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——————————— Sunday 04, November 2018 ———————————

American Nightmare et Taxi 5 : retour sur deux navets

Deux collègues discutaient de l'appel à la purge lors d'Halloween lancé il y a quelques jours, en expliquant que cela est inspiré du film American Nightmare. J'ai regardé ce film afin de compenser ma carence culturelle. En recherchant ce film sur Allocine afin d'obtenir des infos de base, je suis tombé sur Taxi 5… Et là, c'est le drame.

American Nightmare

Afin de satisfaire les pulsions humaines les plus sombres, le gouvernement des USA rend légal tous les délits et crimes chaque année pendant une nuit, entre le 21 et le 22 mars.

Je n'ai pas du tout aimé ce film : il est ennuyeux, les acteurs et les actrices jouent plutôt mal, les actions des personnages sont incohérentes avec la situation vécue, la trame narrative n'est pas travaillée et sonne faux, notamment sur l'aspect social de la purge, etc.

Néanmoins, ce film permet d'illustrer simplement des concepts de la sécurité (informatique ou non) :

  • L'acteur principal, pourtant vendeur de systèmes de sécurité haute technologie, explique très clairement qu'aucun système de sécurité est infaillible, que la sécurité est garantie jusqu'à un certain degré de menace ;

  • La brèche, c'est toujours l'être humain. Ici, un ado fait entrer, au sein de l'espace sécurisé, un inconnu qui appel à l'aide, ce qui ôte tout l'intérêt de la protection.

Bref, même si tu t'ennuies profondément, je te déconseille le visionnage de ce film.


Taxi 5

Onze ans après le dernier, un énième opus de la franchise, sans Naceri ni Diefenthal. Je l'ai regardé par amour du personnage du commissaire Gilbert.

Je n'ai pas du tout aimé ce film : humour vu et revu recyclé des opus précédents, trame narrative pompée sur le premier Taxi, etc. Il y a rien à tirer de ce film.

Bref, même si tu t'ennuies profondément, je te déconseille le visionnage de ce film.

Un ami du Kremlin met un pied dans la porte du ”Monde”

Le Tchèque Kretinsky est très russe-compatible. Alerte dans les services !

En France, Daniel Kretinsky n’a qu’un problème : la prononciation de son nom, que ses partisans s’évertuent à rectifier en disant : « Schrétinsky ». Pour le reste, tout baigne pour le jeune milliardaire tchèque, qui enfonce à coups de millions des portes que lui ouvrent volontiers les derniers patrons de la presse française. Après Yves de Chaisemartin, qui a cédé l’hebdo « Marianne » pour 6,5 millions d’euros, après Lagardère, qui largue ses revues (« Elle », « Télé 7 Jours », etc.) et pourrait ajouter Virgin Radio à la liste, c’est au tour du banquier Matthieu Pigasse d’avouer qu’il commerce avec l’ami « Schrétinsky » et lui cède des parts dans « Le Monde ». Le « quotidien de référence », rien que ça…

Cette annonce, la semaine dernière, a assommé la rédaction et même le patron du directoire, Louis Dreyfus, qui ignorait ce qui se tramait. Les négociations entre Paris et Prague avaient pourtant commencé avant l’été…

C'est ce qui arrive quand une société commerciale n'appartient pas à ceux et celles qui font, mais à des personnes distinctes, à des financiers, qui n'ont que faire de l'avenir de la structure.


Tout doit disparaître

Dès le mois de juin, Xavier Niel, l’autre cogérant du « Monde », apprend que son acolyte Pigasse veut liquider sa participation dans le quotidien (un tiers de la holding Le Monde libre). Motif : il a besoin d’argent frais pour solder ses dettes. Un emprunt bancaire (environ 30 millions), tout d’abord, contracté en 2010 pour le rachat du « Monde » et que lui garantit… Niel. Une seconde dette, ensuite, qui lui a servi à reprendre avec le même Niel la part de Pierre Bergé : ce dernier, malade, avait consenti à ses potes une ristourne de 10 millions et un échelonnement du paiement sur cinq ou six ans. Mais Bergé est décédé il y a un an…

Cet été, Pigasse explique soudain à ses partenaires que tout est réglé et qu’il a trouvé un bel acheteur. Fin juillet, il lève le voile sur son identité : Daniel Kretinsky ! A ce moment-là, Pigasse est prêt à vendre la totalité de ses actions du « Monde » à l’homme d’affaires tchèque. Il en veut 100 millions d’euros (« Libé », 23/10).

