VOUS ME SAOULEZ avec la vidéo de la députée LR qui veut interdire les danses aux mariages : vous êtes des gros débiles. Ils proposent n'importe quoi qui a 0 chance de passer, vous vous indignez comme des robots, et hop ce sujet envahit le débat public... Et la députée (que je ne nomme volontairement pas) ? Elle est ravie, mission accomplie : jusque là elle n'était connue que pour ne pas savoir tenir l'hémicycle quand elle préside, maintenant elle va avoir a une petite aura médiatique de droitarde et son entrée sur les plateaux.
[…]
"Oui, mais ça aurait pu être voté". Non. Désolé de me la jouer expert, mais j'ai un accès permanent à l'hémicycle : je sais comment marche ce jeu. Alors faites confiance aux gens comme moi : on vous prévient quand il y a vraiment danger et qu'il faut monter au créneau.
[…]
Surtout qu'au final, vous allez effectivement finir par transformer ça en truc voté. Exemple ? La proposition de loi Ciotti qui interdisait de filmer les flics : elle allait faire un flop total si personne ne l'avait relevée... Sauf que vous vous êtes tous indignés en pilotes automatiques, en face ils ont vu que ça mordait, ça a fait le tour des plateaux, résultat, 6 mois plus tard, elle se retrouvait dans la loi sécurité globale. Super vous vous êtes indignés, mais vous êtes contents du résultat ?
[…]
on fait pas bien de la politique si on refuse de penser stratégiquement.
[…]
Précision qui semble échapper à beaucoup : une députée LR n'est PAS l'Etat français, et n'est PAS son représentant. […] Quand c'est Macron ou un ministre qui tient ces discours (Blanquer, Vidal, Darmanin), là, il me semble que la réaction est importante, parce que ce n'est pas du tout la même chose.
Je suis d'accord pour dire que c'est l'indignation qui fait crée et fait circuler les sujets et que les propositions de lois ont très souvent un but médiatique. Mais…
Faire confiance aux experts, c'est non. Comment déterminer qui est expert ? LQDN ou Greenpeace, par ex., hurlent quasiment à chaque fois (exemple). Comment faire la part des choses (sauf à étudier soi-même chaque cas en détail) ? Comment dénoncer un comportement déplaisant d'élu sans citer d'exemple ? Ça serait aux politiciens d'être raisonnables, calmes, responsables, etc.
Les propositions de loi "qui ont aucune chance de passer" sont des ballons d'essai, parfois poussés par le gouvernement, pour discuter de la faisabilité, pour récupérer les premiers contre-arguments pour étude, pour repérer les premiers soutiens, etc. et les idées de merde ne meurent jamais. Ça n'a rien à voir avec la publicité d'une idée. Même sans bruit médiatique, le point serait gagné. Y'a qu'à voir l'historique de l'instruction en famille… Toutes les lois que j'ai suivi ont eu une phase de maturation par des propositions de loi et/ou des amendements rejetés.
Prétendre que c'est uniquement l'audimat qui transforme une idée absurde en loi est réducteur. La loi renseignement (2015), la loi séparatisme (2021), et autres lois ayant rencontrées une vive opposition argumentée ont été votées grâce à l'indignation, du coup ?
Depuis la loi 2021-1109 dite séparatisme de 2021, l'instruction en famille (IEF) est conditionnée à une autorisation préalable (une dérogation) justifiée par un handicap / état de santé, la pratique intensive sport / arts, l'itinérance / l'éloignement géographique d'une école ou la situation propre de l'enfant et le projet éducatif.
Le Conseil constitutionnel a validé. L'IEF n'est qu'une modalité de mise en œuvre de l'instruction, ce n'est pas un droit, donc il n'y a pas d'atteinte à la liberté d'enseignement. L'autorisation est conditionnée, entre autres, à la « capacité d'instruire » des parents et à un « projet pédagogique », donc intérêt général, pas de discrimination, etc., donc c'est OK. Ce faisant, il met l'IEF sous la tutelle de l'administration qui devra préciser les modalités de délivrance et de contrôle. Le Conseil d'État a validé les décrets, donc lesdites modalités (d'autres arguments pourront être tentés, bien entendu).
Mediapart nous informe que des rectorats refusent les dérogations (et donc l'IEF). De ma lorgnette (j'ai été à l'école publique), on me dit qu'il y a des académies mal lunées et des refus arbitraires un peu partout. La FÉLICIA rapporte le taux de refus national publié par le ministère : 53 %, à comparer avec le taux de contrôles positifs de l'IEF des années antérieures : 98 % (c'est-à-dire qu'il n'y avait rien à signaler à l'issue de 98 % des contrôles). Selon une enquête maison de FÉLICIA, dans 85 % des refus, c'est la situation propre de l'enfant motivant le projet éducatif qui est rejetée (attention : faible échantillon, d'où la répartition par académie n'est pas publiée). Sans surprise : vu que c'était la seule marge de manœuvre prévue par la loi, c'est ici que l'État allait cogner.
Pour rappel, l'IEF est une obsession politicienne depuis fin 2013 : droite sénatoriale en 2013, droite de l'Assemblée en 2016 puis gouvernement de "gauche" en 2016. L'idée était déjà d'interdire l'IEF sauf incapacité constatée puis de renforcer les contrôles, notamment en en différenciant les modalités par rapport aux écoles privées et publiques (notamment, la compétence des parents était exigée). Sur la période 2016-2018, les écoles privées sans contrat avec l'Éduc' nat' ont aussi fait l'objet d'un serrage de vis parce que "oulalala les musulmans" (on fermera bien sûr les yeux sur les écoles cathos intégristes).
Via https://cakeozolives.com/shaarli-antichesse/?rkzRUw et https://cakeozolives.com/shaarli-animal/?kuhZlw.
Encore une vidéo qui traîne depuis un an dans un onglet de mon navigateur web…
Une vidéo sur les écoles démocratiques. Ce sont des écoles privées sans contrat avec l'Éducation nationale, ce qui veut dire que les enseignants (il n'y en a pas) n'ont pas une formation reconnue par l'État, ne sont pas rémunérés par l'État, que le programme (il n'y en a pas non plus) n'est pas validé par l'Éducation Nationale, etc. C'est parfaitement légal : en France, l'école n'est pas obligatoire, c'est l'instruction qui l'est, peu importe la forme qu'elle prend. Pour les détails, notamment sur les différents types d'écoles, voir mon shaarli sur le sujet.
Dans ces écoles, il n'y a pas de notion d'adulte et d'enfant avec le sous-entendu que l'enfant est irresponsable, qu'il n'est qu'une ébauche d'adulte, donc que seule l'autorité de l'adulte prévaut. Ce renversement de ce prétendu état de fait majoritaire est très bien exprimé dans l'ouvrage de Catherine Baker (lire le 4e point en partant de la fin). De là découle la participation de tous les membres à la prise des décisions (y compris ce qui touche au financement, à la survie de l'école ? La vidéo ne le dit pas), notamment à l'élaboration du règlement intérieur qui fixe les règles du vivre ensemble, ainsi qu'à l'énonciation de sanctions (l'école est dotée d'un conseil de justice qui prononce des rappels au règlement dont les membres sont représentatifs, en âge, des enfants). Les membres de l'école ne font donc pas « ce qu'ils veulent », comme le résume mal le titre putaclic de cette vidéo.
En revanche, sur le plan pédagogique, les membres de l'école jouissent d'une liberté totale : il n'y a pas de cours à heure fixe, pas de prétendu sachant-tout qui délivre son unique savoir bien-pensant à des prétendus ignorants-tout, pas d'activités communes programmées, et personne est autorisé à forcer qui que ce soit à faire quoi que ce soit. Les membres apprennent ce qu'ils veulent, quand ils veulent, au rythme qu'ils veulent, de la manière qu'ils veulent, en présence des personnes de leur choix. Quelques-unes des activités montrées ou exprimées dans la vidéo : lecture de BD, montage vidéo, piano, synthé, dessin, jeux de société, jeux vidéos, etc.
La motivation pour lire, écrire, compter, etc. naît d'un besoin, tout comme parler, manger proprement, s'habiller tout seul, etc. Si l'on ne bride pas sa curiosité, chaque membre de l'école se conduira de lui-même vers ces activités, mais à un rythme différent, non imposé. Les membres encadrants, qui n'ont pas de formation, ont pour rôle de guider les autres membres vers des ressources et des personnes afin qu'ils y trouvent les informations dont ils ont besoin pour mener à bien leur projet personnel.
Quand on évoque l'instruction en famille, notamment avec nos élus, les personnes sont effrayées : ils imaginent des enfants enfermés au domicile de leurs parents, prisonniers de leurs parents, prisonniers des idéologies ‒ forcément islamiques sinon ça ne fait pas peur ‒ de la famille, isolés, qui ne se sociabilisent pas, qui ne fréquentent pas d'autres enfants de leurs âges, qui n'apprennent pas la vie en société (tu sais, la fameuse « violence de la cour de récréation » qui crée des adultes névrosés), et dont l'apprentissage est à la merci du temps que peuvent leur consacrer leurs parents. Il n'y a rien de plus faux, mais les préjugés ont la peau dure. Ces écoles ont le mérite de casser ce mythe : les membres doivent apprendre à vivre ensemble, comme à l'école publique. Ce qui m'intéresse, c'est de mesurer si ces écoles diffusent moins de violences, si les citoyens qu'elle forme sont moins névrosés que ceux de l'école publique, etc. J'aimerai que des recherches soient menées sur ce sujet précis, le seul qui compte.
J'espère que tu comprends mieux, lecteur, que le désir des politiciens de tous poils de contrôler toujours plus fermement les écoles privées hors contrat au motif d'un prétendu enfermement communautaire islamique vise aussi ces écoles-là. Les lois qui visent à renforcer le contrôle sur l'instruction en famille et les écoles prétendument islamiques radicales porteront également atteinte aux écoles démocratiques, car la loi ne les différencie pas, elles sont toutes deux désignées par l'étiquette « école privée hors contrat ». Voilà une des raisons pour lesquelles je me suis toujours opposé à ces serrages de vis (l'autre étant que la montée du communautarisme religieux est une fable inventée par les politiciens afin de servir leurs sombres desseins) et que je t'invite vivement à faire de même.
Je suis radicalement opposé à l'école (que ce soit celles de l'éduc' nat' ou celles sous contrat ou celles hors contrat) depuis ma scolarité. À la fin de la version papier du guide d'autodéfense numérique, dans la section « du même éditeur », ce livre de Catherine Baker était référencé. Je m'étais dis que ça serait cool de lire ce que d'autres ont écrit afin de formaliser et affûter mes arguments anti-école.
Entre temps, j'ai lu le livre-recueil de quelques écrits d'Aaron Swartz (mes notes) dont certains ont l'école comme sujet. Ce dernier se concentre sur les faits historiques pour illustrer que l'école a été conçue, au moins aux États-Unis, comme un moyen de contrôle social au service du patronat. Il effleure aussi la psychologie pour expliquer l'échec de l'école à instruire depuis 2 siècles ainsi que la volonté implicite de domination de celle-ci.
Dans ce livre, l'auteure étudie le sujet sous les angles de la philosophie, de la morale et de la psychologie. Elle nous y parle de l'école comme lieu de maintien du Système, comme d'un empêchement de l'enfant de réfléchir au monde qui l'entoure et de se construire (ce qui en fera un⋅e citoyen⋅ne passif⋅ve). Tout comme Aaron, elle expose la violence de l'école (domination, humiliation, etc.). Elle réfute les arguments pro-école classiquee "l’école n’est plus comme ça de nos jours !" et "il n'y a pas d'uniformisation puisque il y a la liberté de l'enseignant⋅e". Au final, l'auteur⋅e explique que l'enfant est un adulte à part entière et qu'il ne faudrait pas le considérer comme un être diminué, donc il faut lui reconnaître sa capacité de réflexion, sa liberté totale, sa possibilité de travailler et de baiser, etc. ainsi que de participer aux choix qui construisent son environnement. Ce livre et les écrits d'Aaron sont complémentaires.
Ce qui manque à ce livre, c'est un contrepoint : ni l'école, ni l'instruction en famille ne sont parfaites, mais l'auteure s'acharne uniquement sur la première. Dans certains chapitres, l'auteure semble réfuter implicitement l'autorité (parfois sous la forme de manipulation pour tromper l’enfant dans ses choix afin de le conduire à faire ce que l'on veut) et la reproduction sociale qui sévit dans certaines (toutes ?) familles. L’auteure n’écrit pas un mot sur le fait que tout le monde n'a pas le temps d'instruire son enfant. De même, tout le monde ne sait pas instruire sans forcer ni vivre en groupe (famille) sans imposer à l'autre. Je n'ose pas croire que la vie des instruit⋅e⋅s en famille est aussi idyllique que celle décrite par l'auteure ("je ne t'ai jamais rien ordonné, on a toujours discuté, sauf une fois où je ne voulais pas que tu achètes des boucles d'oreille", "tu décides librement de tout, d'ailleurs tu vas te coucher bien après moi depuis tes 4 ans").
Le style littéraire (l'auteure s'adresse à sa fille à travers ce livre) rend certaines pages vraiment pénibles à lire, mais on les repère vite (début/fin de chapitre, par exemple), donc on peut les ignorer. En effet, l'auteure en fait parfois des tonnes sur les dommages que provoquerait l'école sur les enfants et sur les (ir)responsabilités qu'on lui prêtera concernant la non-scolarisation de sa fille. Mais, d'un côté, je comprends cette forte externalisation des sentiments… Après tout, je suis celui qui a écrit, dans un courrier à des élu⋅e⋅s, que « l'école de la République [est] une machine à échecs qui broie des âmes. » et qui assume ces propos. Mais je comprends qu’ils puissent faire peur en apparaissant « too much ».
Je recommande vivement la lecture de ce livre.
Quelques notes :
Partout, on enseigne de gré ou de force « pour le bien de l'humanité ». Partout, tu trouveras sous toutes les latitudes, les mêmes règles scolaires : on te fait entrer dans le troupeau des gens nés la même année que toi, on t'oblige à écouter quelqu'un, ce quelqu'un que tu n'as pas choisi et qui ne t'a pas choisie est payé pour te mettre, quels qu'en soient les moyens, certaines choses dans le crâne, lesquelles choses sont choisies par les États qui, en fin de course, sélectionnent par les diplômes la place qu'ils t'assignent dans leur société. Ton espace est aussi clôturé que ton temps : tu ne peux participer d'aucune manière à la vie de ceux qui ne sont pas en âge d'être scolairement conscrits.
Libérale ou non, l'école postule l'inachèvement de la jeunesse. Elle doit avoir une action « maturante ». Bien sûr, me dit-on, que les fruits de toute façon mûriront, mais ils seront plus beaux si on a mis de l'engrais aux arbres ! Peut-être, mais vos fruits n'ont plus de goût.
Il faut garder la jeunesse du vrai savoir (alors on lui donne du savoir « placebo » pour canaliser ses curiosités) afin qu'elle ne rivalise avec ses aînés que sur des sujets sans grand intérêt.
L'individualisation de chaque être ne mène pas à une solitude pire. Au contraire, seul l'être humain dégagé de son animalité sociale (de sa bêtise organisée) donne une chance à chacun de vivre dans un monde où peuvent enfin s'aimer des individus délivrés des mécanismes.
J'ai très envie de partager trois très jolis écrits produits par Aaron Swartz à propos de l'instruction en famille (non-scolarisation). J'en recommande très vivement la lecture. C'est long et copieux mais très instructif.
En s'appuyant sur plusieurs sources, Aaron traite les principaux axes de cette thématique : les humain⋅e⋅s naissent avec la volonté d'expérimenter et de comprendre. Pourquoi, factuellement et historiquement, l'école n'est pas, par conception, un lieu d'apprentissage selon la méthode scientifique, mais un lieu de mémorisation forcée d'éléments pré-sélectionnés décorrélés du réel. En quoi les écoles sont des lieux de domination et de frayeurs. Factuellement, l'échec de l'école à instruire les gens date du 19e siècle. En quoi changer les méthodes d'enseignement ou la sémantique des questions des examens n'améliore pas les résultats. Pourquoi l'école, au moins aux USA, fut historiquement rendue obligatoire à des fins de formatage social et de contrôle social. En quoi la non-scolarisation est une des solutions crédibles et comment la mettre en œuvre.
J'ai extrait ces textes d'une version papier du livre « Celui qui pourrait changer le monde » grâce à un logiciel de reconnaissance des caractères donc il peut y avoir des fautes de reconnaissance qui m'ont échappées.
Texte d’une conférence donnée au Edmond J. Soho Center for Ethics à l’université Harvard au printemps 2011.
Dès leurs premiers instants sur Terre, les bébés s’ennuient.
Ils s’ennuient tellement, en fait, que c’est la base de toute la recherche moderne sur les bébés. Montrez trois points à un bébé (...) et il les fixera intensément pendant un moment, avant de s’ennuyer et de détourner le regard. Changez la position des points (. . .) et il les regardera un instant, avant de s’ennuyer à nouveau. Mais ajoutez un autre point (....) et il recommencera à les fixer avec intensité. Les scientifiques sont aux anges : les bébés savent compter ! Mais ils passent à côté d’une chose encore plus importante : les bébés s’ennuient.
