Les premières dénoncent taxes et nouveaux remboursements imposés par Macron. Le second des dépenses et frais démesurés. L’exécutif mène aux points.
Durant des semaines, les dirigeants des assurances-santé et des grosses mutuelles ont cru qu’ils pourraient jouer les gilets jaunes et gagner, eux aussi, du pouvoir d’achat. Résultat : ils ont fini en guenilles, le 20 décembre.
Leur bras de fer commence en réalité le 13 juin, quand Macron annonce le futur remboursement à 100 % des lunettes ainsi que des prothèses dentaires et auditives. Ce joli coup politique reste en travers dela gorge des patrons de complémentaires. Et ils le font savoir. Car, si la Sécu réglera l’essentiel (750 millions d’euros), leurs boîtes devront débourser 250 millions.
Mi-novembre, Agnès Buzyn, la ministre de la Santé, se targue d’avoir amadoué les leaders du marché. Las ! dans la foulée de Mercer (mutuelle des petites et moyennes entreprises), les autres complémentaires annoncent une augmentation de leurs tarifs : entre 3 et 6 % pour la plupart, certaines grimpant jusqu’à 20 % !
Festin mutualiste
Aussitôt, Buzyn crie au sabotage. A ses yeux, le reste à charge zéro — « RAC 0 » pour les intimes — voulu par Macron sert d’alibi aux complémentaires pour remplir leurs caisses. Très spontanément, les dossiers gênants sortent des placards. Exemple : le patron du modeste groupe mutualiste des intermittents du spectacle, qui s’octroie un salaire trois fois supérieur à celui du directeur de la Caisse nationale d’assurance-maladie. D’ailleurs, le « club des 100 000 », réunissant les patrons de mutuelles — à vocation non lucrative — qui, chaque mois, dépassent ce salaire, est prospère. D’année en année, au gré des fusions et des acquisitions voulues par Bruxelles, son effectif grossit.
Les dépenses de sponsoring sont, elles aussi, dénoncées. Aesio, qui, après sa fusion avec la Macif, est devenu le deuxième groupe mutualiste (et le plus généreux avec sa direction), collectionne les mécénats : foot avec l’AS Saint-Etienne (ville natale du président, Maurice Ronat), rugby avec le Racing Club de France et… peinture via le musée d’Orsay. Début juin, Aesio a entièrement loué ce dernier pour un raout fastueux, au cours duquel Ronat a vitupéré ce gouvernement, étrangleur de mutuelles. Pourquoi Orsay ? « Ses collections couvrent la période 1848-1914, qui correspond à l’émergence du mouvement mutualiste », explique Aesio. L’expo « Renoir/Renoir », qui se tient jusqu’au 27 janvier, est financée par le groupe. A la fin de sa vie, Jean Renoir, le fils, en pinçait plutôt pour l’extrême droite antisémite. Pas très mutualiste…
Le RAC qui fait raquer
Des fortunes sont également englouties par les complémentaires dans le vélo (AG2R, avec 10 millions pour le seul Tour de France), dans la voile (Matmut, 5 millions d’euros) et, aujourd’hui, dans la télévision (Mutuelle de la police nationale). Ces caprices de nouveaux riches font le bonheur des proches d’Agnès Buzyn, qui rappellent que les frais de gestion des complémentaires s’élèvent à 20 %, contre 4 % pour la Sécu.
Fort (entre autres) de ces arguments, Macron, qui a rencontré ces philanthropes le mardi 18 décembre à l’Elysée, a pu les convaincre de faire un effort. « Je veux votre engagement que vous gèlerez vos cotisations en 2019 », a-t-il réclamé. Il leur a laissé deux jours pour s’exécuter. Prière exaucée, sauf qu’à peine sorti du Château un petit malin confiait au « Canard » : « On s’est engagés pour 2019. Or le plan RAC 0 se met en place jusqu’en 2021. » En clair, il restera deux ans pour se rattraper.
Au sein de la Fédération des mutuelles de France, l’amertume n’est pas dissipée : « Nos frais de gestion, tempête son président, Jean-Paul Benoît, ne sont pas comparables à ceux de la Sécu, qui ne fait que du remboursement. Nous, nous gérons des centres de santé, notamment dans les déserts médicaux. Ils représentent 90 % de nos dépenses. En plus, les mutuelles paient une TVA à 20 %, soit autant que les produits de luxe. Et [dans notre fédération] nous ne sponsorisons ni la voile ni le vélo. » Il renvoie la balle à Macron : « Le poids des taxes que nous colle le gouvernement est passé, en douze ans, de 1,75 % à 14,07 % des cotisations. Ainsi, en 2019, les mutuelles vont être taxées à 0,8 % pour payer un forfait aux médecins traitants. »
Selon un autre dirigeant d’une mutuelle « de gauche », le RAC 0 ne coûtera pas 250 millions aux complémentaires mais… 600 millions ! « Les mutuelles de taille moyenne qui sont obligées de respecter les directives européennes leur imposant de constituer d’énormes réserves vont être étranglées », hurle-t-il.
