La corbeille était bien remplie : les investisseurs internationaux se sont rués sur l’emprunt de 7 milliards lancé par la France le 19 février. En un clin d’œil, les financiers du monde entier ont proposé 31 milliards. Et en acceptant un taux d’intérêt riquiqui : 1,6 % sur trente ans, couvrant à peine l’inflation !
Explication du mystère : pour sortir de la crise de 2008, les banques centrales — BCE en tête — font tourner la planche à billets afin de relancer l’activité. Et il y a tellement d’argent que les occasions d’investir manquent. Les emprunts publics des Etats restent les plus sûrs, même ceux des pays qui ne sont pas des modèles de rigueur financière. Et, depuis que l’Allemagne a considérablement réduit ses emprunts — pour cause d’excédent budgétaire —, la France, réputée pour sa capacité à lever des impôts et, donc, à rembourser, est devenue la chouchoute de la finance.
D’autant plus qu’une étude de la Banque de France (« Les Echos », 26/2) vient de révéler que la baisse des taux devrait permettre à la France de diminuer les remboursements annuels de sa dette d’environ 12 milliards d’ici à 2021, soit le montant du cadeau fait par Macron aux gilets jaunes.
La finance n’est plus l’ennemie de Macron — pas plus, d’ailleurs, qu’elle ne l’était de Hollande : la réduction du déficit pendant son quinquennat a été due pour moitié, selon la Cour des comptes, à la baisse des taux d’intérêt.
Dans le Canard enchaîné du 27 février 2019.
La peu voyante mais efficace Commission des clauses abusives (CCA) a cessé ses activités le 14 février. Ce jour-là, par un vote à l’unanimité, ses 22 membres et son président, Vincent Vigneau, ont fait savoir par courrier à Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie, qu’ils cessaient de siéger. Il faut dire qu’avec ses 25 000 euros annuels cette institution coûtait un pognon de dingue !
La CCA examinait et véfifiait les contrats proposés aux consommateurs : un travail fort utile, tant chacun néglige les interminables et obscures « conditions particulières » dont raffolent assureurs, fournisseurs d’accès à Internet, opérateurs téléphoniques et autres vendeurs…
Relevant et analysant tout ce qui lui semblait « abusif », la Commission le signalait aux autorités compétentes. Son rapport, transmis aux cours et tribunaux, alimentait les juges, qui piochaient dedans pour comprendre les contrats et étayer leurs décisions.
Hélas, tout cela revenait bien trop cher ! Entre l’énorme indemnité annuelle de 1 600 euros versée à son président et les royales vacations de ses membres, professeurs de droit, magistrats ou consommateurs, allant de 25 à 70 euros la séance… Pour Bercy, une division par cinq de ce budget somptuaire s’imposait.
« La Commission prend acte de l’impossibilité de poursuivre ses travaux, écrit son président, faute de budget suffisant… » Et d’évoquer « des conséquences dommageables, au détriment des consommateurs ».
Indignation à Bercy, où l’on allègue une reconduction du budget de l’an dernier : 5 000 euros, plus 4 000 euros de frais de fonctionnement. Très légère erreur : l’an dernier, la CCA n’ayant été renouvelée qu’en juin, elle avait travaillé durant cinq mois à peine. D’où cette enveloppe réduite.
Avec ou sans une clause abusive ?
Dans le Canard enchaîné du 27 février 2019.
De gros poufs rouges siglés Coca-Cola et des canettes de soda à volonté. Le 31 janvier à Bucarest la première « réunion informelle » du Conseil de l'Union européenne, dont la Roumanie détient la présidence pendant six mois, était sponsorisée par la multinationale américaine ! Sur les banderoles, on pouvait même lire : « La firme Coca-Cola est fière de soutenir la première présidence roumaine du Conseil de l’Union européenne. »
Pour rappel, le Conseil de l'Union européenne est le co-législateur européen avec le Parlement européen. Un peu comme le Sénat est le co-législateur de l'Assemblée nationale.
Si incroyable que cela puisse paraître, tout pays qui préside cette instance politique a le droit de nouer des accords de sponsoring avec qui lui chante. Du moins, pour les « réunions informelles » — comprenez : celles qui n'ont pas pour vocation d'adopter un texte mais seulement de discuter pour se mettre d'accord.
En 2011, lors de la présidence polonaise, Coca-Cola avait déjà été choisi comme partenaire. Contacté par « Le Canard », le secrétariat général dudit Conseil explique, un brin embarrassé : « Il ne s'agit pas de financements mais d'avantages en nature. » Nous voilà rassurés.
Après avoir remporté un appel d'offres, Coca-Cola Roumanie sera donc, jusqu'à la fin juillet, l'un des partenaires « platinium » de la présidence roumaine. Un mélange des genres effervescent, vu que la création d’une taxe sur les produits sucrés et la mise en place d’un étiquetage nutritionnel plus limpide pour le consommateur devraient bientôt figurer au menu des discussions du Conseil de l'Union européenne, chargé de négocier et d'adopter les textes législatifs de l'UE. Or les fabricants de soda ont décidé de torpiller ces deux mesures mises sur la table au nom de la lutte contre le diabète sucré et l'obésité, qui frappe désormais 17 % d’Européens. Rappelons que le sucre est encore plus délétère absorbé sous forme liquide et qu'une canette de Coca-Cola en contient l'équivalent de sept morceaux. Quand on aime…
Furibarde contre ce « lobbying déguisé », l'ONG Foodwatch, qui pourfend la malbouffe, vient de se tendre d’une lettre ouverte au gouvernement roumain pour lui demander de mettre fin illico à ce parrainage. Et de lancer, dans la foulée, une pétition afin que les « réunions informelles » du Conseil de l'Union européenne ne puissent plus être sponsorisées.
