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——————————— Sunday 03, June 2018 ———————————

Dessin : Jusqu'où grimpera Mamoudou ?

Macron a été aussi agile et rapide que Mamoudou Gassama, ce Malien de 22 ans qui, au péril de sa vie et à la force du poignet, a escaladé la façade d’un immeuble parisien pour sauver un enfant de 4 ans et demi, suspendu dans le vide. Après cet exploit, le jeune homme était récupéré, en urgence, sous les ors de l’Elysée, dûment assis en face du Président, qui lui garantissait la nationalité française dans les meilleurs délais. Et une belle médaille. De leur côté, les pompiers de Paris faisaient savoir qu’ils étaient prêts à embaucher le courageux sans-papiers. Séquence émotion…

Et joie sans mélange ? Pas vraiment. A droite, la mauvaise humeur était palpable. Va pour Mamoudou, mais il ne faudrait pas que trop de clandestins se mettent à sauver des gosses… Après Lassana Bathily, qui, le 9 janvier 2015, a sauvé des otages de l’Hyper Cacher, cela fait deux clandestins valeureux régularisés en trois ans. Honni soit qui Mali y pense ! Faut-il fixer des quotas de héros ou imposer une épreuve d’escalade aux candidats à la naturalisation ? La France peut-elle accueillir tous les Spiderman du monde ? Vaines questions : l’essentiel est d’avoir de temps à autre notre « bon » migrant couvert de lauriers, preuve que la France est un pays ouvert et généreux.

À l’Elysée, lundi, Mamoudou Gassama a remercié le Président, mais aussi Dieu. Et Macron ne s’est même pas vexé. C’est dire si nous venons de vivre un moment exceptionnel.

Énorme +1. Tout ça n'est que pure hypocrisie. D'où il faut être méritant⋅e pour obtenir la nationalité ?! D'où il faut être méritant⋅e pour vivre ?! Dégueulasse.

Dans le Canard enchaîné du 30 mai 2018.

Dassault d’amabilités

Un bon bougre, au fond. Serge Dassault avait beau être le 5° homme le plus richissime de France, il était resté simple et franc du collier. Il adorait la chasse. Dans sa vaste propriété, il traquait le gros gibier du haut de la tourelle de son 4 X 4. Il disait tout ce qui lui passait par la tête. Les chômeurs ? « C’est anormal de donner de l’argent à des gens qui ne veulent pas travailler. » Le mariage hmosexuel ? « On va avoir un pays d’homos, et dans dix ans il n’y a plus personne. » Les ventes d’armes ? « Quand on vend du matériel, c’est pour que les clients s’en servent. »

Il était très content que son fameux avion de guerre, le Rafale, se vende enfin par dizaines à l’étranger et puisse balancer des missiles dans le monde entier. Il n’avait pas d’états d’âme. C’était un polytechnicien, un ingénieur, un capitaine d’industrie, un bâtisseur d’empire. Enfin, presque. C’est à l’âge de 62 ans qu’il avait hérité celui de son père, Marcel. On le prenait pour un vieux benêt ? Il a multiplié la fortune familiale par dix. Sans prendre de gants.

Pour lui, tout pouvait s'acheter, La démocratie ? Une mascarade : il avait corrompu des leaders socialistes wallons (et écopé de 2 ans de prison avec sursis). Pour remporter la mairie de Corbeil-Essonnes, il avait acheté des votes, puis acheté les « grands frères », qui lui promettaient la paix dans la cité des Tarterêts (l’un deux, Younès Bounouara, a pris, la semaine dernière, 15 ans pour tentative d’assassinat).

En 2004, il avait acheté « Le Figaro », où il exposait régulièrement sa vision de la vie (supprimer les syndicats, les grèves, plein de postes de fonctionnaires).

Il cachait au fisc des comptes à l’étranger tellement bourrés à craquer qu’en février 2017 il avait été condamné à 5 ans d’inéligibilité et 2 millions d’amende (seul son « grand âge », dirent les juges, lui avait épargné la prison).

Son empire industriel n’aurait pu tenir sans les commandes massives de l’armée française et, donc, le soutien massif de l’Etat. Ainsi, il aimait indistinctement tous les chefs d’Etat, Chirac, Sarkozy, Hollande (dont le ministre Le Drian s’était démené avec succès pour qu’il vende ses Rafale partout). Il adorait Macron, qui a fait « en sept mois » des réformes « que la France attendait depuis trente ans ». C’était un vrai guerrier.

La paix soit avec lui.

