J'ai déjà évoqué ici-même les années de plomb, c'est-à-dire ces dizaines d'années de violence politique dans toute l'Europe de l'Ouest. J'ai pointé des ressources audiovisuelles concernant quelques groupes militants d'extrême-gauche qui, constatant l'échec des méthodes de contestation politique traditionnelles, avaient fait le choix de commettre des attentats politiques ciblés (séquestration de PDG et de politiciens, assassinat de politiciens, de juges, de membres de cabinets ministériels, braquages, bombes, etc.) : Action Directe (France), la Fraction Armée Rouge (Allemagne), et les Brigades Rouges (Italie).
Ce que je n'ai pas encore écrit, c'est qu'à cette époque, la violence politique émanait d'un peu partout, y compris de la droite et de l'extrême-droite (attentats à la bombe de 1969 en Italie). On sortait de la deuxième guerre mondiale (donc il y avait des gros bras à canaliser / réintégrer dans le civil) et de la guerre d'indépendance de l'Algérie (l'arrivée de De Gaulle est un quasi coup d'État pour empêcher celui des militaires pro-Algérie française), on était en pleine guerre froide avec une peur des communistes (par ailleurs, le service d'ordre du Parti Communiste n'était pas tendre), sans compter les attentats d'extrême-gauche sus-cités et les attentats dits islamistes à la fin de cette période des années de plomb (1985-1990). Bref, pour beaucoup, la nation était en péril.
Cette bande dessinée, réalisée par un journaliste et un dessinateur se penche sur le Service d'Action Civique (SAC). Il s'agit d'une association crée en 1960 pour, en façade, soutenir et promouvoir De Gaulle et sa politique dans le contexte explosif sus-mentionné. En réalité, il s'agissait plutôt d'une milice privée qui assurait la sécurité des meetings du parti gaulliste, qui veillait sur les militants gaullistes qui distribuaient des tracts ou qui collaient des affiches (à cette époque, cela se faisait avec des flingues…), qui brisait les grèves des ouvriers, etc. Les membres avaient diverses origines : grand banditisme, anciens de la guerre d'Algérie, politiciens, services secrets, etc. Des membres du SAC ou des correspondants étaient "infiltrés" un peu partout : police, justice, syndicalisme, gouvernement, ORTF, etc., ce qui constituait un puissant réseau d'influence. Le financement du SAC provenait des cotisations des membres (5 francs ;) ), du budget des frais de police du ministère de l'Intérieur (qui sert aussi à rémunérer les indics), de la rémunération pour pose d'affiches électorales pour le compte du RPR, de la Françafrique, du monde des jeux, de la filière belge d'armes et de drogue, etc. Le SAC disposait d'un atelier de fausse monnaie à Seyne-sur-Mer qui profitait aux services secrets (financement de leurs opérations). La pègre aidait l'OAS en échange d'une impunité procurée par le SAC et son fameux macaron bleu-blanc-rouge. Suite à la tuerie d'Auriol en 1982 (Jacques Massié, membre du SAC semble en pincer pour Mitterrand, le SAC veut récupérer des documents, Massié et sa famille sont assassinés par le SAC), l'association est dissoute par le gouvernement Mitterrand et une commission d'enquête de l'Assemblée nationale tente de faire la lumière sur le SAC… sans trop de succès, car les membres du SAC refusent de parler, prétendent que c'est une petite association inactive sans histoire ou s'énervent "vous ne me faites pas peur !". Le SAC, et notamment sa partie Françafrique, survivront longtemps à l'alternance. Lors de son meeting de campagne du 26 janvier 2007, Sarkozy évoque Boulin… pour marquer son appartenance (il s'agissait d'un discours sur la droite en général) ou signifier qu'il détient des informations et qu'il veut mieux ne pas venir le provoquer ? En 2015, la fondation De Gaulle se trouve dans d'anciens locaux du SAC et son président en est Jacques Godfrain, un membre du SAC. Ça en dit long.
Ce livre se consacre à 3 dossiers liés au SAC (j'exclu l'inintéressante tuerie d'Auriol sus-mentionnée) : les milices patronales, l'assassinat du juge Renaud et l'assassinat du ministre du travail Boulin.
Commençons par les milices patronales post 1968. La Confédération Française du Travail, qui s'est renommée Confédération des Syndicats Libres après l'assassinat d'un syndiqué salarié, et les sociétés d'intérim Nota et Siter, entre autres, servaient à maîtriser les syndicats salariés, notamment la CGT et la CFDT (jugée très gauchiste à l'époque, les temps changent). Ces milices patronales n'étaient pas constituées uniquement de membre du SAC, mais aussi d'anciens de l'OAS, des truands, etc., tous les milieux où il y avait des gros bras, en fait, mais le SAC en était le noyau dur. Que faisait-elles ? Elles « aidaient les syndiqués [ salariés ] à avoir des malaises » (citation issue de la commission d'enquête de l'Assemblée sur le SAC), elles surveillaient les usines (faux ouvriers qui ne travaillaient pas mais qui rodaient et discutaient en permanence) et les syndiqués (avec des enquêtes d'environnement dans les quartiers d'habitation), elles tabassaient les membres de syndicats salariés (sutout lors de la distribution de tracts à la sortie des usines), elles essayaient de les faire licencier (en leur vendant de l'alcool, interdite sur le lieu de travail, ou en cachant des outils de travail, des forets, par exemple, dans leurs habits civils), elles sabotaient leur voiture (freins…). Il y avait aussi les nervis qui, eux, travaillaient mais qui pouvaient s'absenter à tout moment pour poser des affiches pour les campagnes électorales du RPR, pour escorter des personnalités politiciennes ou pour bastonner des syndicats salariés avec des chaînes de vélo et des matraques. Des policiers membres du SAC fouillaient les poubelles de la CFDT.