Du côte de Coca-Cola Roumanie, on assume, tout en précisant qu'il y a d'autres partenaires, comme l'association des brasseurs roumains… Deux lobbys qui pétillent !
Dans le Canard enchaîné du 27 février 2019.
La réforme de la justice a suscité une adhésion massive ! Lors de sa lecture définitive à l’Assemblée, elle a été adoptée, le 19 février, par 31 voix « pour » et 11 « contre »… sur 577 députés. C’est dire le nombre d’élus LRM qui préféraient ne pas voir ça…
Non seulement cette loi accroît sans modération les pouvoirs de la police et du parquet au détriment de juges indépendants, mais elle dissout aussi les tribunaux d’instance dans ceux de grande instance. Après la disparition des commissions d’action sociale et des tribunaux du contentieux de l’incapacité, il ne restera bientôt presque plus rien de la « justice de proximité », ces juges de paix fins connaisseurs des particularités locales.
Autre nouveauté : la création d’une « juridiction nationale des injonctions de payer », dédiée à une procédure qui, déjà expéditive, va encore accélérer. Confrontées à des échéances impayées, les banques, assurances, sociétés de crédit et de recouvrement adressent aujourd’hui au juge d’instance une requête avec justificatifs. Après vérification, le magistrat peut délivrer une « injonction », et il n’y a plus qu’à envoyer un huissier encaisser l’argent ou saisir les biens ; le mauvais payeur a un mois pour faire opposition. En cas de contestation (une procédure concernant 4 % des 470 000 injonctions délivrées chaque année, dont la moitié tourne autour de 2 000 euros), l’affaire passe en audience.
Salauds de pauvres
Demain, avec la nouvelle juridiction, fini le contrôle des juges d’instance ! Les deux magistrats et la vingtaine de greffiers affectés au nouveau tribunal feront tourner une procédure sur Internet entièrement « dématérialisée ». Pour le plus grand bonheur des organismes de prêt et de recouvrement, amis des surendettés…
« La balance penche en faveur des organismes de prêt et de recouvrement. Cela revient à retirer des droits et l’accès au juge pour les consommateurs, s’indigne Gilles Sainati, du Syndicat de la magistrature. Tout sera automatique, on supprime ce qui pouvait faire tampon et amortir la détresse financière des gens ! »
Et encore : au départ, les audiences devaient être totalement supprimées. Belloubet, la garde des Sceaux, a fini par admettre qu’il fallait les conserver pour les 4 % de contestations et les demandes en délais de paiement. « Les pauvres gens vont se casser les dents sur ce cybertribunal », ajoute Gilles Sainati. Comme si tout était fait pour les décourager.
Qu’en pense le Conseil constitutionnel, saisi de la loi dès son adoption ?
Dans le Canard enchaîné du 27 février 2019.
Il a osé qualifier d’échec stratégique la guerre menée en Syrie sous l’égide des Américains.
Auteur d’un article « militairement incorrect » paru en février dans la revue « Défense nationale », le colonel François-Régis Legrier est menacé de sanctions. Avec l’aval de l’Elysée, la ministre Florence Parly a demandé à l’état-major des armées de convoquer et de punir cet insolent. La revue qui a publié ce texte n’a pourtant rien d’un manifeste antimilitariste. Hébergée dans les célèbres locaux de l’Ecole militaire, elle est éditée sous la responsabilité du général de réserve Jérôme Pellistrandi, rédacteur en chef, et de Thierry Caspar-Fille-Lambie, ancien inspecteur général des armées, et tous deux sont censés savoir lire. Aujourd’hui, après les reproches véhéments de Parly, ils reconnaissent avoir « manqué de discernement », et le sulfureux article a été retiré du site Internet de la revue.
Cette tempête sous les képis a provoqué un certain malaise dans la hiérarchie militaire et au Quai d’Orsay, où de nombreux diplomates partagent le constat dressé par le colonel Legrier sur la guerre menée en Syrie par la coalition internationale, dont la France fait partie. Mais, à entendre d’autres officiers, le colonel n’aurait jamais dû rédiger un article dans lequel il pose cette impertinente question : « Victoire tactique, défaite stratégique ? » Les lecteurs militaires ou civils de « Défense nationale » pourraient en déduire que Macron est un mauvais chef de guerre, ce qui serait désolant pour sa réputation.
