel qui se fait péter l’cul ? Non, c’est Lola. Alors, merci, Lola ! » résume ladite Lola, l’une des héroïnes de ce road-porn.
Celui qui profite de ce monde de misère, c’est pourtant bien Michel, 60 ans, ex-enseignant de Tarbes et fondateur du site de vidéos amateur Jacquie et Michel, qui règne en maître sur le secteur. La niche du porno amateur a fait sa fortune : 15 millions de chiffre d’affaires en 2016. Lui, au moins, a eu du cul dans la vie. Merci qui ?
Dans le Canard enchaîné du 7 novembre 2018.