Assassinat du juge Renaud en 1975. Décontracté et incorruptible, il aurait été assassiné par le gang des Lyonnais, car il aurait été en train de prouver qu'une partie de l'argent dérobé lors d'un des braquages du gang, celui de l'hôtel des postes de Strasbourg, aurait servi à financer l'UDR (ex-RPR-UMP-LR), le parti gaulliste. Un proche du gang des Lyonnais donne des détails sur le déroulé de l'assassinat… détails non publiés par la police. Le chef du gang, Edmond Vidal, laisse entendre, lors de son audition, que c'est un acte politique. Comme beaucoup de truands Lyonnais, Vidal dispose de la carte bleu/blanc/rouge passe-droit du SAC. En 2014, il confirme à des journalistes qu'une partie de l'argent du braquage de Strasbourg a financé l'UDR. Le gang échappe aux barrages de police dressés dans toutes la France (grâce au macaron du SAC ?). Quelques jours avant sa mort, le juge Renaud reçoit deux membres du SAC qui l'incitent à la plus grande prudence sur ce dossier, et, le juge souhaite voir en présentiel une amie d'enfance. Le bureau de l'avocat de la famille du juge est incendié après la déclaration de l'avocat dans la presse selon laquelle il est nécessaire de suivre les flux financiers pour comprendre l'affaire. Je note que la greffière du juge Renaud, une amie d'enfance du juge, et un commissaire proche du juge divergent : elles croient au financement de l'UDR via le SAC, lui non.
Assassinat du ministre Boulin en 1979. Il aurait eu l'intention de balancer le financement du RPR par la Françafrique. À cette époque, la presse, prévenue par le RPR, semble-t-il, se déchaîne sur lui pour un terrain acquis avantageusement auprès d'Henri Tournet, un proche de Foccart (co-fondateur du SAC), ce qui laisse penser à un suicide. Tournet avait sollicité l'aide de Boulin pour construire un lotissement, demande refusée par Boulin. Avant le jour J, Boulin et ses proches ont reçu des menaces et les alertes habituelles. Le jour J, proche du lieu, une témoin le voit dans une voiture en compagnie de mecs à l'expression faciale pas sympa. Dans sa voiture, un mot indique que les clés sont dans sa poche (quel suicidé fait ça ?). Il y a des traces de pas bidirectionnelles entre la voiture et la rive (quel suicidé revient sur ses pas ?). Le procureur Louis-Bruno Chalret, proche du SAC (il connaît également la personne qui menaça le juge Renaud), informé en pleine nuit, dessaisi les gendarmes qui étaient déjà sur place. L'autopsie est bizarre… Le visage en est exclu alors que plusieurs témoins de la famille, dont le kiné de Boulin, l'ont vu dans un sale état lors de la remise du corps post-autopsie. Elle ne cherche pas la présence d'eau dans ses poumons (ça peut être intéressant pour prouver un suicide par noyade, non ?). Elle ne cherche pas d'éventuelles fractures. Les lividités cadavériques (le sang "descend" par gravité et laisse des marques sur la peau) se trouvent sur le dos, alors que Boulin est retrouvé """"en levrette"""" dans l'eau (donc les lividités cadavériques auraient dû se situer dans les jambes, le ventre, le visage, etc.). Il n'a pas absorber une quantité dangereuse de médocs. Des proches de Boulin, le procueur Chalret, Pasqua, etc. sont prévenus avant la découverte officielle du corps par la police. La nuit du meurtre, Achille Peretti, proche de Foccart et de Pasqua, qui lancera Sarko en politique, débarque en pleine nuit chez la famille Boulin et conseille de rendre les dossiers sinon « on va tous y passer ». Le même relayera, à la femme de Boulin, une proposition financière en échange de son silence (cette conversation fut enregistrée).
Quelques notes :
Pour faciliter des recherches ultérieures, je note l'identité de quelques membres du SAC : Charles Pasqua, Jacques Foccart (monsieur Françafrique de De Gaulle), Alexandre Sanguinetti, Pierre Debizet, Jacques Godfrain (son nom est aussi donné à la première loi qui criminalise le piratage informatique), Roger Frey, Robert Galley, René Tomasini, Marcel Francisci, Maurice Boucart (filière financière belge du SAC), Paul Comiti, Jean Augé, Jean Schnaebelé.
En bref, je recommande la lecture de cette bande dessinée, car elle est très pédagogique. Tout comme la dernière bande dessinée d'enquête que j'ai lue, [Grandes oreilles et bras cassés)(/?YNeekw), je n'arrive pas à percevoir l'intérêt de ce format, car je trouve que l'image exprime rien, qu'elle apporte pas d'informations par rapport à du texte, à l'inverse des bandes dessinées de la blogueuse Emma où l'image illustre des émotions.