Les assurances et les grosses mutuelles n’oseraient tout de même pas en profiter ?
Dans le Canard enchaîné du 26 décembre 2018.
Voilà un journalisme de piètre qualité… Ça te sort deux chiffres (20 % contre 4 %), sans expliquer ce qui est mesuré (20 % de quoi ?!), sans citer la source, ça interroge une seule des deux parties intéressées par ces chiffres, et ça te laisse conclure. On ne va quand même pas expliquer quoi que ce soit au citoyen, il risquerait de comprendre ! Je conchie ce journalisme vite-fait mal-fait qui n'aide pas le citoyen à décider ni à s'émanciper !
Je pense que tout débat sur les chiffres est inutile. La question n'est pas de savoir qui a la plus grosse entre la Sécu publique ou les complémentaires privées, mais de savoir de quel mode de vie, de quel modèle de société nous voulons : une société plus égalitaire ou une société dans laquelle chacun paye un prix strictement indexé sur ses risques de santé (les "sans défauts" payent que dalle, les "multirécidivistes du défaut de fabrication" payent à plein tarif) ? Attention au piège : les sans défauts d'aujourd'hui ne le resteront peut-être pas jusqu'à la fin de leur vie.
Malgré cette idéologie présente en moi, j'ai eu envie de creuser ce "20 % contre 4 %" et les arguments avancés par le président de la fédération des mutuelles. Ce que je peux dire, c'est que c'est un véritable merdier de s'y retrouver… Je ne conçois vraiment pas comment le citoyen peut faire un choix éclairé avec tout ça… Chaque "partie" arrive avec ses chiffres, ses méthodologies de calcul, ses biais de raisonnement, ses biais de présentation, etc.
22 %, c'est la part moyenne des frais dans le montant hors taxes des cotisations relatives à un contrat individuel d'assurance-santé calculée par l'UFC-Que Choisir dans son étude de juin 2018 à partir de contrats d'assurance-santé existants en 2018. Il y a plusieurs réseaux de mutuelles, plusieurs types de contrats (individuel, collectif), plusieurs contrats, etc., ce qui fait qu'il s'agit d'une moyenne avec un écart type plutôt costaud. La médiane est de 20,4 %.
L'UFC mélange les frais de gestion (« dépenses mises en œuvre pour effectuer les remboursements »), les frais d'acquisition (« dépenses opérées par les organismes pour recruter de nouveaux clients ») et les autres frais généraux non liés à la publicité et à l'exécution des garanties dits frais administratifs (salaires, système d'information, etc.). Par simplicité, j'écrirai « frais de gestion » pour désigner l'ensemble de ces frais, sauf mention contraire explicite.
Notons qu'en 2012, la fédération nationale de la mutualité française évaluait la part des frais de gestion à 17 % du montant des cotisations. On est donc sur un chiffre plutôt similaire des deux côtés. \o/
Toujours selon l'UFC, les cotisations à une complémentaire santé, taxes comprises, ont augmenté de 47 % en moyenne entre 2006 et 2017. Notons qu'afin de lisser l'effet de l'augmentation du nombre de personne couvertes par une complémentaire santé, l'UFC raisonne en termes de cotisation par personne.
Les complémentaires santé dénoncent les taxes de l'État comme facteur d'augmentation des leurs cotisations. Si l'on prend en compte la TSA, taxe unique en vigueur depuis 2011 qui fusionne les deux taxes existantes dotées d'un taux similaire, et dont le taux n'a pas augmenté depuis fin 2011 (alors que les cotisations continuent à augmenter…), alors la hausse moyenne du montant des cotisations entre 2006 et 2017 s'élève à 33 % (source : toujours la même étude de l'UFC). Notons que le taux de la TSA est variable : contrat "normal", contrat "responsable", etc.
Cela représente deux fois le taux d'évolution de l'inflation sur la même période qui est de 14-15 % (source). L'inflation est une moyenne de l'augmentation du prix TTC (source) d'un ensemble de produits sélectionnés, donc le prix de certains produits peut avoir diminué pendant que les prix d'autres produits peut avoir augmenté. Il n'empêche que la variation des cotisations des complémentaires santé n'est pas insignifiante quand on la met en rapport avec cette évolution de l'inflation.