Dans une autre étude, on a donné aux bébés un oreiller spécial pour qu’ils puissent ajuster la position de leur tête de façon à pouvoir contrôler le mouvement d’un mobile. Non seulement ces nouveau—nés apprirent rapidement comment faire bouger le mobile, mais cette découverte fut suivie de ce que les chercheurs appelèrent « des sourires et gazouillements énergiques » (référence : John S. Watson, « Smiling, Cooing, and « The Game » »). Comme l’a fait remarquer une étude ultérieure, « même en observant des nouveau-nés de façon informelle, on constate bien la joie qu’ils éprouvent à faire survenir des événements » (référence : Neal W. finkelstein and Craig T. Ramey, « Learning to Control the Environment in Infancy, Child Development, 1977, vol. XLVIII, p. 806—819). En d’autres termes, les nouveau—nés ne jouent pas simplement parce qu’ils s’ennuient — dès la naissance, ils connaissent le plaisir que procure le fait de comprendre les choses.
Et franchement, il est logique que les nouveau-nés veuillent comprendre les choses. Le monde est tellement déconcertant ! Il est rempli d’images, de sons et d’odeurs bizarres — un nouveau monde de goût et
de toucher. La seule façon de s’y retrouver est de s’y appliquer du mieux que l’on peut, d’observer toutes les nouvelles choses que l’on voit et d’essayer à tout prix de les comprendre.Donnez un nouveau jouet à un bébé de six mois et il l’« examinera de manière systématique avec tous les sens qu’il a à sa disposition (y compris le goût, bien sûr) », écrit une équipe de chercheurs de pointe sur les bébés. « À un an environ, ils introduiront de façon systématique des variations dans les actions qu’ils accomplissent sur un objet : ils pourront tapoter doucement contre le sol une petite voiture que l’on vient de leur donner, en écoutant les sons produits, puis ils essaieront de la frapper plus fort en faisant beaucoup de bruit, et ensuite de la frapper contre la surface molle du canapé. À 18 mois, si vous leur montrez un objet doté d’une quelconque propriété inattendue, comme une boîte avec un son de mugissement par exemple, ils essaieront systématiquement de voir si l’objet en question peut faire encore d’autres choses inattendues » (référence : The Scientist in the Crib).
Ils s’impliquent tellement dans tout ce qui constitue leur monde. Très vite, ils commencent à reconnaître les visages — à distinguer leur mère des autres personnes — et ce que signifient ces visages. Ils apprennent la physique des bébés — lorsqu’une voiture passe derrière un objet, ils savent exactement à quel moment la chercher du regard lorsqu’elle réapparaît de l’autre côté — et ils sont surpris lorsqu’elle surgit plus vite ou plus lentement que prévu. Ils écoutent ce qu’il se dit autour d’eux — le habillage que nous adoptons tous automatiquement en présence de tout—petits les aide à repérer les voyelles — et apprennent à imiter ces bruits pour eux-mêmes. En résumé, les tout-petits sont des machines à curiosité.
Lors d’une expérience, des chercheurs ont posé un jouet légèrement hors de portée de plusieurs bébés, à qui ils ont ensuite donné un râteau qu’ils pouvaient utiliser pour attraper le jouet. Au début, les enfants ont tendu la main vers l’objet, puis ils ont regardé leurs parents d’un air implorant pour qu’ils l’attrapent pour eux, mais ensuite ils se sont rapidement mis à chercher une manière de se débrouiller tout seuls » — et finalement ils ont compris qu’ils pouvaient utiliser le râteau pour arriver à leur fin. Leur visage s’est illuminé de cette joie que procure la trouvaille. Ils ont tendu le râteau devant eux, fait quelques essais maladroits, mais ont fini par attraper le jouet et le ramener vers eux.
Mais ce n’est pas tout — l’enjeu n’est pas seulement d’attraper le jouet. « Après une tentative ou deux, [ils] oublient complètement le jouet. Souvent, ils le jettent à nouveau très largement hors de leur portee et font des expériences avec le râteau pour le ramener vers eux. Le jouet en lui-même est loin d’être aussi intéressant que le fait que le râteau permette de le rapprocher. »
« Ce n’est pas simplement que nous, êtres humains, soyons capables de faire ça ; c’est plutôt que nous avons besoin de le faire, écrivent. les chercheurs. Il semble que nous ayons une espèce de pulsion explicat1ve, de même que nous avons une pulsion pour la nourriture ou pour le sexe. Lorsque nous sommes face à une énigme ou à un mystère, à un modèle qui semble se dessiner, à une chose que nous ne nous expliquons pas bien, nous l’examinons jusqu’à trouver une solution. En fait, nous nous confrontons volontairement à ce genre de problèmes, y compris aux plus triviaux, ceux qui nous divertissent de la peur des voyages en avion, que ce soit des mots croisés, des jeux vidéo ou des romans policiers. En tant que scientifiques, il nous arrive de veiller toute la nuit, pris par un problème, jusqu’à en oublier de manger, et je doute que nos salaires de misère soient notre unique motivation. »
Pensez aux expériences d’« environnement sécurisant » […] Lorsqu’ils se trouvent dans une situation étrange, les tout-pet1ts sont terrifiés — ils se cramponnent à leur mère pour chercher appui aupres d’elle. Mais très vite, leur curiosité leur fait donner le meilleur d’eux-mêmes. Ils commencent, d’abord avec hésitation, mais bientôt très librement, à explorer le reste de la pièce. La pulsion explicative est tellement puissante qu’elle peut même vaincre la peur.
Et cela ne disparaît pas lorsqu’ils grandissent. Lors d’une expérience, on a présenté à des enfants de 4 à 10 ans une série de problèmes — certains faciles, d’autres plus ardus. Bien sûr, les enfants ne se sont pas attelés aux problèmes qui étaient trop durs pour eux, mais ils n’ont pas non plus choisi ceux qui étaient trop faciles. Ils ont cherché les problèmes qui leur correspondaient — ceux qui représentaient un défi, mais pas au point d’être impossibles à résoudre. Mais lorsqu’ils étaient recompensés — c’est-à-dire quand on leur donnait des récompenses pour avoir résolu des énigmes — ils retournaient directement aux problèmes les plus simples (référence : http://www.jstor.org/pss/1129110).
Quiconque a côtoyé des enfants d’âge préscolaire sait qu’ils n’ont pas besoin d’être motivés pour apprendre. « Il est rare que l’on entende « les parents se plaindre que leur enfant d’âge préscola1re « n’est pas motivé » », fait remarquer un psychologue pour enfants (référence : James Raffini 1993). En fait, les livres pour jeunes parents sont remplis de la plainte inverse : leurs enfants passent leur temps à leur demander pourquoi, pourquoi, pourquoi. « Pourquoi on va dans la voiture ? », « Pourquoi on va au supermarché ? », « Pourquoi les gens utilisent de l’argent pour acheter des choses ? »
À vrai dire, cela en devient presque agaçant. Alors on les envoie à l’école.
Il est bien souvent difficile de se souvenir à quoi ressemblait vraiment l’école. Ceux qui s’en sortaient bien se focalisent sur les souvenirs positifs et s’efforcent d’oublier le reste. Ceux qui s’en sortaient moins bien essaient d’évacuer de leur mémoire les outrages subis. En général, ce n’est pas un endroit que l’on aurait envie de revoir. Mais essayez un instant, imaginez-vous arraché à votre famille, envoyé chaque jour dans un endroit étrange où vous vous sentez mal à l’aise, jeté dans une mer de visages inconnus, tous effrayés chacun à leur manière et se défoulant souvent en conséquence sur vous.
Pas nécessairement « sur vous », mais, oui, l'école (comme le monde du travail) contribue à créer la violence de fond présente dans la société par la manière dont elle permet (ou non) de construire des rapports à l'autre (et c'est beaucoup plus profond que le classique "oui, la concurrence entre des personnes, ça craint") : proposons des rapports anxiogènes au sein du deuxième principal lieu de socialisation, l'école, et nous obtiendrons alors une société malade. D'ailleurs, ne dit-on pas "rooh non, mais c'est bon, la cour de récré ça t'endurcit, ça te prépare à la vie en société" ? Pourquoi faudrait-il s'endurcir ? Pourquoi la société devrait-elle être violente en permanence ?
Mais ce qui me frappe le plus quand je retourne dans les salles de classe où j’ai grandi, c’est à quel point elles me semblent petites aujourd’hui. Dans mon souvenir, les professeurs sont des géants et les classes étaient conçues pour d’autres géants comme eux. Les bureaux étaient de grands trucs dangereux, les tableaux noirs semblaient interminables, les bureaux et les tables avaient des formes qui m’intimidaient.
Mais c’était mon univers : jour après jour, ces géants contrôlaient ma vie, et ces enfants étaient mes seuls compagnons. Et que se passait-il dans ces cours ? Je ne pouvais pas explorer le monde ou me livrer à des expériences comme je le faisais chez moi. Je n’apprenais pas les choses comme je les avais apprises jusque-là — en tâtonnant, par l’expérience et l’expérimentation. Non, l’école était l’endroit du « vrai apprentissage » et le vrai apprentissage, me disait-on, c’était le « travail ».
La plupart des cours dans lesquels j’ai été, et la plupart de ceux que j’ai vus depuis — même dans les écoles les plus progressistes — se ressemblaient tous plus ou moins. Le professeur était assis devant la classe et parlait, tandis que les enfants, assis en face de lui, l’écoutaient. Parfois, il y avait une image, un schéma, ou une fiche d’exercices, mais la plupart du temps, ce n’était que des paroles. Pensez au nombre d’heures que nous avons passées assis à ces tables — six heures par jour, 180 jours par an, pendant douze ans — à écouter ces professeurs. Cela fait presque treize mille heures au total, plus de temps sans doute que vous n’en avez passé à regarder des films ou à faire du sport. De toutes ces heures, quel souvenir vous reste-t-il ? J’ai gardé quelques images en tête, comme des instantanés, mais j’ai beau essayer, je ne me souviens pas d’une seule phrase que j’ai entendue. Toutes ces paroles, et je peux à peine me souvenir d’une seule chose qu’ils m’aient dite.
J’imagine que ce n’est pas une surprise. Tous ces cours etaient ennuyeux au possible. Je suis sûr que la plupart du temps, j’avais l’esprit complètement ailleurs ; et je suis sûr que c’était aussi le cas de la majorité de mes camarades. Les professeurs n’étaient pas dupes, évidemment — voilà pourquoi ils nous sommaient de répondre à des questions, ponctuant ces longues heures d’ennui par des moments de panique et de terreur. Vous entendiez votre nom prononcé et, soudain réveillé, vous découvriez les yeux du professeur et ceux du reste de la classe rivés sur vous — tout votre monde en train de vous observer pour voir si vous alliez vous planter. L’éducateur radical John Holt posa un jour a sa classe la question suivante :
Nous étions en train de discuter de choses et d’autres, et tout le monde semblait dans un état d’esprit détendu, alors j’ai dit : « Il y a une chose dont je suis curieux, et je me demande si vous accepteriez de me répondre. » Ils m’ont dit: « Quoi donc ? » Et j’ai dit : « À quoi pensez-vous, qu’est-ce qui vous passe par la tête, lorsque le professeur vous pose une question et que vous ne connaissez pas la réponse ? »
Ma question a eu l’effet d’une bombe. D’un seul coup, un silence de mort s’est abattu sur la classe. Ils se sont tous mis à me fixer avec ce que j’ai appris à reconnaître comme une expression d’angoisse. Pendant un long moment, il n’y a pas eu un bruit. Enfin, Ben, un de mes élèves les plus effrontés, a brisé la glace tout en m’offrant une réponse : « Gloups ! », a-t-il lancé d’une voix forte.
Il parlait pour la classe tout entière. Ils se sont tous mis à parler très fort et tous disaient la même chose : quand le professeur leur posait une question dont ils ne connaissaient pas la réponse, ils étaient terrorisés. J’étais sidéré — decouvrir une chose pareille dans une école que l’on considère comme progressiste, une école qui s’efforce de ne pas exercer de pression sur les enfants, qui ne donne pas de notes dans les plus petites classes, et qui essaie de faire en sorte que les élèves n’aient pas l’impression de devoir absolument être les meilleurs.
Je leur ai demandé ce qui les etfrayait tant. Ils m’ont répondu qu’ils avaient peur de se tromper, peur d’être laissés pour compte, peur qu’on les traite d’idiots, peur de se sentir eux-mêmes idiots. […] Même dans la plus gentille et la plus douce des écoles, les enfants ont peur, beaucoup d’entre eux très souvent, et certains presque tout le temps. C’est un fait très concret auquel nous sommes confrontés.
Et cela ne s’arrange pas avec le temps. Même les étudiants en droit vivent dans la peur de cet appel glaçant — ce moment fatidique où, devant toute la classe, le professeur leur demandera de répondre à une obscure question. Et si une telle chose a le pouvoir d’ébranler ces élèves diplômés et accomplis, imaginez l’effet terrifiant qu’elle peut avoir sur des élèves de CP, isolés et impuissants !
La peur vous rend muet. Votre champ de vision se rétrécit, vous commencez à réfléchir désespérément au problème en jeu — non pas à ce que vous en savez ou à ce qu’il signifie, mais juste à la chose, n’importe laquelle, que vous devez dire pour vous en sortir sans encombre. Lorsque le professeur vous pose une question, ce n’est pas le moment d’essayer de comprendre ce qu’il veut dire réellement, ni comment cette question s’inscrit dans un contexte plus général. Pas non plus le moment d’obtenir des éclaircissements sur un point qui vous pose problème. Et pas le moment de vous tromper en toute bonne foi et d’apprendre de votre erreur. L’enjeu, c’est de donner la bonne réponse, rapidement, coûte que coûte.
Les enfants mettent au point des stratégies incroyables pour faire face à ces situations. Ils marmonnent quelque chose, en espérant que le professeur entendra ce qu’il veut entendre. Ils tournent autour du pot, couvrant leurs arrières pour qu’il soit plus difficile de les accuser de se tromper. Ils étudient le visage et les mouvements du professeur pour y trouver un indice — se corrigeant à toute vitesse si son attitude leur laisse penser qu’ils ont donné la mauvaise réponse. L’enjeu n’est pas d’apprendre, mais de survivre.
Jusqu’à présent, les écoles semblent avoir été presque parfaitement conçues pour entretenir la peur des enfants. Même s’ils peuvent survivre à la gêne de s’être trompés devant leurs camarades, d’autres punitions et récompenses existent pour faire en sorte que les enfants restent davantage concentrés sur les réponses que sur la compréhension. Échouez à une interrogation écrite ou à un devoir à la maison et l’on vous blâmera pour votre échec. Cela sera inscrit dans le cahier de classe et communiqué à vos parents, lesquels, en général, vous réprimanderont et vous puniront à leur tour. Les contrôles sont présentés comme une course contre la montre — pas le temps de réfléchir au contexte general ! — et quand ils sont finis, il y a davantage de corvées et de travaux inutiles à terminer.
Une fois la journée d’école terminée, ce n’est pas fini pour autant, même si vous donneriez tout pour un moment d’insouciance. Non, vous rentrez chez vous, mais vous devez encore faire vos devoirs, les mêmes petites tâches inutiles qui se répètent indéfiniment. Vous n’avez jamais un moment pour vous arrêter, pour penser par vous-même. Toute votre vie est surveillée de près — que ce soit par vos parents à la maison, ou par un professeur à l’école.
Vous n’avez jamais le temps pour vous arrêter et vous demander pourquoi. Demander pourquoi, ce n’est pas votre travail. Si vous pensez que le professeur se trompe, tant pis pour vous. Il n y a pas de cour d’appel. Même si vous avez raison, vous avez tort. Comment peut-on demander à quelqu’un de développer du respect pour lui-même, sans même parler d’estime personnelle, dans ce genre de condrt1ons ?
Comment, d’ailleurs, est-on supposé développer quoi que ce soit ? Nous comprenons le monde en fabriquant des modèles, en généralisant à partir de notre expérience, et en mettant ces généralisations à l’épreuve du monde réel. Nous apprenons parce que quelque chose nous intrigue — nous voulons comprendre de quoi il s’agit, ou son fonctionnement, et nous partons à l’aventure pour percer le mystère. Mais à l’école, il n’y a pas le temps pour tout cela. Nous sommes censés rester assis derrière un bureau, non pas explorer le monde. D’ailleurs, nous ne pouvons rien explorer du tout — le monde réel est soigneusement tenu à distance.
Nous sommes plutôt abreuvés d’un flux infini de faits prémâchés : définitions, noms, dates, lieux, équations — tous déconnectés de la réalité, et les uns des autres. Au lieu d’apprendre des choses sur le monde, nous apprenons des faits et des règles choisis au hasard. Et même à propos de ces faits et de ces règles, tout intérêt sincère est proscrit. Quand les cinquante minutes sont terminées et que la cloche sonne, nous devons arrêter de nous intéresser à telle chose pour nous intéresser à telle autre. Mais on ne contrôle pas la curiosité comme l’on change de chaîne toutes les cinquante minutes avec une télécommande. La seule mamere de survivre est de renoncer tout simplement à la curiosité, de se désintéressé des sujets que l’on vous demande d’apprendre, et de les laisser se fondre en une masse indistincte.
