Il y a certes beaucoup de raisons d’être eurosceptique. Mais le démantèlement de l’Union européenne livrerait chacun des pays qur la composent au chaos.
Depuis juin 2016, le feuilleton du Brexit est plus dévastateur pour la démocratie qu’il n’y paraît. Plus qu’un caprice insulaire des Britanniques, il pose la question d’être ou ne pas être européen. L’« effet Brexit » alimente la démagogie des populistes européens. *On ne détaillera pas ici la liste des raisons objectives d’être euroscetique, à cause de la non-régulation de la globalisation des échanges, de la mise au crédit des technocrates européens les échecs de politiciens nationaux, et de l’abandon de l’ambition fédérale.
On peut ajouter à la liste : l'absence d'une politique commune au sens noble du terme (vie de la cité) et la faible qualité de la démocratie européenne (déroulement du processus législatif, puissance des lobby, renégociation impossible des traités fondateurs car elle nécessite une unanimité, etc.).
L’Europe s’est construite sur un appétit de paix et de prospérité économique. La paix est acquise mais toujours fragile dès l’instant que l’on attise les feux de la haine de l’Autre. La prospérité, l’UE y a répondu avec la philosophie du bien-être qui relève du cache-sexe néocapitaliste. Elle repose sur l’élévation du niveau de vie, la sérialisatîon des individus via leurs envies consuméristes. Chacun chez soi à compter ses fins de mois et à rêver de son petit accès aux biens de ce monde. Une soumission douce à l’ordre du marché.
L’Europe est née d’une volonté politique au cœur de la guerre froide entre les États-Unis et l’Union soviétique. L’Europe a joué alors un rôle de désescalade idéologique et guerrière tout en devenant une puissance économique internationale. La chute du Mur a Changé la donne en ouvrant la planète aux financiers et aux multinationales, sans contre-pouvoir politique à cette échelle. Handicapée par sa faiblesse politique, l’Europe a été incapable de penser la situation nouvelle. La voie était libre pour l’expansion vorace de la financiarisation du monde et la montée en puissance des entreprises transnationales. On connaît la suite et les bonnes raisons de se révolter qui en découlent. L’austérité pour la majorité, les profits grandissants pour une minorité accouchent de replis identitaires nationaux ou communautafistes. Sous la pression populiste, la Commission européenne veut rétrocéder des responsabilités aux gouvernements nationaux et repousse sine die un scrutin transnational. Un détricotage du projet européen. L’Allemagne profite du tangage pour pousser son avantage en réclamant pour l’Europe le siège de la France au Conseil de sécurité de l’Onu. Enfin, le Brexit, en soustrayant soixante-treize députés, modifie les équilibres politiques.
Pour autant, doit-on tourner le dos à l’Europe ? Trente ans après la chute du Mur, la recomposition géopolitique du monde oblige à repenser la place de l’Europe. Aujourd’hui, les États-Unis de Trump et la Russie de Poutine ont tout intérêt à voir l’UE s’effondrer. Côté américain pour prendre des marchés et contenir l’essor chinois, côté russe pour reprendre de l’influence sur l’Europe de l’Est. Les pays émergents — Chine, Brésil, Inde, Russie, Afrique du Sud, Mexique, Indonésie, Turquie — veulent prendre leur part des marchés. On peut objecter n’avoir n‘en a faire de la bagarre entre capitalistes, certes, mais la politique n’est jamais loin de l’économie. La politique, c’est même fait pour encadrer l’économie, et non pour lui servir la soupe. L’UE — 500 millions de consommateurs — a plus de poids pour réguler les échanges internationaux qu’un de ses membres. D’autant plus de poids si ces consommateurs sont des citoyens actifs pesant à Bruxelles par le vote et les mouvements sociaux. Les combats fondamentaux — droits de l’être humain, lutte climatique, protection de la biodiversité, gestion des migrants — se jouent au niveau européen [ NDLR : voire mondial ]. Le risque réel d’un démantèlement de l’Europe sous la poussée nationaliste ou populiste livrerait chacun des pays qui la compose au chaos des ambitions des nouveaux marchands de lendemains qui chantent. Alors, oui, l’UE est un sacré merdier mais le moins pire à condition de s’en mêler en votant pour des europhiles. Au bal des candidats, le choix est difficile.
Dans le Siné Mensuel de mai 2019.