Une nécrologie revigorante après l'hommage national aux Invalides et l'hommage au Sénat, tous deux absolument scandaleux et indignes car démontrant, une fois encore, que tous les comportements se valent et que l'éthique, voire même le sentiment d'humanité, n'a pas d'importance dans notre Ripoublique.

Dans le Canard enchaîné du 30 mai 2018.

Big Trump dans tous nos ordinateurs

Le Cloud Act, adopté il y a deux mois par Washington, permet aux Etats-Unis de pomper — à notre insu — tous nos secrets stockés sur Internet.

Vous envoyez vos e-mails via une messagerie Windows ? Vous stockez vos documents confidentiels dans un cloud Google ? Vous racontez votre vie sur Facebook ? Vous papotez sur WhatsApp ou par Skype ? Vous utilisez un logiciel (même français) dont les données sont stockées chez Amazon ? Alors vous n’avez plus rien à cacher : l’administration américaine, qui vient de se doter d’un permis officiel d’espionnage, peut désormais fourrer son nez dans tous vos petits secrets. Le Cloud Act, promulgué en catimini par Donald Trump le 23 mars, exige en effet que les opérateurs et fournisseurs de services électroniques américains révèlent les données de leurs clients lorsqu’elles intéressent les autorités US, et ce « quelle que soit leur localisation (…), à l’intérieur ou à l’extérieur des Etats-Unis ».

Sombre nuage

Le texte de ce Cloud Act (« Cloud » étant l’abréviation, en anglais, de : « clarification sur l’utilisation légale de données étrangères ») précise qu’il s’agit de corriger une insupportable anomalie : « Les Etats-Unis étaient [jusqu’à présent] gênés par l’impossibilité d’accéder aux données stockées à l’étranger. » [ NDLR : par des sociétes commerciales américaines ]. Les USA, commente la Cnil — la Commission nationale de l’informatique et des libertés —, ont « élargi leurs prérogatives au monde entier. Une nouvelle manifestation de l’extraterritorialité du drott américain ». Mais pas de rébellion pour si peu : « Nous étudions le texte avec nos homologues européens », indique prudemment la Commission. Depuis deux mois ?

L’affaire a commencé en 2013, quand la justice US a sommé Microsoft de lui fournir les courriels d’un de ses clients en Irlande, soupçonné de trafic de drogue. Le groupe américain — soucieux de se présenter en champion de la confidentialité de ses clients — a refusé. Saisie par le gouvernement, la Cour suprême devait se prononcer en juin. Ce ne sera plus nécessaire : en quatrième vitesse, Trump a fait intégrer dans les 2 282 pages du budget fédéral le fameux Cloud Act, qui n’a même pas fait l’objet d’une discussion spécifique. Windows [ NDLR : Microsoft, pas Windows, qui est une marque ], de son côté, s’est félicité de cette nouvelle législation, qui va l’autoriser à satisfaire les requêtes des autorités US (justice, mais aussi police et administration), sans pour autant passer pour une balance aux yeux de ses clients !

Pour l'historique, voir :


Paralysie européenne

« C’est une claque politique à l’Europe », estime Servane Augier, directrice du développement de Dassault Systèmes, 2e fabricant européen de logiciels. A peine mis en place par l’UE, le 25 mai, le règlement général sur la protection des données (RGPD) est en effet déjà piétiné par le Cloud Act — l’article 48 du RGPD, notamment, qui précise que les demandes de données par un pays tiers doivent être effectuées dans le cadre d’un accord international. Evidemment, rien de tel ici : la nouvelle loi américaine est parfaitement unilatérale.

Les exigences des Etats-Unis seront d’autant plus difficiles à contester que l’intéressé n’en sera même pas avisé ! Le fournisseur de services informatiques recevra la demande de l’administration américaine de manière confidentielle. Lui seul pourra éventuellement s’y opposer (pendant deux semaines) devant un tribunal américain. Mais pourquoi perdrait-il son temps et son argent quand tout indique qu’il se fera envoyer aux pelotes ?

Tant bien que mal, l’Europe essaie de bricoler un accord en réponse au Cloud Act américain. Le 17 avril, la Commission a soumis aux 28 pays membres une « proposition ». Cette dernière prévoit, entre autres, que « les sociétés étrangères aient un représentant légal en Europe, obligé de fournir les données de leurs clients que leur demanderont les pays européens », explique une collaboratrice de la commissaire européenne à la Justice, Vera Jourova. Mais ce n’est pas gagné : certains répugnent à ce que des pays soupçonnés de ne pas respecter les règles démocratiques —— la Pologne ou la Hongrie, par exemple - obtiennent en direct des informations sur des opposants à leur gouvernement.

