Suite de : Le Pass culture aux frais des autres sauf qu'à présent, on parle d'un financement par le privé en échange des données personnelles des gamins de 18 ans. On part d'un droit (accès à la culture), on passe par un financement privé (donc d'un renoncement du public à assurer un droit), pour finalement parvenir à la vente des données personnelles de la jeunesse. Fabuleux. Changez rien.
C'est Macron soi-même qui, le 10 juin, au musée Courbet d’Ornans (Doubs), a dû relancer sa grande promesse faite à la jeunesse en 2017 : un Pass culture accordé, l’année de ses 18 ans, à chaque résident en France. Bien obligé : sur les 39 millions théoriquement affectés en 2019 a ce projet, seulement… 257 000 euros avaient, au 27 mai, été dépensés, confie un ponte de la Rue de Valois au « Canard ».
Résultat ? Alors que 846 OOO jeunes auraient pu y prétendre, 6 000 veinards à peine disposent à ce jour du précieux sésame : une enveloppe de 500 euros à dépenser — via une application numérique pour téléphone portable — parmi un large choix de spectacles, visites, cours, livres, services numériques, etc.
Ministres courtisans
Bien que deux ministres de la Culture successifs aient encensé le projet (Françoise Nyssen l’avait qualifié de « révolution »), le gouvernement n’a pas forcé sur l’excès de zèle. Il a attendu le 1er février pour lancer une expérimentation à travers cinq départements, et le 1er juin pour l’étendre à neuf autres : soit 14 départements où, en théorie, 150 000 jeunes peuvent postuler pour obtenir le fameux ticket.
La prudence ministérielle est d’abord budgétaire. Accorder le Pass aux 845 937 Français âgés de 18 ans coûterait 423 millions d’euros à l’Etat, soit onze fois la somme budgétée cette année.
En cultivant la lenteur, le gouvernement espère convaincre le privé d‘avancer l’argent. Et l’inciter à fournir des offres gratuites contre l’obtention de pub ou de données personnelles des abonnés. Quelques entreprises, notamment numériques, ont accepté, à l’issue d’une négociation avec l’Etat.
Pour une boîte, au moins, le Pass est tout bénéfice. Garandeau Consulting fait profiter le ministère de la Culture de ses conseils, tarifés 25 000 euros par mois. Au point qu’Eric Garandeau, son pédégé, inspecteur des finances et ex-patron du Centre national du cinéma, a postulé pour diriger la future structure chargée de gérer le Pass.
Las ! le secrétariat général du gouvernement l’a écarté au nom d’un possible conflit d’intérêts.
Macron n’a plus qu’à trouver un autre candidat pour vendre sa « révolution » culturelle aux jeunes, presque aussi lente que celle de Jupiter autour du Soleil (11 ans et 314 jours).
Dans le Canard enchaîné du 12 juin 2019.
Suite de : Collomb fait grincer le Parquet : Collomb a-t-il fait bénéficier son ex-compagne d'emplois publics partiellement fictifs ?
Les les plus odieuses pleuvent sur Gérard Collomb. Après les informations du « Canard » (5/6), qu’il a jugées « tant inacceptables qu’intolérables », sur les emplois attribués à son ex Meriem Nouri, le maire de Lyon a reçu, le même jour, la visite matinale des poulets — à son domicile et dans les bureaux de l’hôtel de ville.
Et voilà que maintenant les enquêteurs de la police judiciaire cherchent à évaluer la réalité des travaux accomplis par Meriem Nouri ! Ces indiscrets s’intéressent tout particulièrement à deux périodes de la carrière de l’ex. En 2005 et en 2006, dans le registre informatique de la direction des ressources humaines, il est simplement écrit, sous son nom : « A affecter ». Selon plusieurs de ses collègues interrogés par « Le Canard », « Meriem travaillait à domicile ».
Le maire balance
Pour la période 2015-2017, c’est Collomb qui avoue avoir des soupçons. Dans un communiqué publié le 5 juin, l’ancien ministre de l’Intérieur de Macron assure avoir, « pour les années 2015 a 2017 (…), pris l’initiative de faire diligenter une enquête administrative » et d’en « informer le procureur de la République ». Au passage, il précise n’avoir découvert le pot aux roses qu’en février 2019, c’est-à-dire à son retour de Beauvau.
Or, explique-t-il, « un signalement [avaitl été effectué par la hiérarchie [de Meriem Nouri] en novembre 2017 ». Sous-entendu : s’il y a un fautif, ce n’est pas moi mais Georges Képénékian, le maire par intérim. Un vrai mouchard, ce Collomb ! Pour en avoir le cœur net, les flics de la financière ont soumis à la question les directeurs successifs des ressources humaines de la mairie, les responsables du service paie et le directeur général des services.
Ceux-ci ont dû expliquer pourquoi, malgré une présence jugée erratique par les enquêteurs, l’ex-compagne du maire bénéficiait de nombreuses heures supplémentaires. Et pourquoi elle avait été affectée à la « mission Serin », qui présente au public les futurs aménagements de la Saône, dans la mesure où cette mission relève non pas de la ville mais du Grand Lyon, la métropole.
Au total, ont calculé les magistrats de la chambre régionale des comptes à l’origine de l’enquête préliminaire menée par le Parquet national financier, les dix années passées par Meriem Nouri au sein des services de la mairie auront coûté 890 000 euros. Cette affaire a déjà fait une victime collatérale en la personne de Thomas Collomb, l’un des fils de Gérard.
89 000 €/an, même brut, c'est pas si mal : on est sur environ 4 000 - 4 500 €/mois net en moyenne. :)
Capitaine de police en disponibilité, le trentenaire avait trouvé — sans piston, assurent le père et son rejeton — un boulot sympa mais éphémère au Syndicat mixte des transports pour le Rhône et l’agglomération lyonnaise (Sytral). Nommé le 14 mai « conseiller sécurité », avec un salaire brut mensuel de 4 186,69 euros (bien supérieur à son traitemerit de poulet), il a démissionné le 6 juin, « pour ne pas donner prise aux calomnies ».
Et ne pas empêcher son père de redevenir maire ?
Dans le Canard enchaîné du 12 juin 2019.
Il veut “tuer” l’industrie militaire européenne et équiper les armées alliées en matériel américain.
Les vendeurs d’armes français sont furieux contre Trump. Ils ont constaté que le président américain a monté « une machine de guerre [contre] la coopération structurée permanente » adoptée, à la fin de 2018, par le traité de Lisbonne, laquelle prévoit de favoriser « une action concertée » des Européens. Exemple : 17 programmes d’armements communs sont déjà lancés, parmi lesquels un futur avion de combat (FCAS) et un futur char lourd — deux projets franco-allemands qui devraient être fabriqués en série dans une quinzaine d’années.
En résumé, les industriels européens de l’armement font mine de découvrir le comportement impérialiste du méchant Trump. Cela dit, s’ils lui en font le reproche, ce n’est pas au nom d’une hypothétique moralisation des ventes d’armes — faut pas rêver ! — mais pour défendre leurs positions dans ce très juteux commerce. Les fabricants français, allemands, italiens et britanniques risquent en effet de ne plus peser lourd, bientôt, face à leurs rivaux américains.
A Washington, Trump a mobilisé le Pentagone, le Département d’Etat, l’Office fédéral, chargé des exportations d’armes (DSCA), et l’US European Command, qui, à Stuttgart, en Allemagne, surveille les projets européens concurrents. Une bonne dizaine de « clients » sont ciblés en priorité : Albanie, Bosnie, Croatie, Grèce, Macédoine du Nord, Slovaquie dans un premier temps, puis Hongrie, Pologne, République tchèque et les trois pays Baltes. Tous anciens membres du pacte de Varsovie, à une exception près, dont les arsenaux sont encore farcis de matériels soviétiques fort décatis.
