Je suis de plus en plus mitigé à l'idée de participer à des associations subventionnées. Ce positionnement éthique n'est pas nouveau : j'étais un anti-subventions avant de me détendre, d'observer comment cela se passe dans plusieurs associations situées dans plusieurs villes de France… et d'arriver à mon positionnement borné d'anti-subventions convaincu. Je vais exposer mes arguments.
En premier, il m'apparaît important de rappeler que je ne suis pas anti-État ni anti-impôts. Je pense que les impôts doivent servir à financer ce qui ne peut être financé autrement (car trop coûteux et/ou gouffre sans fond mais utile et/ou trop difficile à organiser de manière décentralisée genre je vois mal un appel à financement à chaque tronçon de route à réparer) : la recherche fondamentale (car elle peut ne pas aboutir, c'est même son but que de fermer des portes aussi bien que d'en ouvrir), la santé (je parle d'un véritable système de santé qui rembourse effectivement les soins, pas du nôtre, qui est sans cesse raboté au profit du secteur privé), l'éducation (au sens large : école, musée, médiathèque, etc.), les infrastructures vitales (eau, électricité, gaz, communications, transports, loisirs & sports), etc. Bref, les impôts devraient servir à financer un État providence. En revanche, je pense qu'il n'y a nul besoin de subventions pour financer l'achat de matériel électronique pour des ateliers d'initiation ou pour financer (coût initial + récurent) l'infrastructure technique d'un FAI associatif local ou pour payer le transport des intervenant-e-s à une crypto-party. Pour moi, ce sont des choses qui peuvent se financer en se regroupant à plusieurs (ce que je nommerai « financement participatif » ci-après).
Évidemment, il ne s'agit pas de refuser l'argent public pour accepter celui du privé, non, je veux des associations indépendantes, c'est-à-dire qui appartiennent à leurs adhérent-e-s. C'est important afin de pouvoir rester critique sur tout sujet, car toute association participe à la vie de la Cité : un FAI associatif ou une AMAP ou un hackerspace participe forcément à forger la vie de la Cité, par son existence et ses prises de position. Il faut qu'une association puisse camper sur ses positions idéologiques, envers et contre tout et tou-te-s et cela nécessite l'indépendance financière (condition nécessaire mais pas suffisante, bien entendu). À chaque fois, on me répond « quelle plus belle preuve d'indépendance que de pouvoir mordre la main nourricière ? ». Sauf que, quand ça a lieu, ça ne dure pas. Exemple : La chasse aux écolos est ouverte dans le Canard du 22 juin 2016. Prétendre à des subventions, c'est s'exposer aux petits jeux politiciens d'affichage, aux petits jeux électoraux, aux jeux de mise en balance de tel projet pour influer sur une décision, aux compromissions, aux tromperies, aux vaines promesses, à la réunionite, etc.
La ressource humaine est rare en associatif, on a des choses plus sérieuses à faire que d'aller faire de la lèche, de rédiger une réponse à un appel à projets, de rédiger des comptes-rendus et d'entretenir un carnet d'adresses pour rester dans les petits papiers d'élu-e-s/de dirigeant-e-s d'entreprise, seul moyen de rafler les subventions/partenariats et de remporter les appels à projets. Stop aux bullshit jobs. N'avons-nous pas mieux à faire ?!
Un certain nombre de structures a pour objectifs la compréhension des mécanismes de notre monde et leur réappropriation par le plus grand nombre. C'est le cas des FAI associatifs, des AMAP, des associations d'éducation populaire, des associations d'innovation démocratique, des associations d'aide à l'ouverture des données publiques et à la gouvernance publique ouverte, etc. Faire ensemble avec l'argent des autres, c'est-à-dire sans donner un rond, n'est-ce pas un peu trop facile, n'est-ce pas une démarche émancipatrice incomplète ? Il y a ce mythe persistant qu'en associatif, chacun-e est là pour donner de son temps et de son expérience et que parler de fric, c'est sale car ça rappelle le monde du travail, boooouh. Pour moi, faire, ça passe aussi par s'investir financièrement dans un projet.
Du postulat précédent, je dérive le postulat que le financement d'un projet associatif est l'une des composantes de l'implication dans ce projet et que si pas assez de personnes veulent financer un projet, alors peut-être faut-il en déduire que ce projet n'intéresse pas ou pas assez. Une subvention reviendrait à financer une coquille vide.
Le vrai problème du financement de l'associatif, c'est que chacun-e de nous a peur de l'autre, a peur qu'à moment donné, tous les efforts collectifs soient ruinés par une mauvaise décision, par un incident, par je ne sais quoi… C'est vrai que dans ce cas-là, en toute logique, il ne faut rien donner. Ho, si l'on a peur de l'échec, alors pourquoi la puissance publique devrait-elle risquer de financer à perte, elle ? Il est bien là le problème : que l'argent public soit gaspillé, ça ne nous dérange pas (sauf quand c'est un méchant politicien, car il s'agit d'un bouc-émissaire sur lequel on peut facilement taper au lieu de se regarder dans un miroir) alors que c'est le même problème.