Et c’est parfait, parce que c’est une masse indistincte. Un cours de physique n’est pas très différent d’un cours de biologie ou de grammaire. Toute l‘instruction devient une affaire de mémorisation. La seule différence entre les matières est le genre de choses que l’on vous demande de mémoriser — s’agit-il de noms d’animaux ou des parties du discours ? Au lieu d’essayer de comprendre quelque chose, vous essayez juste désespérément de vous en rappeler — du moins assez longtemps pour être capable de le ressortir au moment du contrôle.
C’est un miracle si quelqu’un apprend quelque chose.
Et d’ailleurs, peut-être que personne n’apprend rien du tout. C’était l’idée qui obsédait Éric Mazur.
Aujourd’hui, tout porte à croire qu’Éric Mazur était un bon professeur — un très bon professeur, même. Il enseignait à Harvard — la plus prestigieuse école du pays, si ce n’est du monde. J’ai parlé à suffisamment de professeurs de Harvard, croyez-moi, pour savoir que le simple fait d’enseigner dans cette école suffit en général à leur donner une très bonne estime d’eux-mêmes. Mais même à Harvard, Mazur s’est démarqué.
Prenez les évaluations des enseignants que devaient remplir les élèves en fin d’année, « le très redouté questionnaire de fin de semestre ». Mazur donnait des cours d’introduction à la physique, et la physique n’était pas vraiment une matière très prisée des étudiants. « Quand ils faisaient cours à ces classes préparatoires de médecine, la plupart de mes collègues frôlaient le suicide lorsqu’ils découvraient les résultats […] parce que ces élèves n’étaient pas tendres avec leurs professeurs de physique. Mais ils l’étaient un peu plus avec moi — j’obtenais 4,5 ou 4,7 sur 5. »
Mazur obtenait-il de bonnes notes parce qu’il rendait les choses trop faciles ? Pour le savoir, il regarda les examens. « Je pouvais donner à ces étudiants des questions que je considérais comme assez compliquées — des questions auxquelles je n’étais même pas sûr de pouvoir moi-même répondre sans erreur dans les conditions stressantes d’un examen. Par exemple, un bâton est posé sur une surface sans friction, un palet heurte cette surface, les deux objets restent collés ensemble et commencent à tourner : calculez l’angle et la position rotationnelle en fonction du temps. Aucun problème pour la plupart de ces élèves en classe préparatoire de médecine. »
Il y eut quelques signes avant-coureurs. « Par exemple, certains étudiants écrivaient, à la fin de leur évaluation de fin de semestre : « La physique, c’est assommant. » Ils avaient beau me donner une bonne note, ils écrivaient ce genre de choses. Ou bien : « La physique, c’est vraiment nul. » Je n’ai jamais vraiment compris, et par conséquent, je préférais me concentrer sur les signes positifs et ignorer les signes négatifs.
« Vous savez, mon dentiste m’a dit un jour — et je n’ai même pas pu lui répondre à cause de l’appareil que j’avais dans la bouche — « Oh, vous êtes physicien. J’ai eu un A en physique à l’un1versrte, mais je n’y comprenais rien du tout. » Je suis toujours ennuyé quand j’entends ce genre de choses et je ne sais jamais comment réagir. Je n’ai jamais compris d’où cela venait. »
Puis, en 1990, après six ans d’enseignement, il tomba sur un étrange petit article dans un vieil exemplaire de l’American Journal of Physics. Ibrahim Halloun et David Hestenes, deux physiciens de l’université d’État de l’Arizona, avaient donné à leurs étudiants un examen de physique, mais d’un genre très singulier. La plupart des examens de physique posent des questions très compliquées, qui nécessitent un tas d’opérations mathématiques pour être résolues, comme celle avec le bâton et le palet. Mais au lieu d’augmenter la difficulte de leur examen de physique, Halloun et Hestenes décidèrent de le rendre plus facile. Il n’impliquait aucun jargon ni aucune opération mathematique de haut niveau ; en fait, il ne nécessitait même aucun calcul. Les questions étaient si simples et compréhensibles que l’on aurait presque pu donner cet exercice à une personne n’ayant jamais fait de physique de sa vie.
Pour ces étudiants en physique, elles devaient tenir de la simple formalité. Y répondre n’exigeait pas tellement plus que d’avoir compris les lois de Newton. « La première semaine, on décrit le mouvement
— vélocité, accélération, etc. La seconde, on parle de mécanique newtonienne — les trois lois de Newton. Et ensuite […] les choses commencent à s’élaborer sur ces bases-là. »Bon, vous avez probablement tous entendu parler des lois de Newton. Prenez la numéro 3 : « L’action est toujours égale à la réaction : c’est-à-dire que les actions de deux corps l’un sur l’autre sont toujours égales et de sens contraires. » Même les étudiants en lettres adorent la citer. Peut-être ne savons-nous pas exactement ce qu’elle signifie. Les étudiants en physique, eux, doivent le savoir — surtout ceux qu1 font de la physique de très haut niveau à Harvard.
Eh bien, dans leur interrogation écrite, Halloun et Hestenes ont posé à leurs étudiants une question assez simple sur la troisième loi de Newton. C’était la question numéro 2 — et celle qui s’est finalement avérée la plus difficile de l’interrogation écrite :
- Imaginez une collision frontale entre un gros camion et une petite voiture compacte. Lors de cette collision :
(a) le camion exerce sur la voiture une force plus grande que celle de la voiture sur le camion.
(b) la voiture exerce sur le camion une force plus grande que celle du camion sur la voiture.
(c) aucun des deux véhicules n’exerce de force sur l’autre, la voiture se fait tamponner simplement parce qu’elle se trouve sur la route du camion.
(d) le camion exerce une force sur la voiture, mais la voiture n’exerce pas de force sur le camion.
(e) le camion exerce la même force sur la voiture que la voiture sur le camion.Alors, selon la troisième loi de Newton, la bonne réponse est la réponse (e). La raison pour laquelle la voiture se fait tamponner et non le camion est, qu’à force égale, l’accélération est bien plus importante pour la voiture, plus petite et à l’arrêt. Mais, bien sûr, la plupart des gens ne le comprennent pas. (Vous ne le comprenez peut-être même pas après mon explication d’une phrase.) Comme la plupart des gens, 70 à 80 % des étudiants en physique choisissent la réponse (a).
Rien de dramatique en soi, sauf que pour un étudiant en physique, cette question relève du ba.-ba. « Tout le reste du semestre — qui dure encore environ neuf semaines — se développe à partir des lois de Newton. Autrement dit, si vous ne comprenez pas les lois de Newton, vous passez globalement à côté de tout ce qui vient ensuite au cours du semestre. » Et pourtant, question après question, à peu près toutes du même genre, c’était devenu très clair : les étudiants n’avaient pas compris les lois de Newton.
« Quand j’ai lu cela, confie Mazur, je n’ai pas vraiment réalisé. Après tout, c’est du niveau lycée » — comment des étudiants à l’université pouvaient-ils se planter là-dessus ? Et a fortiori des étudiants de l’université de Harvard, dont la plupart étaient des as en physique appliquée.
Sachant que la plupart des gens refuseraient de les croire, Halloun et Hestenes avaient réitéré l’expérience dans toutes sortes d’écoles avec toutes sortes de professeurs. Ils firent passer l’examen aux élèves d’un physicien qui mettait l’accent sur les concepts fondamentaux, à ceux d’un autre qui utilisait lors de ses cours plein de démonstrations passionnantes (et avait reçu de multiples distinctions), à ceux d’un autre encore qui enseignait comment résoudre les problèmes par l’exemple, et enfin aux élèves d’un jeune professeur qui n’était pas très sûr de lui et se contentait de lire le manuel. Ils ne purent détecter aucune différence — pas même entre le professeur primé et celui qui récitait le manuel. Evalués avec un simple examen comme celui-là, ils étaient tous aussi mauvais les uns que les autres. Les différentes méthodes adoptées par les professeurs n’y changeaient rien ; les étudiants n’apprenaient toujours rien.
« Je me suis senti mis au défi, se souvient Mazur. Ma réaction, comme vous pouvez vous en douter, a été de me dire : « Pas mes étudiants ! » Après tout, j’étais à Harvard — peut-être était-ce un problème propre au sud-ouest des États—Unis, n’est-ce pas ? […] Je voulais montrer que mes étudiants pouvaient réussir brillamment cet examen. […] À cette époque, on en était à la dynamique rotationnelle, et les étudiants devaient calculer les intégrales triples de corps compliqués avec différents moments d’inertie. Nous étions allés tellement au-delà de la mécanique newtonienne qu’il n’y avait aucune comparaison possible entre [cette interrogation écrite] et ce que l’on faisait effectivement en cours.
« Mais j’étais si impatient de connaître le taux de réussite que je suis entré dans la classe et que j’ai dit à mes étudiants que j’allais leur donner ce quiz. J’ai utilisé le mot « quiz » parce que je ne voulais pas les effrayer — vous savez comment sont les prépas médecine. […] Mais je devais les motiver pour qu’ils s’appliquent, alors je leur ai dit : « Écoutez, si vous vous appliquez pour ce test, vous pourrez utiliser votre résultat pour réviser la prochaine épreuve de milieu de trimestre. » En fait, je vous l’ai dit, l’épreuve de milieu de trimestre traite de questions bien plus compliquées. J’ai donc réalisé, à peine ces mots prononcés, qu’il s’agissait en fait d’un énorme mensonge. Et je craignais qu’après leur avoir dit cela, mes étudiants ne soient vexés en constatant d’entrée de jeu la simplicité du test.
« Comme mes craintes se sont vite dissipées ! Le premier groupe d’étudiants était à peine assis qu’une étudiante a levé la main pour demander : « Professeur Mazur, comment dois-je répondre à ces questions ? En fonction de ce que vous m’avez appris, ou en fonction de la façon dont je réfléchis à ces choses-là d’habitude ? » Comment était-il supposé répondre à une question pareille ?
Bien sûr, les résultats sont tombés et la classe de Mazur n’était pas très différente des autres. « Lorsque j’ai vu à quel point mes étudiants s’en étaient mal sortis, ma première réaction a été de me dire : « Eh bien, peut-être que tu n’es pas un professeur aussi génial que cela après tout. » Mais évidemment, ce ne pouvait pas être vrai, n’est-ce pas ? Donc je ne me suis pas attardé sur cette hypothèse. Alors, pour quelle autre raison les notes pouvaient-elles être aussi basses ? Des étudiants idiots. Mais c’est difficile à dire à [Harvard] ; nos étudiants sont triés sur le volet. Alors j’ai continué à réfléchir un peu, et là, mon esprit, mon esprit tordu, a trouvé l’excuse parfaite : […] l’examen ! Il devait y avoir quelque chose qui n’allait pas avec le test !
« Prenez cette question sur le camion très lourd et la voiture légère. Pas besoin d’avoir fait de la physique pour savoir qu’il vaut mieux pour vous que vous soyez dans le premier que dans la seconde. Alors peut-être que les étudiants confondaient les dégâts causés, ou l’accélération, avec la force — peut-être était-ce juste un problème de sémantique !
« Alors j’ai décidé de réaliser mon propre examen. J’ai décidé d’associer, dans une interrogation, deux types de questions sur le même sujet. L’une était une question classique tirée du manuel, qui serait bien traitée par les étudiants, je le savais. Et l’autre était une question reposant sur des mots, relativement semblable à celle du camion et de la voiture. Et j’ai décidé de laisser de côté la mécanique de Newton, parce que nous avons tous des conceptions intuitives de la mécanique de Newton avant d’avoir eu des cours de physique. J’ai décidé de poser quelques questions sur les circuits CC, les circuits à courant continu. Je pense que très peu de gens ont des conceptions intuitives du fonctionnement des circuits. »
D’accord, donc voilà une question standard (si vous ne comprenez pas, ne vous inquiétez pas) :
5/ Pour le circuit suivant, calculez (a) le courant dans la résistance 2 et (b) la différence de potentiel entre les points P et Q.
Cette question peut vous paraître impénétrable. Mais pour ces étudiants en physique, il s’agissait d’un problème standard auquel ils avaient l’habitude de répondre. « C’est directement tiré du manuel. Ce n’est pas un problème particulièrement difficile ; il faut à peu près 2/3 d’une page de calculs pour y répondre — mais ce n’est pas une question complètement anodine non plus. »
Maintenant, pour comparer, voici une question conceptuelle :
1/ Un circuit en série se compose de trois ampoules identiques reliées à une pile, comme montré ci—dessous. Lorsque l’interrupteur S est fermé, les valeurs suivantes augmentent-elles, baissent-elles ou restent-elles les mêmes ?
(a) Les intensités des ampoules A et B.
(b) L’intensité de l’ampoule C.
(c) Le courant consommé de la pile.
(d) La chute de tension traversant chaque ampoule.
(e) La puissance dissipée dans le circuit.Cette question n’implique absolument aucun chiffre. « Si vous comprenez les circuits CC, il vous faut 30 secondes pour y répondre, dont 25 pour lire la partie 1.»
« À Harvard, les cours principaux sont enseignés par deux membres de l’université. Donc pour pouvoir intégrer cette question à l’examen, je devais convaincre mon collègue que c’était un bon problème pour un examen. Je lui ai donc montré le problème, et après l’avoir lu, il m’a regardé et il m’a lancé : « Éric, tu as perdu la tête. […] cet examen ne compte que cinq problèmes. On ne peut pas brader 20 % de l’examen avec cet exercice ! » […] Et on a discuté pendant des heures […] S’il a fini par accepter, à contrecœur, c’est surtout parce que l’on n’avait pas d’autres problèmes sous la main. Et l’on a choisi d’en faire le premier problème de l’examen — le problème d’échauffement.
« Eh bien, il s’est avéré que les étudiants ont surchauffé. « Professeur Mazur, le problème numéro un est le problème le plus dur de l’examen ! » Un autre étudiant m’a dit : « Je ne savais pas par quoi commencer avec ce problème. » Que voulez-vous dire par « commencer » ? Commencer un tel problème, c’est déjà le finir ! […] Les étudiants avaient complètement paniqué. Certains avaient pris plus de six pages dans leur cahier d’examen pour écrire absolument tout ce qu’ils savaient sur les circuits CC avec l’espoir que dans le tas, il y aurait la bonne réponse. Et j’ai dû tout lire du début à la fin en quête de la bonne réponse ! »
Quelques mots sur ce problème de physique. La question de base est assez simple : lorsque l’on ferme l’interrupteur, le courant a non pas une, mais deux manières de former un circuit. Il peut emprunter le chemin d’avant, et faire tout le tour (en passant aussi par l’ampoule C), ou il peut juste passer par l’interrupteur.
Alors, une des choses les plus fondamentales concernant les circuits est que le courant emprunte toujours le chemin le plus court. (Le courant est paresseux, si vous voulez). Si vous fermez l’interrupteur, le courant parcourt ce chemin (le plus court) et l’ampoule C s’éteint. Voilà pourquoi tout s’éteint quand il y a un court-circuit. Mais ce n’est pas ce qu’ont pensé les étudiants d’Harvard. La plupart se sont dit que lorsque le courant pouvait emprunter deux chemins différents, il se divisait en deux moitiés et prenait les deux chemins. Ainsi, selon eux, les intensités des ampoules A et B restaient identiques, tandis que l’ampoule C perdait la moitié d’intensité.
On ne peut pas dire qu’il s’agisse simplement d’une question sémantique — quiconque possède un petit matériel de circuit de base qui traîne peut réaliser cette installation et observer ce qui se passe (mais ne le faites pas ; créer des courts-circuits est une opération un peu dangereuse). Soit l’ampoule C s’éteint, soit elle ne s’éteint pas — et l’on pourrait s’attendre à ce qu’un étudiant de Harvard qui excelle en circuits connaisse la bonne réponse. Lorsqu’il a regardé les résultats, Mazur a découvert avec stupéfaction que certains étudiants avaient brillamment répondu à la question traditionnelle, mais s’étaient trompés sur la question conceptuelle. Plus stupéfiant encore, aucun étudiant n’avait fait l’inverse — personne n’avait répondu correctement à ces questions élémentaires et s’était ensuite trompé dans les parties les plus difficiles de l’examen. Personne.
Mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg, même en physique. Lors d’une expérience, Andrea DiSessa avait demandé à des enfants de jouer à un jeu sur ordinateur qui simulait la physique newtonienne élémentaire. L’objectif était de frapper dans une balle pour atteindre un but. Le psychologue Howard Gardner décrit le cas d’un sujet type :
Envisageons ce qui est arrivé à une étudiante du MIT prénommée Jane, dont le cas fut étudié intensivement par DiSessa. Jane connaissait tous les formalismes enseignés dans les cours de physique de première année. Elle pouvait ressortir l’équation F = ma dans les cas appropriés, elle pouvait réciter parfaitement les lois de Newton sur le mouvement, et elle pouvait utiliser les principes de l’addition vectorielle lorsque cela lui était demandé dans des ensembles de problèmes. Mais dès qu’elle commença le jeu, elle adopta les mêmes pratiques que les élèves naïfs de primaire, partant du principe que la tortue avancerait dans la même direction que le coup. Pendant une demi-heure, elle s’est obstinée dans cette stratégie inadéquate. Ce n’est qu’une fois convaincue que cette stratégie ne marcherait pas qu’elle s’est fait l’observation décisive qu’un objet ne perdrait pas le mouvement qu’il avait avant que le coup soit donné juste parce qu’elle donnait un coup dans une certaine direction. Cette prise de conscience l’a conduite à faire une expérience dans laquelle la vélocité (ou la vitesse dans une direction particulière) de la tortue dynamique était enfin prise en compte.
