- je trouve la dernière phrase comlpétement fausse par-contre : "la confrontation des idées est moins importante que le fait de ne pas exprimer "les mauvaises idées". Trouve t-il que nous manquons de gens qui n'osent pas "exprimer les mauvaises idées" ? J'ai au contraire l'impression que l'on n'entend plus qu'eux...
Je ne comprends pas la prose de gchampeau de cette manière. Pour moi, ce qu'il exprime, c'est que l'on régresse dans la production d'une pensée politique (vie de la cité) au niveau de chaque individu par le manque de confrontation à des idées que ne font pas partie d'un même continuum préalablement admis par l'individu. L'illustration la plus documentée, c'est les bulles de confort que créent pour nous certains services comme les moteurs de recherche et les réseaux sociaux : tu liras, automatiquement, en majorité, des idées qui te plaisent, qui confortent ce que tu penses, qui vont dans ton sens, qui ne heurtent pas frontalement ta petite vision du monde. On n'a jamais autant produit de contenus divergents, mais on n'a jamais autant lissé notre accès à l'information non plus.
Mais cela va beaucoup plus loin. gchampeau évoque très justement la presse qui est plutôt fade à mon goût : tu n'y trouves rien qui te révolte, qui te confronte à de l'inconnu et te fais réfléchir. Je parle bien de la manière dont l'information est traitée, pas de l'info elle-même qui peut t'échauffer la bile. La presse est conçue pour ne pas heurter la petite vision du monde de ses lecteur⋅rice⋅s, pas folle la guêpe. Même le Canard, Mediapart et Arrêt sur Images… Le choix des sujets abordés (les projets de loi sont très peu décortiqués pour que le⋅a citoyen⋅ne les comprenne avant la séance plénière et puisse agir, par exemple), la manière de les traiter, le ton, les personnes / expert⋅e⋅s interrogées, tout cela est fait pour ne pas choquer, pour que les propos fassent sens pour le lectorat habituel : un journal orienté à gauche n'heurtera pas une personne orientée à gauche. On flatte l'intellect et l'appartenance politique du lectorat habituel, on est entre nous, en somme. Ce qui est d'autant plus vrai que les journalistes viennent, en majorité, du même milieu que leur lectorat (blanc⋅he⋅s, CSP+, diplomé⋅e⋅s, etc.)…
Même chose pour les prétendus débats télévisés / radiophoniques qui, en réalité, mettent en scène des gens provenant du même monde qui sont parfaitement d'accord entre eux⋅elles et qui s'écharpent sur de jolis points de détail pour faire de la mousse.
C'est la même chose en ce qui concerne nos lectures sur le web et les RSS : nous lisons volontairement des contenus auxquels nous nous attendons, qui sont en continuité des sujets qui nous passionnent. Nous nous regroupons sur des moyens de communication pour discuter de sujets convenus implicitement : il n'y a point de surprise dans nos conversations, nous sommes entre nous. Illustration : on est du même milieu tous les deux (diplômés, CSP+, etc.) donc les sujets que je traiterai sur ce shaarli te sembleront naturels, ils feront sens, même ceux dont tu ignorais l'existence. On aura des points de désaccord de façade, mais globalement, on se comprend, on siège sur le même tas de privilèges et on regarde dans la même direction, peut-être avec un angle légèrement différent, mais sans plus. Sur ce shaarli, il n'y a rien qui va révolutionner tes pensées.
Cette atrophie de la pensée politique par manque de confrontation se manifeste aussi dans la qualification de tout, à tout-va, de troll ou de fake news… Dès que t'as un avis divergeant borné, hop, c'est du troll, même si ça ne correspond pas à l'étymologie du mot. Les fake news sont la version institutionnalisée de cela : tout ce qui gratte doit se voir qualifier de ce terme péjoratif. C'est bien pratique pour fermer les écoutilles. Il y a quelques mois, un ami nous interrogeait (lui et moi) sur le fait qu'il est possible de discuter de tout, mais pas avec tout le monde. L'idée étant que globalement, tu laisseras très vite tomber une discussion face à un⋅e raciste convaincu⋅e, par exemple. Évidemment, j'ai nié : "sisi, je dialoguerai jusqu'au bout". Après réflexion, c'est un mensonge. Il n'y a qu'à voir comment je lâche assez vite dès qu'on me dit qu'en défendant la neutralité du réseau, je défends le harcèlement sur les réseaux sociaux ou que les grosses sociétés commerciales en oligopole sont trop importantes pour le progrès humain… On échange mais on reste dans nos communautés d'opinion.
Cela se manifeste aussi dans l'exigence de bienveillance telle qu'elle est usitée aujourd'hui : derrière l'étendard d'une communication plus humaine (discuter avec de vrais arguments, sans agressivité superflue, etc.) dont je ne nie pas la légitimité et la nécessité, on essaye de museler autrui pour ne plus qu'il⋅elle nous heurte lorsqu'il⋅elle s'exprime. En faisant mine que c'est la forme qui nous choque, nous avons de plus en plus tendance à exiger, en réalité, qu'autrui n'exprime plus le fond.
Bref, on, aussi bien l'individu que le journal, cherche à plaire à autrui, par nécessité (sinon c'est l'exclusion sociale et l'humain⋅e est un animal social) et c'est beaucoup plus vicieux que le classique "on m'empêche de m'exprimer". C'est plutôt "il m'est impossible de penser". C'est un cran en amont. Donc on produit une pensée politique de meute. Elle peut être de gauche radicale ou de droite dure, mais c'est une pensée politique de meute.
Quant à savoir si c'était mieux avant, je ne suis pas de cet avis, je pense que nous avons globalement évolué par rapport aux siècles derniers, mais je constate que ce risque de rupture dans la production croissante d'une pensée politique individuelle nous guette. Et ça m'inquiète.
Quant à savoir si l'on peut améliorer cela, je pense que oui, mais dans une certaine mesure. On peut échapper aux bulles en utilisant d'autres outils, on peut échapper aux débats télévisés bidons en éteignant la TV, on peut réellement user de la pluralité de la presse afin de lire des propos à l'opposé des nôtres… Mais les limites sont là. Nous manquons de temps pour ce faire parce que d'autres personnes fixent notre agenda et notre rapport au temps, du travail jusqu'à l'ordre du jour et les timings de l'Assemblée Générale de l'association du coin en passant par les medias et les politicien⋅ne⋅s. Or, il m'apparaît évident que la politique ne peut se faire que que sur du long terme, avec de longs délais de réflexion. Et puis, nous manquons de facultés cognitives : le système cognitif de l'humain⋅e est une machine à fabriquer des habitudes car il a des ressources limitées donc nous éprouvons une résistance naturelle face aux propos qui ne vont pas dans notre sens. On peut aussi essayer d'aller vers une compréhension de l'autre, mais quand je vois la stigmatisation des électeur⋅rice⋅s FN qui, du coup, se mangent une double peine (subir la précarité (économique, affective, en matière de sécurité, etc.) qui les a fait basculer + la stigmatisation elle-même), ça me semble mal engagé…