La « personne » de Jean-Luc Mélenchon n’est pas seulement « sacrée », elle est aussi changeante. Ainsi, le même homme qui, en mars 2017, en pleine affaire Fillon, déplorait que « personne ne respecte plus rien : ni les politiques, ni les juges, ni la police, ni les journalistes » en vient à son tour, en vociférant, à vouer chacune de ces corporations aux gémonies.
Faites ce que je dis, pas ce que je fais. Classique. :)
Fillon, qui était à l’époque, lui aussi, sous le coup d’une enquête préliminaire, hurlait alors au complot politico-médiatique et au « cabinet noir ». Mélenchon, qui, lui, a droit à deux enquêtes du même ordre, l’une sur les comptes de sa campagne présidentielle et les grosses factures de son ex-directrice de la communication Sophia Chikirou, l’autre sur les assistants des eurodéputés de son parti, en fait trois fois plus.
Ces enquêtes me semblent être parfaitement légitimes. La facturation via une association qui n'était pas déclarée comme étant microparti, donc pas sujette à la transparence en usage, ce n'est pas cool. La surfacturation éventuelle non plus, car une partie est payée par les citoyen⋅ne⋅s par le jeu du remboursement des frais de campagne.
L’ami « du bruit et de la fureur » éructe, pour sa part, contre « une opération de police politique », un sombre complot de la « caste » et du « parti médiatique », allié dans ses basses œuvres au « système judiciaire lié au système politique ». Tous contre lui, mais lui pas tout à fait seul contre tous, car, comme il l’a éructé lors de la perquisition à son domicile, « [il est] plus que Jean-Luc Mélenchon, [il est] 7 millions de personnes ».
Peut-être faudra-t-il revoir le comptage. Les spectaculaires emportements de l’éruptif chef de La France insoumise ne font pas forcément fuir le client. Sans aller jusqu’à en redemander, ils sont habitués à sa bileuse intempérance. Mais ce nouvel accès d’une grande violence tombe juste au moment où, jouant l’ouverture et l’apaisement, il entendait rassembler à gauche pour élargir ses rangs. Faire peur pile quand on veut rassurer peut un rien égarer. Et des sondages lui font déjà perdre des soutiens (lire p. 2) et de la popularité. Pour avoir trop forcé la note, Mélenchon risque, là encore, de la payer.
Oui, ça c'est dommage…
On peut, certes, concéder quelques bonnes raisons à cet emportement mélenchonien. Une perquisition matinale avec une escouade de policiers en gilet pare-balles a de quoi émouvoir et énerver. Et le perquisitionné a beau jeu d’ergoter sur le fait que cette perquisition émanant du parquet et non d’un juge d’instruction plus indépendant limitait les droits de sa défense. Ou de déplorer que la loi n’autorise pas la présence d’un avocat. On peut comprendre aussi sa colère contre la divulgation de sa vie privée, même si elle venait à entrer en collision avec l’affaire pour laquelle il était perquisitionné…
Oui, une perquisition est un acte violent, quelle qu'en soit la cible, y compris le⋅a citoyen⋅ne de base. C'est pour ça que j'ai toujours milité pour des gardes-fous puissants, notamment lors de l'état d'urgence 2015-2017. Si cette affaire peut en faire prendre conscience…
Fort de tous ces recevables arguments, il aurait eu tout à gagner à les faire valoir avec l’indéniable talent tribunicien qui est le sien. Mais, au lieu de cela, oubliant que d’autres partis, du MoDem au RN, et leurs dirigeants ont subi aussi des tracas judiciaires, Mélenchon, dont les nerfs lâchent souvent, est parti dans ses diatribes complotistes et ses bouffées aussi délirantes que vociférantes et menaçantes.
Gros gros +1. Mélenchon pouvait réussir une très bonne pédagogie sur la violence d'une perquisition, sur le fait que Macron, Hamon, et les autres n'ont pas été perquisitionné concernant leurs comptes de campagne, etc. Certes, la colère sous le coup de l'émotion est pardonnable, qui n'aurait pas agit ainsi à sa place, mais rien n'excuse la diatribe lors de la conférence de presse, qui pouvait être effectuée au calme, après réflexion, etc.
Complètement défiltré, le Chavez de l’Estaque, après avoir, sans rire, appelé à « faire baisser le niveau de violence qui existe dans cette affaire », a appelé, la bave aux lèvres, ses troupes à « pourrir » les « tricheurs » et les « abrutis » de Radio France. Toujours la cohérence !
…
Et ce n’est pas terminé, car le voilà maintenant qui tente à nouveau de se justifier en écrivant qu’en fait il n’est « pas en guerre, ni contre les médias, ni contre la justice, ni contre la police », c’est juste, ajoute-t-il, que ce qu’il a subi « n’est pas digne ». La boucle est bouclée. Au moins jusqu’à la prochaine bouffée. Elle le serait plus solidement et avec plus de « dignité » si, plutôt que de chercher de foireuses justifications à son numéro de persécuté, Mélenchon s’était simplement contenté de fournir les justificatifs qui lui ont été demandés.
Un autre aspect m'a profondément choqué et révolté : toute la mise en scène autour de l'importance de sa personne (sacrée, représentante de 7 millions de personnes, etc.) et la provocation du magistrat (et vas-y que je répète en boucle que je suis Mélenchon pour me donner de l'importance, et vas-y que je sorte mon écharpe tricolore pour me cacher derrière alors que mon immunité parlementaire est hors champ, etc.). Je déteste que des élu⋅e⋅s se protègent derrière leur soi-disant statut social. Il⋅elle⋅s sont juste des humain⋅e⋅s comme les autres. J'ai toujours été contre toute forme d'immunité des élu⋅e⋅s et contre toute forme de statut pénal distinct pour le Président. Dans le cas de Mélenchon, cela affecte sa crédibilité : lors de sa campagne de 2017, il dénonçait la posture du Président comme surhomme providentiel. C'était même l'un des motifs pour passer à une 6e République avec des pouvoirs constitutionnels plus équilibrés. Comment croire que Mélenchon, une fois élu, mettra en œuvre la 6e République alors qu'en tant que non élu, il jouit et abuse d'un prétendu statut d'homme fort intouchable d'opposition ?
Un dernier aspect ne m'a pas laissé indifférent : le traitement médiatique parfaitement lamentable, comme d'habitude. Ho, un homme a perdu ses nerfs, faisons-en tout un plat et exigeons une conférence de presse immédiate ! Faire réfléchir sur le régime juridique des perquisitions ? Haha. Approfondir les raisons de ces perquisitions ? Lolilol. Par contre, faire défiler les éditorialistes, là, aucun problème.
Édito du Canard enchaîné du 24 octobre 2018.