« La bataille de Hajin a été gagnée, écrit le colonel, mais (…) à un coût exorbitant et au prix de nombreuses destructions. Certes, les Occidentaux, en refusant d’engager des troupes au sol, ont limité les risques et, notamment, [celui] d’avoir à s’expliquer devant l’opinion (…). Extrêmement à l’aise pour remplir les grands états-majors multinationaux d’une ribambelle d’ofiiciers, les nations occidentales n’ont pas eu la volonté d’envoyer 1 000 combattants aguerris régler en quelques semaines le sort [de Hajin] et d’épargner à la population des mois de guerre. »
Villes et villages détruits
Vient ensuite ce constat : « Nous avons donné à la population une détestable image de ce que peut être une libération à l’occidentale (…). La question qui se pose est de savoir si [cette libération] ne peut se faire qu’au prix de la destruction des infrastructures (hôpitaux, lieux de culte, routes, ponts, habitations, etc.). C’est là l’approche assumée, sans complexe, hier et aujourd’hui, par les Américains, ce n’est pas la nôtre (…). La bataille ne se résume pas à détruire des cibles comme au champ de foire. » En résumé, le colonel met indirectement en cause l’Elysée, qui a admis, en Syrie comme en Irak, la conception américaine de la guerre : détruire depuis le ciel, et grâce à l’artillerie, les villes et villages détenus par des djihadistes. Remarque d’un expert militaire : « En incriminant ainsi l’allié américain, cet officier a franchi la ligne blanche. » Peut-être, mais n’a-t-il pas raison ?
D’octobre 2018 à février 2019, le colonel a été, en Irak et aux frontières de la Syrie, le patron de la task force « Wagram » (avec ses canons Caesar — de 6 à 8 coups à la minute), et il sait de quoi il parle. Depuis leur entrée en action, en 2016, ces canons à très longue portée (42 km) ont balancé 10 000 obus pour la reconquête de Mossoul, en Irak, et 3 500 pour la reprise de Baghouz, en Syrie. On doit reconnaître à cet artilleur une relative franchise quant aux ravages provoqués par sa propre artillerie.
Pour sa défense, face à la ministre Parly et aux généraux qui l’accusent de « manquement au devoir de réserve », le colonel pourrait invoquer les encouragements lancés à ses subordonnés par le général François Lecointre, chef d’état-major des armées. A diverses reprises, et le 18 janvier encore, il les a incités « à prendre le temps d’écrire (…) et à tirer les enseignements » de leurs missions. Car, dit-il, « lorsqu’elle se porte sur le fait militaire, la pensée n’a pas pour vocation unique d’explorer la conduite de la guerre. Elle permet également (…) d’explorer les pistes qui permettent de l’éviter ou de la prévenir ». Le général Lecointre osera-t-il défendre un officier qui l’a pris au mot ?
Par le plus grand des hasards, un rapport de la mission d’assistance des Nations unies donne indirectement raison au colonel Legrier. Publié le 24 février, ce texte pointe le nombre record de civils afghans tués l’an dernier — 10 998, parmi lesquels 927 enfants. Les talibans, les terroristes de Daech et ceux d’Al-Qaida ne sont pas les seuls responsables de ces massacres. Le rapport de l’ONU incrimine explicitement l’antiterrorisme aérien pratiqué par l’US Air Force.
Donald Trump va pouvoir encore clamer que l’ONU fait partie des ennemis de la Grande Amérique.
Dans le Canard enchaîné du 27 février 2019.
Si l'entrée en vigueur de la loi Alimentation, le 1er février, n’a pour l’instant pas provoqué l’explosion des prix annoncée, les paysans ne devraient pas pour autant récolter beaucoup de blé… A en croire une minutieuse étude publiée le 21 février, le noble objectif de la loi — obliger les enseignes à augmenter leurs marges pour mieux rémunérer les agriculteurs — est bloqué en rase campagne.
L’Institut de recherche et d’innovation (IRI, qui a étudié des dizaines de millions de tickets de supermarché, relève que l’instauration d’une marge minimale de 10 % sur quelque 4 000 « produits d’appel » vendus par les grandes surfaces n’a eu aucun effet sur les prix. Contrairement aux prévisions alarmistes — Michel-Edouard Leclerc annonçait « une perte de pouvoir d’achat de 1 milliard pour les consommateurs » —, le coût du « Caddie moyen » entre le 15 janvier et le 15 février est resté stable.
Marge ou creve
Pourtant, le prix facturé par les industriels des produits d’appel — ces marques nationales (Coca-Cola, Ricard, Nescafé, Nutella, etc.) longtemps vendues à prix quasi coûtant pour attirer la clientèle — a bel et bien augmenté : entre 1 et 10 %. Le surcroît de chiffre d’affaires sert, théoriquement, à mieux rémunérer leurs fournisseurs agricoles. Sauf que, explique une porte-parole de l’IRI, « les étiquettes n’ont globalement pas augmenté, car la hausse sur les produits visés par la loi a été compensée par la baisse des prix d’autres produits, notamment ceux mis en vente sous les marques de distributeurs, proposés par les grandes surfaces ».