Comme le soulignait l’expérimentateur:
Nous avons déjà évoqué la remarquable similarité entre l’ensemble des stratégies [de Jane] et celles adoptées par des enfants de ll ou 12 ans. Mais ce qui est tout aussi remarquable est le fait qu’elle n’ait pas, et même n’ait pu, pendant un certain temps, relier cette tâche à tous les cours de physique qu’elle avait eus. Non qu’elle fût incapable de faire les analyses apprises en classe ; son addition vectorielle était, en elle—même, parfaite. C’est plutôt que sa conception naïve de la physique et la physique apprise en classe n’étaient pas liées, et, en l’occurrence, elle avait employé sa conception naïve de la physique.
Cependant, comme l’a montré une série d’études, les erreurs de Jane sont tout à fait typiques des étudiants en physique à l’université. Lorsqu’on leur demanda ce qui arrive à une balle propulsée à travers un tube de forme courbe, les étudiants répondirent qu’elle continuerait à décrire une trajectoire courbe, comme si la balle absorbait la courbe. Lorsqu’on les interrogea sur les forces agissant sur une pièce de monnaie lancée en l’air, 90 % des étudiants ingénieurs répondirent qu’il y en avait deux : la force ascendante de la main et la force descendante de la gravité (en réalité, une fois que la pièce s’est séparée de la main, il n’y a plus que la force de la gravité). Les étudiants qui ont étudié la relativité oublient ce qu‘ils ont appris lorsqu’on les interroge sur le comportement de deux horloges situées à distance l’une de l’autre. Je pourrais continuer, mais passons à la biologie. Même les étudiants qui ont étudié la biologie pendant des années continuent de penser que les caractéristiques qu’acquiert un animal en une génération peuvent se transmettre à ses petits (comme la girafe qui étire davantage son cou pour atteindre de la nourriture plus éloignée). Ils partent du principe que tous les changements qui surviennent chez les animaux sont le fruit d’un changement dans leur environnement et ils croient que l’évolution suit une direction particulière et non qu’elle avance en trébuchant, au hasard. Ils croient que le comportement des animaux répond à une intentionnalité : que les parasites essaient de détruire leurs hôtes, que les caméléons changent volontairement de couleur pour se camoufler. Ils pensent que les plantes aspirent le sol par les racines et que leurs traits génétiques sont répartis selon des proportions précises, c’est-à-dire précisément trois pour un.
On pourrait espérer que la situation soit moins désolante en mathématiques, domaine où ce type de lieux communs est moins répandu. Mais même l’algèbre élémentaire s’avère problématique. Lorsqu’on leur demande de mettre en équation le fait qu’il y a six élèves par professeur, la plupart des étudiants à l’université écrivent : 6e = p. Mais c’est prendre les choses à l’envers. Selon cette équation, le nombre de professeurs (p) est six fois plus grand que le nombre d’élèves (e). Et ce n’est pas de la simple négligence : même lorsque les étudiants sont prévenus de ce problème, ils continuent de faire la même erreur.
Ce n’est qu’un exemple d’un problème plus vaste — les étudiants ne semblent pas vraiment savoir ce que signifient les symboles ; ils connaissent juste quelques opérations élémentaires que l’on peut effectuer avec eux. Lorsqu’on leur soumet un problème qu’ils ne sont pas sûrs de savoir résoudre, les étudiants commencent simplement à ajouter tous les nombres qu’ils voient. Quand on leur demande d’additionner deux fractions, ils additionnent simplement les nombres du dessus, puis ceux du dessous. Et leur compréhension des décimales n’est pas tellement plus brillante : ils refusent de croire que 0,6 est supérieur à 0,5999 et inférieur à 0,6000001.
Les étudiants en informatique sont victimes d’une confusion quasi inverse : ils ne semblent pas comprendre que l’ordinateur ne fait que suivre rigoureusement des règles, et s’attendent au contraire à ce qu’il comprenne ce qu’ils ont écrit, comme le ferait n’importe quel lecteur humain. Ainsi, par exemple, ils se demanderont pourquoi l’ordinateur ne met pas simplement le plus grand nombre dans la variable « max », dans la mesure où c’est manifestement ce qu’ils ont voulu faire.
Les étudiants à l’université qui ont étudié les sciences économiques semblent envisager l’économie à peu près comme le font ceux qui ne les ont pas étudiées. Les uns comme les autres affirment des choses comme: « Plus les ventes augmenteront, plus les prix baisseront, parce que l’on peut toujours conserver le même bénéfice » — affirrnation qui va totalement a l’encontre du rôle que joue le bénéfice dans la théorie économique. La plupart du temps, l’université ne semble pas réellement ébranler ce genre de raisonnement élémentaire. Une étude a montré que le point de vue qu’adoptent les étudiants pour penser les problèmes sociaux et politiques est a peu près le même avant leur entrée à l’université et à la fin de leurs etudes.
Tournons-nous vers les lettres. Une célèbre expérience menée par I. A. Richards a montré que lorsqu’on leur demande de résumer des poèmes, même les étudiants en lettres ont tendance à les comprendre complètement de travers. Non seulement ils ne saisissent pas les sous-entendus poétiques, mais ils semblent incapables de comprendre la signification littérale du texte. Comme l’écrit Richards: « Ils n’arrivent pas a en comprendre le sens, la signification évidente et apparente, en tant qu’ensemble de phrases rédigées dans un anglais intelligible et courant, et considérées hors de toute signification poétique. »
En outre, lorsqu’on leur demanda d’évaluer des poèmes ou le nom de l’auteur avait été retiré, ils donnèrent des notes basses aux poètes les plus célèbres, auxquels ils préférèrent un affreux poème jamais publié écrit par un parfait inconnu. Pourquoi ? Au lieu de chercher la signification, ils avaient simplement donné des notes élevées à des poèmes qui étaient positifs, bien rythmés, et qui utilisaient un vocabulaire empreint de sensibilité.
À chaque fois, on observe le même phénomène : les enfants sont peut-être capables de mémoriser assez de formules et de faits pour passer l’examen, mais ils n’ont littéralement aucune idée de ce dont ils parlent. Lorsqu’on leur pose une question d’une façon légèrement d1fferente ou avec une application pratique, l’apparence de comprehens1on s’effondre, tout simplement.
Les écoles font quelque chose. Nous savons tous qu’obtenir un diplôme augmente nos salaires, même s’il n’y avait pas « littéralement des milliers d’études publiées » qui venaient le confirmer (référence : http://wwwjstore.org/stable/2138394). Mais quelle est cette chose que fait l’école exactement ?
La théorie classique, bien sûr, est qu’à l’école, on apprend. On y va, on apprend des choses, ce qui nous rend plus performants dans notre travail et incite les employeurs à nous payer davantage. Mais les preuves venant étayer cette théorie s’avèrent plutôt difficiles à trouver.
L’économiste Joseph Altonji a essayé de calculer les bénéfices de l’éducation en envisageant les bénéfices de chaque cours de lycée pris à part. Il a comparé les salaires d’individus qui avaient suivi un cours avec ceux d’individus qui ne l’avaient pas suivi, puis il a essayé de calculer combien d’argent supplémentaire gagnait l’élève moyen ayant suivi ce cours. À partir de la, il a effectué la démarche inverse en essayant de déterminer combien d’argent un élève aurait perdu s’il n’avait suivi aucun cours du tout. Le résultat était saisissant : le fait de ne suivre aucun cours n’avait statistiquement aucun effet significatif sur les salaires ; en fait, cela pouvait même les augmenter !
Une étude similaire menée par différents chercheurs, avec des données différentes, et selon une méthode complètement différente, a donné plus ou moins le même résultat : les élèves qui n’avaient suivi aucun cours à l’école étaient payés en moyenne 0,12 $ de plus par heure.
Les mêmes problèmes subsistent lorsque l’on considère les résultats d’un élève dans telle ou telle matière. « La liste des chercheurs ayant échoué à établir un rapport significatif, d’un point de vue économique, entre les résultats aux tests de connaissances et les salaires est longue », fait remarquer l’économiste Andrew Weiss. La réussite aux épreuves scolaires standard de vocabulaire, de lecture, de mathématiques, etc. n’a pas d’effet sensible sur les salaires. De même que le fait d’avoir de bonnes notes ne semble pas être un indicateur de réussite sur le lieu de travail. « La plupart des élèves qui ont travaillé dur à l’école n’en retirent que peu de bénéfices, déplore l’économiste John Bishop. La réussite au lycée telle qu’elle est évaluée par les notes n’explique presque rien des réussites professionnelles […] avoir de bonnes notes n’augmente pas la probabilité de trouver un travail, ni de toucher un salaire concurrentiel une fois que l’on a été embauché. » (référence : http://digitalcommons.ilr.cornell.edu/cahrswp/400/)
Dernier élément de preuve : le GED (diplôme d’études secondaires obtenu en candidat libre). Si l’école était simplement un lieu d’instruction, les élèves titulaires d’un GED réussiraient à peu près comme ceux qui ont suivi des études secondaires. En effet, les étudiants titulaires d’un GED sont, en moyenne, plus instruits que ceux qui possèdent un diplôme d’études secondaires — après tout, la plupart des lycéens n’ont pas besoin de passer un test de connaissances pour valider leurs années de lycée (dans de nombreux États américains, le high school diploma, équivalent de notre baccalauréat, est délivé au terme des années de lycée, sans épreuves particulières préalables). Mais toute cette instruction ne leur vaut pas grand-chose sur le marché du travail — les élèves titulaires d’un GED réussissent à peu près aussi bien que les élèves ayant abandonne le lycée.
Je ne suis pas convaincu.
D'un côté, il est clair, qu'en France, en informatique, parmi mes connaissances, les personnes qui ont suivi un cursus scolaire peu qualifié en apprentissage, lors de leur entrée dans leur première entreprise (généralement celle qui les a formées) sont largement mieux payées qu'un bac+5 fraîchement diplômé employé par la même entreprise : l'expérience est donc privilégiée à la connaissance pure.
De plus, dans les entreprises où je fus salarié, entreprises réparties en France, il y avait une diversité des diplômes, du bac au bac+5, parfois même pas en informatique et, pourtant, nous avions tous un emploi et un salaire qui dépendait uniquement de notre expérience : tout junior, peu importe son diplôme entrait dans l'entreprise avec tel salaire, point.
De plus, les entreprises qui étaient prêtes à signer mon premier contrat de travail m'ont affirmées toutes les deux que, ce qui avait fait la différence, c'était mon engagement dans un Fournisseur d'Accès à Internet associatif. Oui, dans ma lettre de motivation, j'exposais techniquement et socialement ce que j'avais fait (et échoué) dans ce FAI associatif. Sans ça, je n'étais visiblement pas embauché. Mon joli bac+5 ne m'a pas servi à décrocher un emploi. Durant mon premier emploi (c'est moins vrai pour les autres), c'est bel et bien les compétences développées chez ce FAI associatif et non celles acquises durant mon cursus universitaire que j'ai mis en œuvre. Donc le recruteur ne s'était pas trompé, il avait bien choisi.
De plus, à part pour l'obtention de mon premier emploi, les recruteur⋅euse⋅s ne m'ont plus jamais fait passer de tests techniques afin de vérifier les compétences en amont de la signature du contrat de travail.
De plus, aucune entreprise où je fus salarié ne m'a demandé une copie de mon diplôme. La confiance règne ou bien ce n'est pas important ?
Enfin, parmi mes connaissances, certaines étaient admiratives de mon salaire et attribuaient leur salaire inférieur à leur niveau d'études plus court de 2 ans. À chaque fois, soit en demandant son salaire à un de leur collègue avec un niveau d'études et une expérience similaire à la mienne, soit en postulant directement à une offre d'emploi proposée par leur entreprise, j'ai pu démontrer que non, même avec mon bac+5 j'aurais un salaire de misère identique aux leurs.
D'un autre côté, je ne suis pas sûr que les emplois non-informatiques sont logés à la même enseigne, mais je manque de données de terrain pour l'affirmer.
Précisons que les chercheurs ne se réjouissent pas de ces resultats. John Bishop, par exemple, s’en indigne. Mais malgré tous leurs efforts, ils ne peuvent pas faire disparaître les faits.
Que font donc les écoles si elles n’instruisent pas la nouvelle génération ? Eh bien, il suffit de regarder ce qui reste : les écoles sont des endroits où les enfants doivent être chaque jour à 8 heures, pendant des années et des années, s’asseoir à des tables inconfortables sous des éclairages fluorescents avec un groupe de quasi étrangers, et obéir aux intructions arbitraires de leurs supérieurs sur la façon appropriée d’effectuer des tâches intellectuelles répétitives. Un simple coup d’œil sur un espace de bureaux moderne vous prouvera que ce sont là des talents très recherchés.
Demandez aux employeurs ce qu’ils attendent de leurs employés, ils ne vous répondront pas une intelligence théorique supérieure. En fait, dans les années 1970, les employeurs se plaignaient que leurs ouvriers étaient trop instruits et nourrissaient par conséquent « des attentes professionnelles irréalistes ». Les « mauvaises attitudes des ouvr1ers » qui en résultaient donnèrent lieu à des « problèmes de productivité et de qualité et (dans certains cas) à du sabotage pur et simple » (référence : Capelli). En effet, les employeurs demandent du « caractère » : « le sens des responsabilités, de l’autodiscipline, de la dignité, du travail d’équipe, et de l’enthousiasme ». En d’autres termes, les employeurs veulent des individus sur qui ils peuvent compter pour effectuer leur travail avec fierté et enthousiasme — et certainement pas des individus susceptibles de se livrer a des comportements répréhensibles et à des opérations de sabotage.
En observant pourquoi les nouvelles recrues qui « ne font pas l’affaire » se font renvoyer durant leurs premières semaines, on peut voir où réside vraiment le problème. Malgré tous ces discours sur le fait que nous avons besoin de meilleures écoles pour être plus compétitifs au sein d’une économie mondiale, une étude sur les employeurs a montré que seuls 9 % des travailleurs étaient renvoyés parce qu’ils étaient incapables d’apprendre à faire leur travail correctement.
Je repense à un stagiaire en fin d'études dans une entreprise où j'étais salarié. Il était curieux : il bricolait différents trucs techniques sur son temps libre dont un serveur de mails complet et il posait des questions pour apprendre (sur IPv6, par exemple). Il aimait bien tout remettre en question et trouver la vérité par la méthode scientifique de l'expérimentation. Je me souviens ainsi d'une conversation / expérimentation sur le fait de savoir si l'adresse IP du visiteur d'un site web telle que remontée par PHP est extraite d'un header HTTP ou depuis autre chose. C'était fondamental à ses yeux car si c'était un header HTTP, la fiabilité de la pseudo authentification qu'il avait trouvé dans le code sur lequel on lui avait demandé de travailler n'avait plus du tout de sens. Pour ceux et celles qui veulent se moquer, j'ai vérifié à l'époque : sa formation n'incluait pas de cours de réseaux informatiques. ;)
Sauf qu'il fut jugé trop lent et surtout trop pénible dans ses remises en question des instructions et des vérités qu'on faisait pleuvoir sur lui, donc il ne dépassa pas sa période d'essai post-stage. Je tiens le motif de son non embauche de son supérieur. ;) Pourtant, avant cet épisode, son boss m'exposais ô combien il avait été opprimé dans sa quête des connaissances dans le passé d'où son amour pour notre entreprise qui lui laissait plus d'air et lui accordait plus de confiance. Soit il avait un double discours, soit on lui a demandé de dégager le stagiaire et il s'est exécuté ce qui mettrait en lumière un problème structurel. Pourtant, il suffisait de guider ce fameux stagiaire quand il s'égarait genre j'ai parfois été sec pour le faire redescendre sur terre quand ses négations de la vérité devenaient du n'importe quoi complet et ça suffisait bien… et ça n'entravais pas sa curiosité, contrairement à la méthode retenue par l'entreprise.
Je bossais dans une entreprise purement technique dont le nom fait rêver le geek moyen à cause des technos utilisées et de l'ambiance soi-disant à la cool, pas dans une grosse boîte bien figée. C'est dire.
Et si l’on considère les travailleurs appréciés de leurs patrons, on découvre qu’ils revêtent plus ou moins les mêmes traits que les élèves appréciés des professeurs : « fidèle au poste », « fiable », « qui s’identifie à son travail/à son école », disposé au renoncement, et faisant preuve d’« altitudes pro-sociales » — c’est-à-dire disposé à en faire le plus possible pour le patron (référence : Edwards 1977).
En résumé, les écoles n’apprennent pas vraiment quelque chose aux enfants, car elles ne visent pas vraiment à apprendre quelque chose aux enfants. Elles visent à apprendre aux enfants à rester tranquilles, à faire leur travail et à être à l’heure.
Ce n’est pas un accident. C’était le plan depuis le début.