On retrouve une fois encore l'ambiguité de l'UE et de ses pays membres : tout ce beau monde ne veut pas abolir la surveillance, tout ce beau monde veut pouvoir jouer avec les mêmes jouets de surveillance que les USA. Le RGPD est un écran de fumée.


Quand on n’est pas d’accord entre Européens, la défense collective ne vaut pas un cloud.

Dans le Canard enchaîné du 30 mai 2018.

Fichage S comme "saturation"

Que fait la police quand elle réalise qu’elle compte trop de fichés S pour pouvoir tous les surveiller ? Elle en crée d’autres, bien sûr ! Les Shadoks ne sont pas loin…

La semaine dernière, les 2 500 fonctionnaires du Service central du renseignement territorial (SCRT) ont été sommés par leur directeur de coller dare-dare une fiche S à toutes les personnes inscrites dans le fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste.

Petit rappel : depuis Mohamed Merah en 2012, sur les 31 terros passés à l’acte sur le sol français, 20 étaient fichés S.

Dans sa note envoyée par courrier électronique, que « Le Canard » a pu lorgner, la cheffe de la division D3, chargée du suivi de l’islam radical, déplore le fait de comptabiliser des fiches S sur « seule- ment un individu sur trois pris en compte par le SCRT ». Effarés, les poulets du Renseignement territorial ont fait le calcul : ils vont devoir ajouter plus de 5 000 noms aux 10 500 individus déjà fichés S pour radicalisme islamiste. Et ce avant le 18 juin.

« On va devoir inventer des prétextes pour ficher S des gens qui n’ont pas de raison de l’être, alors que l’on a déjà du mal à suivre les radicalisés dangereux », s’agace un officier du Renseignement. C’est la barbe.

Je ne sais pas trop quoi penser de cela… D'un côté, ça illustre, une fois de plus, l'abus de pouvoir que représente le fichage S : une personne se retrouve fichée sans cause réelle voire factuelle afin de servir une politique du chiffre décidée par des trouillard⋅e⋅s qui craignent pour leur emploi si chèrement rémunérateur. Cela plaide pour l'abolition de ce système. De l'autre, cela ajoute du bruit qui complique mécaniquement la surveillance, ce qui rend le système inutile en pratique… C'est cool, mais le problème initial de l'impact sur les libertés de chacun⋅e et de la qualité du tissu social demeure entier.

Dans le Canard enchaîné du 30 mai 2018.

Tête de gondole

La dernière étude d’Oxfam (« L’Express », 23/5) révèle une flambée de l’écart entre les rémunérations des patrons du CAC 40 et celles de leurs salariés. En 2016, ces derniers ont gagné, en moyenne, 119 fois plus que leurs sous-fifres, contre 97 fois plus en 2009.

Et quel patron a tiré le gros lot ? Ce n’est ni le milliardaire Bernard Arnault, 4e fortune mondiale, qui se verse une misère — 216 fois plus que ses petites mains de LVMH —, ni Carlos Ghosn (Renault), Jean-Paul Agen (L’Oréal) ou Patrick Pouyanné (Total) — défrayé « seulement » 123 fois plus que ses pompistes. C’est Georges Plassat, ex-pédégé de Carrefour, dont la rémunération 2016 a représenté 536 fois le salaire moyen de ses caissières ! L’étude ne dit pas à quoi pensait le génie des Caddie en inspectant ses magasins.

Qu’on donne des brioches à ces braves gens ?

Oui, mais tu comprends, ces gens-là ont d'énoooooooooooooormes responsabilités, ils ont le destin de plusieurs milliers de grouillots entre leurs mains, ils décident à longueur de journée, font des choix vitaux pour l'entreprise, blablabla. Sottises ! Ils ne font aucun choix, ils appliquent l'évidence pour engranger plus de profit. Si c'est évident, alors ce n'est pas un choix. Ils n'assument pas leurs prétendues responsabilités, ils se défaussent sur des notions abstraites comme la compétitivité internationale dès qu'ils doivent justifier un de leur comportement. Quant aux destins de leurs grouillots, ils s'en moquent éperdument, il n'y a qu'à voir les licenciements de masse. Qu'est-ce que qui justifie donc ces rémunérations ? Quelle est l'utilité sociale de ces personnes ? La croyance collective qu'il existe des personnes exceptionnelles, qui valent mieux que le commun des humain⋅e⋅s, qui savent prétendument prendre des décisions courageuses. Et ça, c'est profondément ancré dans la tête de chacun⋅e. Ils sont grands car nous sommes à genoux.

Dans le Canard enchaîné du 30 mai 2018.

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