« En pleine crise des gilets jaunes et du pouvoir d’achat, il ne s’agit pas de faire fuire les clients, confirme Michel-Edouard Leclerc. Il faut compenser les hausses par des baisses, pour que les prix ne montent pas. »
Surfaces et attrapes
Une mesure qui, paradoxalement, peut bénéficier aux grandes surfaces. Exemple : obligée par la loi d’augmenter de 10 % le prix des Petit LU, une enseigne pourra baisser d’autant le prix de ses propres petits-beurre. « Les marques de distributeurs ne sont pas soumises aux marges minimales », précise Richard Girardot, président de l’Association nationale des industries alimentaires.
Ce n’est pas chez Carrefour qu’on le contredira: « Nous accordons à nos clients une prime allant jusqu’à 1,50 euro sur chaque produit concerné par la hausse de marge, explique une responsable de la chaîne. A quoi s’ajoute une réduction de 10 % concernant les futurs achats de ces produits. » Des avantages qui ne seront accordés que lors de la prochaine visite, histoire de fidéliser la clientèle…
« Le distributeur fait ce qu’il veut de son surcroît de marge », confirme Patrick Bénézit, un proche collaborateur de Christiane Lambert, la présidente de la FNSEA. Et d’ajouter : « Nous avons toujours pensé qu’une partie de la hausse des marges profiterait aux consommateurs. La grande question est de savoir s’ils vont nous en rendre aussi une partie. » Il y a bien eu quelques accords sur le lait, « mais ils restent encore au-dessous du prix de production ».
Lors des grandes négociations annuelles entre industriels et grandes surfaces (qui se terminent le 28 février), « les distributeurs ont demandé aux industriels de l’agroalimentaire de baisser leurs prix en moyenne de 3 % par rapport à 2018. Et la moitié d’entre eux ont déjà signé », indique Richard Girardot. Voilà qui ne va pas forcément favoriser les producteurs agricoles !
Et si — affreuse hypothèse — les distributeurs ne faisaient pas « ruisseler » sur les paysans leur surcroît de marges commerciales ? Didier Guillaume, le ministre de l’Agriculture, prévient : « La DGCCRF va faire 6 000 contrôles. En cas d’anomalie, d’exagération, il y aura des sanctions pécuniaires. » Invité par « Le Canard » à fournir des précisions, son conseiller en communication a fait savoir que, « trop occupé au Salon de l’agriculture, il n’a[vait] pas le temps de répondre ».
Il a déjà commencé les contrôles dans les stands ?
Renforcer les marques distributeurs donc la nourriture bas de gamme en utilisant une loi visant à maintenir en vie les producteurs de nourriture un peu plus saine… Jolie culbute, il faut le reconnaître…
Dans le Canard enchaîné du 27 février 2019.
Cela va mieux entre l’Italie et la France. La preuve, notre ambassadeur a repris l’avion pour Rome. Et, surtout, comme nous l’apprend « Le Parisien » (13/2), « magistrats transalpins et français [se sont réunis mercredi et jeudi derniers] à Paris pour évoquer le sort des ex-activistes d’extrême gauche réfugiés dans l’Hexagone ».
C’est l’une des ohsessions du ministre italien de l’Intérieur, le néofasciste Matteo Salvini : récupérer les « brigadistes » des années 70, qui seraient une quinzaine en France. Après tout, Salvini a réussi son coup avec la Bolivie pour Cesare Battisti.
Pourquoi pas avec la France ?
Dans le Canard enchaîné du 20 février 2019.
Il va être encore moins facile pour le gouvernement d’expliquer pourquoi il veut privatiser Aéroports de Paris (ADP). La boîte, qui gère notamment Roissy et Orly, vient en effet de publier ses résultats, et ils sont excellents. Propulsé en 2018 numéro 1 mondial de la gestion aéroportuaire (« Le Figaro », 15/2), ADP a vu son bénéfice progresser de 6,9 % en un an. Tout comme le dividende qu’il va verser à l’Etat ‘ environ 180 millions.
C’est là que le bât blesse. Le gouvernement prévoit de vedre ses 50,6 % du capital d’ADP pour environ 7,5 milliards (après indemnisation des actionnaires minoritaires) et de les placer à 2,50 % pendant cinquante ans pour financer des start-up innovantes.
Mais ce revenu — environ 185 millions, soit le montant d’ores et déjà atteint par le dividende en 2018 — restera fixe pendant un demi-siècle. Au contraire du dividende, qui, lui, n’arrête pas d’augmenter. Il a ainsi plus que doublé en dix ans (82 millions en 2009) et a de très beaux jours devant lui : ADP prévoit d’augmenter de moitié le nombre de ses voyageurs d’ici à 2030. L’Etat va donc enregistrer un manque à gagner de plus en plus important au fil des ans.
Il y a au moins un talent qu’on ne peut enlever à l’Etat : se faire rouler des qu’il privatise ses pépites.
Gros +1, malheureusement…
Dans le Canard enchaîné du 20 février 2019.
Depuis des mois, le journaliste Alain Jeannin et des petits copains de France Télés mitraillent sur Twitter pour défendre le projet minier de la Montagne d’or, en Guyane, « une mine responsable », « un bel avenir et du travail » (22/1 ). Explication : Jeannin est le secrétaire général adjoint du syndicat des journalistes SGJ-FO de France Télés. Or les camarades FO de Guyane se sont déclarés pour le projet, qui va créer « 4 000 emplois », selon eux. Aux écoles qui s’êtonnent de voir un syndicat de journalistes soutenir le projet industriel d'un groupe russo-canadien, SGJ-FO répond : « On ne soutient pas les mines ni les multinationales, on informe sans diaboliser la filière française. »
Nuance !
