Résumé : même quand on sélectionne sa presse, on est confronté au flicage, à la non-spécialisation forcée des journalistes qui explique leur inculture notamment sur le numérique, aux articles incomplets / qui relaient des infos sans citer la source précise / qui oublient des éléments ou le contexte global afin de servir leur propos (ce qui pose les questions de l'utilité de la lecture et de la confiance à accorder au journal), à la répétition des mêmes sujets, à l'absence de prospection, à l'absence de volonté de vraiment expliquer les choses afin d'émanciper le citoyen, au non-recours aux bienfaits du numérique dans la diffusion de l'information, etc. Du coup, quelle presse lire / soutenir ? J'affine la presse que je vais continuer à lire.
J'essaye d'être rigoureux sur la presse que je paye et que je relaie, voir mon mini-comparatif de la presse. Mais ça ne me suffit plus.
Un ressenti a émergé en 2018 et est devenu prééminent en 2019. Les journaux indépendants financièrement, qui travaillent sur le temps long (>= hebdomadaire), qui sont satiriques ou critiques, qui sont parfois engagés, etc., c'est bien beau, mais quelle importance cela a-t-il si ces journaux ne me respectent pas ? Les qualités sus-mentionnées sont nécessaires, mais plus suffisantes.
Je veux évidemment parler du flicage. Les sites web de la presse regorgent de traqueurs, d'outils de mesure d'audience et de contenus externalisés qui informent les géants du net de mes lectures (tel article à quelle date), voir cet article, alors que leur secret est vital dans une démocratie. J'arrive de moins en moins à lire des contenus web (presse ou non) en ayant en tête que ma vie privée dégueule chez tout un tas de sociétés commerciales par la faute du site web qui prétend m'informer. C'est de la prédation. Par métaphore maladroite, je dirais que c'est comme en amour : t'as pas super envie de rester avec une personne qui ne te respecte pas, mais, en revanche, tu pardonnes à une personne maladroite qui essaye de mieux se comporter.
Quelle crédibilité accorder à un journal qui tape en permanence, à juste titre, sur Google, mais qui utilise Google reCAPTCHA sur toutes les pages de son site web (pas uniquement celles sur lesquelles il y a un formulaire à protéger du spam) ? Pas vrai, Le Canard et Siné mensuel ? Déblatérer, c'est bien et utile, essayer de tenir ses convictions, c'est mieux et encore plus utile.
Parmi les journaux que j'aime, les journaux papier ne sont pas concernés donc je conserve Le Canard enchaîné, Fakir, Siné mensuel, Le Ravi, et La Revue Dessinée. Notons quand même qu'en matière de flicage, ces journaux n'ont pas plus d'éthique que les autres et que leur édition ou vitrine numérique est tout aussi irrespectueuse de la vie privée du lecteur que celle les autres journaux. En ce qui concerne les journaux numériques, je pense que Mediapart est dans l'abus compte-tenu qu'il a la thune pour faire mieux. Tous sont médiocres. Les plus vertueux (les moins pires, en vrai), ceux dont j'ai pas l'impression qu'ils se moquent ouvertement de moi sont Reflets.info, NextInpact et Basta !.
Je veux également parler d'une forme de foutage de gueule. Comme des articles incomplets, qui relaient des infos (souvent des chiffres) sans en citer la source précise. Bon courage pour recouper derrière ! Ou des articles qui oublient des éléments afin de faire de la mousse. Ou des articles qui n'informent pas sur le contexte global. Des exemples ? Mutuelles et gouvernement ont échangé châtaignes et marrons glacés, Super-régions, super-ratage, Officiel : Pierre Gattaz n’était pas un comique !, L’Observatoire des prisons, au mitard ! ou encore l'article « Tout est bon dans le porno » dans l'édition du 8 avril 2020 du Canard qui relate « une envolée du trafic mondial de 12 % par rapport au mois dernier, par exemple, pour le site Pornhub » (ce qui est inexact, tant sur le chiffre que sur l'ambigu « par rapport au mois dernier »).
