Pour limiter les dépassements d’honoraires des médecins qui ont explosé ces dernières années, la ministre distribue des primes en veux-tu en voilà. Est-ce efficace au moins ?
La ministre de la Santé Agnès Buzyn a « en horreur les dépassements d’honoraires ». Elle le confiait à Libération dès 2011. Pourtant dans son grand projet de loi Ma santé 2022, en cours d’examen au Parlement, pas l’ombre d’une proposition sur le sujet. Est-ce à dire que depuis ce portrait, les médecins respectent tous scrupuleusement les tarifs de consultation “Sécu” ? Au contraire. Depuis l’instauration de la liberté tarifaire en 1980, les dépassements d‘honoraires battent des records chaque année.
En 2012, leur taux moyen avoisine les 55 % en plus du tarif Sécu pour un montant total annuel de plus de 2 milliards d’euros. Dans certaines spécialités, ce taux atteint même 80 %. Parmi les champions, psychiatres, gynécologues, stomatologues et pédiatres. Deux options se présentent aux patients : raquer ou se priver de soins. Lorsque l’ex-ministre de la Santé Marisol Touraine finit par réagir en 2015, le mal est fait : un quart des Français renoncent à consulter un spécialiste. Un tiers, à faire soigner leurs dents. La même année, le contrat d’accès aux soins (Cas) est mis en place pour tenter de réguler les tarifs. En échange de la prise en charge d’une partie de leurs cotisations sociales par l’Assurance maladie, les praticiens s’engagent à limiter leurs dépassements.
Bilan : pour la seule année 2015, le Cas a coûté 183 millions d’euros et permis d’éviter seulement 18 millions d’euros de dépassements chez les médecins adhérents, déplore la Cour des comptes dans un rapport. Pour 1 euro de dépassement évité, la Sécu débourse donc 10 euros !
Un nouveau dispositif prend le relais en 2017. Celui-ci s’appelle Optam, pour option pratique tarifaire maîtrisée, et Optam-CO, pour les chirurgiens et les obstétriciens. Il se veut plus « souple et plus incitatif ». Les praticiens s’y engagent pour un an et non plus trois. S’ils limitent un peu leurs dépassements et augmentent un peu le nombre de leurs consultations au tarif Sécu, les médecins reçoivent une prime. D’après un document interne de l’Assurance maladie, à la fin de l’année 2017, 7 880 médecins se sont partagé 46,9 millions d’euros de prime Optam. Soit 600 euros par tête. A ce montant, partiel, il faudrait ajouter les primes Optam-CO. L’Assurance maladie assure ne pas être en mesure de nous communiquer ces chiffres, mais souligne un bilan positif : la moitié des médecins éligibles ont adhéré (contre 50 % pour le Cas) et 75 % ont tenu leurs engagements. Le taux moyen de dépassements diminue.
Ça, ce sont les chiffres lorsque l’on préfère voir le verre — ou plutôt, le trou de la Sécu, à moitié plein. Pourtant, en 2017, le montant total des dépassements a encore battu un record pour atteindre 5,5 milliards d‘euros d’après la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees). Soit près de 100 millions de plus qu’en 2016. Car si les médecins dépassent en moyenne un peu moins, ils sont aussi de plus en plus nombreux à le faire. 63 % des nouveaux spécialistes s’installent désormais en secteur 2. En Ile-de-France, autour de Dijon ou encore en Alsace, trouver un spécialiste conventionné au tarif Sécu est devenu mission impossible. « Les tarifs Sécu sont trop faibles. Nos loyers et nos assurances sont trop chères », se justifient les syndicats de médecins libéraux. « Les médecins dépasseurs se laissent envahir par l’appât du gain. Moi, j’ai fini ma carrière avec 4500 € par mois avant impôts, ce qui me semble confortable », riposte le Dr Bernard Coadou. Ce généraliste retraité a lancé une pétition pour interdire les dépassements.
Malgré la généralisation, le reste à charge, c’est-à-dire ce qu’il reste au patient à payer de sa poche après remboursement de l’Assurance maladie et de sa mutuelle, est stable. « Il faut se méfier des moyennes. Elles cachent des inégalités qui ont au contraire tendance à s’aggraver », précise Féreuze Aziza, de France Assos Santé, qui défend les droits des patients. « L’accès aux soins est de plus en plus conditionné au fait d’être couvert par une mutuelle. » Or, entre 5 % et 10 % des patients ne sont pas assurés. D’après une récente enquête de la Fédération nationale indépendante des mutuelles, ce seraient même jusqu’à 20 % des ménages modestes et un tiers des étudiants qui s’en priveraient. Un chiffre en rapide augmentation, coïncidant avec une explosion des tarifs des organismes complémentaires, dénoncée notamment par UFC-Que choisir : 47 % d’inflation en dix ans contre 14 % pour l’économie générale. Les personnes âgées, les chômeurs et les indépendants sont les premiers impactés. En marche, vers un système de santé à deux vitesses !
Dans le Siné Mensuel de mai 2019.