Les convictions syndicales comme une interférence supplémentaire dans l'information des citoyens ? :)
Dans le Canard enchaîné du 20 février 2019.
Le lobby des semenciers en est très fier. Comme chaque année, le temps du Salon de l'agriculture, qui s'ouvre ce samedi à Paris le groupement national interproiessionnel des semences et des plants (GNIS) va animer une chaîne de télé. « Des émissions percutantes, pédagogiques et sans tabou », dixit le GNIS. Avec pareille ligne éditoriale, nul doute que Village Semence comme s'appelle la chaîne, abordera l'« affaire du colza », qui empoisonne actuellement le groupe Bayer-Monsanto, l’un des plus grands semenciers mondiaux.
D'ici à la fin avril, avant la floraison, 8 000 hectares de colza contaminé aux OGM doivent être coûte que coûte arrachés en France, sinon leur pollen va disséminer un peu partout les gènes manipulés. A quoi s'ajoutent près de 3 000 hectares en Allemagne.
Tout commence à l’automne dernier, lorsque la Répression des fraudes, au cours d'analyses de routine, découvre des traces d'OGM dans des semis de colza de la marque Dekalb, appartenant à Bayer-Monsanto. Vu que, depuis 2008, la France a banni la culture d'OGM sur son sol, le ministère de l'Agriculture ordonne illico à l'agrochimiste de contacter les agriculteurs qui ont déjà semé le maudit colza pour qu’ils détruisent leurs plantations. Un recensement un brin compliqué : les semoirs étant souvent prêtés d'une exploitation à l’autre, Il suffit que l’un d’entre eux ait épandu une seule fois des graines OGM pour que tous les champs où l'engin a servi soient considérés comme suspects.
A ce jour, 800 cultivateurs ont été retrouvés par une boîte de gestion de crise mandatée par Dekalb. Chacun d'eux doit signer des docs confidentiels. Il y est notamment stipulé que l'agriculteur, indemnisé au prix du marché de sa récolte qui n’aura pas lieu, a interdiction de faire du colza pendant « deux ans » et, durant cette période, de « recourir à un travail profond du sol », et ce « pour éviter l'entouissement des semences qui seraient encore présentes ».
Contacté par le Palmipède, Bayer France reconnaît que Delkab n'avait rien détecté lors des autocontrôles et ne sait toujours pas comment un OGM s'est retrouvé dans ses semis de colza produits en Argentine. La firme a bien une certitude, mais elle est sémantique : « Il ne s’agit pas d'une contamination mais d'une présence fortuite. »
Un grain de mauvaise foi ?
Dans le Canard enchaîné du 20 février 2019.
Jusqu'au bout, la France aura été àla traîne dans les négociations qui ont abouti à l’annonce, le 13 février, de l’interdiction définitive de la pêche électrique dans les eaux de l’Union européenne à partir du… 1er juillet 2021. Une éternité pour les fileyeurs français, ceux de Boulogne-sur-Mer notamment, épuisés par cette guerre de la pêche qui remonte à 1998. D’ici à l’échéance, les plus vulnérables auront largement le temps de couler. Car, en attendant de se « reconvertir », le déloyal « ennemi » néerlandais va pouvoir continuer d’écumer sans vergogne les ressources en poisson plat de la mer du Nord avec cette technique radicale, interdite dans de nombreuses parties du monde…
« Heureusement, note Frédéric Le Manach, directeur scientifique de l’association Bloom (lire « Plouf ! », 30/1), dans les mois qui viennent, les Hollandais devront renoncer à leurs licences illégales, soit aux trois quarts environ de leurs 84 chalutiers électriques. »
Chalut à toi !
N’empêche : « On aura deux ans de retard sur l’agenda envisagé par le Parlement européen, qui, vu les dégâts « sur l’écosystème, souhaitait la prohibition de ce ravage des fonds marins dès 2019 », fulmine un député Vert. La faute à la France pas pressée — comme pour le glyphosate ? —, qui n’a jamais considéré ce dossier comme une urgence absolue et a voulu ménager les Pays-Bas dans les ultimes marchandages entre Etats membres. Cela n’a pas empêché le gouvernement de présenter comme un triomphe une concession marginale qui fait rire (jaune) les professionnels : l’interdiction d’utiliser les filets électriques dès à présent dans les eaux territoriales françaises.
Comme si le poisson allait s’arrêter à la frontière… À 12 milles marins (environ 22 km) des côtes tricolores.
Dans le Canard enchaîné du 20 février 2019.
Pour continuer à brûler de la houille dans ses centrales, EDF a dépensé près d'un demi-milliard d’euros et eharbonné dur auprès du gouvernement.
