On les appelle « chargés de contenus ». Ils remplacent les journalistes, mais ils n’en sont pas. Ce sont de jeunes stagiaires ou des autoentrepreneurs. Ils sont chargés de pondre des articles à la chaîne. « Articles », le mot n’est guère approprié. Des bouche-trous à mettre entre les pubs : du contenu. Forcément bienveillant envers les annonceurs. Chez Reworld, on ne fait pas vraiment la différence entre journalisme et publicité.
Le hic, c’est que Reworld est en passe de devenir le premier groupe de presse magazine français. Il a déjà racheté « Pariscope » (l’a coulé), « Be » (l’a coulé), « Auto Moto », « Maison & Travaux », « Union », « Le Journal de la maison » et aussi « Marie France », « Gourmand », « Vie pratique », « Télé Magazine », « Papilles », « Disney Fun », etc.
Il s’apprête à absorber des dizaines de titres de la filiale française de Mondadori, comme « Science & Vie », « Auto Plus », « Grazia », « Biba », « Closer », « Télé Star »… Et les salariés de Mondadori grimpent aux rideaux. Ils n’ont pas envie de se retrouver sur le pavé pour être remplacés par des chargés de contenus.
Or c’est la tactique de Pascal Chevalier et Gautier Normand, les deux entrepreneurs d’Internet qui ont repris Reworld voilà six ans : pousser les journalistes en place à déguerpir en prenant la clause de cession et les remplacer par des employés au rabais, dociles et sans scrupule. Les rares journalistes qui se sont accrochés à leur poste s’en sont mordu les doigts, comme l’ancien rédac chef d’un magazine racheté par Reworld : « Il n’y a aucune reconnaissance, là-bas, aucun respect. Je ne connais personne qui est heureux d’y travailler (…). Un conseil : ne bossez jamais pour eux » (« Libération », 12/10).
Jeudi 18, quelques centaines de salariés de Mondadori ont manifesté devant le ministère de la Culture pour demander au nouveau ministre, Franck Riester, de bloquer le dépeçage annoncé de leurs magazines.
Quelle drôle d’idée… La liberté d’entreprendre , c’est sacré, voyons !
Dans le Canard enchaîné du 24 octobre 2018.