Le décret devait sortir au 4e trimestre 2017. Personne n’en a encore vu la couleur. C’est dire tout l’intérêt porté à la justice (dite « contentieux social ») qui concerne les plus pauvres. Elle traite environ 20 000 litiges par an, opposant les conseils généraux aux organismes sociaux au sujet du RSA, des pensions de retraite ou de handicap, de la couverture maladie universelle complémentaire, de l’aide médicale d’Etat ou encore de la prise en charge en Ehpad ou en institut spécialisé.
Jusqu’ici, ces dossiers étaient traités par les commissions d’action sociale, départementales puis centrale (CCAS), en appel. La loi les a supprimées en 2016, transférant les cartons de paperasse aux tribunaux judiciaires et administratifs. Rendez-vous le 1er janvier 2019. En attendant, les démunis peuvent s’asseoir sur leurs réclamations.
Défense indigente
La dernière audience de la CCAS s’est tenue le 26 septembre, et les juges qui la composaient s’alarment du sort de leurs dossiers. « Le personnel de la CCAS — six ou sept personnes — n’est même pas transféré dans les nouvelles structures, alors qu’elles ont les compétences en la matière », s’inquiète Patrick Mony, qui y siégeait. « Et que deviendra toute notre jurisprudence dans les juridictions appelées à nous remplacer ? » renchérit Jean-Michel Belorgey, ancien conseiller d’Etat et désormais ex-président de la CCAS. Sans parler de quelque 1 000 dossiers en errance, qui devront attendre au mieux l’an prochain pour être réglés…
Il s’agit là d’aides souvent vitales pour les plus démunis. Ceux-ci, soulignent Mony et Belorgey, « n’ont guère d’armes pour batailler face aux organismes sociaux. Il faut sans cesse rééquilibrer ». D’autant que le droit en la matière est des plus compliqués. Qui doit payer ? Le département de naissance ? De domicile ? Celui où l’on atterrit un jour, au hasard d’un foyer ?
Recours impossible
Mais, le pire, c’est ce décret ! Il va instaurer un « recours administratif préalable obligatoire » (Rapo) pour les justiciables, avant toute saisine du tribunal administratif. Le Rapo est cette démarche qui rend aujourd’hui dingues les automobilistes, depuis l’instauration du forfait post-stationnement.
Ils doivent le déposer par Internet, et l’efficacité est très moyenne. Dans le cas du decret, « c’est un filtre destiné à décourager les plus pauvres, qui seront écrasés par ces Rapo… » se fâche Belorgey. Mais ceux-ci rassurent, dit-on, les tribunaux administratifs, qui redoutent de crouler sous les demandes. Sabrer dans les aides sociales, bien des politiques en rêvent.
Voilà une élégante façon de leur faire plaisir !
Dans le Canard enchaîné du 24 octobre 2018.