Voilà un engagement électoral de Macron qui a sacrément pris du plomb dans l’aile : les dernières centrales à charbon françaises risquent fort de continuer de produire de l’électricité au-delà de la date butoir de 2022… « Nous avons convaincu le gouvernement de laisser fonctionner nos centrales thermiques, avec une part réduite de charbon », triomphe un responsable d’EDF. Et c’est la fête de l’environnement : alors qu’ils ne fabriquent que 1,4 % de notre électricité, les quatre sites concernés (deux gérés par EDF, deux par l’allemand Uniper) rejettent 24 % du CO2 généré par l’ensemble des centrales. Houille !
Un comble : le ministre de la Transition écologique soi-même est à la manœuvre dans cette petite trahison. Le 10 janvier, le Breton François de Rugy a écrit aux syndicats de Cordemais (Loire-Atlantique) pour les informer que la plus grande centrale à charbon de France, exploitée par EDF, pourrait sûrement continuer de fonctionner après 2022, avec des déchets de bois et 20 % de charbon. Ainsi que le souffle un haut cadre du ministère, « EDF a profité du fait que Rugy soit un élu de la circonscription de Cordemais pour lui fourguer, au nom de la sécurisation de l’approvisionnement électrique, un projet de 2015, en englobant dans la foulée son autre site, au Havre, fief d’Edouard Philippe ».
On a bonne mine
Ce scénario, baptisé « Ecocombust », figurait déjà dans un rapport rédigé en juin (par trois hauts fonctionnaires de l’Ecologie, du Travail et des Finances), dans lequel « Le Canard » a mis son bec. Intitulé « Evaluation de l’impact socio—économique de la fermeture des centrales électriques au charbon », il avait été remisé au fond d’un tiroir par Nicolas Hulot.
Outre l’idée d’Ecocombust, son successeur, lui, y a pioché quantité d’arguments pour justifier la non-fermeture des deux centrales d’EDF. Les 582 emplois menacés à Cordemais et les 261 au Havre sont ainsi évoqués, ou la perte de recettes fiscales pour les collectivités locales, estimée sur les quatre centrales à 83 millions d’euros par an. Sans oublier le risque de plonger la Bretagne dans le noir.
Avec ses 1 800 MW — soit la puissance de deux réacteurs nucléaires —, Cordemais permet aux Bretons qui n’ont pas voulu de centrale atomique chez eux de s’éclairer et de se chauffer lors des pics de consommation hivernaux. Un risque que Réseau de transport d’électricité (RTE), encouragé par EDF, a lourdement souligné, en novembre, dans son bilan prévisionnel pour les cinq prochaines années.
La vérité, c’est qu’EDF n’a jamais cru une seule seconde que ses deux centrales à charbon étaient condamnées à court terme. Comme l’indique le rapport, l’électricien a même budgété une fortune pour prolonger leur durée de vie jusqu’en 2035 : 480 millions ! Sachant que, depuis 2013, plus de 430 millions d’euros ont déjà été dépensés.
Dire que leurs partisans affirment que les énergies carbonées sont, certes, sales mais « pas chères »…
Dans le Canard enchaîné du 20 février 2019.
Un conseiller de l’état-major dénonce la course aux armements les plus fous, pratiquée par trois grandes puissances.
En dix mois, grâce à Donald Trump, [nous avons redécouvert] les abysses de la guerre froide. » Lors de conversations avec ses collègues militaires, ce conseiller de l’état-major français a accusé le président américain de jouer avec le feu. Et il a fait référence à deux décisions que celui-ci a prises, sans même se préoccuper, comme d’habitude, des positions de ses alliés. En mai 2018, Trump a en effet retiré la signature des Etats-Unis du texte qui place toujours sous contrôle international les recherches nucléaires de l’Iran. Puis, en février 2019, il a rompu l’accord avec la Russie qui limitait le déploiement, par les deux pays, des armes nucléaires dites « intermédiaires » (entre 500 et 5 500 kilomètres de portée). « C’est une vraie défaite pour les architectes de la non-prolifération nucléaire (…), et le monde doit apprendre à vivre sur un volcan », se désole le même diplomate. Plusieurs membres de l’état-major des armées en rajoutent, qualifiant l’attitude de Donald Trump de « faute politique ». Car le risque est grand, estiment-ils : chacun va vouloir accroître et moderniser ses stocks d’armes de destruction massive.
Tonton Poutine s'est aussi retiré de l'accord le lendemain. En même temps, il n'avait pas trop le choix vu que l'accord était bilatéral. Mais sa déclaration est intéressante : « la Russie ne prendra plus l'initiative de négociations sur le désarmement avec les États-Unis ».
Les Russes, par exemple. Déjà accusés de posséder un missile — le Novator 9M729 — dont la portée dépasse les 5 500 kilomètres « autorisés », ils continuent de développer leur arsenal. Le ministre de la Défense, Sergueï Choigou, a annoncé la mise au point d’un nouveau missile de croisière et d’une merveille de technologie, le missile intercontinental Avangard, qui sera hypersonique (cinq fois la vitesse du son) et impossible à intercepter, ce dont s’est publiquement félicité Vladimir Poutine.