Il est difficile d’imaginer à quoi ressemblait l’Amérique avant la révolution industrielle. La notion de liberté était alors bien plus forte qu’elle ne l’est aujourd’hui. Pour beaucoup d’Américains, la vie ne consistait pas à se présenter à son travail à l’heure dite, à obéir aux ordres toute la journée, et à revenir chez soi pour deux heures de « temps libre » — à l’époque, on y aurait vu de l’esclavagisme. Un Américain libre était un homme qui travaillait pour lui et pour sa famille, chez lui, aux heures qu’il voulait, et qui se faisait payer en fonction de ce qu’il avait accompli.
Dans l’organisation du putting—out system (système économique de sous-traitance mis en place aux États-Unis et en Grande-Bretagne, qui a perduré jusqu’à la révolution industrielle), par exemple, les négociants venaient livrer chez vous des matières premières comme le coton. Quand vous le décidiez, vous cardiez, filiez et tissiez le coton pour en faire du tissu. Et la semaine d’après, le négociant revenait pour acheter le tissu que vous aviez produit. Si vous vouliez gagner plus d’argent, il vous suffisait de travailler davantage ou de trouver un moyen pour travailler plus efficacement. Si vous vouliez partir en vacances, personne ne pouvait vous en empêcher — simplement, vous n’étiez pas payé cette semaine-là.
La vie n’était pas parfaite, loin de là. Joindre les deux bouts pouvait s’avérer difficile et il n’existait aucune protection contre la chute des prix ou les ralentissements du marché. Mais les gens étaient libres. Ils étaient leurs propres patrons, suivaient leurs propres règles. Et ce n’était pas une chose que les Américains étaient enclins à abandonner à la légère.
Au début, les manufactures furent elles aussi une promesse de liberté. Aux filles de ces familles, elles offraient une chance de se soustraire à la loi de leur père et de se mettre à travailler pour elles-mêmes — pour leur propre salaire, dans leur propre vie. Au lieu de travailler sous la coupe de leurs parents, les filles de la Nouvelle-Angleterre s’en allèrent dans les ville-usines — de tout nouveaux centres urbains créés le long de la rivière pour pourvoir en main—d’œuvre ces manufactures, premieres véritables usines du pays. Remplaçant les femmes qui filaient le coton chez elles pour en faire du tissu, les filles manœuvraient d’immenses machines actionnées par des turbines à eau pour faire ce même travail à la ville.
Et c’était en effet des filles. Harriet Robinson avait 10 ans quand elle partit travailler dans les manufactures de Lowell, dans le Massachusetts. « J’ai d’abord travaillé dans la salle de filage en tant que « cardeuse », se souvient-elle. Les cardeuses étaient les filles les plus jeunes, et leur travail consistait à carder, à enlever les bobines pleines et à les remplacer par des bobines vides. Je me revois encore, courant a toute vitesse dans le couloir, entre les machines à filer, portant devant moi une boîte de bobines plus grande que moi » (référence : fibre & Fabric: A Record of American Textile Industries in the Cotton and Woolen Trade, 1898, vol. XXVIII, p. 170).
La loi ne reconnaissait pas la femme comme une personne pouvant dépenser de l’argent. C’était une pupille, un appendice, un résidu. […] Soixante ans ont passé et je les revois encore comme si c’était hier — déprimées, modestes, parlant du bout des lèvres, osant à peine regarder quelqu’un en face, tant elles avaient passé leur vie dans la crainte, comme isolées dans la forêt. Mais après le premier jour de paie, quand elles ont senti dans leurs poches le tintement de l’argent dont elles avaient commencé d’éprouver l’influence mercurielle, leurs têtes baissées s’étaient relevées, leurs cous semblaient cerclés de fer, elles vous regardaient droit dans les yeux, chantaient allègrement devant leurs métiers à tisser ou leurs machines, et marchaient d’un pas souple en allant et en revenant du travail » (référence : Harriet Robinson, Loom and Spindle, Applewood Books, p. 68-70).
D’une condition proche du paupérisme, elles se trouvèrent soudain placées au-dessus du besoin ; elles pouvaient gagner de l’argent, et le dépenser à leur guise ; elles pouvaient satisfaire leurs goûts et leurs désirs sans contrainte, sans avoir de comptes à rendre à quiconque. Enfin, elles avaient trouvé une place dans l’univers ; elles n’étaient plus obligées de passer leur semblant de vie comme de simples fardeaux pour les hommes de leur famille. Même le temps appartenait à ces femmes, le dimanche et le soir, une fois la journée de travail terminée. Pour la première fois dans ce pays, le travail des
femmes avait une valeur monétaire (référence : Harriet Robinson, Loom and Spindle, Applewood Books, p. 68-70).Mais si le fait de pouvoir gagner de quoi se loger et se nourrir était libérateur, les conditions qui le permettaient ne l’étaient pas. Bien avant l’avènement de la journée de huit heures, ces filles travaillaient quatorze heures par jour, de 5 heures à 19 heures — avec seulement une demi-heure de pause pour le petit-déjeuner et le déjeuner. Elles étaient logées à l’étroit avec les autres filles, à deux dans un lit, quatre dans une pièce, avec très peu d’espace ou d’intimité.
Leurs patrons, en revanche, « vivaient dans de grandes maisons, pas trop près des pensions, entourées de beaux jardins qui ressemblaient au paradis pour certaines filles ayant le mal du pays, qui, lorsqu’elles revenaient de leur travail dans les manufactures bruyantes, pouvaient regarder d’un œil envieux à travers le battant parfois ouvert du grand portail, et se remémorer ainsi leurs agréables maisons à la campagne ».
Le travail était dur, mais leur laissait beaucoup de temps pour réfléchir, et bien qu’elles n’aient reçu aucune instruction, ces filles ne s’en privaient pas. Et après le travail, elles lisaient assidûment, leurs livres passant de main en main. Et elles assistaient avec enthousiasme aux exposés des divers conférenciers invités. « Chaque hiver, je donnais une conférence au Lowell Lyceum, se souvient un professeur de Harvard. À l’époque, l’objectif du conférencier était d’instruire, et non de distraire. […] Le Lowell Hall était toujours plein à craquer, et 80 % de l’auditoire était composé d’ouvrières. Lorsque le conférencier entrait dans la salle, chaque fille ou presque avait un livre à la main et le lisait attentivement. Et lorsqu’il apparaissait à son pupitre, le livre était mis de côté et remplacé par une feuille et un crayon; et très peu de jeunes filles rentraient chez elles sans avoir pris des notes exhaustives sur ce qu’elles avaient entendu. Je n’ai jamais vu un auditoire prendre des notes de façon aussi assidue. Non, pas même dans un cours à l’université » (référence : A. P. Peabody, « The Lowell Offering », Atlantic Monthly, avril 1891).
Et au fil de toutes ces réflexions, de toutes ces choses apprises et de toutes ces discussions, elles commencèrent à remettre en question les aspects les moins agréables de leur situation. Lorsque, en 1836, les propriétaires de la manufacture Lowell décidèrent de baisser les salaires de leurs employées, les filles se mirent en grève. « je garde un souvenir très vif de la première grève (ou « turn out », comme on disait a l’époque) », se souvient Harriet Robinson.
Je travaillais dans une des pièces du bas, où j’avais entendu les filles discuter en long et en large, parfois très vivement, de la grève qui était proposée ; j’avais écouté avec grand intérêt ce qui se disait contre cette tentative d’« oppression » de la part de l’entreprise et, bien sûr, je me ralliais à la cause des grévistes. Quand vint le jour où les filles devaient se mettre en grève, celles des salles du dessus donnèrent le coup d’envoi, et elles furent tellement nombreuses à quitter leur poste que la manufacture fut fermée sur-le-champ. Puis, alors que les filles de ma salle demeura1ent indécises, ne sachant que faire, se demandant entre elles : « Tu le ferais, toi ? » ou : « Est—ce qu’on devrait faire grève ? », aucune n’ayant le courage d’initier le mouvement, moi, qui commençais à me dire qu’elles n’allaient pas sort1r, après toutes leurs discussions, j’ai perdu patience et j’ai pris les devants, en lançant avec une bravade enfantine : « Vous pouvez bien faire ce que vous voulez, moi je vais faire cette grève, même si je dois être la seule », je suis sortie, et les autres m’ont suivie. Quand je me suis retournée et que j’ai vu la longue file qui me suivait, j’ai ressenti une fierté qu’aucun succès ultérieur ne m’a jamais apportée » (référence : H. Robinson, Loom and Spindle, p. 84.).
Elle avait 11 ans.
Ce que ces jeunes filles ont accompli est tout à fait incroyable. Elles montèrent leur propre journal, The Voice of Industry, qu’elles écrivaient, éditaient, imprimaient et vendaient elles-mêmes. Par ce biais, elles organisèrent d’autres manifestations et d’autres grèves, et constituèrent également leur propre liste de candidats aux élections d’État, afin de lutter pour de meilleures conditions de travail et une journée de dix heures. Contre toute attente, leur liste gagna. Les propriétaires, indignés, s’arrangèrent pour que leurs législateurs déclarent les résultats des électrons nuls et organisent un nouveau vote. Avant celui-ci, de grandes affiches furent placardées, menaçant de renvoi quiconque votera1t pour la liste des dix—heures. Et pourtant, la liste l’emporta à nouveau.
Une fois en place, les parlementaires réussirent à faire voter une loi sur la journée de dix heures à la Chambre de l’État, mais, comme c’est habituellement le cas avec une législation progressiste, elle fut coulée par le Sénat de l’État.
Mais leurs articles dans The Voice montrent qu’elles voulaient bien plus que de meilleures conditions de travail. Elles se considéraient comme des esclaves — des esclaves salariées —— et en conclurent que la solution n’était pas seulement d’exiger que leurs patrons soient plus gentils avec elles, ou les paient davantage, mais d’abolir purement et simplement les patrons.
Le travailleur ne sait pas encore contre quel terrible adversaire il se bat. Compétences concentrées sous la forme de machines et travail accumulé sous la forme du capital, l’un et l’autre dirigés par une intelligence supérieure, sont déployés contre lui. Ces forces puissantes, qui devraient être de son côté, devraient être ses serviteurs, ses outils, sont en train de l’écraser. […] Dans le bon ordre des choses, l’endroit où se concentrent les richesses devrait aussi être celui où le niveau de pauvreté est le plus faible, mais aujourd’hui, il en va autrement ; plus l’éclat du capital est étincelant, plus les conditions sordides, la misère et l’humiliation s’imposent à ses côtés (référence : The Voice of Industry, 14 avril 1848)
La solution était très claire :
Au lieu de chicaner, de temporiser et de faire des compromis avec les capitalistes, nous voulons voir les membres de la classe ouvrière acquérir chaque jour plus d’indépendance à travers un système de coopération et de garanties mutuelles. Lorsqu’ils pourront obtenir les moyens de vivre indépendamment des capitalistes, alors et seulement alors, les mots « grève » et « turn out » signifieront quelque chose. Ils doivent renforcer leur position et s’unir de façon à devenir leurs propres employeurs et procéder à leurs échanges commerciaux sans l’interférence d’intermédiaires et de négociants. Laissons-les assumer eux-mêmes les deux fonctions de travailleur et de capitaliste. Tant que nous dépendrons des manufactures de coton pour nos emplois, nous serons oppressés. Ceux qui travaillent dans les manufactures
devraient les posséder » (référence : The Voice of Industry, 10 mars 1848).On est presque tenté de parler de marxisme ici, mais c’était plusieurs années avant Marx. « Ceux qui travaillent dans les manufactures devraient les posséder. » C’était simplement du bon sens.
C'était en même temps que Marx, celui-ci ayant mis des dizaines d'années à théoriser « Le Capital ».
Les propriétaires des manufactures étaient très mécontents de toute cette agitation. Ils renvoyèrent les semeuses de trouble (saboteuses ?) et ajoutèrent leurs noms à la liste noire qu’ils partageaient avec d’autres manufactures. Ils se mirent en quête de personnes plus dociles pour les remplacer. Et ils utilisèrent la mainmise qu’ils avaient sur le logement et les commerces pour essayer de forcer leurs ouvrières à reprendre le travail.
Mais leur plan le plus étonnant fut aussi celui de la plus grande envergure : ils envoyèrent les filles à l’école. Lowell, foyer de la révolution industrielle américaine, foyer de ces filles qui se retournèrent contre lui et conclurent que « ceux qui travaillent dans les manufactures devraient les posséder », fut aussi le foyer des premières écoles américaines.
Les élèves actuels n’auraient aucun mal à reconnaître les écoles qu’ils construisirent alors — ce sont les écoles publiques. « La porte [de chaque école] devra être fermée précisément à l’heure d’ouverture de l’école, et chaque matin, dix minutes seront allouées à la pratique des exercices religieux. » (Aujourd’hui, nous ne prononçons plus que le serment d’allégeance.) « Chaque professeur doit faire l’appel dans sa classe […] le matin et l’après-midi, et doit tenir un registre précis de toutes les absences. » La journée était alors divisée en leçons distinctes, avec « trente minutes pour l’étude de chaque leçon et dix minutes pour chaque récitation ».
Au lieu de punir les élèves physiquement, les enseignants étaient incités à assurer l’ordre « avec les moyens les plus cléments possible » pour instiller « un respect pour le droit, et ainsi un critère d’autonomie dans l’esprit des enfants eux-mêmes ». Les élèves étaient interrogés et notés sur ce qu’ils avaient appris, et, exactement comme aujourd’hui, travailler en coordination avec d’autres élèves était considéré comme « de la triche » et puni. (Peut-être craignaient—ils que s’ils apprenaient à se coordonner, les élèves seraient davantage susceptibles de fomenter des grèves une fois dans les manufactures.)
En 1855, les membres du comité scolaire de Lowell constatèrent qu’ils avaient des soucis avec un parent malavisé qui s’imaginait que les écoles étaient « une république, où le sujet peut remettre en question le pouvoir de celui qui dirige ; alors que l’administration de l’école est et doit être une monarchie absolue […] où aucun sujet ne peut ni ne doit remettre en cause l’ordre ou la loi du chef suprême » (référence : David Isaac Bruck, « The Schools of Lowell, 1824-1861: A Case Study in the Origins, mémoire de licence, université de Harvard, 1971, http://id.lib.harvard.edu/aleph/003824609/catalog). Tout cela pour former les enfants à la démocratie !
Le programme aussi ressemblait beaucoup à celui des écoles actuelles:
[Il associait] de la grammaire, de la géographie, de l’histoire et de la physiologie au programme élémentaire de lecture, d’écriture et d’arithmétiq ue. Mais ce qui est étonnant dans cette extension du programme, c’est l’inutilité fondamentale du matériel traité : [ces cours] étaient entièrement voués à la mémorisation de détails généralement insignifiants. Les candidats à l’entrée au lycée en 1850, par exemple, devaient connaître les noms de la capitale d’Abyssinie, de deux lacs au Soudan, de la rivière qui « traverse le pays des Hottentot », et du désert qui s’étend du Nil à la mer Rouge, et devaient
pouvoir localiser la baie de Bombetoka, le golfe de Syrte, et les montagnes de Lupata. [Les autres sujets étaient traités selon] une méthode similaire, toutes les questions étant consacrées à des connaissances très ciblées, et dans la plupart des cas infimes, sans aucun lien avec les vies actuelles ou futures des élèves qui recevaient ces enseignements.Et en effet, ces études n’améliorèrent pas les performances des élèves dans les manufactures. Des registres minutieux tenus par les propriétaires des manufactures nous permettent de comparer les travailleurs d’usines qui étaient allés à l’école à ceux qui n’y étaient pas allés. Comme pour les élèves actuels, il n’y a aucune preuve d’un quelconque effet de l’instruction sur la productivité des ouvriers (référence : Luft).
Alors pourquoi les propriétaires de manufactures dépensèrent-ils tant d’argent pour construire et faire fonctionner ces écoles ? Ils étaient très clairs sur leur intention. Les cours était justifiés non par leur utilité, mais parce que le fait de les apprendre par cœur était une forme d’« éducation morale » donnant lieu à « des habitudes industrieuses […] et à l’influence hautement morale qu’elle exerce sur la société dans son ensemble ».
Comme l’expliquait un directeur de Lowell : « Je n’ai jamais considéré la simple connaissance, de grande valeur en elle-même pour le travailleur, comme étant le seul avantage d’une instruction reçue dans une bonne école publique. Les plus instruits, en tant que classe, me sont toujours apparus comme dotés d’un sens moral plus élevé, plus disciplinés et respectueux dans leur façon de se tenir, et davantage disposés à se soumettre aux règlements salutaires et nécessaires d’un établissement. »
Non seulement ceux qui étaient allés à l’école se pliaient mieux aux règles, mais ils étaient aussi moins susceptibles de causer des ennuis : « En période d’agitation, je me suis toujours tourné vers le plus intelligent, le mieux instruit, et celui dont le sens moral était le plus développé pour y trouver un soutien et j’ai rarement été déçu. […] Mais les ignorants, ceux qui n’avaient pas reçu d’instruction étaient en général les plus difficiles, agissant sous l’impulsion d’une passion et d’une jalousie exacerbées. »
En d’autres termes, « cette catégorie de personnel qui a bénéficié de l’instruction d’une bonne école publique est la plus souple, la plus disposée à se plier à des exigences raisonnables, et celle qui exerce une influence salutaire et conservatrice en période d’agitation, tandis que les plus ignares sont les éléments les plus réfractaires » (référence : Lettre de H. Bartlett, Esq. à Horace Mann, Lowell, 1er déc. 1841, Horace Mann, Common School Journal, 1842, p. 366). En bref, « les propriétaires de manufactures ont un grand intérêt financier dans l’instruction et l’éducation morale de leur personnel ».