D'ailleurs, en parlant de cela, l'un des avantages du financement participatif, c'est qu'on peut supposer un contrôle démocratique de l'usage de l'argent. Je ne peux pas croire que personne ne regardera ce qui se passe dans les détails si une majorité de personnes est impliquée dans le financement. Ce n'est pas le cas avec les subventions. Car les textes législatifs et réglementaires ne prévoient pas d'obligation de contrôle du bon usage des subventions allouées, juste de faibles modalités d'attribution… Et encore… Exemple : aucun contrôle n'est prévu dans le cadre de la réserve parlementaire (somme d'argent que peut verser chaque parlementaire, représentant environ 130 millions d'euros par an tou-te-s parlementaires confondu-e-s). Même chose pour les subventions allouées par les collectivités territoriales. Autrement dit : le-a citoyen-ne peut toujours crier au gaspillage d'argent public, à l'abus de confiance ou à quoi que ce soit d'autre : les élu-e-s s'en fichent éperdument. Même si le-a citoyen-ne fournit la comptabilité bidon interne ou un article dans la presse locale démontrant que, visiblement, l'argent n'a pas servi à la finalité vendue à l'élu-e. C'est du vécu. Ce n'est pas leur fric de toute façon donc il-elle s'en moquent, il-elle-s ne comprennent pas la valeur réelle des sommes qu'il-elle-s manipulent. Si l'on imposait aux élu-e-s le devoir de réaliser des contrôles stricts du bon usage des subventions allouées, alors les élu-e-s alloueraient des subventions exclusivement aux associations les plus solides, les plus crédibles, voire exclusivement à leurs relations. Entre assécher les finances du milieu associatif ou espérer que les dérives seraient moins courantes (aussi bien côté élu-e-s que côté associations) avec un financement participatif, je choisis la deuxième option. Mais je reconnais que c'est un argument type économie libérale "tout va se réguler magiquement parce que chaque acteur-rice va y mettre du sien et exercer son rôle de pouvoir / contre-pouvoir". ;)
À chaque fois, le topo ci-dessus déclenche peu ou prou les mêmes remarques / critiques :
Évidemment, ci-dessus, je présente une vision du monde au vitriol, mais je sais pertinemment d'expérience que tou-te-s les élu-e-s et tou-te-s les dirigeant-e-s d'entreprises ne financent pas le milieu associatif pour se faire mousser ni pour exercer une certaine forme de contrôle social. Ce shaarli est plutôt un appel à l'audace afin de faire émerger beaucoup plus de structures et de projets 100 % autonomes financièrement, car cela me paraît plus sain que le modèle dans lequel tout dépend de l'État, surtout quand il s'agit de notre militantisme.
J'ai un problème similaire avec la réduction de l'impôt sur les revenus pour cause de dons à des associations : en gros, pour tout don effectué à destination d'une association reconnue (labellisée par le fisc) d'intérêt public, culturel, général, etc., il est possible de déduire 66 % du montant du don sur le prochain impôt sur les revenus.
La logique sous-jacente me dépasse : ce mécanisme revient au même qu'une subvention puisque le-a donateur-rice se fait rembourser 2/3 de son don… Et s'il-elle ne donnait de base que le tiers, ça ne serait pas plus simple ? Genre pas de paperasse (l'association doit produire un rescrit fiscal pour se faire labelliser et émettre un reçu pour les adhérent-e-s qui souhaitent une réduction d'impôts), genre le fisc n'a pas ce moyen-là (il en a d'autres mais uniquement en cas d'enquête) pour savoir qui donne combien, quelle année, à quelle structure, etc. Je ne pense pas que nous ayons besoin de super-donateur-rice-s qui filent max de thunes mais au contraire, de plein de petit-e-s donateur-rice-s à 5-10-15 euros : ça me semble former un écosystème plus sain et plus résilient (chacun-e est moins en mesure de faire pression et chacun-e peut se désengager plus facilement sans remords). Si l'on n'a pas beaucoup de donateur-rice-s à 5-10-15 € sans réduction d'impôt, j'ai du mal à voir comment l'on pourrait convaincre ces mêmes personnes de donner 50 € pour s'en faire rembourser 33 € au plus tard un an plus tard : autant que cette personne fasse un don de 15 €. Et ça, ça marche avec ou sans label de l'État disant qu'on est d'intérêt général ou public ou culturel ou…
Généralement, la comptabilité des associations est en rade alors si en plus on demande au-à-la trésorier-e d'émettre des reçus à chaque don/cotisation, on n'est pas rendu… Là encore, on en revient à l'utilité sociale des tâches à accomplir en associatif : n'a-t-on pas plus utile à faire ?
Le seul avantage que je vois, c'est que ce mécanisme permet de flécher indirectement une petite partie de nos impôts, c'est-à-dire de décider à quel usage sera dédié une petite partie de nos impôts. D'un côté, cela peut inciter les personnes qui trouvent flou le concept d'impôt, de pot commun, etc. D'un autre côté, ça me semble être un palliatif au fait que nous n'avons pas réellement la main sur les décisions politiques dont l'usage des impôts fait partie (alors que le contrôle de l'argent public est un droit fondamental).
Même si elle ne reçoit pas d'argent, l'association délivre quand même des reçus donc c'est bien une action de l'association qui rend la déduction d'impôts possible, ce qui fait qu'elle ne peut pas se dédouaner du problème éthique : il ne suffit donc pas de dire « ce n'est pas une subvention directe donc il n'y pas lieu de troller sur les subventions pour savoir si l'on tente une demande de reconnaissance d'intérêt général ».