3,55 %, c'est, en 2012-2013, la part des charges de gestion courante (hors prestations et transfert au budget de l'État) de la CNAM, donc de la seule branche assurance maladie obligatoire, dans les cotisations qu'elle perçoit (cotisations salariales, patronales, CSG, et taxes en tout genre). Ce n'est donc pas les frais de gestion de la sécurité sociale dans son ensemble. Sources : caisse nationale des Urssaf et fédération nationale de la mutualité française. Une fois encore, les calculs de plusieurs parties intéressées à l'affaire se recoupent. On peut également refaire les calculs à partir des comptes de la sécurité sociale. On peut calculer qu'en 2017, les mêmes charges représentaient 3,45 % du montant total des cotisations.
Pour nuancer ce chiffre, il faut d'abord se souvenir qu'il concerne uniquement le régime général. Il existe d'autres régimes d'assurance maladie obligatoires tenus par d'autres caisses : MSA, le feu RSI, etc. Or, nous comparons le chiffre du régime général avec le chiffre de l'UFC et de la fédération de la mutualité française dont il n'est pas précisé si les autres régimes ont été pris en compte dans leurs calculs respectifs.
On pourrait noter qu'en absolu, la somme des frais de gestion des complémentaires santé est de 7,2 milliards d'euros en 2016 (toujours selon l'UFC). Sur la même période, les charges de la branche maladie de la sécurité sociale représentaient 6,8 milliards. Mais, cette comparaison n'a pas beaucoup de sens : la palette des prestations n'est pas la même et tout le monde ne dispose pas d'une complémentaire santé (alors que tout le monde est affilié à l'assurance maladie obligatoire). L'assurance maladie obligatoire a ainsi remboursé 187 milliards de prestations en 2016, contre 28 milliards pour les complémentaires santé. D'où l'intérêt de travailler en relatif. Pour ceux qui se demandent comment l'écart entre les parts des frais de gestion dans les ressources des structures peut être aussi creusé : le montant total des cotisations perçues (taxes comprises) par les complémentaires santé en 2016 a été de 40 milliards d'euros. Les cotisations perçues par la branche maladie de la sécurité sociale a été de 87 milliards la même année, à quoi il faut ajouter les recettes des taxes (CSG, taxe sur le tabac, etc.) soit 100 milliards d'euros.
Les complémentaires santé argumentent que les charges du régime d'assurance maladie calculées ci-dessus sont incomplètes, car la perception des cotisations est à la charge des URSSAF, pas de l'assurance maladie, alors qu'elle incombe aux complémentaires santé. C'est vrai, mais il ne suffit pas d'ajouter le budget des URSSAF au budget de la branche maladie de la Sécu, car le réseau des URSSAF assure également d'autres missions (de conseil, de récolte des cotisations vieillesse, etc.), donc le coût total du régime d'assurance maladie obligatoire est difficile à calculer. D'un autre côté, l'assurance maladie n'a pas de frais d'acquisition, ce qui représente une dépense d'un montant équivalent à 7,9 % des cotisations des complémentaires santé, soit 2,8 milliards d'euros en 2016. Ça en fait, des ressources pour se confectionner un système d'information, absorber le coût des rejets des prélèvements bancaires et tout ce qu'il faut pour percevoir les cotisations.
L'argument concernant les centres de santé me semble faible. D'une part, la France compte environ 500 centres de santé mutualistes, ce qui représente un tiers du parc. Sources : réseau national des centres de santé mutualistes et direction de l'offre générale de soins du ministère de la santé. Les autres centres de santé sont gérés par des associations, l'assurance maladie, les collectivités territoriales, etc. D'autre part, selon la DGOS, seuls 10 % des centres de santé sont ruraux, donc bon, déserts médicaux, faut voir à relativiser (il reste tout de même les centres dans les quartiers défavorisés, à mon avis). Enfin, les recettes d'un centre de santé proviennent essentiellement… de la CPAM (remboursement des actes médicaux, subvention, etc.) et des agences régionales de santé (source).
L'argument concernant la TVA qui plomberait les cotisations des complémentaires santé n'en est pas un : les frais de gestion représentent, en moyenne, 18 % du montant des cotisations TTC en 2016, toujours selon l'UFC. Évidemment, il y a toujours un écart notable entre les contrats collectifs et individuels. De plus, il est tendancieux de déclarer que les « les mutuelles paient une TVA à 20 %, soit autant que les produits de luxe » : il s'agit du taux normal de TVA, il n'est donc pas réservé au monde du luxe… Enfin, à l'exception de son passage de 19,6 % à 20 % en 2014, le taux de la TVA n'a pas augmenté sur la période observée par l'UFC alors que les cotisations des complémentaires santé ont augmenté.
Bref, à part le budget publicité, les salaires plus conséquents des dirigeants privés, et, dans une moindre mesure, la machinerie pour la perception des cotisations publiques, je ne vois pas comment justifier la part prise par les frais de gestion dans les cotisations des complémentaires santé ni l'augmentation constante de ces mêmes cotisations.