Un autre directeur de Lowell : « J’ai observé que lorsque ces démagogues décident de persuader ces chers employés des manufactures que leurs employeurs sont trop exigeants, oppressifs et ont des attentes démesurées, l’esprit et le sens moral sont en général plus facilement contaminés s’il s’agit d’un ignorant. »
Le comité scolaire de Lowell résuma ainsi leurs constatations : « Les propriétaires trouvent que la formation que reçoivent les enfants dans les écoles est admirablement adaptée pour les préparer au travail exigé dans les manufactures. » Pourquoi ? « Quand [leurs ouvriers] sont bien instruits […], il ne peut pas y avoir de controverses ou de grèves, et les esprits des masses ne peuvent pas non plus être influencés par des démagogues et contrôlés par des considérations temporaires et artificielles. » (référence : Massachusetts Board of Education, Annual Report of the Board of Education, vol. XXIII, 1860, p. 56).
Les élèves, soulignent-ils, « doivent recevoir leurs premières leçons de subordination et d’obéissance dans la salle d’école. Chez eux ils sont soit totalement livrés à eux-mêmes, soit, ce qui est tout aussi néfaste, soumis à une discipline qui oscille entre indulgence stupide et tyrannie exaspérée » (référence : Lowell Mass. School Committee, Annual Report, 1847, vol. XXI, p. 56).
En effet, l’école était tellement importante que les propriétaires de manufactures décidèrent rapidement de la rendre obligatoire. « Nous ne saurions trop insister sur notre conscience des dangers qui nous attendent de la part de [ceux qui] ne fréquentent pas ou n’ont pas fréquenté nos écoles publiques », prévenait le comité scolaire de Lowell. L’école pour tous est « notre garantie la plus sûre contre les mouvements internes » (référence : Samuel Bowles, Schooling in Capitalist Americ: Educational Reform and the Contradictions of Economic Life, Haymarket, 1976, p. 160).
Les enfants qui ne sont pas allés à l’école « constituent une armée à craindre davantage que la guerre, la peste et la famine », prévenait le comité. « Des tentatives manquées, au cours de l’année passée, de brûler deux de nos écoles […] sont le signe des maux qui rongent ces éléments et qu1 nous menacent » (référence : Samuel Bowles, Schooling in Capitalist Americ: Educational Reform and the Contradictions of Economic Life, Haymarket, 1976, p. 160).
Plus précisément, des incendies de ce genre étaient le signe d’une résistance publique à l’exercice d’une telle contrainte. En 1837, 300 professeurs furent forcés de s’enfuir de leur salle de classe par des élèves v1olents et déchaînés (référence : David K. Cohen et Barbara Neufeld, « The Failure of High Schools and the Progress of Education », Daedalus, vol. CX, été 1981, p. 87, note 2). En 1844, la population irlandaise fit la grève de l’école, réduisant le taux de présence de 80 %. Le comité scolaire intensifia ses efforts contre l’absentéisme pour les obliger, eux comme les autres, à reprendre le chemin de l’école.
Et tout comme le modèle de l’usine, le modèle de l’école obligatoire se répandit à partir de Lowell. Une analyse de données censurées réalisée par Alexander Field révéla que ce qui conduisait une ville de petite taille à se doter d’une école n’était pas son éventuelle croissance démographique, ni une hausse des salaires, ni l’introduction d’équipements coûteux, mais plutôt l’introduction du système industriel lui-même. Alors que les usines se multipliaient à travers le pays, les écoles publiques faisaient de même.
Et leurs justifications ne changérent pas non plus. Comme le fait remarquer l’historien Merle Curti : « Presque toutes les réunions annuelles de la National Education Association (NEA) se concluaient sur un appel d’éminents pédagogues aux professeurs, leur demandant de l’aide pour réprimer les grèves et surveiller la diffusion du socialisme et de l’anarchisme. Les commissaires à l’Éducation et les rédacteurs en chef de périodiques d’éducation sommaient leurs équipes de poursuivre le même objectif. » Le commissaire à l’Éducation John Eaton affirmait que les hommes d’affaires devaient « comparer le coût de la pègre et des vagabonds aux frais d’une instruction satisfaisante et universelle » tandis que le président de la NEA James H. Smart déclarait que les écoles contribuaient davantage « à la suppression de la flamme latente du communisme que tous les autres organismes réunis ».
« Les pédagogues, écrit Curti, dénonçaient encore et encore les doctrines radicales et présentaient l’instruction comme la meilleure prévention et le meilleur remède. » Les leaders de l’industrie étaient bien d’accord — des dirigeants commerciaux comme Henry Frick, John D. Rockefeller, Andrew Carnegie et Pierre S. du Pont soutenaient avec enthousiasme la diffusion des programmes d’éducation. Pour reprendre les tenues de la réformatrice sociale Jane Addams : « L’homme d’affaires, bien sûr, n’a pas pensé : « Je vais laisser l’école publique former les garçons de bureau pour mon compte, ainsi je pourrai les avoir à peu de frais », mais il a pensé, et parfois dit : « Apprenez aux enfants à écrire de façon lisible, et à raisonner correctement et rapidement ; à acquérir des habitudes de ponctualité et d’ordre ; à être prompts à obéir, et à ne pas demander pourquoi; et vous les préparerez à se frayer un chemin dans le monde comme j’ai frayé le mien ! » (référence : Merle Curti, The Social Ideas of American Educators, Totowa (New Jersey), Littlefield, Adams, 1959. Extraits (p. 218—220, 228, 230, 203)).
Et telle a été leur attitude depuis. En dépit de tous ces discours sur les pédagogues et les priorités éducatives, les personnes les plus importantes de n’importe quelle école ont toujours été les hommes d’affaires. Ils se plaignent en permanence que nos écoles sont défaillantes, qu’elles doivent abandonner leurs lubies modernes pour en « revenir aux fondamentaux », et que si elles ne deviennent pas plus dures avec les élèves, le marché américain ne pourra pas faire face à la concurrence.
Comme l’a montré Richard Rothstein, ces revendications ne datent pas d’hier. Parce que la raison d’être des écoles n’a jamais été la véritable instruction, les hommes d’affaires, depuis les tout débuts, n’ont eu aucun mal à rassembler des études sur leur incapacité à remplir cette tâche. En 1845, seuls 45 % des meilleurs élèves de Brighton savaient que l’eau augmente en volume lorsqu’elle gèle. Dans une école, 75 % des élèves savaient que les États-Unis avaient imposé un embargo sur les biens britaniques et français durant la guerre de 1812, mais seuls 5 % savaient ce que signifie le mot embargo. Les étudiants, écrivait le secrétaire à l’Éducation, se contentaient de mémoriser les « mots du manuel […] sans avoir […] à penser à la signification de ce qu’ils avaient appris ».
En 1898, un examen à Berkeley révéla qu’au moment de la rentrée, 30 à 40 % des premières années ne maîtrisaient pas bien l’anglais. Un rapport d’Havard révéla que seuls 4 % des candidats « étaient capables d’écrire un essai, d’orthographier ou de ponctuer correctement une phrase ». Mais cela n’empêcha pas les éditorialistes de continuer à se plaindre et à regretter le bon vieux temps. À l’époque où ils allaient à l’école, déploraient les rédacteurs du New York Sun en 1902, les enfants « devaient travailler un peu […] L’orthographe, l’écriture et l’arithmétique n’étaient pas facultatifs, et il fallait apprendre». Désormais, l’instruction n’était qu’« un vaudeville. Il faut sans cesse faire en sorte que l’enfant se divertisse, et il apprend ce que bon lui semble ». En 1909, l’Atlantic Monthly se plaignait que les compétences fondamentales aient été remplacées par « toutes sortes de modes et de fantaisies ».
La même année, le doyen de l’école de Stanford prévenait que dans une économie mondialisée, « que cela nous plaise ou non, nous commençons à voir que nous sommes seuls contre le monde dans une gigantesque lutte de cerveaux et de compétences ». À cause de leurs écoles défaillantes, bien sûr, les Américains n’étaient pas à la hauteur.
En 1913, Woodrow Wilson convoqua une commission présidentielle pour réfléchir aux façons d’améliorer notre compétitivité éducative à l’international. Cette commission découvrit que, durant la Première Guerre mondiale, plus de la moitié des nouvelles recrues de l’armée « n’étaient pas capables d’écrire une simple lettre ou de lire un journal avec facilité ». En 1927, l’Association nationale des manufacturiers déplorait qu’à la sortie du lycée, 40 % des élèves ne savaient pas effectuer de simples calculs ou s’exprimer correctement en anglais.
En 1938, une étude déplorait que les nouvelles méthodes d’apprentissage à la mode négligeaient totalement l’enseignement élémentaire de la graphophonétique : « Les professeurs […] conspirent contre leurs élèves dans leurs efforts pour apprendre ; ces professeurs semblent être résolus à ne jamais désigner une lettre par son nom […] ou à ne jamais montrer comment utiliser les formes ou les sons des lettres pour la lecture. » Une étude réalisée en 1940 auprès de dirigeants d’entreprises « révélait qu’une grande majorité d’entre eux estimaient que les jeunes diplômés étaient moins bons que la génération précédente en arithmétique, en rédaction, en orthographe, en géographie et en questions internationales ».
Un test réalisé en 1943 par le New York Times permit d’établir que seuls 29 % des premières années à l’université savaient que Saint—Louis se trouve sur le Mississipi, et que seuls 6 % connaissaient le nom des treize États d’origine de l’Union, certains pensant même que Lincoln avait été notre premier président. On observait la, commentait le Times, une « ignorance frappante des aspects les plus élémentaires de l’historre des États—Unis ».
En 1947, le rédacteur en chef du service éducation du Times publia un livre intitulé Our Children Are Cheated. Des hommes d’affaires y déploraient le triste état des écoles américaines. L’un d’eux se plaignant d’avoir eu à « mettre en place des cours spéciaux pour apprendre [à ses nouvelles recrues] à […] mettre en œuvre des changements […] Seule une petite proportion d’entre eux [savent] classer Boston, New York […] Chicago […] Denver […] dans l’ordre correct de leur emplacement d’Est en Ouest, ou nommer les États dans lesquels [se trouvent] ces villes ».
Un test mené en 1951 à L.A. permit d’établir que plus de la moitié des élèves de quatrième ne savaient pas calculer une taxe sur la vente de 8 % sur un montant de 8 $. Les journaux se plaignaient que les élèves ne savaient même pas lire l’heure. En 1952, le journal Progressive Education se plaignait des « attaques proférées contre les manuels qui invitent à une pensée curieuse et au raisonnement personnel, […] de la pression croissante invitant à supprimer les « chichis et petites modes » — par lesquels ils désignent des services essentiels comme les crèches, les classes pour handicapés, les expérimentations et les conseils d’orientation, les programmes pour aider les enfants à comprendre et à apprécier leurs voisins issus de milieux différents », ce que l’on appellerait aujourd’hui le multiculturalisme.
En 1958, le U.S. News and World Report se lamenta1t qu’« il y a cinquante ans, un diplôme de lycée valait quelque chose. […] Nous avons simplement trompé nos élèves et trompé la nation en d1str1buant des diplômes de lycée à ceux dont nous savions bien qu’1ls n’avaient pas les qualifications intellectuelles qu’un diplôme de fin d etudes secondaires est supposé sanctionner — et sanctionne en effet dans les autres pays. C’est cette édulcoration des exigences qui nous a placés dans la situation critique que nous connaissons actuellement ».
En 1962, un sondage Gallup révélait que « seuls 21 % de la population consulte des livres ne serait-ce que très occasionnellement ». Et en 1974, le Reader’s Digest s’interrogeait : « Sommes—nous en train de devenir une nation d’illettrés ? [On observe] un affaissement évident à la fois du niveau d’écriture et du niveau de lecture […] à une époque où la complexité de nos institutions exige un degré d’alphabétisation encore plus élevé ne serait-ce que pour pouvoir fonctionner correctement. [Nous] avons la preuve indiscutable que des millions d’Américains supposés instruits ne savent ni lire ni écrire de manière satisfaisante » (référence : Vance Packard cité dans Richard Rothstein, The Way We Were? The Myths and Realities of America’s Student Achievement, The Century Foundation, 1998).
En 1983, la Commission nationale de l’excellence dans l’éducation de Reagan affirma que nos écoles défaillantes faisaient de nous une « nation en danger ». « Si un pouvoir étranger hostile avait essayé d’imposer à l’Amérique les piètres performances éducatives qui sont les nôtres aujourd’hui, nous y aurions certainement vu un acte de guerre », déclarait la commission. En 1988, le président de Xerox prévenait que « l’éducation publique a placé ce pays dans une situation de terrible désavantage compétitif. […] Si les tendances actuelles […] se confirment, les entreprises américaines devront recruter un million de nouveaux employés par an qui ne savent ni lire, ni écrire, ni compter ».
En 1993, le gouvernement reprenait la même rengaine. « La grande majorité des Américains ignorent qu’ils n’ont pas les compétences requises pour gagner leur vie dans une société où la technologie occupe
une place toujours plus importante, et dans un marché qui s’internationalise de plus en plus », se lamentait Richard Riley, alors secrétaire à l’Education. En 1995, le président d’IBM déclara aux gouverneurs que nos écoles avaient besoin de critères plus stricts à « une époque qui exige une amélioration des compétences si nous voulons que les Américains réussissent sur le marché mondial ».Ce genre de plaintes continuent de se faire entendre aujourd’hui. Elles sont toujours suivies d’appels à une « réforme de l’éducation » et à des « critères plus élevés », qui se traduisent toujours en pratique par les mêmes « exercices et compétences » qu’autrefois. Et, bien sûr, c’est exactement le but.
J’entends déjà les objections. « C’est une théorie du complot ! », s’exclament-ils.
D’un point de vue strictement factuel, cette affirmation est une grave erreur. La théorie du complot désigne un petit groupe de personnes qui se sont, en secret, arrangées pour subvertir la façon dont les choses fonctionnent en temps normal. Mon propos est exactement le contraire : il s’agit d’un grand groupe de personnes, qui travaillent au vu et au su de tous, et qui s’assurent que les choses continuent de suivre leur cours normal.
Alors, pourquoi est-ce que cela ressemble autant à un complot ? Parce que dans les deux cas, je pense, il s’agit d’affirmer que les choses ne fonctionnent pas comme les gens ont toujours cru qu’elles fonctionnaient. Dès notre jeune âge, on nous dit que même si la société dans laquelle nous vivons a de nombreux problèmes, elle est fondamentalement sensée. Les écoles existent pour offrir une éducation aux gens, les entreprises existent pour fabriquer des choses que les individus veulent, les élections existent pour donner aux individus l’occasion de s’exprimer sur la façon dont le système est dirigé, les journaux existent pour nous dire ce qui se passe. C’est ainsi que le monde fonctionne, tout simplement.
Maintenant, on peut raisonnablement croire que toutes ces choses ont des défauts — que les écoles, par exemple, pourraient mieux instruire les étudiants. Après tout, les choses peuvent toujours être améliorées, et parfois dans une large mesure. Mais lorsque l’on va plus loin et que l’on soutient que non seulement les écoles sont des lieux où l’enseignement est de mauvaise qualité, mais que leur raison d’être n’est pas du tout d’enseigner quoi que ce soit — eh bien, c’est là que les choses deviennent effrayantes.
Parce que si l’objectif des écoles n’est pas d’enseigner, alors tout ce que l’on nous a dit a leur sujet est un mensonge. Et si tout le monde nous ment, alors cela commence à ressembler à une théorie du complot.
Mais il suffit de regarder notre histoire pour voir qu’il n’y a pas de complot. Un groupe d’entrepreneurs audacieux découvrent qu’ils peuvent fabriquer du tissu plus rapidement en faisant construire de grandes manufactures. Les filles qui travaillent dans ces manufactures ne cessent de causer des grèves et d’autres ennuis, alors les entrepreneurs exigent de leurs employées qu’elles aillent à l’école dès leur jeune âge pour apprendre à bien se tenir.
Mais évidemment, la plupart des gens ne seront pas ravis d’aller à l’école dans le but d’apprendre à accepter des salaires plus bas sans protestation. Alors les patrons trouvent une manière d’enjoliver l’histoire : l’objectif des écoles est d’enseigner aux travailleurs ce qu’ils ont besoin de savoir pour survivre dans le monde du travail. C’est faux, bien sûr — il n’y a pas de rapport entre les faits appris par cœur à l’école et les compétences nécessaires sur le lieu de travail — mais l’histoire est suffisamment convaincante.
Et voilà comment la multiplication des écoles et des usines et détruit le modèle de liberté américain. Au lieu d’être des fermiers indépendants ou des fabricants autonomes, les Américains sont conduits dans les usines en troupeaux, forcés de travailler pour quelqu’un d’autre parce qu’ils ne peuvent pas gagner leur vie autrement. Mais grâce aux écoles, cela semble normal, et même naturel. Après tout, n’est—ce pas ainsi que le monde fonctionne, tout simplement ?