Washington ecrase les prix
Bien entendu, Trump n’a nullement l’intention d’en rester la. Comme le résument diplomates et militaires, il veut tuer dans l’oeuf les rêves d’une « Défense européenne », d’une « Europe de la Défense » et d’une « base militaro-industrielle commune » de production d’armements. Son « America first » va jusque-là… Selon lui, les pays alliés de la Grande Amérique, les membres de l’Otan et ceux qui aspirent à le devenir doivent tous être équipés en quincaillerie militaire made in USA. Ce qui permettrait, selon les stratèges américains, de « standardiser les panoplies » des armées européennes en vue d’une défense du continent dans le cas d’une crise grave, et sous commandement U S, cela va sans dire.
S’agit-il de plans sur la comète ? Absolument pas. Le président américain a des amis ou des vassaux sur les cinq continents, et il peut tout se permettre. Le 29 mai, le Pentagone a fait savoir que les Etats-Unis étaient prêts à fournir des armes, notamment aux pays de l’Est, à des prix imbattables (soutien logistique et formation des personnels compris). Selon les militaires français et leur service de renseignement, les « rabais » consentis peuvent aller jusqu’à 20 %.
Exemple d’un contrat plus que bradé : la vente à la Bulgarie de 8 avions de combat F-16, afin de remplacer ses Mig-29 soviétiques, très fatigués. Des missiles air-air (Sidewinder et Amraam), des bombes GBU-39 et 49 guidées par laser, et des pièces de rechange sont fournis avec les avions. Quant à la formation des pilotes et des techniciens d’armement, elle est aussi prévue dans ce contrat amical, dont le prix soldé s’élève à 1 milliard de dollars, au lieu de 1,6 milliard, le prix normal.
Les industriels américains concernés sont champions du monde dans cette catégorie. Entre 2009 et 2018, leur part du marché planétaire est passée de 30 % à 37 %. L’année dernière a en effet été excellente : le montant des armes commandées par les armées US et de celles exportées est évalué au total à 230 milliards de dollars. Et, avec Trump, ce record sera battu l’an prochain.
Dans le Canard enchaîné du 12 juin 2019.
Une ex-lobbyiste comme directrice de cabinet du patron de l'ANSES.
Priée de préserver une totale indépendance vis-à-vis des lobbys, l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) vient d’opérer un choix éloquent ! Cet organisme, chargé d’évaluer la dangerosité des pesticides, des perturbateurs endocriniens ou des colorants alimentaires, a engagé une directrice de la communication qui a travaillé quatorze années durant pour deux agences de com’ et de lobbying. Avant son dernier poste à l’Unédic, cette recrue, Sophie Le Quellec, phosphorait pour i&e et Burson-Marsteller, qui avaient pour clients Coca-Cola, findus, Danone, Total ou encore Bayer et Monsanto…
Placée à un poste clé de l’Anses, Le Quellec dirigera aussi le cabinet du patron de l’Agence. « C’est incroyable de recruter un profil pareil, au moment où on doit être exemplaire sur le glyphosate et sur d’autres produits, et n’alimenter aucun soupçon de conflit d’intérêts », s’étrangle un cadre interne. L’intéressée, elle, assure au « Canard » avoir « surtout travaillé [dans ses anciennes boîtes] pour des clients publics comme l’Agence de la biomédecine ».
Mais pas que. Après une campagne anti-OGM et le démontage du McDo de Millau (1999), Sophie Le Quellec avait, par exemple, participé, au début des années 2000, à une opération de com’ commanditée par un consortium d’industriels — dont Monsanto — visant à redorer le blason des OGM… Un « atout », affirme-t-elle : « J’ai observé des points de vue très divers et je sais accueillir la complexité (sic) des sujets. »
Une qualité indispensable pour faire une bonne analyse ou, comme on dit chez Monsanto, un bon roundup des situations…
Éternel débat… Les personnes qui ont bossé dans l'industrie sont les mieux à même d'en exposer les combines au régulateur… ou de le véroler. C'est l'effet miroir du pantouflage qui permet aux industriels de comprendre le fonctionnement des institutions… ou aux services de renseignement d'avoir des informateurs.
Dans le Canard enchaîné du 12 juin 2019.
Retour sur la rétribution des renseignements en place depuis 2 ans.
Voilà un job qui peut rapporter gros… à l’Etat ! Selon un rapport parlementaire rendu public le 5 juin par la députée PS Christine Pirès Beaune, les « aviseurs fiscaux » ont enrichi les caisses publiques de 95,9 millions d’euros en deux ans. Un montant certes modeste, comparé aux dizaines de milliards que représente la fraude fiscale. Mais un début prometteur, tout de même… Depuis 2017, en effet, des informateurs peuvent vendre leurs tuyaux aux impôts.
Avant de considérer les informations qui leur sont soumises, les agents de la Direction nationale d’enquêtes fiscales (DNEF) s’informent… sur les informateurs. Ils vérifient que ceux-ci ne travaillent pas pour des puissances étrangères et qu’ils ne sont pas en délicatesse avec leur percepteur. Il ne manquerait plus que le cafteur soit rétribué en devenant son propre délateur !
Ç’a eu payé
Ce dispositif rémunéré doit permettre de lutter plus efficacement contre les fraudes fiscales internationales : fausses domiciliations à l’étranger, transferts de bénéfices, non-déclarations de comptes bancaires ou de contrats d’assurance-vie souscrits à l’étranger… La DNEF ne s’intéresse qu’aux fraudeurs haut de gamme !
Peu efficace, le système précèdent avait été abandonné en 2004. A l’époque, les dirigeants politiques se bouchaient le nez à l’idée de rétribuer des mouchards. Trois ans plus tard, la Direction des impôts suppliait la Grande-Bretagne et l’Allemagne de lui transmettre un listing de contribuables français ayant ouvert des comptes au Liechtenstein. Humiliant… La fuite des Panama Papers, en 2016, a convaincu les parlementaires d’offrir un cadre légal aux aviseurs fiscaux. Il y a belle lurette que les services de police, de gendarmerie et de douane rétribuent les renseignements. Dans une certaine opacité, d’ailleurs…
Petite déconvenue pour les chasseurs de prime fiscale : le 10 mai 2017, juste avant de quitter le pouvoir, Michel Sapin, alors ministre de l’Economie et des finances, et son collègue du Budget, Christian Eckert, ont signé en catimini une circulaire « confidentielle » limitant leurs récompenses à 1 million d’euros. « Nous ne souhaitions pas tomber dans le travers des Américains, qui paient des sommes extravagantes, souligne Michel Sapin, contacté par “Le Canard”. Nous voulions récompenser l’intérêt de mettre au jour des montages fiscaux méconnus de nos services plus que l’intérêt financier des informateurs. »
Les députés de la commission des finances souhaitent pourtant, dans leur majorité, revenir sur ce plafond, jugé « désincitatif » (sic). L’informateur ayant permis le plus gros recouvrement — 91,2 millions d’euros ! — « n’a livré qu’une partie des dossiers d’évasion fiscale dont il avait connaissance », regrette Christine Pirès Beaune. Il compte fractionner ses renseignements ? Avisé, cet aviseur !