Problème : sur le papier, Kretinsky deviendrait alors cogérant du journal. Si Pigasse ne garde pas au moins une action, une sévère menace plane même sur l’avenir de la commandite du « Monde ». Ce système de contrôle où les associés sont seuls maîtres à bord avait été imposé pour verrouiller le pouvoir du duo Niel-Pigasse (Bergé n’avait pas voulu faire partie de cette commandite). Le scénario d’un Kretinsky copropriétaire fait s’étrangler Niel. Tollé garanti dans la presse ! Au mois d’août, Pigasse recule. Il envisage de ne céder que 49 %, de ses parts, au maximum, à Kretinsky. Un mois plus tard, ce projet de participation minoritaire rassure, pour un temps, un « honorable correspondant » de la France à Prague, qui se fait confirmer la nouvelle par le premier cercle politique du milliardaire. Mais personne n’en doute : dans un second temps, le quadragénaire tchèque va vouloir tout racheter à Pigasse et s’asseoir à sa place.

Ça sent le gaz

Depuis qu’il a débarqué, il y a huit mois, le Tchèque pressé est dans les radars des services français. Importateur majeur de gaz russe en Europe avec son groupe EPH, Kretinsky grenouille en effet dans la zone d’influence de Moscou. Or l’offensive médiatique et politique pour étendre ladite zone dans toute l’Europe n’a échappé à personne. Ce n’est pas écrit sur son CV, mais Kretinsky est proche du jeune ministre de l’Economie russe, Maxime Orechkine.

Les deux hommes partagent même une passion désintéressée bien de chez nous : la Société générale. Orechkine a travaillé pendant sept ans (2006-2013) pour la filiale de la banque française en Russie, la Rosbank ; Kretinsky, lui, fait régulièrement appel au satellite de la Société Générale en Tchéquie, Komercni Banka, pour ses investissements. Quant à ses liens avec un autre jeune richissime tchèque, Petr Kellner, très implanté dans les milieux d’affaires russes, ils soulèvent d’autres saines interrogations…

Politiquement, les premiers signes donnés par le futur actionnaire du « Monde », autoproclamé « proeuropéen », font rêver. A peine « Marianne » payé, il a installé à sa tête la réac souverainiste Natacha Polony. On peut trouver plus procuropéen… Kretinsky rachèterait aussi volontiers une gazette politique très fraîche, « Valeurs actuelles », mais l’hebdomadaire n’est pas à vendre. « Il s’est renseigné dessus. Il est bien droitier, c’est sûr », se marre un patron de presse qui l’a rencontré plusieurs fois. Lequel conclut : « Il adore aussi les tabloïds et veut savoir s’il est possible d’en lancer en France. »

Voilà qui ne devrait pas calmer les journalistes du « Monde », qui rencontrent ce jeudi Niel et Pigasse. Ce sera surtout pour les deux hommes l’occasion de se croiser… Ils ne se parlent plus.

Besoin d’un traducteur tchèque, peut-être ?

Dans le Canard enchaîné du 24 octobre 2018.

Ne Mélenchon pas tout

La « personne » de Jean-Luc Mélenchon n’est pas seulement « sacrée », elle est aussi changeante. Ainsi, le même homme qui, en mars 2017, en pleine affaire Fillon, déplorait que « personne ne respecte plus rien : ni les politiques, ni les juges, ni la police, ni les journalistes » en vient à son tour, en vociférant, à vouer chacune de ces corporations aux gémonies.