Je pense savoir faire la différence entre ces méthodes douteuses et un avis tranché sur un sujet et/ou des erreurs (un comportement répété en connaissance de cause n'est pas une erreur). La pluralité de la presse est là pour éviter ces abus, mais elle n'y parvient pas totalement, et, surtout, si je dois lire moi-même le rapport de la Cour des comptes, autant que je m'abonne au site web de celle-ci plutôt qu'au journal. Même raisonnement si je dois moi-même retrouver l'origine d'un chiffre. La lecture du journal devient inutile et un problème de confiance se pose.
En 2019, j'ai beaucoup pris le Canard enchaîné la main dans le sac des méthodes douteuses, mais aussi Siné mensuel. Pour Siné, ça reste acceptable. Pour Le Canard, je m'interroge vraiment sur l'intérêt d'en poursuivre la lecture.
D'autant que le sujet que je connais, le numérique, est très mal traité par Le Canard. Exemples ? FAI, GAFAM, blocages des contenus (plusieurs récidives), Huawei a déjà des antennes en France… (plusieurs récidives depuis) ou le prétendu piratage de Bercy en août 2019 + récidive dans le numéro 154 des Dossiers du Canard (alors que la réalité est : phishing) ou l'article « Les cybervirus prolifèrent aussi » publié dans le numéro du 8 avril 2020 qui laisse le patron d'Orange Cyberdéfense tout mélanger ou l'encart "Covid-19" du même numéro qui attribue, en partie, la saturation de son site internet aux « nombreuses défaillances du réseau Internet et par des problèmes techniques chez certains fournisseurs d'accès évidemment très sollicités en cette période ». Là encore, paye ta confiance.
Tuxicoman, tu t'interrogeais : « Je pensais que des gens de #reflets bossaient un peu pour le canard, visiblement ce ne sont pas eux qui écrivent sur le sujet. ». Oui, Kitetoa (et Jacques Duplessy) sont pigistes pour, entre autres, Le Canard. Pigiste, ça veut dire que le journaliste est payé à la tâche, à la pige : il propose un article (ou un sujet), le journal prend (ou jette) et paye, mais le journaliste ne participe pas à la ligne éditoriale, il n'est pas salarié du journal, donc il a rien à dire sur le travail de ses non-collègues, au mieux il peut formuler des remarques en off.
Je veux enfin parler d'une forme de répétition et d'absence d'émancipation. Tous les journaux maintiennent le citoyen dans une forme d'ignorance. C'est un peu ce que j'écris ci-dessus : les journaux donnent au citoyen suffisamment de billes pour comprendre l'article, le point de vue de son auteur, mais pas plus. Ils ne cherchent pas à émanciper, à faire grandir le lecteur. Il y a l'absence de contradictoire, bien sûr, mais pas que. Il y a l'absence de suivi des sujets sur le temps long (quand il y a, c'est décousu), mais pas que. Les mêmes sujets bouclent en permanence et, au final, se résument à quelques grandes tendances : les humains font des fautes en permanence, l'État n'a prétendument plus de fric, le business se fout des gens et de la planète, le politicien est inutile, etc. Une fois que le citoyen a identifié ces tendances, à quoi bon continuer de lire la presse ? C'est dangereux. À côté de ça, en perspective, je ne vois pas d'article thématique de fond sur comment fonctionne telle ou telle chose genre ce que racontent les lois qui vont être discutées au Parlement (y compris la plus insignifiante), genre une profonde réflexion sur le découpage des responsabilités relatives à une publication à l'heure du numérique, etc. Même les numéros hors série environ thématiques échouent sur ça. On est toujours dans la réaction scandalisée, très peu dans la prospection. Ça non plus, ça n'émancipe pas les citoyens.
Je ne découvre pas tout ce que je viens d'écrire, j'en prends acte d'une manière plus prononcée. Je m'interroge « à quoi bon lire la presse » ? Suis-je trop exigeant ? Comment faire mieux ? J'ai déjà essayé de contacter Le Canard pour pallier leur inculture numérique, mais également sur d'autres sujets. Je reçois des accusés réception et… rien se passe. Au moins, ils ne pourront pas nier avoir été prévenus / informés, ce qui lève le doute entre erreur et faute. J'ai contacté les journaux pour leur demander de cesser de fliquer les lecteurs. Que faire de plus ? Arrêter d'acheter des journaux ?
