« Une étude réalisée par le Conseil d’Etat à la demande du premier ministre et rendue publique mercredi 13 avril recommande que la France se dote de meilleurs outils pour assurer une efficacité aux alertes lancées, un encadrement pour éviter les abus et délations malveillantes et une réelle protection de ces vigies civiques.
Malgré six lois en neuf ans qui ont cherché à les protéger à des degrés divers, on est loin du compte. « Il en résulte un manque de cohérence, des lacunes en matière de procédure et, au final, peu de protection effective des lanceurs d’alerte », constate Jean-Marc Sauvé, le vice-président du Conseil d’Etat.
Les lois ont en particulier omis, à l’exception de celle sur le renseignement de 2015, la question du secret professionnel. Or, le viol de ce secret (médical, fiscal, lié à la défense nationale, etc.) est pénalement répréhensible dans de nombreux domaines. « Si la loi ne précise pas les dérogations au secret professionnel, il n’y aura pas de lanceurs d’alerte », prévient M. Sauvé. C’est donc par des lois sectorielles que le législateur devrait définir, secret par secret, quelles sont les exceptions ou, à défaut, les personnes habilitées à recevoir une alerte sans lever le secret professionnel.
[ NDLR : poin poin poiiiiiiiiiiiin ]
[...]
Le groupe de travail qui a réalisé cette étude a d’abord tenu à s’entendre sur une définition précise du lanceur d’alerte. C’est « un acteur civique qui signale, de bonne foi, librement et dans l’intérêt général, des manquements graves à la loi ou des risques graves menaçant des intérêts publics ou privés, dont il n’est pas l’auteur ». Il peut être salarié, collaborateur occasionnel ou extérieur. Une définition qui a ainsi conduit à rejeter fermement, à une voix discordante près, l’idée de rémunération des lanceurs d’alerte. « On ne fait pas un geste civique pour de l’argent », tranche M. Sauvé. [...]
[ NDLR : plutôt d'accord sur ce point. ]
Le Conseil d’Etat estime que le canal hiérarchique ou un canal interne spécifique (déontologue, service d’inspection…) sont les mieux à même pour prendre en compte rapidement et efficacement une alerte émanant d’un collaborateur. A condition que le dénonciateur soit protégé (comme la personne éventuellement visée tant que les faits ne sont pas établis) et averti des suites données à son information. Cette solution interne ne semble pas adaptée aux cas où la fraude est organisée en système, comme dans l’affaire des prothèses mammaires de la société PIP ou dans celle des logiciels antipollution truqués chez Volkswagen.
[ NDLR : gros +1, ce n'est pas adapté et c'est la meilleure façon de camoufler l'alerte par une pression sur la personne qui l'émet. Une personne qui lance une alerte a besoin de plus qu'une protection de poursuites judiciaires : il faudra une protection contre l'extradition, un revenu le temps que ça se tasse plus le temps que la personne puisse retrouvver un emploi, si elle le peut, ce qui n'est pas évident avec une aura d'emmerdeur-euse publique, de fouine, d'un nom qui inspire la peur/méfiance. ]
Mais pour le Conseil d’Etat, il ne s’agit pas ici de divulguer des informations aux médias ni au public qui ne peuvent être alertés « qu’en dernier recours ». « L’alerte externe » est destinée aux autorités administratives compétentes (Agence du médicament, Autorité des marchés financiers, future Agence de prévention et de détection de la corruption prévue dans le projet de loi Sapin II, etc.), aux ordres professionnels ou à la justice.
[ NDLR : haha les autorités indépendantes, c'te gag. On voit ce que donne la CNCTR (voir
http://shaarli.guiguishow.info/?sowocg et
http://shaarli.guiguishow.info/?r1h70Q), ce qu'a donné l'Afssaps dans l'affaire du médiator, le pouvoir consultatif de la CNIL vis-à-vis de l'État, le manque d'inertie de l'ARCEP,... Sans compter qu'il faut vérifier que chaque autorité a des pouvoirs d'enquête complets et un budget de fonctionnement qui permette de les utiliser. Et ça, c'est pas gagné. Bref, mauvaise idée ! Rien n'avancera.
D'un autre côté, la presse ne traitera pas les cas mineurs, ceux qui ne généreront pas de buzz. Il faut donc permettre et protéger la personne qui lance des alertes dans tous les cas : interne, externe auprès d'une autorité administrative, externe avec un dépôt de plainte comme Stéphanie Gibaud dans l'affaire UBS/évasion fiscale ou externe auprès de tout média, y compris Internet ! ]
[...]
Quelques-unes des propositions de cette étude pourraient être déjà intégrées dans le projet de loi Sapin II sur la corruption qui viendra en discussion à l’Assemblée nationale d’ici à l’été. Mais d’autres lois seront nécessaires. Le développement d’une culture de l’alerte en France reste un travail de longue haleine. »
Ensuite, lisons
http://courriercadres.com/carriere/droit-du-travail/lanceurs-dalerte-jouer-son-role-de-citoyen-en-se-protegeant-07122015 :
« On peut citer plusieurs textes qui encadrent cette pratique dans des domaines bien précis. Celui d’avril 2013 a instauré un droit d’alerte en matière de santé publique et d’environnement pouvant être exercé par un salarié ou un membre du CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail). Ainsi un article du code du Travail énonce que “le travailleur alerte immédiatement l’employeur s’il estime, de bonne foi, que les produits ou procédés de fabrication utilisés ou mis en œuvre par l’établissement font peser un risque grave sur la santé publique ou l’environnement”.
[ NDLR : non, l'article 1 de la loi 2013-316 instaure un droit d'alerte en matière de santé publique et d'environnement pour *TOUTE personne morale ou physique*. ]
De plus, une loi d’octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique prévoit une protection générale pour les lanceurs d’alerte relatant ou témoignant de l’existence de conflits d’intérêts.
Puis, comme le rappelle Frédéric Chhum, il existe “la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière qui va plus loin car elle instaure une protection pour les salariés lanceurs d’alerte”.
Plus récemment, la loi sur le renseignement, permet au sein de ses services, à un lanceur d’alerte de pouvoir dénoncer, uniquement auprès de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, l’utilisation de procédés illégaux. »
+ l'article L. 1132-3-3 du Code du travail qui protège un salarié contre toute mesure de rétorsion qui serait basée sur le fait de relater ou de témoigner « de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions »
Bref, on a un joli patchwork législatif à la française mais rien de concret. Lancer une alerte reste toujours aussi risqué.