Bientôt, les habitants de Vittel ne pourront plus boire d’eau de Vittel : seul Nestlé Waters, la filiale spécialisée du géant suisse Nestlé, aura le droit de pomper l’eau qui se trouve dans la nappe phréatique située sous leurs pieds. Et il l’exportera à bon prix en Allemagne ou en Suisse sous la marque Vittel Bonne Source. Santé !
Jusqu’à présent, les 18 000 habitants des 45 communes situées autour de Vittel (Contrexéville, Bulgnéville, etc.) buvaient l’eau pompée 200 mètres sous terre dans l’immense nappe des grès du trias inférieur (37 200 km²), qui s’étend jusqu’au sud de l’Allemagne. Sous Vittel, celle-ci forme une poche isolée, imperméable et, du coup, très préservée des pollutions… Cette eau minérale et très pure fait la renommée de cette « Bonne Source ». Problème : elle se recharge très lentement et pas assez. Son niveau baisse de 5 à 10 cm par an. Le Bureau de recherches géologiques et minières a constaté que la nappe se vidait peu à peu et calculé qu’elle perdait chaque année 1,2 million de mètres cubes. Or deux clients consomment, à eux seuls, la moitié des 3,3 millions de mètres cubes qui y sont pompés chaque année : les fromageries Ermitage et l’usine Nestlé de Vittel, qui en avale 750 000 m3, soit autant que tous les habitants de Vittel.
Depuis 2009, préfecture et conseil départemental ont mis en place une commission de l’eau chargée de trouver le moyen de préserver la précieuse ressource. Et, en juillet dernier, ladite commission a trouvé la solution miracle : les habitants de Vittel et des alentours n’auront qu’à s’abreuver à partir des nappes situées sous les communes de Valfroicourt et Attignéville, à 15 km et 20 km delà.
Dialogue de source
Il suffira de construire un système de canalisations, certes légèrement coûteux, évalué au doigt levé entre 8 et 17 millions d’euros. Le contribuable paiera. Et, grand seigneur, Nestlé mettra la main à la poche, on ne sait pour combien. En attendant, des maires de municipalités concernées, comme Christian Franqueville, le maire de Bulgnéville, s’énervent : « On nous dit qu’il s’agit de préserver l’emploi. Mais, quand Nestlé a repris l’usine de Vittel, en 1992, il y avait 4 000 emplois. Il n’y en a plus que 900 ! On peut accepter de ne plus boire cette eau, mais il faut de vraies compensations. »
Contacté par « Le Canard », Franck Perry, le maire de Vittel, préfère le silence. De son côté, la préfecture confirme la tenue d’une concertation publique, qui devrait commencer début décembre.
Et glou et glou…
C'est à ce genre de projets que l'on mesure la stupidité et l'avidité humaine : une ville qui s'est fait allègrement déposséder de la nappe phréatique la plus proche ne pourra plus puiser son eau dans celle-ci sans qu'une société privée ne l'embouteille au préalable dans du plastique polluant, et ce, afin de laisser une quantité suffisante de cette eau à la disposition de ladite société privée dans l'optique qu'elle continue de réaliser une plu-value sur l'extraction de l'eau et la pollution plastique induite. C'est beau.
Dans le Canard enchaîné du 31 octobre 2018.