Donc les USA se sont retirés de l'accord plutôt que de faire constater que la Russie ne le respectait pas… Joli…
Service à deux missiles
Mais les Etats-Unis demeurent les plus ambitieux en la matière. Non content d’avoir lancé, l’an dernier, la production de quelques milliers de mini-bombes nucléaires, le Pentagone prévoit un perfectionnement à grand prix de ses armements. Selon les services français de renseignement, les prévisions de ces paniers percés s’élèvent à 13 000 milliards de dollars d’investissements pendant les trente prochaines années. Parmi les objectifs envisagés : une meilleure efficacité des bombes et des missiles guidés par laser. Par ailleurs, les militaires américains envisagent d’utiliser une charge nucléaire dite « de faible intensité » (70 fois la bombe de Hiroshima, quand même) que pourront projeter les sous-marins, les navires et les avions de l’US Air Force.
Assurance sur la vie de Kim
Malgré la militarisation à outrance, dénoncée par les Américains, de leur marine, de leur aviation et de leur armée de terre, les Chinois préfèrent rester discrets sur le montant de leurs dépenses. Mais, comme chacun s’en doute, ils sont en train de moderniser, eux aussi, leurs armes nucléaires et d’augmenter le nombre des missiles intercontinentanx chargés de répandre le feu sur les cibles les plus éloignées du sol chinois.
Nouveau membre de ce club, le jeune et rigolard Kim Jong-un. Les quelques bombes nucléaires qu’il possède — une cinquantaine, selon les services de renseignement militaire US — et les missiles à longue portée dont il dispose lui ont permis de protéger son régime et sa famille, ce que n’avouera jamais Do— nald Trump, qui s’apprête à le rencontrer au Vietnam les 27 et 28 février et en dit encore le plus grand bien.
L’amiral Robert Abrams, patron des 28 500 militaires américains qui campent en Corée du Sud, reçu le 15 février par la commission des Forces armées du Sénat, s’est montré bien plus méfiant que son président. « Les dirigeants de la Corée du Nord, a-t-il affirmé devant ces élus, n’ont, à ce jour, montré aucun changement vérifiable de leur pratique ni même la volonté de commencer a dénucléariser leur pays. »
Aucun Etat ne l’admettra publiquement, mais cette nouvelle guerre froide engendre des dépenses folles, et la France devra aussi y mettre le prix afin d’améliorer son propre arsenal. Dire qu’on nous rebat les oreilles avec la situation déplorable de la planète et ces trop nombreux pays — africains et autres — où des millions de personnes crèvent de faim et parfois de soif, sans jamais rêver d’armement nucléaire…
Jusqu'ici, tout va bien… Jusqu'ici, tout va bien… Jusqu'ici…
Dans le Canard enchaîné du 20 février 2019.
La désignation inattendue de Juppé a fait trois mécontents. Didier Migaud, à qui Macron avait promis un siège au Conseil constitutionnel alors qu’il va être atteint par la limite d’âge, en juin 2020, en tant que premier président de la Cour des comptes. Mais aussi le commissaire européen Pierre Moscovici, auquel Macron, toujours lui, avait assuré qu’il obtiendrait la place de Migaud. Et, enfin, Laurent Fabius, qui s’était réjoui à l’avance de retrouver au Conseil Didier Migaud, qui fut au PS l’un de ses lieutenants.
Heureusement, l’Elysée a rapidement trouvé un plan B. Migaud devrait succéder, le 19 décembre, à Jean-Louis Nadal à la tête de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Mosco, qui doit quitter la Commission européenne cet automne, pourra donc remplacer Migaud comme prévu.
Ainsi, ces deux éminentes personnalités pourront poursuivre leur brillante carrière au service de la République.
Ho que c'est beau ce dévouement au service du Peuple… ou de sa petite personne… Que c'est beau la certitude d'avoir un emploi à vie avec le principe des chaises tournantes…
Dans le Canard enchaîné du 20 février 2019.
Le chef de l'État se souviendra sans doute longtemps de sa balade, le 14 février, dans les rues de Gargilesse-Dampierre, en prélude à son septième grand débat. En compagnie de Vanik Berberian, le maire de cette commune, également président de l’Association des maires ruraux de France (AMRF), il a déambulé pendant près de deux heures dans ce village classé parmi les plus beaux du pays.
A un moment, les deux hommes s’arrêtent devant une brocante tenue par une dame toute fière de leur montrer « un flipper [qu’elle a] ramené du Bhoutan », ce royaume bouddhiste situé dans la chaîne de l’Himalaya. Puis la même dame leur présente une collection de phallus chinés au cours de ses nombreux voyages.
Gêne du maire : « Dans nos villages, nous avons des gens imaginatifs. »
« Oui, c’est vrai, je n’avais jamais vu de flipper du Bhoutan… » répond Macron, qui a choisi d’ignorer les phallus en question.
On imagine la suite, s’il s’était livré au moindre commentaire sur le sujet.
Macron, le mec méprisant capable de débiter des punchlines violentes et des leçons de morale à tour de bras qui n'assume pas de voir des représentations de bite… Rigolo, va ! D'un autre côté, comme il est entourés de glands au quotidien, je comprends que des représentations de phallus ne lui fassent pas plus d'effet que ça, c'est la force de l'habitude.
Dans le Canard enchaîné du 20 février 2019.