Faites ce que je dis, pas ce que je fais. Classique. :)


Fillon, qui était à l’époque, lui aussi, sous le coup d’une enquête préliminaire, hurlait alors au complot politico-médiatique et au « cabinet noir ». Mélenchon, qui, lui, a droit à deux enquêtes du même ordre, l’une sur les comptes de sa campagne présidentielle et les grosses factures de son ex-directrice de la communication Sophia Chikirou, l’autre sur les assistants des eurodéputés de son parti, en fait trois fois plus.

Ces enquêtes me semblent être parfaitement légitimes. La facturation via une association qui n'était pas déclarée comme étant microparti, donc pas sujette à la transparence en usage, ce n'est pas cool. La surfacturation éventuelle non plus, car une partie est payée par les citoyen⋅ne⋅s par le jeu du remboursement des frais de campagne.


L’ami « du bruit et de la fureur » éructe, pour sa part, contre « une opération de police politique », un sombre complot de la « caste » et du « parti médiatique », allié dans ses basses œuvres au « système judiciaire lié au système politique ». Tous contre lui, mais lui pas tout à fait seul contre tous, car, comme il l’a éructé lors de la perquisition à son domicile, « [il est] plus que Jean-Luc Mélenchon, [il est] 7 millions de personnes ».

Peut-être faudra-t-il revoir le comptage. Les spectaculaires emportements de l’éruptif chef de La France insoumise ne font pas forcément fuir le client. Sans aller jusqu’à en redemander, ils sont habitués à sa bileuse intempérance. Mais ce nouvel accès d’une grande violence tombe juste au moment où, jouant l’ouverture et l’apaisement, il entendait rassembler à gauche pour élargir ses rangs. Faire peur pile quand on veut rassurer peut un rien égarer. Et des sondages lui font déjà perdre des soutiens (lire p. 2) et de la popularité. Pour avoir trop forcé la note, Mélenchon risque, là encore, de la payer.

Oui, ça c'est dommage…


On peut, certes, concéder quelques bonnes raisons à cet emportement mélenchonien. Une perquisition matinale avec une escouade de policiers en gilet pare-balles a de quoi émouvoir et énerver. Et le perquisitionné a beau jeu d’ergoter sur le fait que cette perquisition émanant du parquet et non d’un juge d’instruction plus indépendant limitait les droits de sa défense. Ou de déplorer que la loi n’autorise pas la présence d’un avocat. On peut comprendre aussi sa colère contre la divulgation de sa vie privée, même si elle venait à entrer en collision avec l’affaire pour laquelle il était perquisitionné…

Oui, une perquisition est un acte violent, quelle qu'en soit la cible, y compris le⋅a citoyen⋅ne de base. C'est pour ça que j'ai toujours milité pour des gardes-fous puissants, notamment lors de l'état d'urgence 2015-2017. Si cette affaire peut en faire prendre conscience…


Fort de tous ces recevables arguments, il aurait eu tout à gagner à les faire valoir avec l’indéniable talent tribunicien qui est le sien. Mais, au lieu de cela, oubliant que d’autres partis, du MoDem au RN, et leurs dirigeants ont subi aussi des tracas judiciaires, Mélenchon, dont les nerfs lâchent souvent, est parti dans ses diatribes complotistes et ses bouffées aussi délirantes que vociférantes et menaçantes.

Gros gros +1. Mélenchon pouvait réussir une très bonne pédagogie sur la violence d'une perquisition, sur le fait que Macron, Hamon, et les autres n'ont pas été perquisitionné concernant leurs comptes de campagne, etc. Certes, la colère sous le coup de l'émotion est pardonnable, qui n'aurait pas agit ainsi à sa place, mais rien n'excuse la diatribe lors de la conférence de presse, qui pouvait être effectuée au calme, après réflexion, etc.


Complètement défiltré, le Chavez de l’Estaque, après avoir, sans rire, appelé à « faire baisser le niveau de violence qui existe dans cette affaire », a appelé, la bave aux lèvres, ses troupes à « pourrir » les « tricheurs » et les « abrutis » de Radio France. Toujours la cohérence !


