Cela fait plus d'un an que j'apporte des journaux papier dans la salle de pause de mes différents boulots. J'ai envie de faire un point et de t'inciter à faire de même.
Je sais que ça va surprendre ceux et celles qui me connaissent de plus près, mais, au départ, je n'avais aucune motivation politique. Il ne s'agissait pas de "ré-informer" les collègues ignorant⋅e⋅s ou je ne sais quoi. En fait, dans un précédent boulot, quelqu'un⋅e déposait le Canard enchaîné dans la salle de pause. Et puis, un jour, pouf, pas de Canard (probablement car le⋅a collègue était absent⋅e). J'ai donc décidé de l'acheter et de le partager, comme ça, sans réfléchir. Toute façon, je l'ai acheté pour mon propre intérêt, alors autant qu'il serve.
J'ai quitté cette société, mais j'ai continué à apporter le Canard dans mes nouveaux boulots. Puis, j'ai également apporté le journal satirique local quand il y en avait un. Puis, quand j'ai tranché ce qui, pour moi, est du journalisme éthique, j'ai aussi apporté tous les journaux papiers que je m'achète : Canard, Fakir et Siné mensuel.
Je ne crois pas avoir plus de motivation politique à l'heure actuelle… Oui, ça contribue à diffuser des idées que je défends, mais mon cœur me signifie que ce n'est pas pour ça que je le fais, mais uniquement pour l'aspect mutualisation, tendance "au moins, on ne bute pas des arbres pour le plaisir solitaire d'une seule personne".
J'ai constaté qu'une majorité de gens sont intéréssés par ces journaux sans pour autant les acheter, ce que je trouve dommage et que je n'explique pas vraiment… Vu nos salaires, je ne crois pas à un problème financier généralisé… Flemme de se déplacer ? La livraison postale existe… J'ai constaté que l'intérêt diffère entre le public et le privé et en fonction de la taille de la structure : la startup-nation est moins intéressée que le public (alors que tous deux disposent du même volume horaire de pause dej' et que je n'ai pas constaté de lecture en dehors de ces créneaux). C'est intéressant de constater que le milieu et les règles du jeu informelles créent l'opportunité. Du coup, je m'interroge : n'y-a-t-il pas, à poste équivalent, une inégalité d'accès à l'information en fonction du lieu de travail vu que cet accès peut être restreint par l'environnement ?
J'ai découvert des comportements divers : de la lecture assumée pendant la pause déjeuner jusqu'à la lecture "en douce" en passant par l'emprunt d'un journal durant la fin de semaine avant de le rapporter la semaine suivante. J'explique cela par l'environnement plus ou moins conformiste et répressif.
J'ai aussi découvert que certaines personnes font un blocage psychologique et ne lisent pas les journaux tant qu'elles ne savent pas qui a apporté lesdits journaux… Comme si le messager était responsable du contenu… Je n'explique pas ce point-là…
Je n'ai pas constaté de pression particulière sur ma personne. Je n'ai pas eu de remarques hiérarchiques me demandant d'arrêter mes conneries de bobo-gauchiste. Je ne me suis pas fait alpaguer par des collègues dans des débats au motif que "tiens on va demander son avis au bobo-gauchiste". Bref, je n'ai pas l'impression qu'apporter ces journaux me porte préjudice ou me place comme le savant ou le défenseur d'un bord politique lors d'un débat. Je ne me sens pas oppressé parce que j'apporte des journaux.
Tout au plus, il y a eu ce collègue qui, en me voyant débarquer avec les Canard, Fakir et Siné tout frais, a déclaré à voix haute en public « si c'est comme ça, je vais apporter l'Humanité » sur un ton un tantinet agressif qui ne lui ressemble pas. Je lui ai répondu que ça me ferait plaisir, que j'invite tout le monde à partager son journal chéri, même l'Opinion ou le Figaro et que les journaux que j'apporte, c'est comme la merde que je raconte à l'oral, je ne suis pas tenu d'être objectif. Je ne sais pas si ce message a été entendu, mais je n'ai pas vu l'Humanité dans la salle de pause.
Il reste une question à laquelle je n'ai pas trouvé de question : comment mutualiser la presse numérique ?
Bref, apporter la presse au boulot est une action concluante qui a du sens, qui intéresse et qui ne pose pas de contraintes sur celui ou celle qui la mène.
En te livrant cette expérience, j'espère t'avoir motivé à apporter les journaux de ton choix à ton boulot. :) Cela ne changera pas la face du monde… mais ça y contribuera ?