Un conseiller de l’état-major dénonce la course aux armements les plus fous, pratiquée par trois grandes puissances.
En dix mois, grâce à Donald Trump, [nous avons redécouvert] les abysses de la guerre froide. » Lors de conversations avec ses collègues militaires, ce conseiller de l’état-major français a accusé le président américain de jouer avec le feu. Et il a fait référence à deux décisions que celui-ci a prises, sans même se préoccuper, comme d’habitude, des positions de ses alliés. En mai 2018, Trump a en effet retiré la signature des Etats-Unis du texte qui place toujours sous contrôle international les recherches nucléaires de l’Iran. Puis, en février 2019, il a rompu l’accord avec la Russie qui limitait le déploiement, par les deux pays, des armes nucléaires dites « intermédiaires » (entre 500 et 5 500 kilomètres de portée). « C’est une vraie défaite pour les architectes de la non-prolifération nucléaire (…), et le monde doit apprendre à vivre sur un volcan », se désole le même diplomate. Plusieurs membres de l’état-major des armées en rajoutent, qualifiant l’attitude de Donald Trump de « faute politique ». Car le risque est grand, estiment-ils : chacun va vouloir accroître et moderniser ses stocks d’armes de destruction massive.
Tonton Poutine s'est aussi retiré de l'accord le lendemain. En même temps, il n'avait pas trop le choix vu que l'accord était bilatéral. Mais sa déclaration est intéressante : « la Russie ne prendra plus l'initiative de négociations sur le désarmement avec les États-Unis ».
Les Russes, par exemple. Déjà accusés de posséder un missile — le Novator 9M729 — dont la portée dépasse les 5 500 kilomètres « autorisés », ils continuent de développer leur arsenal. Le ministre de la Défense, Sergueï Choigou, a annoncé la mise au point d’un nouveau missile de croisière et d’une merveille de technologie, le missile intercontinental Avangard, qui sera hypersonique (cinq fois la vitesse du son) et impossible à intercepter, ce dont s’est publiquement félicité Vladimir Poutine.
Donc les USA se sont retirés de l'accord plutôt que de faire constater que la Russie ne le respectait pas… Joli…
Service à deux missiles
Mais les Etats-Unis demeurent les plus ambitieux en la matière. Non content d’avoir lancé, l’an dernier, la production de quelques milliers de mini-bombes nucléaires, le Pentagone prévoit un perfectionnement à grand prix de ses armements. Selon les services français de renseignement, les prévisions de ces paniers percés s’élèvent à 13 000 milliards de dollars d’investissements pendant les trente prochaines années. Parmi les objectifs envisagés : une meilleure efficacité des bombes et des missiles guidés par laser. Par ailleurs, les militaires américains envisagent d’utiliser une charge nucléaire dite « de faible intensité » (70 fois la bombe de Hiroshima, quand même) que pourront projeter les sous-marins, les navires et les avions de l’US Air Force.
Assurance sur la vie de Kim
Malgré la militarisation à outrance, dénoncée par les Américains, de leur marine, de leur aviation et de leur armée de terre, les Chinois préfèrent rester discrets sur le montant de leurs dépenses. Mais, comme chacun s’en doute, ils sont en train de moderniser, eux aussi, leurs armes nucléaires et d’augmenter le nombre des missiles intercontinentanx chargés de répandre le feu sur les cibles les plus éloignées du sol chinois.
Nouveau membre de ce club, le jeune et rigolard Kim Jong-un. Les quelques bombes nucléaires qu’il possède — une cinquantaine, selon les services de renseignement militaire US — et les missiles à longue portée dont il dispose lui ont permis de protéger son régime et sa famille, ce que n’avouera jamais Do— nald Trump, qui s’apprête à le rencontrer au Vietnam les 27 et 28 février et en dit encore le plus grand bien.
L’amiral Robert Abrams, patron des 28 500 militaires américains qui campent en Corée du Sud, reçu le 15 février par la commission des Forces armées du Sénat, s’est montré bien plus méfiant que son président. « Les dirigeants de la Corée du Nord, a-t-il affirmé devant ces élus, n’ont, à ce jour, montré aucun changement vérifiable de leur pratique ni même la volonté de commencer a dénucléariser leur pays. »
Aucun Etat ne l’admettra publiquement, mais cette nouvelle guerre froide engendre des dépenses folles, et la France devra aussi y mettre le prix afin d’améliorer son propre arsenal. Dire qu’on nous rebat les oreilles avec la situation déplorable de la planète et ces trop nombreux pays — africains et autres — où des millions de personnes crèvent de faim et parfois de soif, sans jamais rêver d’armement nucléaire…
Jusqu'ici, tout va bien… Jusqu'ici, tout va bien… Jusqu'ici…
Dans le Canard enchaîné du 20 février 2019.