Et ce n’est pas terminé, car le voilà maintenant qui tente à nouveau de se justifier en écrivant qu’en fait il n’est « pas en guerre, ni contre les médias, ni contre la justice, ni contre la police », c’est juste, ajoute-t-il, que ce qu’il a subi « n’est pas digne ». La boucle est bouclée. Au moins jusqu’à la prochaine bouffée. Elle le serait plus solidement et avec plus de « dignité » si, plutôt que de chercher de foireuses justifications à son numéro de persécuté, Mélenchon s’était simplement contenté de fournir les justificatifs qui lui ont été demandés.

Un autre aspect m'a profondément choqué et révolté : toute la mise en scène autour de l'importance de sa personne (sacrée, représentante de 7 millions de personnes, etc.) et la provocation du magistrat (et vas-y que je répète en boucle que je suis Mélenchon pour me donner de l'importance, et vas-y que je sorte mon écharpe tricolore pour me cacher derrière alors que mon immunité parlementaire est hors champ, etc.). Je déteste que des élu⋅e⋅s se protègent derrière leur soi-disant statut social. Il⋅elle⋅s sont juste des humain⋅e⋅s comme les autres. J'ai toujours été contre toute forme d'immunité des élu⋅e⋅s et contre toute forme de statut pénal distinct pour le Président. Dans le cas de Mélenchon, cela affecte sa crédibilité : lors de sa campagne de 2017, il dénonçait la posture du Président comme surhomme providentiel. C'était même l'un des motifs pour passer à une 6e République avec des pouvoirs constitutionnels plus équilibrés. Comment croire que Mélenchon, une fois élu, mettra en œuvre la 6e République alors qu'en tant que non élu, il jouit et abuse d'un prétendu statut d'homme fort intouchable d'opposition ?

Un dernier aspect ne m'a pas laissé indifférent : le traitement médiatique parfaitement lamentable, comme d'habitude. Ho, un homme a perdu ses nerfs, faisons-en tout un plat et exigeons une conférence de presse immédiate ! Faire réfléchir sur le régime juridique des perquisitions ? Haha. Approfondir les raisons de ces perquisitions ? Lolilol. Par contre, faire défiler les éditorialistes, là, aucun problème.

Édito du Canard enchaîné du 24 octobre 2018.

FAI, GAFAM, blocages des contenus : j'écris au Canard enchaîné

Bonjour,

Je réagis à l'article suivant publié dans le bandeau gauche de la 8e page du numéro 5112 du 24 octobre 2018 du Canard :

C’est une première : le procureur de la République de Paris a assigné, le 8 novembre, au tribunal de grande instance de Paris neuf opérateurs (SFR, Orange, Free, Bouygues Telecom, etc.) pour qu’ils bloquent le site d’extrême droite Démocratie participative, en raison de ses contenus haineux à caractère raciste, antisémite et homophobe.

Il leur enjoint de bloquer l’accès dans un délai de quinze jours sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard. il est fou, ce procureur !

Depuis toujours, les Gafa et les opérateurs nous expliquent en chœur que bloquer un site est tout ce qu’il y a de plus techniquement impossible.

Ce qui n’empêche pas Facebook de bloquer « L’origine du monde », de Courbet, tellement shocking !

 
Cet article mélange plusieurs choses et traite le sujet de manière très partielle et sans finesse. Ce n'est pas le première fois que ce sujet, pourtant crucial à notre époque numérique, est malmené par le Canard. Étudions-le un peu plus en détail ensemble, voulez-vous ?
 
 
En France, le blocage d'un service numérique par les fournisseurs d'accès à Internet (FAI) est réalisé par l'effacement de l'adresse du service de l'annuaire technique des FAI. Ainsi, quand un abonné Free ou Orange ou autre saisira l'adresse « democratieparticipative.biz » dans son navigateur Internet, l'annuaire du FAI répondra à ce dernier que le site web n'existe pas, empêchant ainsi son accès.