Hum… Pour l'instant, il n'y a pas eu la vague de mouchards redoutée à une époque : 95,9 millions d'euros de recettes, dont un recouvrement de 91,2 millions d'euros, ce qui laisse 4,7 millions d'euros pour d'autres avisés, qui, puisque ce dispositif prétend s'intéresser aux gros poissons, ne doivent pas être nombreux.
Dans le Canard enchaîné du 12 juin 2019.
L'UMP a toujours prôné la méritocratie. On pourrait s'attendre à ce que leur chef décroche son poste au mérite. Hé bah non, ils vont probablement le choisir, par défaut, parce qu'il ne mouftera pas et n'empiétera pas sur la petite carrière des autres. Faites ce que je dis, pas ce que je fais ?
C’est donc, selon toute vraisemblance Christian Jacob l’actuel président du groupe parlementaire qui, comme candidat unique, héritera à la rentrée du poste de président de LR. Un choix révélateur du complet désarroi qui règne dans le parti après la démission de Laurent Wauquiez et la déroute aux européennes.
Nicolas Sarkozy lui-même et la plupart des petits chefs, dont François Baroin, poussent la candidature du député de Provins qui offre une garantie a toute épreuve : Jacob ne fera de l(ombre à personne et ne sera pas candidat à l’Elysée.
A cet immense mérite s'ajoute celui, unanimement reconnu d’être loyal. Ces qualités gomment aux yeux de beaucoup, l’image pas très moderne qu’il renvoie et un esprit pas toujours fulgurant.
Gérard Larcher. le président du Sénat appuie lui aussi la candidature de Jacob pour les raisons indiquées plus haut et juge de toute façon la situation désespérée.
« Est-ce que le truc (LR) est encore sauvable ? s’est-il interrogé, la semaine dernière. Une chose est certaine : si, par accident, on se retrouvait avec Guillaume Peltier ou une Morano à la tête du parti, ce serait une vraie débandade des grands élus. Dans l’immédiat, il faut sauver ce qu’on peut des municipalités. »
Le sauveur a un nom : Jacob. Qui l’eût cru ?
Dans le Canard enchaîné du 12 juin 2019.
‒ Amis végans saviez-vous qu'une bite, c'est avant tout de la viande ?! T'es veganiste, alors tu suces du maïs. C'était un communiqué du ministère de l'homme qu'aimerait bien remanger normalement.
:D
Pour les personnes qui ne veulent pas se farder les DRM sur le site MyCanal ni avoir de compte Youtube, je mets à disposition une copie de cette vidéo.
‒ Et voilà, encore une fois, tous nos services sont DOWN ! Et pourtant, c'est pas faute de tout monitorer ! Je passe ma futain de vie à monitorer ! Je monitore les serveurs, les containers, les workers, les repos… les APIs, les logs, l'intégration continue, l'espace disque… TOUT est monitoré. Mais il y a un truc que j'ai oublié de monitorer, et c'est le seul truc qui compte en fait… J'ai oublié de monitorer la date d'expiration de la CB… Pfff…
C'est toujours comme ça… Tu peux mettre en œuvre tous les outils techniques que tu veux, disposer des personnes les plus compétentes et rigoureuses, y'aura toujours un trou dans la raquette, une erreur humaine, etc. La panne viendra toujours de là où on ne l'attend pas : coucou le test incendie avec les pompiers qui exigent une coupure totale de l'électricité dans le bâtiment (choisi au hasard… parfois ça tombe bien… et parfois mal…), y compris les onduleurs, sans prévenir (afin d'envisager un arrêt propre des serveurs). Je pense que la supervision, c'est comme les sauvegardes, l'automatisation et le chiffrage du réel (indicateurs) : il faut savoir rationaliser et s'arrêter avant de devenir fou (à force de chiffrer le réel, on oublie le concret, l'humain, etc.) et de dépenser des ressources disproportionnées pour un objectif inatteignable. Il faut accepter notre défaillance d'humains. Un service numérique qui cesse de fonctionner, ce n'est pas grave… On devrait cesser d'habituer nos utilisateurs au mythe du 0 panne. C'est pas grave, tu feras ce que t'avais prévu un peu plus tard… Va péter un coup, baiser, fumer un joint, picoler, regarder une série, lire ou réaliser toute autre activité qui te met bien et tu reprendras ton activité numérique plus tard, ça sert à rien d'être aigri devant un service numérique temporairement en panne… Une panne d'un service numérique est insignifiante à l'échelle d'une vie, d'une temporalité, du vivant, de la planète, de l'univers… Ça sert à rien d'être dans la sur-réaction à une panne informatique… Je trouve que notre époque perd un temps fou à vouloir tout prévoir, à vouloir vivre sans aspérités. Nous nous pourrissons la vie pour rien…
‒ On m'a dit que tout était down !
‒ Oui… Un exercice de sécurité était prévu ce matin… Ils voulaient tester notre système de recovering et de backup en conditions réelles.
‒ En conditions vraiment réelles ?
‒ Oui, vraiment réelles…
‒ Ça veut dire qu'ils ont rollback sur une backup corrompue et qu'ils ne savent pas comment remettre tout ça up ?
‒ C'est ça… En conditions réelles…
Gros +1. C'est toujours comme ça… Tu peux mettre en œuvre tous les outils techniques que tu veux, toutes les procédures que tu veux, disposer des personnes les plus compétentes, tester tout ça autant de fois que tu veux, ça ne fonctionnera pas le jour où ça sera indispensable. Y'aura toujours un trou dans la raquette, une erreur humaine, une emmerde… Le jour J, tu te retrouves à sauver la face avec 3 bouts de ficelle, 3 punaises et un tube de colle. En informatique, comme dans d'autres secteurs, il faut savoir faire le deuil d'une quelconque maîtrise. La perte de données fait partie du jeu. On peut la limiter, mais pas l'empêcher. Ce combat est vain, ça finit en asymptote : des efforts démesurés pour une réduction très très faible du risque, tout ça pour des données finalement pas si importantes que cela quand on y réfléchit et que l'on prend de la hauteur (vie humaine, époque, vivant, planète, univers, etc.). C'est l'une des choses que l'on n'apprend pas aux usagers et encore moins aux diplômés en informatique : savoir lâcher prise, avouer que rien est parfait et que nous n'avons qu'une maîtrise extrêmement limitée… et que tout cela n'est pas grave.
‒ Papi, y a un copain qui m'a dit qu'il y a longtemps, on pouvait aller en cachette sur Internet !
‒ Hhé, oui c'est vrai… Au début, c'était le far west… Des sites sortaient de nulle part, on ne savait pas qui écrivait, qui commentait… On bricolait des pages web librement, sans déclaration ni contrôle… C'était un joyeux bordel anonyme !
‒ Ah bon ?! Mais c'est n'importe quoi ! Ça devait être super dangereux ! Et pourtant, vous y alliez quand même, sur Internet ?
‒ Ha ça, mon enfant… Un peu qu'on y allait…
Une voiture peut être dangereuse, une partie de jambes en l'air aussi (coucou, les IST), ainsi qu'un vélo, un feu, un compas, une brique, les relations humaines (qui peuvent être toxiques), etc. Tout peut être dangereux. Ce qui compte, c'est la bonne évaluation (et pas interprétation) du danger, de sa probabilité d'apparition et de développer des contre-mesures adaptées. Et c'est précisément cette analyse de fond qu'il manque de la part de nos politiciens dans le prétendu débat sur la prétendue lutte contre la haine prétendument en ligne et la remise en question du pseudonymat (l'anonymat, sur Internet comme dans la rue, c'est difficilement atteignable).