Quel patriote, ce Ciotti ! C’est donc un amendement par lui rédigé qui va rendre obligatoire le drapeau français dans toutes les classes, de la maternelle à la terminale. Dans la foulée, grâce au député LR des Alpes-Maritimes, on va aussi punaiser sur les murs le refrain de l’hymne national.
Bien dégagé derrière les oreilles, tout ça. A propos, Eric Ciotti, c’est le même qui réclamait, en 2016, le rétablissement du service militaire. La même année, « Le Canard » révélait que Ciotti avait fait des pieds et des mains pour y échapper, avec l’appui d’Estrosi, qui était alors son copain, puis de Fillon, qui avait sollicité Chevènement…
Et Ciotti, décidément fort pistonné, avait échappé au service ! Petit rigolo, va.
Pour le drapeau et l'hymme national, tout n'est pas encore joué… Il reste la lecture au Sénat, un éventuel désaccord Assemblée / Sénat, etc. Mais, c'est vrai que cette disposition est susceptible de plaire aux sénateurs… Encore une mesure symbolique inutile qui va coûter des sous et faire jacter (comme je suis en train de le faire) pour rien.
Dans le Canard enchaîné du 20 février 2019.
Ce matin, dans la boulangerie bondée de monde, un homme de grande taille et son gamin me doublent dans la file d'attente. D'une manière générale, plutôt que de me battre pour récupérer ma place, je préfère laisser faire. Cela rend la suite plus savoureuse et, surtout, je me moque de gagner ou de perdre une place dans une file d'attente car quelques minutes d'attente de plus ou de moins ne vont pas changer ma vie. Lorsqu'ils font demi-tour pour remonter la file d'attente et sortir, je regarde l'adulte et lui lance un « merci de m'être passé devant ! ». Il me répond le classique « je suis désolé ».
Cela me rend ouf… « Je suis désolé » signifie « je suis affligé / immensément triste ». Selon moi, cette construction est utilisable uniquement quand l'énonciateur n'est pas responsable. Exemple : « je suis désolé d'apprendre que ta femme est décédée cette nuit d'une mort naturelle ». Dans cet exemple, l'énonciateur n'a pas provoqué la situation, n'en est pas responsable, et ne peut pas y faire grand-chose.
Lorsque l'on est responsable d'un fait que l'on regrette, on ne peut pas être désolé, c'est trop facile. On doit présenter ses excuses.
J'en profite pour rappeler que l'excuse est un échange qui se déroule en deux temps. Un : quelqu'un présente ses excuses. Deux : l'autre les accepte ou les refuse. Ainsi, la construction « je m'excuse » a aucun sens : on ne peut pas s'auto-excuser, s'excuser soi-même. Bien entendu, la construction grammaticale est valable et permet de relater des faits ou d'émettre une intention. Exemple : « je me suis excusé » (diminutif probable de « j'ai présenté mes excuses et elles ont été acceptées »), « je m'excuserai » (dans ce cas, c'est limite, car on laisse déjà entendre que l'autre ne refusera pas les excuses qu'on lui présentera, ce qui est culotté). Il en va de même avec « pardon », diminutif de « je vous demande pardon » : l'interlocuteur est libre de pardonner ou non, l'interjection constitue seulement une demande qui ne peut pas être impérative.
Je considère que derrière ce glissement sémantique se cache l'un des maux de notre époque : nier notre responsabilité individuelle en toute chose, ne plus réfléchir à nos erreurs et à nos fautes, et ne plus s'excuser véritablement (c'est-à-dire sincèrement et avec la compréhension de notre erreur / faute bien en tête). De nos jours, il faut aller vite, on n'a plus le temps de méditer, de prendre du recul sur une situation afin, entre autres, de s'en excuser si l'on l'estime nécessaire. On préfère exprimer que l'on est attristé par une situation. C'est vrai, bien entendu, mais s'en contenter, c'est nier une partie de la réalité, celle de la responsabilité. Cette négation conduit à répéter encore et encore les mêmes erreurs et fautes et ainsi faire en sorte que rien change, aussi bien chez nous que chez les autres. Cette construction sémantique permet de se complaire dans le stade du constat ("ha oui, il y a une situation pas terrible") et d'y appliquer un cache-misère (je vais en être attristé) au lieu de passer au stade de la responsabilité qui conduira au stade de l'action si le sujet estime que le problème détecté doit être corrigé.
Dans le cas présent, mon interlocuteur était un peu sonné par mon interpellation. Ho, non pas qu'il regrettait son action (intentionnelle et préméditée ou non, ce n'est pas la question), il n'en a pas eu le temps, mais plutôt qu'il éprouvait une gêne de s'être fait pincer publiquement. Son « je suis désolé » est très représentatif de cet état de fait : il était faussement attristé par la situation qu'il avait pourtant provoquée, mais comme il ne s'en sentait pas responsable (probablement sur le mode "c'est arrivé comme ça, c'est tout, faut pas chercher plus loin"), il ne m'a pas présenté ses excuses et j'ai dû me contenter d'un « désolé » palliatif.
Je suis désolé que notre monde soit parti dans cette direction. Et je présente mes excuses, car j'en suis moi aussi responsable.
Un entretien avec le président de l'association de lutte contre la corruption Anticor.
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