    D'un côté, cette technique produit l'ablation d'un site web entier pour un FAI donné. Il n'est pas possible de bloquer une et une seule page d'un site web, ni même un ensemble de pages, c'est tout ou rien, et cela s'applique à l'ensemble des abonnés (pas de distinctions pour les avocats, parlementaires, chercheurs, journalistes, etc. que l'on notre législateur cherche parfois à soustraire à ces blocages). Ainsi, elle n'est pas utilisable sur tout site web à forte audience sur lequel le contenu est mutualisé (Facebook, LeMonde.fr, Wikipédia, etc.) sous peine d'interdire tout accès à ce site web connu, donc de perdre des clients.

    De l'autre, le blocage qui naît de cette technique se contourne très facilement : il suffit de paramétrer son ordinateur pour utiliser un autre annuaire, puisque rien contraint à utiliser celui de son FAI.
 
 
Ho, bien sûr, côté FAI, il existe une technique de blocage plus efficace qui consiste à lire l'intégralité des communications afin de discerner (par mots-clés, par adresse, etc.) les accès à du contenu problématique et ainsi d'interrompre automatiquement la communication de manière dynamique et en temps réel. Elle se nomme Deep Packet Inspection.

    Elle permettrait aux FAI de bloquer une page d'un site web donné sans faire l'ablation du site web entier.

    Cette technique est très intrusive, elle va au-delà de l'ouverture d'une enveloppe postale, par exemple. En fonction de son paramétrage, elle peut fouiller dans les communications chiffrées donc confidentielles. Son utilisation n'est pas souhaitable dans une démocratie, car elle servira immanquablement à tracer qui lit quel contenu, quand, à quelle fréquence, qui échange avec qui, quand, à quelle fréquence, quels sujets sont abordés, et à bloquer toute forme d'expression jugée dissidente. Pas de retour en arrière possible après son déploiement, la boîte de Pandore sera ouverte et seule son paramétrage fera foi. À ce jour, seuls des États faiblement démocratiques l'ont utilisé (Syrie, Lybie, Iran, Maroc, etc.).

    Sur ce sujet, je vous conseille de vous rapprocher de vos confrères de Reflets.info, qui ont abondamment documenté cette technique et ses dérives [1], notamment en Lybie (emprisonnement et torture d'opposants politiques).
 
 
Concernant les Gafa, faut-il les classer comme hébergeurs de sites web ou comme éditeurs de sites web, c'est-à-dire, par analogie, comme imprimeurs/distributeurs/points de vente ou comme éditeurs ? Si l'on les classe comme hébergeurs, alors on ne peut pas exiger d'eux un contrôle des contenus, car ne décidant pas des contenus diffusés, ils ne peuvent en être co-responsables. Si l'on les classe comme éditeurs, on ne pourra plus leur reprocher de censurer des contenus selon leurs critères (comme l'œuvre de Courbet ou des travaux de vos confrères) au-delà des exigences légales, car un droit de regard éditorial discrétionnaire naît du statut d'éditeur (par analogie, une maison d'édition papier choisit qui et quel contenu elle veut publier). En revanche, il n'est pas acceptable que ces entités jouent sur les deux tableaux comme elles le font en ce moment (refus de la responsabilité éditoriale tout en censurant des contenus).

    On peut difficilement considérer les Gafa comme des hébergeurs, en cela que ces sociétés commerciales prennent des décisions concernant les contenus (mise en avant de certains contenus, choix de ce qui sera affiché sur le mur de telle ou telle personne, censure, etc.).

    On peut difficilement les considérer comme des éditeurs, car la responsabilité qui leur incomberait alors serait disproportionnée donc injuste (j'ai aucun doute sur le fait que les plus hautes juridictions judiciaires en décideraient ainsi). En effet, comment lire une telle masse de contenus et en valider les conformités légales, une par État dans lequel la plateforme numérique est présente, avant publication ?! Même en intensifiant le recours à des fermes de petites mains sous payées, méthode actuellement utilisées par les Gafa, cela semble impossible (et quand bien même, je ne désire pas que ces sous-emplois de la misère se développent encore plus).