L'anonymat et le danger sont naturels ! Ce sont deux états par défaut ! Quand on se voit pour la première fois dans la rue, je suis anonyme à tes yeux et je peux être dangereux pour toi / tes intérêts. Si l'on brise la glace ou qu'un intermédiaire fait les présentations, je ne suis plus un anonyme… mais je ne suis pas pour autant moins dangereux pour toi / tes intérêts (on pensera aux homicides et aux viols, qui sont majoritairement commis par des gens connus de la victime).
Je copie ce que j'ai écrit il y a quelques mois :
L'anonymat, […], est la manière normale d'établir des liens sociaux. On se connaît AFK depuis X temps. Avant, tu ignorais mon existence. Pourtant, je n'étais même pas un anonyme à tes yeux que je pouvais déjà te nuire ! Puis on s'est rencontré. J'étais un anonyme. Je t'ai dit que je me prénomme Y et tu m'as crû sans même me demander un document d'identité. T'ai-je donné mon vrai prénom, au moins ?! Je suis devenu un pseudonyme. À ce nom-là, tu as associé une description physique, des compétences, des défauts, des qualités, des souvenirs, des sentiments, des propos qui t'ont marqué positivement ou négativement, etc. C'est tout ça que tu nommes Y. Ça change quoi que Y ait pour valeur « grosloulou42 » ? Ça reste le même paquetage de concepts, je reste la même personne. Ça change quoi que nous ayons fait connaissance via un intermédiaire (l'air AFK) ou via d'autres intermédiaires (des ordinateurs, un réseau de communication, etc.) ? Tu as obtenu une description physique, le reste est inchangé. Tu noteras que ce pseudonymat AFK ne m'a pas empêché de tenir des propos qui t'ont interloqué / blessé à propos de Z.
Ha bah voilà ! Enfin une application encore plus directe et précise que Tinder !
Haha :D Rien d'original ("Gronazone vous espionne olala") mais j'adore quand les acteurs vont jusqu'au bout de l'incompréhension technologie et du ridicule à partir de 1 m 15.
Pour les personnes qui ne veulent pas se farder les DRM sur le site MyCanal ni avoir de compte Youtube, je mets une copie de cette vidéo à disposition.
Pour activer la prise en charge de HTTPS dans un uwsgi
(un serveur d'applications qui cause WSGI, un protocole pour transférer des requêtes HTTP à des applications web Python, plus d'infos ici) installé avec pip
sur un système GNU/Linux Debian Stretch :
sudo apt-get install libssl-dev
;Réinstaller et recompiler uwsgi (oui, c'est voulu de l'installer au niveau du système et non dans un environnement, c'est la doc' du logiciel final, celui qui se repose sur uwsgi, qui le demande) : sudo pip3 install uwsgi --ignore-installed --no-cache-dir
(--no-cache-dir
permet de ne pas utiliser le wheel - lire ci-dessous - construit lors d'un précédent pip install
, distribution python dans laquelle HTTPS n'est pas activé par absence des entêtes de la libssl) ;
Changer la configuration de uwsgi en ajoutant les lignes suivantes. Le « =0 » désigne la première socket créée (dans mon cas, celle partagée, celle qui écoute sur le port tcp/8443 de l'IP 127.0.0.1), « =1 » la deuxième, etc. Apparemment, les sockets WSGI (non-HTTP) crées avec la directive de configuration « socket » n'entrent pas dans ce compte.
shared-socket = 127.0.0.1:8443
https = =0,/chemin/vers/le/certificat/x509.crt,/chemin/vers/la/clé/privée_associee.key
On remplace « http:// » par « https:// » dans la configuration de notre proxy Apache httpd frontal. Exemple :
SSLProxyEngine on
ProxyPass "/" "https://127.0.0.1:8443/"
ProxyPassReverse "/" "https://127.0.0.1:8443/"
Le même certificat x509 est utilisé par le serveur proxy Apache httpd et par uwsgi. Je m'étonnais de ne pas avoir eu à désactiver la vérification du nom d'hôte dans le certificat x509 dans le cadre de la communication entre Apache httpd et uwsgi (« SSLProxyCheckPeerName off »). Mais la doc' d'Apache httpd est limpide à ce sujet : ce n'est pas l'URI qui est donnée en argument de « ProxyPass » qui est comparée avec les noms présents dans le certificat x509 présenté par uwsgi, mais l'URI demandée par le client web final au serveur Apache httpd.
Ne me demandez pas pourquoi je n'utilise pas la fonctionnalité proxy uwsgi d'Apache httpd : je suis intervenu sur une architecture déjà conçue et mise en œuvre uniquement pour activer HTTPS entre le proxy Apache httpd et uwsgi. Dit autrement : le proxy http était activé avant que j'arrive.
J'ai appris que pip
permet de distribuer et d'installer des distributions sources (fichiers et métadonnées, nécessitant une construction avant installation), des distributions compilées (un paquet qui contient les fichiers sources Python ou du bytecode et les métadonnées qu'il suffit de déplacer aux bons endroits pour que l'installation soit terminée) et des distributions binaires (une distribution compilée mais avec du code Python lié à des librairies C/C++). Par défaut, pip
récupère, dans le dépôt, une distribution compilée si elle existe.
uwsgi est une distribution binaire : du code Python est lié à une librairie C. pip
télécharge une distribution source (car il y a uniquement cela dans le dépôt), la construit, puis construit une distribution compilée (un wheel) avant d'installer ce wheel. Le code C est re-compilé dès que le fichier wheel est absent (ou que le paramètre no-cache-dir
est utilisé ;) ). C'est donc ça qui permet d'activer la prise en charge de HTTPS dans uwsgi en installant les entêtes C de la librairie OpenSSL puis en générant à nouveau le wheel Python, car cela recompile le code C de uwsgi en sous-main. Tout s'explique.
Pour limiter les dépassements d’honoraires des médecins qui ont explosé ces dernières années, la ministre distribue des primes en veux-tu en voilà. Est-ce efficace au moins ?
La ministre de la Santé Agnès Buzyn a « en horreur les dépassements d’honoraires ». Elle le confiait à Libération dès 2011. Pourtant dans son grand projet de loi Ma santé 2022, en cours d’examen au Parlement, pas l’ombre d’une proposition sur le sujet. Est-ce à dire que depuis ce portrait, les médecins respectent tous scrupuleusement les tarifs de consultation “Sécu” ? Au contraire. Depuis l’instauration de la liberté tarifaire en 1980, les dépassements d‘honoraires battent des records chaque année.
En 2012, leur taux moyen avoisine les 55 % en plus du tarif Sécu pour un montant total annuel de plus de 2 milliards d’euros. Dans certaines spécialités, ce taux atteint même 80 %. Parmi les champions, psychiatres, gynécologues, stomatologues et pédiatres. Deux options se présentent aux patients : raquer ou se priver de soins. Lorsque l’ex-ministre de la Santé Marisol Touraine finit par réagir en 2015, le mal est fait : un quart des Français renoncent à consulter un spécialiste. Un tiers, à faire soigner leurs dents. La même année, le contrat d’accès aux soins (Cas) est mis en place pour tenter de réguler les tarifs. En échange de la prise en charge d’une partie de leurs cotisations sociales par l’Assurance maladie, les praticiens s’engagent à limiter leurs dépassements.
