Trump a-t-il retiré ses bidasses de Turquie pour renouer des liens avec Poutine, qui soutient Erdogan et/ou car l'armée Turque est celle qui met le plus d'effectifs au service de l'OTAN et/ou parce que la Turquie s'équipe beaucoup en camelote militaire américaine ? En tout cas, « La Turquie, la Russie et l’Iran en sortent gagnants » et l'Europe reste totalement amorphe. D'après un autre article du Canard enchaîné du 23/10/2019, cet épisode renforce Macron dans sa conviction de la nécessité d'une autonomie européenne en matière de défense et d'un accord stratégique avec la Russie.
Diplomates et militaires ont constaté qu’il n’a même pas épargné Macron, en se retirant de Syrie.
« J'ai découvert par tweet, comme tout le monde, que les Etats-Unis décidaient de retirer leurs troupes (de Syrie) et de libérer la zone. » Le 18 octobre à Bruxelles, à l’issue du Conseil européen des chefs d’Etat, Macron a admis, devant la presse, que Donald Trump se moquait vraiment de ses alliés et de celui qu’il appelle son « copain Emmanuel ». En a-t-il été surpris ? Sans doute pas, mais quelle humiliation…
Au Quai d’Orsay et à l’état-major des armées, personne ne le conteste, et le Président montre qu’il est bien atteint. A preuve, les propos qu’il a tenus devant les journalistes, à Bruxelles : « J ’ai compris aussi qu’une puissance de l’Otan (la Turquie) décidait d’attaquer ceux qui ont été les partenaires de la coalition internationale [et se sont battus] contre Daech. » L’Occident et l’Otan ont commis là « une faute lourde », a ajouté Macron, avant de conclure tristement : « La Turquie, la Russie et l’Iran en sortent gagnants. »
Si Macron a osé critiquer ainsi les Etats-Unis, sans les nommer et avec une modération remarquable, le secrétaire général de l’Otan, le Norvégien Jens Stoltenberg, n’a pas trouvé, lui, un seul mot à dire lors du Conseil européen. Au risque de donner raison à ceux qui tiennent les dirigeants civils de cette institution pour des hommes de paille et de simples exécutants des volontés américaines.
A Washington, en revanche, certains se montrent bien plus flambards. Les militaires français ont ainsi appris que le patron du Pentagone, Mark Esper, allait se rendre un jour prochain au siège de l’Otan, en Belgique. Aussi arrogant que l’est Donald Trump, il a confié à ses conseillers qu’il comptait demander aux alliés des Etats-Unis de prendre « des mesures diplomatiques et économiques, collectivement, individuellement, en réponse aux actions turques ». Mais sans trop fâcher Erdogan, bien sûr.
Cet épisode « syrien » des relations avec Washington prouve que le « problème des Européens », comme on dit au Quai d’Orsay, ne se résume pas au seul fait qu’ils sont les obligés d’un drôle de président américain, un homme plein de morgue, grossier, imprévisible et mégalo… En réalité, c’est l’attitude et le comportement, face à Trump, des dirigeants français, allemands et britanniques qui sont « un problème ». Et leur absence de réaction, quoi que celui-ci puisse dire, proclamer ou décider.
Européens amorphes
Exemples : Trump a maintenu et aggravé les sanctions contre la Russie et contre l’Iran, il a supprimé toute aide humanitaire aux Palestiniens, etc. Comment ont réagi les Européens ? Ils ont à peine grogné, puis ils se sont couchés devant les oukases américains. Ils ont cessé toute exportation agricole ou industrielle vers Moscou et Téhéran puis fermé leurs usines en Iran et perdu des dizaines de milliards d’euros et de dollars.
Pour Trump, retrouver de bonnes relations avec Erdogan, qui fricote aujourd’hui avec Poutine, valait bien de malmener ainsi ses très nombreux alliés. « La Turquie n’est pas n’importe quel pays, aux yeux de Washington » explique un général français. Son armée — la deuxième de l’Otan en effectifs — aligne 760 000 hommes. Elle a offert deux bases militaires aux Etats-Unis, plus une autre à l’Otan (Incirlik), où les Américains, qui y règnent en maîtres, ont entreposé une cinquantaine de bombes nucléaires tactiques B.61. Autre argument en faveur de la Turquie d’ Erdogan, son armée est equipée à 60 % de matériels américains : 333 avions de combat, dont 200 F-16, 2 400 blindés (aux côtés de chars Leopard allemands), 31 appareils de transport, des tonnes de missiles et de bombes, etc.
Et Trump, qui n’a pas annoncé un arrêt des livraisons américaines, ne compte sans doute pas en rester la. Sous le regard de ses alliés ?
Dans le Canard enchaîné du 23 octobre 2019.