Aujourd’hui, tout le monde semble s’accorder à dire que ce sont des écoles plus strictes qu’il nous faut. George W. Bush s’est associé à Ted Kennedy pour faire voter la loi No Child Left Behind, qui sanctionnait les districts scolaires (comprendre : leur retirait leur financement) qui n’obtenaient pas d’assez bons résultats. (Comment les écoles défaillantes étaient-elles supposées améliorer leurs résultats en ayant moins d’argent ? C’est une chose qui n’a jamais été réellement expliquée.) Barack Obama, bien sûr, n’aurait jamais soutenu un plan aussi cruel. À la place, son programme Race to the Top permettra, comme Skinner, de repérer les écoles qui font quelque chose de bien — et de les récompenser par des financements supplémentaires.
Seulement, les aptitudes testées ne sont jamais les « attitudes pro-sociales » d’un élève ou son « assiduité » — mais plutôt la façon dont il a mémorisé des faits et des chiffres. Pourquoi cette dissociation ? Peut-être parce que le fait de recaler les élèves pour leur manque de persévérance passerait mal auprès des parents. Comme le dit Peter Cappelli, le directeur du Centre national sur la qualité de l’éducation de la population active du gouvernement américain, la plupart des gens sont « perturb[és] » par l’idée « que les valeurs, normes et comportements que l’on inculque aux élèves dans les écoles semblent être en conflit avec les valeurs associées à l’épanouissement et au développement personnels ».
La solution a été de mener le combat sous d’autres noms. No Child Left Behind était supposée avoir pour effet de contraindre les écoles à améliorer leur façon d’instruire les élèves. Qui pourrait trouver à y redire ? Mais quand on examine ses conséquences sur le terrain, on constate que cette loi a eu un tout autre effet. Les élèves, bien sûr, n’étaient pas soumis à des tests pour évaluer la manière dont ils avaient réellement compris les concepts fondamentaux, mais simplement pour évaluer la façon dont ils pouvaient répondre aux questionnaires à choix multiples classiques. Et étant donné l’ampleur des enjeux, l’école a continué sa conversion. D’un lieu supposé enseigner des idées aux enfants, elle est devenue un lieu où l’on apprend à avoir de bons résultats aux tests.
Linda Perlstein a passé un an dans une école qui luttait pour survivre à No Child Left Behind. Tout ce qui n’était pas évalué avait dû être sacrifié — non seulement l’art et la gym, mais aussi les récréations, les sciences sociales et les sciences (oui, pas de sciences dans les évaluations). Le temps restant est entièrement consacré à la préparation aux tests — le seul exercice d’écriture que font les élèves se trouve dans les parties « réponse courte » (« Quel élément de texte aurait-on pu ajouter pour permettre au lecteur de mieux comprendre l’information ? »), et les textes, en classe, sont uniquement analysés en fonction des questions susceptibles d’être posées lors du test.
Une importante partie du temps de classe est en fait allouée à des activités qui n’ont strictement rien à voir avec l’enseignement. À la place, les élèves sont assommés de conseils sur la bonne maniere de passer leur test : respirer profondément, travailler jusqu’à ce que le temps de l’épreuve soit écoulé, éliminer toutes les mauvaises reponses evidentes. Chaque jour, on leur apprend des mots de vocabulaire précis qu1 leur vaudront des points supplémentaires et on leur rappelle comment formuler correctement leurs réponses pour obtenir la note maximum. Au lieu de couvrir les murs de leurs réalisations artistiques, on les tapisse de conseils sur la façon de bien réussir leur test (« RRTA: Reprendre les termes de la question, Répondre à la question, s’appuyer sur le Texte, Adapter la formule »).
L’objectif unique d’obtenir les meilleurs résultats possibles aux tests a été une véritable bénédiction pour le marché des manuels scolaires, qui oblige les écoles à acheter à prix d’or des « programmes fondes sur des données concrètes » dont il a été « prouvé » qu’ils améliorent considerablement les résultats aux tests. Le « package» en question comprend non seulement des manuels et des cahiers d’exercices, mais aussi des textes que les professeurs doivent lire mot pour mot à leurs élèves, comme il n’a pas été prouvé que s’écarter de ces textes améliora1t les resultats aux tests, il est interdit de le faire. Le tout s’accompagne de superv1seurs formés qui passent dans les classes pour s’assurer que les professeurs s’en tiennent bien au texte qui leur a été soumis.
Tout cela est aussi illustré dans plusieurs épisodes de la série « Les Simpson ». Par exemple :
L’effet sur les élèves est un crève-cœur. Puisqu’on leur enseigne que la lecture consiste simplement à chercher des « caractéristiques textuelles » particulières au sein d’histoires artificielles, ils apprennent à détester la lecture. Puisqu’on leur apprend que répondre a des questions consiste simplement à passer en revue un choix de réponses multiples, ils commencent à cesser complètement de réfléchir et se contentent de débiter, à chaque fois qu’on leur pose une question, des combinaisons aléatoires de mots qui rapportent des points, « La joie que procure la découverte » est bannie de la salle de classe. L’évaluation est en cours.
Avec des exercices de ce type, les enfants n’apprennent rien du monde qui les entoure. En revanche, ils acquièrent bel et bien des « compétences » — notamment celle qui consiste à savoir suivre des ordres absurdes et à rester assis des heures à une table. Les critiques de ces tests aux enjeux élevés dénoncent que ceux—ci ne fonctionnent pas aussi bien que prévu : les professeurs font cours en vue de l’épreuve au lieu de s’assurer que les enfants apprennent réellement quelque chose. Mais en réalité, peut-être est-ce le but recherché. Après tout, les employeurs en semblent très contents.
Un jour, quelqu'un m'a dit "mais arrête de rager sur ce master en permanence !!! Il est bien ce master, il permet d'employer le plus grand nombre ! Si t'as été recruté selon d'autres facteurs, tant mieux pour toi mais ne la ramène pas !". C'est peut-être à ça que servent l'école et les études supérieures : être un label bidon qui certifie que t'es censé⋅e avoir un certain niveau de compréhension du monde et de la thèmatique étudiée, en l'absence d'autres indicateurs te permettant de le montrer. C'est triste d'en arriver à un label bidon et fade quand on part des bébés et des enfants curieux… Quel gâchi, non ?
Billet de blog publié le 5 avril 2001.
De quoi s‘agit-il ?
Quand j’ai découvert les écoles Sudbury, je les ai trouvées intéressantes. Après quelques recherches sur le sujet, je les ai trouvées fascinantes. La pièce manquante du puzzle, je ne l’ai trouvée que récemment : la non-scolarisation.
La non-scolarisation est un phénomène encore assez mineur, mais il se développe très rapidement. J’avais déjà entendu parler de la non-scolarisation, et d’associations de nen-scolarisation locales, mais n’arrivant pas à trouver plus d’informations sur Internet, j’en étais venu à considérer les acteurs de ce mouvement comme des espèces de marginaux tentant de « déconditionner » le cerveau des enfants scolarisés. Mais comme je l’ai découvert il y a peu, la non-scolarisation est en réalité une philosophie très forte, basée sur un principe simple : les enfants veulent apprendre. Les thèses de ce mouvement s’appuient sur les écrits de John Holt, qui sont absolument magnifiques.
Non scolariser quelqu’un est d’une simplicité étonnante. Il faut d’abord se soumettre aux exigences légales de son État en matière de scolarisation à la maison (mon État, l’Illinois, est étonnamment libéral à cet égard), puis l’enfant reste simplement à la maison, à explorer le monde comme il l’entend. Ses parents et les autres adultes peuvent lui donner conseils et assistance sur ce qui l’intéresse, mais ils doivent s’efforcer de ne pas le contraindre à faire quoi que ce soit. C’est à peu près tout. Plutôt simple, non ?
Comment je fais ?
J’ai découvert la non-scolarisation grâce à un livre incroyable : Teenage Liberation Handbook (T LH) de Grace Llewellyn. C’est un vrai pavé, mais qui relève du guide pratique, conçu pour vous accompagner étape par étape sur le chemin de la non-scolarisation. Le livre est divisé en trois grandes parties : pourquoi devriez—vous ne pas aller à l’école ; comment sortir du circuit scolaire ; et que faire une fois que vous en êtes sorti. On y trouve beaucoup de passages extraits de Growing Without Schooling, un magazine dédié aux personnes non scolarisées qui leur permet de rester en contact et de partager des idées. (Je m’y suis abonné et vous en dirai bientôt davantage.)
Les exemples tirés de la vie réelle et les expériences concrètes indiquent clairement qu’il ne s’agit aucunement d’un groupe de marginaux allumés, ni même simplement d’un programme destiné aux enfants « doués ». En fait, on peut presque dire que la non-scolarisation transcende toutes les catégories — d’ailleurs, le livre recommande même aux adultes de s’essayer eux aussi à certaines des idées exposées. L’auteur rapporte un grand nombre d’expériences où la non-scolarisation a amélioré les relations au sein d’une famille, « guéri » des cas de dépression ou de « troubles d’apprentissage », et, surtout, a rendu les enfants beaucoup plus heureux.
Diverses études citées dans le livre montrent que les enfants non scolarisés réussissent parfaitement dans le « monde réel » et obtiennent presque toujours de meilleurs résultats aux tests de connaissances que leurs semblables scolarisés — même lorsqu’ils n’ont jamais ouvert de manuel ou suivi de cours conventionnel. En outre, et parce qu’ils ont tout le temps nécessaire pour faire l’expérience d’un vrai travail, comme un apprentissage ou une activité bénévole, ils sont bien plus susceptibles de développer les compétences nécessaires pour survivre dans le « monde réel ».
Comment pourront-ils apprendre sans l‘école ?
TLH dispense divers conseils sur la manière de garder le niveau dans toutes les matières fondamentales (anglais, histoire, mathématiques, sciences, art, etc.) — et recommande rarement d’ouvrir un manuel ou de suivre un cours. La non-scolarisation se concentre plutôt sur toutes les occasions d’apprentissage qui s’offrent à nous dans la vie quotidienne.
Je n’ai pas appris l’anglais à l’école, mais en rédigeant des e-mails et des articles pour ce blog, ainsi qu’en lisant beaucoup. Lorsque j’explique cela à d’autres élèves, ils me répondent : « Oh, j’aimerais bien faire pareil, mais je n’ai pas le temps. » Eh bien, s’ils n’allaient pas à l’école, je suis sûr qu’ils en auraient beaucoup plus. C’est rapide et indolore : il suffit de lire des livres intéressants et d’écrire sur des choses qui vous intéressent. Faites-le pendant quelque temps et vous ferez des progrès à l’écrit — sans souffrance ni grands efforts.
Je n’ai jamais aimé l’histoire. Cette matière m’a toujours semblé être une discussion abstraite sur des événements ou des activités qui n’avaient aucun rapport avec ma vie, et tout simplement aucun intérêt. Pire encore, la seule chose sur laquelle j’étais noté, c’était sur ma capacité à mémoriser ces trucs ennuyeux. Certains élèves de ma classe sont fascinés par l’histoire, et je me suis efforcé de comprendre pourquoi. J’ai fini par percer le mystère : l’école nous apprend l’histoire à l’envers. Les cours d’histoire vont toujours dans le sens chronologique, pour remonter progressivement jusqu’à aujourd’hui. Peut-être est—ce une bonne manière de raconter une histoire, mais pour raconter l’histoire, c’est affreux. Vous commencez dans un endroit que je ne connais pas, à une époque que je ne comprends pas, avec des personnes dont je n’ai jamais entendu parler. Je ne suis pas intéressé et je décroche. La solution est simple : commencez par le présent et remontez dans le temps en essayant de répondre à la question : comment en sommes-nous arrivés là ? D’une part, vous commencerez ainsi dans un univers dans lequel je peux facilement me projeter. D’autre part, vous poserez ainsi une question qui est aussi celle que je me pose : comment en est-on arrivés là ? Encore mieux : je développerai ainsi un « sens de l’histoire » en comprenant réellement comment tous les éléments viennent s’intégrer dans notre situation actuelle. Et selon toutes probabilités, je ne m’endormirai pas.
Beaucoup pensent que les maths doivent s’apprendre à l’école, ou du moins dans les manuels. Cette idée est absolument fausse, et ne fait que montrer à quel point les écoles actuelles s’acquittent mal de l’enseignement des mathématiques. La plupart des écoles n’enseignent pas les maths : elles enseignent le calcul, la manipulation des symboles, etc. Mais ce n’est qu’une petite partie des maths, qui finit d’ailleurs par être aussi la moins intéressante, puisque toutes ces opérations peuvent s’effectuer avec une calculatrice ou un petit ordinateur. En fait, les maths consistent avant tout à étudier des modèles et à développer des théories. Les maths sont un univers de beauté abstraite, rempli d’énigmes pour mettre votre esprit à l’épreuve.
Les sciences ne sont pas la mémorisation de faits sans intérêt, contrairement à ce que douze années de cours de sciences peuvent vous amener à croire. Les sciences sont simplement un processus consistant à poser des questions et à chercher des réponses, processus auquel s’associent les connaissances accumulées lors de ces recherches. C’est ce que l’on appelle la méthode scientifique, et la meilleure professeure de sciences que j’aie jamais eue nous l’a simplement expliqué et nous a laissés explorer le monde. Sa classe était remplie de jouets, d’énigmes à résoudre, et d’objets avec lesquels faire des expériences. Elle nous mettait souvent en garde contre les professeurs qu’elle avait eus étant plus jeune, qui proposaient peu d’activités pratiques et demandaient sinplement aux élèves de lire un manuel du début à la fin. Je ne me doutais pas que ce serait précisément le type de professeurs de sciences que j’aurais pendant toutes les années qu’il me restait à passer à l’école. Mais je réalise maintenant que mes explorations scientifiques n’ont pas besoin de se limiter à sa salle de classe, ni a aucune autre. En fait, le monde qui nous entoure est une immense salle de classe, et nous avons simplement besoin de temps pour l’explorer, et de l’instinct qui nous pousse à poser des questions et à essayer d’y répondre.
L’art est indéniablement une chose qui peut s’apprendre en-dehors de l’école. Tout ce qu’il faut, c’est du matériel et du temps pour laisser sa créativité s’exprimer. En général, les écoles possèdent beaucoup de matériel qui vous permet de tester différentes formes d’art, et il peut être utile de trouver un arrangement avec votre école afin de pouvoir continuer à utiliser ces fournitures. Sinon, il existe de nombreux magasins de fournitures d’art, et beaucoup d’autres manières de trouver le matériel nécessaire. Mais l’ingrédient le plus important, c’est la créativité, qui est une chose qu’il faut cultiver de l’intérieur de soi—même.
Mais n’allez pas croire que la non-scolarisation n’est qu’une nouvelle façon d’apprendre les mêmes matières que celles que l’on apprend à l’école ! Non, il est tout aussi important de faire d’autres choses : devenez apprenti ou bénévole, et apprenez à assumer un « vrai travail » ; montez votre propre entreprise ; faites pression auprès des hommes politiques et essayez de faire bouger notre gouvernement ou la société elle-même ; partez en voyage d’exploration autour du monde et découvrez d’autres cultures et d’autres manières de vivre, etc.
Comme le souligne TLH, l’adolescence, chez un enfant, constitue une période de transformation qui comptera parmi les plus enthousiasmantes et importantes de sa vie. Certaines cultures en marquent le passage par des expériences intenses et déterminantes : la ville se réunit pour exécuter un rituel tribal sacré ; on envoie l’enfant effectuer une quête ou faire un voyage, et on le déclare homme à son retour, etc. Pourquoi faisons-nous comme si de rien n’était, en soumettant notre enfant à un supplice inutile, douloureux, abrutissant et autoritaire ?
Aujourd’hui (4 avril 2001), j’ai visité un musée qui proposait un jeu d’aventure à la manière d’un parc à thème. Comme Indiana Jones, il fallait se hisser à travers des labyrinthes et des passages pour trouver les statues en pierre des esprits de la Raison, de l’Inspiration, des Questions et de la Persévérance. À chaque fois que l’on découvrait une statue, celle-ci chantait une petite chanson vantant son importance. À la fin, quand on les avait toutes trouvées, les statues se réunissaient pour effectuer un petit numéro dansé et chanté sur le fait que le secret de la connaissance est de les équilibrer entre elles. C’était assez pénétrant, et sûrement vrai : quand on a la raison, l’inspiration, les questions et la persévérance, il est difficile de se tromper.
Mais mon enfant ne risque-t-il pas de devenir un ermite, un asocial ?
Curieusement, j’ai entendu dire que certaines personnes n’aiment pas la non-scolarisation non parce qu’elles craignent que leurs enfants n’apprennent rien, mais par crainte qu’ils ne développent pas « de relations sociales saines avec leurs semblables ». On ne pourrait pas être plus éloigné de la vérité.
Premièrement, l’école n’est pas un lieu pour développer des relations sociales. En fait, elle semble même conçue pour les réprimer. Il n’y a presque pas de temps mis à disposition pour la socialisation, et toute démarche en ce sens est découragée pendant la majeure partie de la journée d’école. Tout élève qui développe une véritable relation avec quelqu’un le fait en-dehors de l’école: dans un lieu de rendez—vous du quartier (parc ou centre commercial) ; en allant chez un copain ; ou après l’école. Rien n’empêche un enfant non scolarisé de faire toutes ces choses.
