Le montant de l’aide à la restauration et à la numérisation des films classiques a été réduit de manière drastique au point de menacer la sauvegarde du patrimoine cinématographique français.
Alors que les promesses de dons pour reconstruire Notre-Dame de Paris alimentent le débat, l’idée de largement abandonner au mécénat privé la préservation du patrimoine cinématographique devrait pour le moins, cette fois, susciter l’indignation.
En janvier, le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) annonçait la réduction drastique de ses aides à la restauration et à la numérisation des films de patrimoine — que l’on appelle aussi de catalogue, de répertoire ou classiques.
En 2009, Sarkozy avait décidé que 750 millions d’euros seraient alloués à la numérisation des biens culturels dans le cadre du grand emprunt. Plusieurs dizaines d’institutions nationales allaient se répartir ce jackpot, dont le CNC.
Un premier plan triennal, puis un deuxième, distribuèrent ainsi, au terme de commissions régulières, une aide sélective qui permit, entre 2012 et fin 2018, de restaurer et de numériser 1 123 films.
Contrairement aux subventions ponctionnées sur le budget de la culture, les aides accordées par le CNC proviennent de taxes. La première correspond à 10,7 % du prix de chaque ticket de cinéma vendu. Les chaînes de télévision sont également assujetties à une taxe depuis 1986, la vidéo depuis 1995, la VOD depuis 2005, Internet depuis 2007, et le câble, le satellite et les opérateurs de téléphonie mobile depuis 2008.
Depuis 2013, le montant de ces recettes est relativement stable, autour de 670 millions d’euros par an. En dépit de cette manne, et d’un opulent trésor de guerre d’environ 700 millions d’euros, le CNC a pensé que sa réforme, fondée désormais sur un important recours au mécénat, passerait auprès des détenteurs de catalogues de films.
Avec l’aval des technocrates de Bercy, le CNC entend créer une nouvelle niche fiscale permettant aux entreprises et aux particuliers de défiscaliser. Un dispositif baptisé « Adopte un film ! » Quelle inspiration !
Le 24 janvier dernier, Gaumont, Pathé, SNC/SND (groupe M6), Studiocanal (groupe Canal+), TF1 Studio (groupe TF1), la Société cinématographique Lyre et les films du Jeudi ont annoncé la création du Syndicat des catalogues de films de patrimoine.
Il était peu probable que les mastodontes du secteur acceptent, sans réagir, de voir les aides, qui étaient de 9 millions d’euros en 2018, tomber à 2,8 millions par an jusqu’en 2021. D’autant que les différentes exploitations de ces films restaurés alimentent elles-mêmes les caisses du CNC.
On imagine mal Gaumont, Pathé ou TF1 Studio convaincre de leurs besoins en matière de mécénat. Mais on n’imagine pas plus LVMH, Kering ou L’Oréal soutenir les choix éditoriaux de sociétés aussi remarquables que Carlotta, Le Chat qui fume ou The Ecstasy of films.
Quoi qu’il advienne, les réformes du CNC risquent d’entraîner de lourdes conséquences pour tous les acteurs de la filière, des détenteurs de droits aux exploitants de salles, en passant par les laboratoires, les distributeurs de films ou les éditeurs de DVD et Blu-ray.
À moins d’un sursaut, des pans entiers de notre patrimoine cinématographique s’avèrent donc plus que jamais en péril.
Dans le Siné Mensuel de mai 2019.