    Comme dans d'autres secteurs, la question qui se pose ici est celle de la concentration des acteurs, alors, que, pourtant, chaque citoyen pourrait disposer de son lieu d'expression dont il serait l'éditeur donc le responsable légal. Cela se nomme site web personnel, blog, et toutes les techniques pour les interconnecter afin d'échanger des contenus. La volonté de simplicité exprimée par les citoyens fait que ce modèle ne s'est pas développé après 2005, ce qui engendre les dérives dont nous parlons.

    Actuellement, des réflexions ont lieu, aussi bien dans la société civile que chez nos élus, afin de définir un nouveau statut pénal pour les plateformes numériques comme les Gafa, à mi-chemin entre hébergeur et éditeur. Je vous invite vivement à prendre connaissance de ces ébauches de réflexions politiques [2].
 
 
Notons que la responsabilisation des intermédiaires techniques (FAI, hébergeurs) nous ferait glisser vers une censure automatisée de droit privé plus vaste que ce que prévoit la loi. En effet, si le FAI et l'hébergeur sont en capacité de bloquer des communications et des contenus, mais qu'ils ne le font pas pour certains types ou par erreur, ils deviennent co-reponsables de ces communications et de la publication de ces contenus puisqu'ils avaient les moyens techniques de les empêcher. S'ils ne les ont pas empêchées, c'est donc qu'ils approuvent ces communications et ces contenus, non ? Donc ils sont complices, non ?

    Ces entités voulant prendre aucun risque, cela entraînerait mécaniquement de la censure préventive de tout ce qui pourrait éventuellement déranger qui que ce soit où que ce soit.

    Cela entraînerait aussi une concentration des acteurs. En effet, seuls les acteurs importants seront à même de salarier des censeurs à plein temps, de développer des programmes informatiques de censure, et d'encaisser les éventuelles sanctions découlant d'une erreur d'appréciation ou informatique. Or, nous l'avons déjà dit, c’est précisément la taille des acteurs qui leur permet de ne pas prendre en compte les desiderata de tel ou tel État et de s'affranchir de telle ou telle législation. Balle dans le pied. Perdu ?
 
 
Fondamentalement, ce qui m'ennuie le plus, ce n'est pas que des propos injurieux, haineux, racistes, antisémites, homophobes, complotistes, etc. soient accessibles par Internet, c'est que des personnes soient suffisamment désorientées, suffisamment mal dans leur peau pour y avoir recours en étant convaincues de leur légitimité, tels nos ancêtres qui s'envoyaient des cartes postales ouvertement antisémites dans les années 1920. Il est là, le vrai problème. Qu'est-ce que l'on fait pour comprendre cela et y remédier ? Rien. Qu'est-ce que l'on peut faire ? Arrêter l'individualisation, recréer du lien social, recréer des projets communs, chercher à tendre vers une société plus égalitaire, etc. Seules des actions de cet ordre dissuaderont les humains de chercher et de pointer du doigt leurs différences et de s'entre-tuer. Sauf que c'est un travail de longue haleine. Il est bien plus facile de bloquer des contenus, j'en conviens.

    Je ne pense pas que la censure (tant du côté des FAI que du côté des éditeurs numériques que du côté des diffuseurs audiovisuels que du côté des éditeurs de presse papier, etc.) soit la solution. D'un côté, les propos haineux, racistes, homophobes, etc. continueront d'exister dans l'esprit des citoyens et continueront d'être échangés, que se soit au bistrot du coin ou sur des plateformes numériques moins connues. La censure confortera les auteurs de tels propos dans leur sentiment d'exprimer des vérités qui dérangent. De l'autre côté, la censure dérive toujours. Les bons sentiments derrière le blocage de contenus haineux, racistes, homophobes ne sont qu'un prétexte à une censure qui sera étendue avec le temps. L'enfer est pavé de bonne intention, attention à ce que nous souhaitons.
 