Deuxièmement, qui a décidé que l’on ne pouvait entretenir de relations significatives qu’avec des personnes habitant plus ou moins dans la même zone géographique que nous, et ayant environ le même âge que nous ? Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il s’agit là d’un groupe de semblables extrêmement restreint. Mes relations les plus significatives, c’est en ligne que les ai développées. Aucune de ces personnes n’habite dans un endroit que je pourrais rejoindre en voiture. Et aucune n’appartient à la même tranche d’âge que moi. Même parmi celles que je ne compterais pas comme « amis », de nombreuses personnes rencontrées en ligne ont simplement fait des commentaires sur mon travail ou s’intéressent à ce que je fais. Grâce à Internet, j’ai développé un solide réseau social — chose que je n’aurais jamais pu faire si j’avais dû me limiter au périmètre de l’école.
Mais je ne veux pas de mes enfants chez moi !
Alors, j’ai plus ou moins laissé entendre que la non-scolarisation se déroule uniquement à la maison. C’est faux. Comme je l’ai dit au debut de ce texte, le mouvement de la non—scolarisation considère que les écoles Sudbury en font partie, et les appelle pour s’amuser « les écoles de la non-scolarisation ». Hélas, à travers toutes les recherches que j’ai faites sur les écoles Sudbury, je n’ai trouvé aucune mention du mouvement de la non-scolarisation — les fans du modèle Sudbury qui n’ont pas d’écoles de ce genre près de chez eux seront sûrement ravis d’en apprendre l’existence.
C'est un peu léger, comme réponse. En pratique, peu de personnes sont à leur domicile en journée pour garder leurs enfants et parmi ces personnes, bon nombre n'ont pas les moyens de payer un⋅e gardien⋅ne. Ce qui signifie qu'en l'état actuel, la non-scolarisation est réservée à une frange bien particulière de la population : les CSP+.
Et après ?
Je fonde de grands espoirs dans le développement du mouvement de la non-scolarisation. D’abord, je pense qu’il doit se faire mieux connaître : je n’ai appris que très récemment que la non—scolarisation était un choix possible, et que d’autres l’avaient fait — et j’ai effectué toutes les recherches que j’ai pu sur le sujet. Il y a tellement de personnes qui se plaignent de la qualité des systèmes scolaires actuels, et qui sont prêtes pour un changement de système. La non-scolarisation n’est pas simplement un changement, c’est un raz-de-marée qui renverse tout ce que nous croyons savoir sur le système scolaire et qui propose une alternative totalement différente — et nettement meilleure.
Par ailleurs, je souhaite créer une communauté en ligne pour les personnes non scolarisées. Si vous en connaissez, dirigez-les vers moi. Dites-leur de m’envoyer un e-mail. J ’adorerais voir davantage de partage d’expériences et rassembler toutes les connaissances qui existent dans le monde.
Enfin, je terminerais sur un appel. Si vous avez des enfants, ou connaissez des enfants, qui sont pris dans la monotonie de l’école, offrez—leur une échappatoire : achetez—leur un exemplaire de Teenage Liberation Handbook. Je suis sûr qu’ils vous remercieront. Il est temps que les enfants se lèvent et reprennent le contrôle de leur vie. Notre esclavage n’a que trop duré.
Cet article repose en grande partie sur une discussion que j’ai eue en ligne. Je souhaite remercier tous ceux qui y ont participé et vous invite à rejoindre la discussion si ce n’est pas déjà fait.
Billet de blog publié le 29 avril 2001.
Lorsque les gens parlent de non-scolarisation, un nom revient toujours dans la discussion : celui de John Holt, l’inventeur du concept. Il a écrit de nombreux livres sur ses idées et ses théories, mais je crois que les deux meilleurs sont How Children Fai! et How Children Learn.
Comme beaucoup de personnes engagées dans le mouvement de la non-scolarisation, John Holt a d’abord été enseignant. ll avait l’impression d’être un très bon pédagogue, un homme qui avait toujours travaillé dur pour rendre l’apprentissage plus agréable et plus drôle pour ses élèves. Il inventait des jeux, achetait des jouets éducatifs très coûteux, laissait les enfants parler en classe et utilisait des techniques pédagogiques novatrices. Mais il ne [voyait] pas sa méprise.
Ce n’est que lorsqu’il a arrêté d’enseigner et s’est mis à assister à d’autres cours qu’il a commencé à voir où il s’était trompé : il n’avait jamais réellement regardé les enfants — regardé attentivement, je veux dire. Tout au long de son année de méticuleuse observation, il a rédigé des notes à l’attention de ses amis et de l’enseignant avec lequel il partageait la classe, Bill Hull. Ces notes ont été publiées dans l’ouvrage How Children Fail. Remarquant que ce qui se passait dans sa classe n’était pas du tout ce qu’il imaginait, il écrit :
On ne peut pas savoir ce que fait un enfant en classe en le regardant seulement quand on l’interroge. Il faut le regarder pendant longtemps à son insu. […] Il semble que les enseignants n’y puissent pas grand—chose. […] Un enseignant dans sa classe est comme un homme dans les bois, en pleine nuit, avec une lampe-torche très puissante dans la main. À chaque fois qu’il allume sa lampe, les créatures éclairées s’en aperçoivent et ne se comportent donc pas comme elles le font dans l’obscurité.
Il commença à se rendre compte que les élèves n’apprenaient pas ce qu’il leur avait « enseigné », mais faisaient simplement semblant. Il découvrit tous leurs mécanismes de défense et leurs stratégies motivés par la peur, qu’ils utilisaient afin de ne pas passer pour des idiots devant leurs camarades et leur professeur.
Une des techniques « novatrices » qu’utilisaient John et Bill dans leur salle de classe était une balance à fléau. On donnait plusieurs poids aux élèves et ils devaient essayer de deviner où les placer sur le fléau pour atteindre l’équilibre. Voici ce qu’ont dit les élèves lorsqu’on leur a demandé de prédire ce qu’allait faire le fléau :
Abby : Il va peut-être bouger un peu d’un côté — pas beaucoup.
Elaine : Il va peut—être vaciller un peu, puis s’équilibrer, mais pas vraiment. (Elle couvre toutes les possibilités.)
Rachel : Il va peut—être s’équilibrer.
Pat : Il va à peu près s’équilibrer.
[…]
Gary : Je pense qu’il va juste pencher d’un côté — c’est plus sûr.
[…]
Gil : Il va peut—être pencher un peu, puis se redresser.
Garry: Il va rester à peu près comme cela.
Betty : Je pense plus ou moins qu’il va s’équilibrer.
[…]
Betty: Je dirais qu’il va s’équilibrer, juste au cas où il s’équilibre, comme cela on n’aura pas une trop mauvaise note.C’est incroyable à quel point les élèves sont prêts à tout pour se soustraire à l’attention et ne pas paraître idiots.
Plus tard, John décide de remiser son costume d’enseignant et de travailler avec les enfants de façon individuelle. Ce faisant, il s’aperçoit que les élèves qui étaient censés connaître les maths de niveau CM2 sont trop peu sûrs d’eux ne serait-ce que pour compter de deux à deux. il travaille avec eux pour reconstituer leurs connaissances en maths en repartant du début, mais ils semblent encore ne pas se souvenir de ce qu’on leur apprend. Après d’autres expériences du même genre, il abandonne l’enseignement.
Dans How Children Learn, son livre suivant, il décide d’arrêter d’enseigner et passe simplement du temps avec des enfants. Il commence avec ses petits cousins, qui sont des bébés, et remarque qu’ils sont des scientifiques obstinés, toujours à observer et à faire des expériences. Il prend des notes sur leurs investigations scientifiques alors qu’ils se mettent à grandir, à lire, à parler, et à jouer à des jeux. Assez rapidement, il retourne dans des salles de classe en apportant des jouets intéressants auxquels il joue d’abord lui-même. Très vite, les enfants viennent jouer avec lui, et commencent à apprendre des choses grâce à ces jeux.
John s’efforce de ne pas interférer dans leurs activités — de laisser les enfants apprendre et découvrir à leur propre rythme. Sa seule tâche consiste à leur donner de minuscules coups de pouce et à leur offrir un soutien moral. Un jour, il décide de ramener la balance à fléau et la pose simplement au fond de la classe, en disant juste que c’est « une vieillerie que m’a donnée Bill Hull. […] Rien d’important ; vous pouvez vous amusez avec si vous voulez ». Et c’est précisément ce qu’ils se mettent à faire, et une demi-heure plus tard, ils ont tous trouvé comment la faire marcher.
J’ai donné à l’un d’eux, une petite fille, un des problèmes qui, des années auparavant, avaient causé tant de mal à des élèves tout à fait capables. Elle l’a résolu facilement, sachant manifestement ce qu’elle faisait. Je lui ai dit : « Tu as eu du mal à comprendre comment faire ? » , et elle m’a répondu : « Oh non, c’était fastoche. »
Voici comme il l’explique :
[Le premier groupe d’enfants avaient tous du mal] bien que nous avions fait tout notre possible — du moins le croyions-nous — pour créer une situation qui faciliterait la découverte. Nous avons travaillé avec des enfants constitués en petits groupes ; nous avons donné à chaque enfant un problème facile ; nous avons invité les autres enfants à dire si la solution au problème était correcte, et, dans le cas contraire, à expliquer pourquoi. Nous pensions avoir transformé notre classe en laboratoire miniature, et que les enfants se comporteraient par conséquent comme des scientifiques. Mais il n’en était rien, et ce pour une simple raison : c’était notre problème sur lequel ils travaillaient, non le leur.
Hélas, s’il est évident pour beaucoup que ce genre d’explorations et de découvertes libres est la meilleure manière d’apprendre, de nombreux professeurs y voient une menace. Ils veulent être, comme l’explique John, « un tyran (tu ferais mieux de faire ce que je te dis !) et un saint (tu m’en remercieras plus tard) ». Pire encore, même les enseignants bien intentionnés doivent jeter ce genre de jouets pour respecter le programme — ils n’ont pas le droit d’être en retard pour le prochain arrêt de l’« Ivy League Express » (L’lvy League est un groupe de huit universités privées du nord-est des États-Unis, qui comptent parmi les plus anciennes et les plus prestigieuses du pays). Mais les enfants n’apprennent pas de cette façon. En fait, ils se cachent, font les ânes, oublient, se tirent d’affaire en pariant sur l’ambiguïté de leurs propos, ou vous mènent en bateau. Pire encore, ils commencent à penser que c’est ainsi qu’il faut se comporter en toute situation. Mais Holt nous fait espérer qu’une autre manière de faire est possible.
Je ne vous ai rapporté qu’une infime partie du trésor de sagesse que renferment ces livres. J’invite tous ceux qui travaillent dans une école, ou qui croient en une école, à lire How Children Fail — j’y ai davantage appris sur la façon dont pensent mes camarades de classe qu’au cours de toutes les années que j’ai pu passer en leur compagnie. En outre, il fait comprendre à travers des histoires très simples pourquoi l’enseignement seul ne marche pas. Actuellement, le travail de John Holt est poursuivi par Holt Associates, qui publie ses livres et d’autres documents.
Quiconque a des enfants en bas âge devrait vraiment lire How Children Learn. Ce livre décrit en détail la manière dont les enfants apprennent, et, par exemple, vous donne des méthodes pour faire en sorte que vos enfants continuent d’apprendre tout au long de leur vie, au lieu de tout détester en bloc et de laisser tomber dès qu’ils le peuvent, comme le font trop d’enfants. Pour de nombreux enfants, il est peut—être trop tard pour désapprendre les mauvaises habitudes acquises à l’école, mais une chose est sûre: il n’est jamais trop tôt.
Hop, le Conseil constitutionnel est passé par là (voir le communiqué de sa décision 2016-745 DC) :
Le Sénat a refusé de jouer en deuxième lecture (rejet préalable du texte en commission puis en séance plénière) les 6 et 19 décembre. Le 22 décembre, l'Assemblée a donc adopté ce projet de loi en lecture définitive. Le texte va maintenant être examiné par le Conseil Constitutionnel puisque celui-ci a été saisi par les Parlementaires.
La version du texte examinée fut celle de la deuxième lecture à l'Assemblée qui est acceptable (je n'ai pas dit « convenable » ni « bien » ;) ) sur les 4 points que je surveille (liberté de la presse et liberté d'expression, droit universel à la cantine scolaire dans le primaire, pas d'expérimentation d'un civique obligatoire, contrôle à domicile de l'instruction en famille et sur un nouveau critère de compétence, le gouvernement est chargé de procéder par ordonnant pour décider des mesures d'autorisation préalable à l'ouverture des établissements d'enseignement privés hors contrat).
Aucun amendement n'a été déposé/étudié puisque, selon la procédure, les seuls amendements recevables étaient ceux déposés par le Sénat lors de sa deuxième lecture mais comme la Haute Assemblée a refusé de jouer, il n'y a aucun amendement.
J'avais expliqué ces points de procédure parlementaire dans un autre shaarli : Processus législatif français illustré par le projet de loi Travail.
Et, à part les points que je surveillais, qu'est-ce qu'il dit ce projet de loi ? Je ne vais pas résumer les 224 articles de cette loi fourre-tout mais je retiens :
Sources :
Le texte produit par la Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi égalité et citoyenneté a été publié en fin de matinée. Cela fait 8 jours que la commission s'est réunie et on est à 3 jours de la date max pour déposer des amendements. Une fois de plus, on voit la minceur du débat démocratique mais ça, j'en ai déjà parlé.
Sur l'article 37 qui concerne la liberté de la presse :
Pour l'injure et la diffamation portant sur l'origine ou l'appartenance à une nation, une ethnie, une race, une religion ou sexe, identité sexuelle ou handicap :
L'expérimentation d'un service civique obligatoire n'est toujours pas revenue. \o/
Le droit à la cantine scolaire indifféremment de la situation de la famille est de retour (article 47). \o/
Article 14 bis (instruction en famille aka "école à la maison") et 14 decies (ouverture d'établissements d'enseignement privés hors contrat) :
Le Sénat a adopté ce texte en première lecture le 18 octobre. Comme on est en procédure accélérée, il y a une seule lecture par chambre. Donc la Commission Mixte Paritaire, chargée d'harmoniser/synthètiser la version Assemblée et la version Sénat s'est réunie le 25 octobre pour constater… qu'elle n'arrivera pas à produire un texte de consensus. On commence donc une deuxième lecture, à l'Assemblée à partir de demain. La version de travail est celle issue du Sénat, c'est-à-dire avec tous les articles qui posent question.
Article 37 : modification de la loi relative à la liberté de la presse
Article 12 nonies : l'expérimentation d'un service civique obligatoire voulue par l'Assemblée n'est pas encore revenue.
Même chose pour le droit à la cantine scolaire.
Article 14 bis et 14 decies : toujours une déclaration préalable avant d'ouvrir une école privée hors contrat, des contrôles qui changent de nature (ajout de « moralité » et de « compétences » dans les points à vérifier). Pour l'instruction en famille : toujours une volonté que les contrôles se déroulent à domicile et de changer la nature des contrôles comme déjà dit.
J'ai loupé une bonne partie du début et je n'ai pas la prétention d'avoir tout noté/retenu/compris mais voici quelques notes :
ÉDIT DU 04/11/2016 À 11H35 : ça me sidère que même Mediapart (https://www.mediapart.fr/journal/france/041116/debat-de-la-primaire-sarkozy-transforme-en-punching-ball ) n'a rien relevé d'autre que les querelles politiciennes de bas étage. Presse différente, où es-tu ?! FIN DE L'ÉDIT.
Suite à une énième horreur dans le projet de loi égalité et citoyenneté dont j'entends parler, la modification du droit de la presse, j'ai décidé de téléphoner à mes sénateur-trice-s pour leur faire part de mes inquiétudes et de ma volonté que le bullshit s'arrête dès maintenant.
Le projet de loi sera examiné en plénière du Sénat dès mardi prochain (le 4 octobre) pour un vote sur l'ensemble du texte le 18 octobre. Il n'y avait donc pas assez de temps pour envoyer des mails. Sachant que, de toute façon, la limite pour poser des amendements est dépassée. On est en procédure accélérée (une seule lecture par chambre puis CMP).
En commission spéciale du Sénat, nos élu-e-s ont ajouté :
Ce que j'en comprends :
Il faut bien comprendre que la diffamation est devenue la meilleure arme de défense, y compris quand les faits relatés en bonne et due forme sont avérés ! Les journaux ont autre chose à faire que d'aller en justice en permanence ! Cela a aussi un effet de concentration de la presse : ne peuvent exister que les grands groupes qui ont les moyens de payer des avocats. Ce n'est pas acceptable.
C'est pour ça que je pense qu'il ne faut pas modifier l'équilibre apporté par la loi de 1881.
Ce que mes interlocuteur-rice-s m'ont dit :
Le gouvernement a proposé :
Ce que j'en comprends :
Ce que mes interlocuteur-rice-s m'ont dit :
En gros, selon moi : pour l'instruction en famille et les écoles privées hors contrat, les dés sont déjà lancés. Même chose pour le droit à la cantine et l'expérimentation du service obligatoire. Des amendements défendant la liberté de la presse ont été déposés par… le gouvernement. Les logements sociaux vont couler beaucoup d'encre semble-t-il genre le gouvernement ne semble pas vouloir lâcher. Le dernier mot irait donc à l'Assemblée après une CMP échouée ?