Bilan : pour la seule année 2015, le Cas a coûté 183 millions d’euros et permis d’éviter seulement 18 millions d’euros de dépassements chez les médecins adhérents, déplore la Cour des comptes dans un rapport. Pour 1 euro de dépassement évité, la Sécu débourse donc 10 euros !
Un nouveau dispositif prend le relais en 2017. Celui-ci s’appelle Optam, pour option pratique tarifaire maîtrisée, et Optam-CO, pour les chirurgiens et les obstétriciens. Il se veut plus « souple et plus incitatif ». Les praticiens s’y engagent pour un an et non plus trois. S’ils limitent un peu leurs dépassements et augmentent un peu le nombre de leurs consultations au tarif Sécu, les médecins reçoivent une prime. D’après un document interne de l’Assurance maladie, à la fin de l’année 2017, 7 880 médecins se sont partagé 46,9 millions d’euros de prime Optam. Soit 600 euros par tête. A ce montant, partiel, il faudrait ajouter les primes Optam-CO. L’Assurance maladie assure ne pas être en mesure de nous communiquer ces chiffres, mais souligne un bilan positif : la moitié des médecins éligibles ont adhéré (contre 50 % pour le Cas) et 75 % ont tenu leurs engagements. Le taux moyen de dépassements diminue.
Ça, ce sont les chiffres lorsque l’on préfère voir le verre — ou plutôt, le trou de la Sécu, à moitié plein. Pourtant, en 2017, le montant total des dépassements a encore battu un record pour atteindre 5,5 milliards d‘euros d’après la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees). Soit près de 100 millions de plus qu’en 2016. Car si les médecins dépassent en moyenne un peu moins, ils sont aussi de plus en plus nombreux à le faire. 63 % des nouveaux spécialistes s’installent désormais en secteur 2. En Ile-de-France, autour de Dijon ou encore en Alsace, trouver un spécialiste conventionné au tarif Sécu est devenu mission impossible. « Les tarifs Sécu sont trop faibles. Nos loyers et nos assurances sont trop chères », se justifient les syndicats de médecins libéraux. « Les médecins dépasseurs se laissent envahir par l’appât du gain. Moi, j’ai fini ma carrière avec 4500 € par mois avant impôts, ce qui me semble confortable », riposte le Dr Bernard Coadou. Ce généraliste retraité a lancé une pétition pour interdire les dépassements.
Malgré la généralisation, le reste à charge, c’est-à-dire ce qu’il reste au patient à payer de sa poche après remboursement de l’Assurance maladie et de sa mutuelle, est stable. « Il faut se méfier des moyennes. Elles cachent des inégalités qui ont au contraire tendance à s’aggraver », précise Féreuze Aziza, de France Assos Santé, qui défend les droits des patients. « L’accès aux soins est de plus en plus conditionné au fait d’être couvert par une mutuelle. » Or, entre 5 % et 10 % des patients ne sont pas assurés. D’après une récente enquête de la Fédération nationale indépendante des mutuelles, ce seraient même jusqu’à 20 % des ménages modestes et un tiers des étudiants qui s’en priveraient. Un chiffre en rapide augmentation, coïncidant avec une explosion des tarifs des organismes complémentaires, dénoncée notamment par UFC-Que choisir : 47 % d’inflation en dix ans contre 14 % pour l’économie générale. Les personnes âgées, les chômeurs et les indépendants sont les premiers impactés. En marche, vers un système de santé à deux vitesses !
Dans le Siné Mensuel de mai 2019.
Le montant de l’aide à la restauration et à la numérisation des films classiques a été réduit de manière drastique au point de menacer la sauvegarde du patrimoine cinématographique français.
Alors que les promesses de dons pour reconstruire Notre-Dame de Paris alimentent le débat, l’idée de largement abandonner au mécénat privé la préservation du patrimoine cinématographique devrait pour le moins, cette fois, susciter l’indignation.
En janvier, le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) annonçait la réduction drastique de ses aides à la restauration et à la numérisation des films de patrimoine — que l’on appelle aussi de catalogue, de répertoire ou classiques.
En 2009, Sarkozy avait décidé que 750 millions d’euros seraient alloués à la numérisation des biens culturels dans le cadre du grand emprunt. Plusieurs dizaines d’institutions nationales allaient se répartir ce jackpot, dont le CNC.
Un premier plan triennal, puis un deuxième, distribuèrent ainsi, au terme de commissions régulières, une aide sélective qui permit, entre 2012 et fin 2018, de restaurer et de numériser 1 123 films.
Contrairement aux subventions ponctionnées sur le budget de la culture, les aides accordées par le CNC proviennent de taxes. La première correspond à 10,7 % du prix de chaque ticket de cinéma vendu. Les chaînes de télévision sont également assujetties à une taxe depuis 1986, la vidéo depuis 1995, la VOD depuis 2005, Internet depuis 2007, et le câble, le satellite et les opérateurs de téléphonie mobile depuis 2008.
Depuis 2013, le montant de ces recettes est relativement stable, autour de 670 millions d’euros par an. En dépit de cette manne, et d’un opulent trésor de guerre d’environ 700 millions d’euros, le CNC a pensé que sa réforme, fondée désormais sur un important recours au mécénat, passerait auprès des détenteurs de catalogues de films.
Avec l’aval des technocrates de Bercy, le CNC entend créer une nouvelle niche fiscale permettant aux entreprises et aux particuliers de défiscaliser. Un dispositif baptisé « Adopte un film ! » Quelle inspiration !
Le 24 janvier dernier, Gaumont, Pathé, SNC/SND (groupe M6), Studiocanal (groupe Canal+), TF1 Studio (groupe TF1), la Société cinématographique Lyre et les films du Jeudi ont annoncé la création du Syndicat des catalogues de films de patrimoine.
Il était peu probable que les mastodontes du secteur acceptent, sans réagir, de voir les aides, qui étaient de 9 millions d’euros en 2018, tomber à 2,8 millions par an jusqu’en 2021. D’autant que les différentes exploitations de ces films restaurés alimentent elles-mêmes les caisses du CNC.
On imagine mal Gaumont, Pathé ou TF1 Studio convaincre de leurs besoins en matière de mécénat. Mais on n’imagine pas plus LVMH, Kering ou L’Oréal soutenir les choix éditoriaux de sociétés aussi remarquables que Carlotta, Le Chat qui fume ou The Ecstasy of films.
Quoi qu’il advienne, les réformes du CNC risquent d’entraîner de lourdes conséquences pour tous les acteurs de la filière, des détenteurs de droits aux exploitants de salles, en passant par les laboratoires, les distributeurs de films ou les éditeurs de DVD et Blu-ray.
À moins d’un sursaut, des pans entiers de notre patrimoine cinématographique s’avèrent donc plus que jamais en péril.
Dans le Siné Mensuel de mai 2019.
La crise européenne qui s’amplifie, due aux divergences entre les pays du Nord et ceux du Sud, pourrait conduire l’Europe vers un nouveau scénario : la sortie de l’Allemagne de la zone euro.
Difficile aujourd’hui d’évoquer une sortie de l’euro sans être catalogue extrémiste démagogue ou crétin irresponsable. Même en italie, la coalition populiste violemment anti-euro pendant la campagne s’est empressée d’écarter cette perspective dantesque sitôt arrivée au pouvoir. Un retour à la lire, forcément dévaluée, aurait fait exploser une dette publique libellée en euros qui culmine déjà à plus de 130 % du PIB… Alors exit l’exit ! Pourtant, le scénario d’une implosion de la zone euro n’est plus si irréaliste aujourd’hui. Depuis la crise de la dette publique de 2010, deux pôles antagonistes se sont nettement reformés. En gros, un modèle allemand au nord et en Europe centrale axé sur les exportations - donc sur la maîtrise des coûts salariaux. Au sud, France comprise, des pays à plus faible croissance plutôt centrés sur la demande intérieure — donc sur le soutien du pouvoir d’achat.