 
J'espère vous avoir éclairé et que vos prises de positions à ce sujet seront plus fines à l'avenir. Je souhaite ardemment que ce sujet complexe de blocage des contenus et de statut pénal des différents acteurs d'une communication électroniques soit vulgarisé dans la presse afin que chaque citoyen puisse en comprendre les enjeux et prendre position. Un travail pour le Canard ?
 
 
Cordialement.
 
 
[1] Deep Packet Inspection sur Reflets.info ;

[2] Régulation des contenus : quelles obligations pour les géants du Web ?, Intermédiaires techniques : un éléphant, ce n'est pas une souris en plus gros, Un tiers médiaire.

Croyez-nous sur parole !

Pauvres députés macronistes ! Le 29 mai, en compagnie d’une poignée de députés LR, une trentaine d’entre eux avaient rejeté l’amendement déposé par Matthieu Orphelin, député LRM proche de Hulot, qui vise à interdire le glyphosate d’ici à 2021. Leurs électeurs les avaient alors vivement interpellés. Six mois auparavant, le président Macron ne s’était-il pas engagé par écrit à faire interdire le glyphosate « au plus tard dans trois ans » ? Pourquoi trahir cette promesse ? Pourquoi refuser de l’inscrire dans la loi ?

Le 15 septembre, rebelote : un amendement du même tonneau est rejeté par 42 députés (dont les mêmes 34 macronistes). Depuis, comme le raconte « Le Monde » (19/10), ils vivent l’enfer. Dans la rue, on les apostrophe : « Vous êtes tous vendus aux lobbys ! Honte a vous d’être avec Monsanto ! » Ils reçoivent des mails indignés par centaines. On les présente comme les « 42 salopards ». Et parfois, forcément, ça dérape (insultes et menaces de mort). Heureusement, l’ex-ministre de l’Agriculture Stéphane Travert a exprimé son soutien à ces députés « injustement insultés, bafoués, caricaturés sur les réseaux sociaux »

Du coup, ils s’échinent à expliquer en chœur qu’ils sont « profondément » contre le glyphosate, mais qu’il faut y aller mollo, sans « braquer les agriculteurs », car la situation sur le terrain est complexe, les voilà réduits à « faire la pédagogie de leur vote »… La députée de l’Isère Cendra Motin a ce mot magnifique : « On demande aux gens de nous croire sur parole. Or ils ne croient que les actes… »

Ah, les gens ! Indécrottables !

Qu'il⋅elle⋅s sont mignon⋅ne⋅s. :') Cependant, ça en dit long sur l'état de délabrement de notre démocratie…

On notera qu'un baratin similaire est en train de se mettre en œuvre en opposition à la volonté de Ruffin de désigner publiquement les responsables du rejet préalable d'une proposition de loi concernant la rémunération (actuellement scandaleusement basse) des accompagnateur⋅rice⋅s scolaires des enfants handicapé⋅e⋅s et l'accueil de ses mêmes enfants dans nos écoles publiques.

Dans le Canard enchaîné du 24 octobre 2018.

Des économies grâce à la justice des pauvres

Le décret devait sortir au 4e trimestre 2017. Personne n’en a encore vu la couleur. C’est dire tout l’intérêt porté à la justice (dite « contentieux social ») qui concerne les plus pauvres. Elle traite environ 20 000 litiges par an, opposant les conseils généraux aux organismes sociaux au sujet du RSA, des pensions de retraite ou de handicap, de la couverture maladie universelle complémentaire, de l’aide médicale d’Etat ou encore de la prise en charge en Ehpad ou en institut spécialisé.

Jusqu’ici, ces dossiers étaient traités par les commissions d’action sociale, départementales puis centrale (CCAS), en appel. La loi les a supprimées en 2016, transférant les cartons de paperasse aux tribunaux judiciaires et administratifs. Rendez-vous le 1er janvier 2019. En attendant, les démunis peuvent s’asseoir sur leurs réclamations.