Lire la presse, j'en vois de moins en moins l'intérêt. Financer des journaux, j'en vois encore l'intérêt : contenir les dérives. S'il n'y a plus de journaux, s'il n'y a plus personne pour regarder ce qui ne va pas ici ou là, alors tout le monde fera encore plus de merde en permanence. La probabilité qu'un journal puisse découvrir une craderie calme un peu le jeu, à mon avis. Et même si le journal acheté n'est pas lu, le simple fait que ça soit publié suffit à faire évoluer des comportements. La simple existence de journaux suffit. Oui, j'en suis à la stratégie délétère du moindre mal (ce qui, en soi, illustre le profond mal-être de la presse…). Il nous faut plus de journaux et il faut qu'ils soient lourdement armés (effectifs, temps pour faire le taff, etc.), ce qui signifie de les financer. Mais il faut aussi que la profession de journaliste se remette lourdement en question sur ses méthodes.
Au passage, la presse numérique payante pose un problème. Comment puis-je la partager en pratique ? Je traite cette problématique dans mon article Apporter des journaux au boulot ? Yep !. Mais la problématique dépasse la presse numérique. À l'exception de NextInpact qui rend publics ses articles après un mois, les articles restent protégés éternellement. Or, détenir l'archive politique (vie de la cité) est un privilège, c'est une source de pouvoir. Donc il faut qu'il soit détenu par le plus grand nombre afin d'éviter au maximum les dérives. De même, cela crée une asymétrie entre le riche (façon de parler) qui peut s'abonner à plusieurs journaux afin d'y picorer un article par-ci, par-là, et le pauvre (façon de parler). Cela crée des communautés de citoyens informés. Les bibliothèques / médiatèques publiques remplissent un peu ce rôle de libre accès, mais pas totalement : il y en a de moins en moins, elles sont asséchées financièrement, l'accès à distance à leur catalogue est très souvent une vaste blague, la temporalité de mise à disposition n'est pas forcément adaptée à la presse. Rien de neuf, mais on ne profite pas des possibilités du numérique pour diffuser l'information. Faire un lien vers un article payant ne me tente pas. Citer un article payant a aucun intérêt si l'on respecte le droit de citation (la citation sera trop courte). J'identifie un problème, je n'ai pas de solution.
Au passage, je pourrais évoquer les subventions (publiques comme privées). À l'exception de Reflets.info, de NextInpact, du Canard enchaîné et d'Arrêt sur images, tous les autres journaux sont aidés. Fakir est stable sur 2016-2017 (en hausse depuis 2013, derniers chiffres disponibles). Le Ravi est stable sur 2017-2019. Siné mensuel est stable sur 2016-2017 (en forte hausse depuis 2015, derniers chiffres publiés) et vu la santé actuelle du journal, je pense que les subventions sont en hausse en 2018-2019-2020. Les Jours est en hausse sur 2016-2017 mais moins qu'à son lancement (derniers chiffres dispos). La Revue Dessinée est en légère baisse en 2017 (derniers chiffres dispos). Basta ! est en forte baisse sur 2016-2017-2018 (derniers chiffres dispos). Si je voulais aller jusqu'au bout de la démarche, il me resterait donc que 5 journaux… C'est peu, et c'est problématique, je trouve.
Au final, en 2020, j'ai décidé de continuer à lire Le Canard, Fakir, Siné mensuel, Le Ravi, La Revue Dessinée, Reflets.info, NextInpact et Basta !. Mediapart a pompé sa dîme avant que je pense à annuler le renouvellement automatique, mais je n'avais pas envie d'en continuer la lecture. En 2019, j'ai arrêté de lire Marianne (je n'ai pas accroché + trop de flicage et d'aides financières). En 2020, je me sépare des Jours (flicage), de Numerama (pub, flicage), de Contrepoints (flicage + j'ai pas accroché) et d'Arrêt sur images (flicage).