Apple transmet des enregistrements audios réalisés par Siri (iPhone, HomePod, iWatch, etc.), la liste des contacts et la localisation de ses clients à des sous-traitants polonais précaires. Évidemment, c'est uniquement pour améliorer le service rendu à l'utilisateur en augmentant la compréhension de Siri, Apple le jure, donc c'est forcément vrai. Évidemment, un nombre « élevé » d'enregistrements a lieu sans que l'utilisateur prononce la phrase d'activation « Dis Siri », donc des parties de jambes en l'air, des rendez-vous chez le médecin ou chez l'avocat sont enregistrés et écoutés par des oreilles bien humaines. L'occasion de rappeler que tous les géants du numérique précédent de la même façon.
Formidables GAFA, qui se font prendre à mentir les uns après les autres… Facebook vient de reconnaître avoir enregistré des conversations d’usagers sur son application Messenger et avoir payé des sous-traitants pour les retranscrire, histoire d’optimiser le ciblage publicitaire. Un aveu qui survient juste un an après que son patron, Mark Zuckerberg, a juré le contraire — sous serment — devant le Congrès américain.
Avant le flagrant délit de pipeautage de Facebook, deux autres géants du numérique, Google et Amazon, avaient déjà dû faire amende honorable pour un motif similaire.
Amazon :
Google :
Le Canard ne le mentionne pas, mais Microsoft est aussi de la partie :
Évidemment, ça part d'un bon sentiment (améliorer le service fourni), mais, bizarrement, aucune de ces sociétés commerciales prévoit ses faits dans ses conditions d'utilisation, ce qui est totalement illégal dans l'Union européenne (et en France depuis 1978…). Sans compter que l'enfer est pavé de bonnes intentions.
On ajoute à tout ça que 150 sociétés commerciales dealaient les données personnelles (coordonnées, liste d'""""amis"""") des utilisateurs de Facebook et de leurs """"amis"""" sans leur consentement. Le Canard l'évoquait fin 2018 dans son hors série dédiée à la vie privée, mais j'apprend ici qu'on passe de 60 sociétés commerciales impliquées à 150. Tranquillou…
Tout cela est connu des militants depuis fin 2017 - début 2018, mais bon… Sans compter les travaux antérieurs du sociologue Antonio Casilli qui montrent que l'expression « intelligence artificielle » masque en réalité un ensemble de petits boulots précaires effectués par des humains : modérer des contenus, affiner la compréhension d'un assistant vocal, valider des captchas, exécuter des actions diverses (comme trier des photos, mais ça va bien plus loin avec Amazon Mechanical Turk), etc.
Évidemment, tout cela est une toute petite sélection des abus récurrents des géants du numérique en matière de vie privée. On pourrait aussi parler de la dangereuse modération des contenus par ces acteurs privés plutôt que par des juges, de l'impact des financements de nos journaux par ces acteurs (Fond Google pour l'innovation de la presse, fond Facebook pour lutter contre les fake news (voir aussi), fond Facebook pour produire des contenus) ainsi que de leur non-respect des règles communes comme le droit du travail (tout ce travail précaire d'analyse des conversations, les conditions de travail dans les entrepôts d'Amazon), le droit du commerce (monopole, éviction de toute concurrence, etc.) et la fiscalité (elle est une composante de la souveraineté, sans thune, tes convictions ne vont jamais loin).
Merci à SebSauvage d'avoir pris le temps de faire une liste des abus des géants du numérique.
Il y a moins d’un mois, Apple s’est retrouvé à son tour sous le feu des projecteurs. « El Pais » puis « The Guardian » ont révélé, grâce à un lanceur d’alerte anonyme, que la multinationale enregistrait les utilisateurs de Siri pour les faire écouter par des sous-traitants, au prétexte d’améliorer son assistant vocal.
Une très mauvaise pub pour la marque à la pomme, qui a fait du respect de la vie privée l’un de ses arguments de vente. Apple a aussitôt annoncé qu’il suspendait son programme. Et juré que les enregistrements anonymisés puis transmis aux sous-traitants ne concernaient que 1 % des activations de Siri.
Enregistrements anonymisés, bien sûûûûûûûr. Autant que ceux d'Amazon ? Sans compter que les enregistrements eux-mêmes contiennent des informations permettant de remonter jusqu'à l'utilisateur : sa voix, l'expression d'une adresse postale ou de la météo locale, etc.
L'anonymat est une impossibilité technique (en plus d'être parfois une impossibilité fonctionnelle, genre ça sert à rien d'être anonyme sur un site web de rencontre…), il serait temps d'intégrer cette information.
Il y a un pépin
« Le Canard » a retrouvé les petites mains chargées de travailler sur les requêtes formulées dans la langue de Molière. Une trentaine de Français expatriés à Prague étaient employés à cette mission d’« espionnite » par l’un des leaders mondiaux de la traduction automatique. Les consignes de sécurité étaient strictes : déposer son téléphone portable dans un coffre avant d’entrer dans le local, ne jamais prononcer le mot « Apple » et, une fois dans la pièce, laisser les rideaux baissés afin de se protéger des regards extérieurs.
Ces sociétés commerciales écoutent des millions de gens dans leur vie intime, mais il ne faut pas regarder ce que font leurs sous-traitants sur leur temps de travail ? Magique.
« Nous étions embauchés pour six mois, payés 10 dollars de l’heure ; le nom de code, c’était “Cosmos”, raconte l’un des Frenchies. Chacun d’entre nous recevait sur son ordinateur un enregistrement audio et un texte écrit. Il s’agissait d’écouter le message et de vérifier si Siri avait bien compris et transcrit. Ce qui m’a surpris, c’est le nombre de déclenchements accidentels de Siri, beaucoup plus élevé que ne l’avait annoncé Apple. Cela arrivait avec l’iPhone, et plus encore avec l’assistant domestique HomePod. On avait ainsi entre les mains des conversations enregistrées dans les chambres à coucher. Le pire, c’était les montres connectées : on tombait parfois sur des dialogues chez le médecin ou dans des cabinets d’avocats. »
Pomme dépit
Pour rompre la monotonie, les petites mains s’amusaient parfois, dans le dos de leur employeur, à retrouver l’identité des personnes enregistrées. « Contrairement à ce qu’a raconté Apple, c’était relativement facile. Le nom de l’utilisateur de l’iPhone ou de l’Apple Watch nous était masqué, mais on se débrouillait avec le sujet de l’enregistrement, qui pouvait durer jusqu’à une minute, la géolocalisation de l’appareil ou encore les noms contenus dans le répertoire téléphonique qui s’affichaient sur notre écran. »
Plusieurs Français opérant à Prague ont assuré au « Canard » que le programme Cosmos incluait aussi l’écoute des SMS dictés sur iPhone. Autant d’incursions dans la vie privée des utilisateurs dont la firme à la pomme n’avait jamais parlé. Et qu’en dépit des demandes du « Canard » elle n’a pas souhaité commenter. Y avait-il un ver dans le fruit ?
Dans le Canard enchaîné du 28 août 2019.