Défense indigente

La dernière audience de la CCAS s’est tenue le 26 septembre, et les juges qui la composaient s’alarment du sort de leurs dossiers. « Le personnel de la CCAS — six ou sept personnes — n’est même pas transféré dans les nouvelles structures, alors qu’elles ont les compétences en la matière », s’inquiète Patrick Mony, qui y siégeait. « Et que deviendra toute notre jurisprudence dans les juridictions appelées à nous remplacer ? » renchérit Jean-Michel Belorgey, ancien conseiller d’Etat et désormais ex-président de la CCAS. Sans parler de quelque 1 000 dossiers en errance, qui devront attendre au mieux l’an prochain pour être réglés…

Il s’agit là d’aides souvent vitales pour les plus démunis. Ceux-ci, soulignent Mony et Belorgey, « n’ont guère d’armes pour batailler face aux organismes sociaux. Il faut sans cesse rééquilibrer ». D’autant que le droit en la matière est des plus compliqués. Qui doit payer ? Le département de naissance ? De domicile ? Celui où l’on atterrit un jour, au hasard d’un foyer ?

Recours impossible

Mais, le pire, c’est ce décret ! Il va instaurer un « recours administratif préalable obligatoire » (Rapo) pour les justiciables, avant toute saisine du tribunal administratif. Le Rapo est cette démarche qui rend aujourd’hui dingues les automobilistes, depuis l’instauration du forfait post-stationnement.

Ils doivent le déposer par Internet, et l’efficacité est très moyenne. Dans le cas du decret, « c’est un filtre destiné à décourager les plus pauvres, qui seront écrasés par ces Rapo… » se fâche Belorgey. Mais ceux-ci rassurent, dit-on, les tribunaux administratifs, qui redoutent de crouler sous les demandes. Sabrer dans les aides sociales, bien des politiques en rêvent.

Voilà une élégante façon de leur faire plaisir !

Dans le Canard enchaîné du 24 octobre 2018.

Réduction en chef

On les appelle « chargés de contenus ». Ils remplacent les journalistes, mais ils n’en sont pas. Ce sont de jeunes stagiaires ou des autoentrepreneurs. Ils sont chargés de pondre des articles à la chaîne. « Articles », le mot n’est guère approprié. Des bouche-trous à mettre entre les pubs : du contenu. Forcément bienveillant envers les annonceurs. Chez Reworld, on ne fait pas vraiment la différence entre journalisme et publicité.

Le hic, c’est que Reworld est en passe de devenir le premier groupe de presse magazine français. Il a déjà racheté « Pariscope » (l’a coulé), « Be » (l’a coulé), « Auto Moto », « Maison & Travaux », « Union », « Le Journal de la maison » et aussi « Marie France », « Gourmand », « Vie pratique », « Télé Magazine », « Papilles », « Disney Fun », etc.

Il s’apprête à absorber des dizaines de titres de la filiale française de Mondadori, comme « Science & Vie », « Auto Plus », « Grazia », « Biba », « Closer », « Télé Star »… Et les salariés de Mondadori grimpent aux rideaux. Ils n’ont pas envie de se retrouver sur le pavé pour être remplacés par des chargés de contenus.

Or c’est la tactique de Pascal Chevalier et Gautier Normand, les deux entrepreneurs d’Internet qui ont repris Reworld voilà six ans : pousser les journalistes en place à déguerpir en prenant la clause de cession et les remplacer par des employés au rabais, dociles et sans scrupule. Les rares journalistes qui se sont accrochés à leur poste s’en sont mordu les doigts, comme l’ancien rédac chef d’un magazine racheté par Reworld : « Il n’y a aucune reconnaissance, là-bas, aucun respect. Je ne connais personne qui est heureux d’y travailler (…). Un conseil : ne bossez jamais pour eux » (« Libération », 12/10).

Jeudi 18, quelques centaines de salariés de Mondadori ont manifesté devant le ministère de la Culture pour demander au nouveau ministre, Franck Riester, de bloquer le dépeçage annoncé de leurs magazines.

Quelle drôle d’idée… La liberté d’entreprendre , c’est sacré, voyons !

Dans le Canard enchaîné du 24 octobre 2018.

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