Cette réalité n’est pas nouvelle. Mais, jusqu’à présent, régnait le mythe d’une convergence possible des pays dépensiers et laxistes (Sud) vers le modèle germanique, vertueux et économe. Alors, cahin-caha, pendant près de trente ans, les pays du Sud ont ramé à contre-courant de leurs penchants naturels. Or non seulement ce Graal n’a pas été atteint mais, pire encore, les deux pôles divergent depuis dix ans ! C’est le cocktail explosif de l’eurozone, clivée entre deux logiques de croissance rivales, avec excédents et maîtrise de la dette publique au nord, déficits et dérive de la dette au sud. Et… une monnaie commune ! Le mélange est aberrant et les intérêts contradictoires des deux pôles bloquent toute réforme de fond !
Il suffit que les pays du Sud assainissent leurs finances publiques. CQFD ! Sauf que depuis trente ans, ils n’y parviennent pas ! En partie à cause de leur côté dépensier. Mais surtout parce que les excédents budgétaires des donneurs de leçons — Pays-Bas et Luxembourg en tête - sont abondés par le siphonnage des recettes fiscales des pays déficitaires ! Et si jamais ces derniers s‘avisent de réduire leur taux d’imposition pour limiter l’hémorragie, les premiers répliquent en abaissant les leurs parce que la captation fiscale est l’un des piliers de leur « croissance vertueuse » !
Du coup, la combinaison institutionnelle résolument non-coopérative de l’eurozone et de l’Union européenne est une impasse ! Le Sud y est paralysé parce qu’une sortie de l’euro se heurte au mur de la dette publique. Mais pas le pôle allemand ! Or, s’il était jusqu’à présent inenvisageabie qu’il quitte l’euro, la déliquescence politique de l’Europe couplée à la guerre commerciale que livrent les États-Unis pourrait changer la donne. Plus encore, si l’option d’un Dexit monétaire n’a encore été formulée que par l’AfD (Alternative pour l’Allemagne), elle n’est pourtant plus complètement utopique. D’autant que les conservateurs allemands sont vent debout contre la politique monétaire permissive menée par la BCE et s’alarment des conséquences de la crise de la dette qui se profile. Si ce contexte se confirme, il n’est pas exclu que l’Allemagne se décide à former une deutsche-zone monétaire recentrée sur un pôle régional homogène. Les pays du Sud conserveraient alors l’euro, une dette publique problématique mais libellée dans leur propre monnaie, et bénéficieraient dans leurs échanges commerciaux de sa dépréciation face à la nouvelle devise du Nord. Qu’elle soit souhaitable ou non, cette voie pourrait être la condition de survie d’une Union européenne aujourd’hui paralysée par des divergences à la fois irréductibles et insoutenables.
Je pense plutôt que la sortie de l'Allemagne de l'euro ferait perdre la majorité de la confiance accordée à cette monnaie, ce qui la dévaluera, plombera les importations des pays du sud de l'UE (et comme la France importe son énergie et les babioles de Chine…), et, in fine, plombera les économies de ces pays.
J'ai avant tout sélectionné cet article pour le diagnostic intéressant qu'il pose.
Dans le Siné Mensuel de mai 2019.
Il y a certes beaucoup de raisons d’être eurosceptique. Mais le démantèlement de l’Union européenne livrerait chacun des pays qur la composent au chaos.
Depuis juin 2016, le feuilleton du Brexit est plus dévastateur pour la démocratie qu’il n’y paraît. Plus qu’un caprice insulaire des Britanniques, il pose la question d’être ou ne pas être européen. L’« effet Brexit » alimente la démagogie des populistes européens. *On ne détaillera pas ici la liste des raisons objectives d’être euroscetique, à cause de la non-régulation de la globalisation des échanges, de la mise au crédit des technocrates européens les échecs de politiciens nationaux, et de l’abandon de l’ambition fédérale.
On peut ajouter à la liste : l'absence d'une politique commune au sens noble du terme (vie de la cité) et la faible qualité de la démocratie européenne (déroulement du processus législatif, puissance des lobby, renégociation impossible des traités fondateurs car elle nécessite une unanimité, etc.).
L’Europe s’est construite sur un appétit de paix et de prospérité économique. La paix est acquise mais toujours fragile dès l’instant que l’on attise les feux de la haine de l’Autre. La prospérité, l’UE y a répondu avec la philosophie du bien-être qui relève du cache-sexe néocapitaliste. Elle repose sur l’élévation du niveau de vie, la sérialisatîon des individus via leurs envies consuméristes. Chacun chez soi à compter ses fins de mois et à rêver de son petit accès aux biens de ce monde. Une soumission douce à l’ordre du marché.
L’Europe est née d’une volonté politique au cœur de la guerre froide entre les États-Unis et l’Union soviétique. L’Europe a joué alors un rôle de désescalade idéologique et guerrière tout en devenant une puissance économique internationale. La chute du Mur a Changé la donne en ouvrant la planète aux financiers et aux multinationales, sans contre-pouvoir politique à cette échelle. Handicapée par sa faiblesse politique, l’Europe a été incapable de penser la situation nouvelle. La voie était libre pour l’expansion vorace de la financiarisation du monde et la montée en puissance des entreprises transnationales. On connaît la suite et les bonnes raisons de se révolter qui en découlent. L’austérité pour la majorité, les profits grandissants pour une minorité accouchent de replis identitaires nationaux ou communautafistes. Sous la pression populiste, la Commission européenne veut rétrocéder des responsabilités aux gouvernements nationaux et repousse sine die un scrutin transnational. Un détricotage du projet européen. L’Allemagne profite du tangage pour pousser son avantage en réclamant pour l’Europe le siège de la France au Conseil de sécurité de l’Onu. Enfin, le Brexit, en soustrayant soixante-treize députés, modifie les équilibres politiques.
Pour autant, doit-on tourner le dos à l’Europe ? Trente ans après la chute du Mur, la recomposition géopolitique du monde oblige à repenser la place de l’Europe. Aujourd’hui, les États-Unis de Trump et la Russie de Poutine ont tout intérêt à voir l’UE s’effondrer. Côté américain pour prendre des marchés et contenir l’essor chinois, côté russe pour reprendre de l’influence sur l’Europe de l’Est. Les pays émergents — Chine, Brésil, Inde, Russie, Afrique du Sud, Mexique, Indonésie, Turquie — veulent prendre leur part des marchés. On peut objecter n’avoir n‘en a faire de la bagarre entre capitalistes, certes, mais la politique n’est jamais loin de l’économie. La politique, c’est même fait pour encadrer l’économie, et non pour lui servir la soupe. L’UE — 500 millions de consommateurs — a plus de poids pour réguler les échanges internationaux qu’un de ses membres. D’autant plus de poids si ces consommateurs sont des citoyens actifs pesant à Bruxelles par le vote et les mouvements sociaux. Les combats fondamentaux — droits de l’être humain, lutte climatique, protection de la biodiversité, gestion des migrants — se jouent au niveau européen [ NDLR : voire mondial ]. Le risque réel d’un démantèlement de l’Europe sous la poussée nationaliste ou populiste livrerait chacun des pays qui la compose au chaos des ambitions des nouveaux marchands de lendemains qui chantent. Alors, oui, l’UE est un sacré merdier mais le moins pire à condition de s’en mêler en votant pour des europhiles. Au bal des candidats, le choix est difficile.
Dans le Siné Mensuel de mai 2019.
Qu’est-ce qui caractérise le populisme ? Quelles sont ses origines et les raisons de son retour actuel ? Bertrand Badie, professeur à Sciences-Po Paris, et Dominique Vidal, journaliste, qui ont dirigé Le retour des populismes (La Découverte, 2018) ont répondu à nos questions.
On entend souvent parler de populisme, mais comment le dend conscience que l’homme blanc néfinir ?
Bertrand Badie : Il n’y a pas d’idéologie populiste, de régime populiste, de système populiste, pas même de doctrine, ni de politique publique populiste. Il y a des situations populistes, quand surgit une forte crise de défiance des gouvernés à l’égard de leurs institutions. Quand le peuple les juge incapables de le protéger contre une menace plus ou moins fantasmée**, qui va donner libre cours à ceux qui attisent cette peur, cette défiance, pour en faire une arme électorale et arriver au pouvoir.Dominique Vidal : Le populisme, ce sont surtout des pratiques, des discours que l’on retrouve désormais d’un bout à l’autre de la planète : Trump, Netanyahou, Orban, Kaczynski, Modi, Bolsonaro… Tous présentent des caractéristiques spécifiques, mais aussi des points communs. D’abord le culte du chef — un certain nombre de mouvements populistes portent même le nom de leur leader : « péronisme », « nassérisme », etc. Ensuite la volonté de dépasser le clivage droite-gauche. Troisième aspect commun : le mépris de la démocratie représentative, présentée comme un instrument des élites contre le peuple. Dernière caractéristique : le refus des institutions supranationales et le repli sur l’État-nation.
Vous avez titré l’introduction de votre livre « L’éternel retour ». Sommes-nous face à un mouvement récurrent ?
B. B. : Le populisme naît et disparaît depuis la fin du XIXe siècle, depuis que les peuples ont quelque chose à dire et y sont autorisés. Nous distinguons quatre vagues de populisme. Le moment fondateur, à la fin du XIXe siècle, touche des pays très différents : la Russie, les États-Unis, et la France à travers le boulangisme. À chaque fois, on retrouve des facteurs communs. La Russie est alors une société rurale qui commence à être bousculée par une forte occidentalisation qui menace la vieille tradition slavophile, les sociétés paysannes traditionnelles. Au même moment, à l’autre bout du monde, aux États-Unis, la paysannerie jusque-là dominante dans la société américaine est secouée par un capitalisme bancaire qui se met en place sur la cote est des États-Unis, projette de restructurer le pays, construit des chemins de fer, de nouveaux sites urbains, annexe des terres. La société rurale américaine se crispe, le premier parti populiste du monde, le People’s Party, est créé. Son candidat à l’élection présidentielle, en 1896, a failli être élu. La deuxième vague naît pendant l’entre-deux-guerres, en Allemagne, en Italie, en Europe centrale. Une troisième vague va se développer, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, dans des sociétés récemment décolonisées. On y découvre des figures emblématiques, différentes de celles déjà vues dans les précédentes vagues : Nasser en Égypte, Nehru en Inde, Sukarno en Indonésie… Toute une série d’acteurs qui vont s’appuyer sur le peuple, pour dénoncer une hégémonie post-coloniale qui continue à s’affirmer malgré une décolonisation formelle. La quatrième vague, c’est aujourd’hui.[…]
La peur est donc le moteur du populisme…
B. B. : Nous vivons dans un contexte de peur, dont celle de la mondialisation. Aujourd’hui il n’y a plus d’identité claire. Nous sommes « dans le monde », et il faut admettre à quel point ce changement total d’univers est source d’angoisse. Quand vous avez peur et que des « prophètes du mensonge » vous disent que vous avez raison d’avoir peur, vous entrez dans une situation quasiment hystérique [NDLR : car ça flatte le sentiment de supériorité : on avait bien vu que quelque chose n'allait pas ]. Le prophète convertit ce sentiment en xénophobie, en racisme, en exclusivisme… Trump n’a pas été élu aux États-Unis sur la définition d’un programme politique ou un diagnostic du monde, mais grâce à des tweets qui lui permettaient de toucher le peuple américain la où ça faisait mal, en jouant de la peur du Blanc sur le point de devenir minoritaire. Quand Trump propose de construire un mur qui va coûter des milliards pour arrêter la venue de ceux qui ne sont pas des Blancs au sens anglosaxon du terme, il est applaudi des deux mains. La pathologie de notre monde est bien là : on ne gouverne plus avec des programmes mais avec des images. Et les images les plus payantes sont celles de la peur et du fantasme**.C’est aussi une crise de la démocratie !
B. M : La crise est quadruple. La crise économique et sociale, avec une explosion des inégalités : 80 % des richesses qui vont à 1 % de la population, à l’échelle mondiale ! Ensuite, la crise psychosociale, le passage des Trente Glorieuses aux trente douloureuses, qui provoque une déstructuration des individus. Avec le chômage, la précarité, la retraite forcée, toute l’estime de soi vacille. Troisième élément, la crise d’identité.
B. B. : On prend conscience que l’homme blanc n’est plus dominateur comme il l’était autrefois. Une page se ferme !
D. V : Enfin, la crise de la démocratie, qui a une toile de fond : l’absence d’alternative. C’est fondamental. C'est la caractéristique commune de toutes les victoires populistes : l’absence de force polilique capable de donner un horizon au combat contre la mondialisation libérale. Et d’abord à gauche : divisée comme jamais, celle-ci ne parvient plus à répondre aux attentes de l’électorat populaire.Le populisme profite-t-il des effets dévastateurs de la mondialisation ?
B. B. : Nous sommes entrés dans un monde où le clivage gauche-droite n’a pas disparu, mais où est apparu un nouveau clivage, mondialiste-souverainiste. Il y a des souverainistes de droite, des souverainistes de gauche, des mondialistes de droite, mais pas de mondialistes de gauche. Il manque une case. Pourquoi ce mondialisme de gauche n’arrive pas à se constituer ? Parce que la base électorale des partis qui pourraient le promouvoir est celle qui est le plus frappée par cette mondialisation, qui a spontanément une méfiance à son égard qu’elle assimile a la perte d’emploi, au chômage, à la régression du pouvoir d’achat… Il manque une politique mondialiste de gauche, capable de proposer une autre mondialisation, de la gérer, de la réguler avec solidarité et multilatéralisme. La mondialisation, bien conçue, peut être un vecteur de progrès et réconcilier la gauche avec son identité intemationaliste. Mais ça, les partis de gauche n’ont pas le courage de le dire. Il est tellement plus simple d’expliquer que la mondialisation c’est l’horreur…Pour vous, Bannon et le Kremlin sont à la manœuvre derrière les populistes ?
B. B. : Bien sûr. Mais nous parlons trop de l’Europe. Si la pathologie était uniquement européenne, l’Europe se soignerait et peut-être guérirait-elle. Le populisme aujourd’hui est un phénomène mondial. C’est autant Duterte aux Philippines que Trump, Erdogan, Poutine, Bolsonaro… Voilà le plus inquiétant ! Pour la première fois de l’histoire de l’humanité nous assistons à un phénomène politique totalement mondialisé, qui dépasse tous les clivages Nord-Sud, et autres. Trump est le plus inquiétant. Les États-Unis ont porté la mondialisation, ils lui ont donné sa première forme, sa première configuration, ses premières orientations. Aujourd’hui, cette super-puissance qui couvre 40 % des dépenses militaires mondiales, qui a une capacité financière, monétaire, culturelle absolument ahurissante devient la première contestataire de la mondialisation. Voilà un retournement du monde, considérable et unique. Définir une politique européenne, admettons qu'on y parvienne ou qu’on le veuille, face a des États-Unis adeptes de l’America first, relève de l’impossibilité absolue. Le principal effet du trumpisme est de clouer l’Europe. Trump démantèle le multilatéralisme économique, politique, social, culturel, et personne ne réagit. Le populisme triomphe aux États-Unis comme nulle part ailleurs, et c’est une très mauvaise nouvelle : nous sommes, semble-t-il ici, dans une tendance de long terme.Pour vous, qu’est-ce qui nous rapproche des années trente, qu’est-ce qui nous en éloigne ?
B. B. : La problématique centrale dans l’entre-deux-guerres était totalement différente : le revanchisme. Certes, avec la mondialisation, il y a la volonté de prendre sa revanche par rapport à la marginalisation que l’on subit, ou la perte des avantages que l’on avait autrefois, mais le phénomène n’est pas comparable. Du coup, cette différence donne au populisme d’aujourd’hui des allures, je l’espère, moins violentes que pendant l’entre-deux-guerres, mais en même temps beaucoup plus universelles. --Aujourd’hui, toute altérité devient suspecte. Il y a comme un rayonnement mondial de la défiance. De ce point de vue, le populisme est beaucoup plus destructeur dans son extension qu’il ne l’était pendant l’entre-deux-guerres**.[…]
Dans le Siné Mensuel de mai 2019.
Il est temps de rétablir quelques vérités…
(Macron) ‒ Grand débat : vos propositions sont les bienvenues !Personne ne se soustrait aux règles de la République
(Macron) ‒ Mais qui êtes-vous, monsieur ?
(Benalla ?) ‒ Bah Patron ! … C'est moi !Il n'y a pas de violences policières en France !
(Flic à un manifestant gisant sur le sol) ‒ Dernière sommation ! Nous allons faire usage de la force ! … … … Uhuhu !La violence est chez les gilets jaunes !
(Macron devant des gilets jaunes qui chantent et dansent ) ‒ Cette violence ! C'est insupportable ! C'est un complot des russes ?!Nous agissons pour l'écologie et le climat
(Macron à un homme d'affaires / financier) ‒ Il y a un pognon de dingue à faire avec les aéroports… Vous reprendrez bien un peu de glyphosate ?Le pouvoir d'achat est en hausse
(Volaille en train de se faire déplumer) ‒ Je la sens pas trop, la hausse !
(Macron ?) ‒ Faites un effort d'imagination !Nous luttons contre l'évasion fiscale !
(Homme d'affaires / financier avec des valises débordantes de billets) ‒ Je vais aller en prison ??
(Macron) ‒ Mais non ! Vous, c'est de l'optimisation fiscale ! Ça n'a rien à voir ! <3 <3Nous sommes pour le service public…
(Macron, tapant sur des profs et des infirmiers en manifestation) ‒ Parce qu'un défouloir est toujours utile !… et protégeons la liberté d'expression !
(Flic serrant un citoyen) ‒ Il a tweeté que vous étiez un con !
(Macron) ‒ Pas de fake news dans mon royaume !
Gros +1.
Dessin publié dans le numéro de mai 2019 de Siné mensuel.
C’est le nombre officiel de personnes « mortes dans la rue » en 2018. Le chiffre, impressionnant, est néanmoins très en deçà de la réalité. Des personnes ou personne ?
Le 2 avril, dans un parc parisien, on rendait un hommage public aux 566 morts de la rue en 2018. 566 noms égrainés par des récitants, c’est long, très long. Certains sont anonymes : « Femme de 41 ans », d’autres sont simplement un pseudo : « Jojo, l’ours ».
Peu de monde, peu d’élus pour assister à cette triste litanie qui nous rappelle le cuisant échec des politiques sociales en direction des sans domicile fixe. C’est long, 566 noms, mais il y en a en réalité beaucoup plus. Pour cet hommage, seuls les « morts dans la rue » sont recensés. Pas ceux décédés à l’hôpital ou dans un hébergement provisoire par exemple. Par ailleurs, beaucoup de maires de province ne déclarent pas les morts de la rue pour ne pas nuire à l’image de leur belle ville. Lorsqu’on croise ce chiffre avec ceux de l’Institut de veille sanitaire et de l’Inserm, on obtient pour l’année 2015 le chiffre ahurissant de 6 730 morts de personnes sans domicile fixe. Soit dix fois plus que l’estimation relayée dans la presse. Ce 2 avril, des affichettes rappelaient aussi que si la moyenne d’âge de la mortalité en France se situe aux alentours de 82 ans, elle est de 48 ans pour les SDF.
Les femmes et les hommes de la rue appartiennent à ces catégories de gens que l’on aimerait ne plus croiser, un peu comme les personnes très âgées, planquées dans des institutions. Ils sont aussi, depuis les promesses de Sarkozy — zéro SDF dans deux ans —, un enjeu pour les politiques qui sont jugés sur leur capacité à gérer la grande misère. Alors, depuis quelques années, ce qui ressemblait à de l’artisanat de l’aide sociale confié à de multiples petites associations et bénévoles est devenu une « sorte d’industrie », comme me le confie Charly, ancien SDF et militant du collectif Les Morts de la rue. « On sait que l’on est la matière première et le gagne-pain de cinq ou six grosses boîtes qui gèrent l’aide quotidienne, les maraudes, les foyers d’hébergement, l’accès aux soins, l’accès aux droits ; des boîtes qui ont racheté progressivement toutes les petites associations, qui grossissent et se font de la concurrence. C’est que la soupe doit être bonne », conclut Charly. Au fil du temps, ces énormes groupes du social ont imposé leurs normes et leurs exigences pour « faciliter » la gestion dela misère. Ainsi dans ce centre d’accueil de Bastille géré par le Secours catholique, il faut prouver sa présence à Paris depuis trois mois en fournissant des justificatifs (on se demande lesquels quand on dort dans la rue) pour obtenir un rendez-vous. Ici, le SDF doit impérativement arriver entre 18h45 et 19 heures sinon les portes se ferment et il passe la nuit dehors. Dans cet autre à Aubervilliers, comme dans beaucoup de foyers qui ont créé leurs propres règles de vie, il faut se lever à 6 heures pour être à la rue à 6h45. L’hébergement, c’est la nuit ! Pas le jour. Charly connaît des centaines d’anecdotes sur ce pouvoir que prend l’institution sur la personne dépendante d’elle. Un peu comme si la société se vengeait des SDF en les punissant par mille petites obligations et mille petits tracas créant souvent des situations de concurrence entre les gens à la rue et entraînant des conflits.
Chacun a pris conscience, ces dernières années, que le basculement de la vie ordinaire à la rue tenait à peu de choses. Une séparation, une maladie invalidante, une perte d’emploi, l’accumulation de dettes. La vieille image du clochard mi-bohème mi-artiste a fait long feu. Certes les SDF sont souvent des femmes et des hommes abîmés par la vie, et souvent dès leur enfance, mais ils ne demandent guère plus que la dignité et le respect. D’être autre chose qu’une statistique morbide, un enjeu pour Macron (ne laisser personne dans la rue) ou la matière première des nouvelles usines du social.
Dans le Siné Mensuel de mai 2019.