Excellente analyse de la loi soi-disant de moralisation de la vie politique.
J'en retiens que c'est une loi de circonstance : il fallait calmer le⋅a prolo après l'affaire Fillon, pas folle la guêpe, les privilégié⋅e⋅s tiennent à leurs postes. Je suis plutôt factuel : ce texte de loi excelle uniquement en interdiction des emplois familiaux (et encore : un⋅e parlementaire ou un⋅e élu⋅e local peut toujours engager sa maîtresse ou un membre de la famille d'un⋅e autre élu⋅e ou… on se soutient entre membres de la même caste), tout le reste est très faible ou provient de lois précédentes.
Aucun des sujets qui me semblent importants n'est abordé… Ni les transferts incessants entre public et privé (et vice versa) qui génèrent du conflit d'intérêt (il ne s'agit pas de les interdire, mais de veiller à l'impact qu'ils ont sur la vie politique), ni le cumul des mandats dans le temps, ni les indemnités délirantes et les avantages (chauffeur, sécurité, sécurité de l'emploi par copinage, etc.) de tout ce beau monde, ni le contrôle du lobbying (il faut des limites à toute chose), ni le contrôle des frais de représentation du président (8k€/mois de maquillage, 10k€/mois de coiffeur, 26k€ de maquillage en trois mois, etc.), du gouvernement et des hauts fonctionnaires (47k€ de taxi en 10 mois), ni la fin de la justice d'exception pour les membres du gouvernement (Cour de justice de la République), ni du statut pénal / de l’immunité du chef de l'État, ni les magouilles pour retrouver un poste d'élu⋅e local⋅e rémunérateur à tout prix, ni… Bref, cette loi de confiance dans la vie politique n'a aucune ambition. :(
Le projet de loi avait été mis en consultation publique sur la plateforme Parlement & Citoyens et, évidemment, rien d'intéressant n'a été retenu de cette consultation dans la loi finale…
Que nous dit cette loi ?
- Ni le président ni un⋅e membre du gouvernement ni un⋅e parlementaire ni un⋅e élu⋅e local⋅e ne peut embaucher un membre de sa famille comme collaborateur⋅rice. Je comprends qu'embaucher sa famille crée des dynasties politiques qui renforcent ainsi l'aristocratie, mais j'aurais quand même préféré lire dans cette loi des mesures visant à limiter les emplois fictifs … En l'état, cette loi manque un grand pan de la cible… ;
- Fin de la réserve parlementaire (plusieurs milliers d'euros accordés à chaque parlementaire qui peut les distribuer pour financer des projets publics ou associatifs ou… dans sa circonscription), son budget global habituel sera dispatché dans les différents aides aux territoires. Comme c'est pratique de supprimer un système de subventions quelques années après que les citoyen⋅ne⋅s aient réussi à en obtenir la transparence ! Ce mécanisme de subvention n'était pas le cœur du problème. Le fond du problème c'était qu'aucun mécanisme de contrôle de la bonne utilisation des fonds n'était prévu et que les citoyen⋅ne⋅s ne pouvaient pas contester une attribution. Instaurer de tels mécanismes aurait été plus malin, selon moi, car cette loi ne fait que décaler le problème. En revanche, la réserve ministérielle ne disparaît pas… ;
- Concernant l'IRFM (les frais de mandats, similaires aux notes de frais et à l'indemnité kilométrique dans le privé, pour financer transport, costumes, restauration, journal d'information, etc.), il n'est plus question d'un remboursement sur justificatif : elle change juste de nom et le bureau de chaque chambre du Parlement peut choisir le mode qui lui convient : avance (comme aujourd’hui), remboursement sur justificatif, prise en charge directe… On verra bien ce que choisiront les bureaux dans plusieurs années. Je suis d'avis que les abus de l'IRFM ont encore de beaux jours devant eux (certain⋅e⋅s parlementaires s'en servent pour rembourser des prêts personnels, pour réaliser des achats de biens immobiliers à usage personnel, pour offrir des cadeaux à la famille et/ou aux ami⋅e⋅s, pour se faire un complément de salaire, pour payer des vacances, etc.).
- Le candidat Macron avait promis qu'il faudrait un casier judiciaire vierge de tout un tas d'infraction pour se présenter à une élection. Ce n'est pas ce que dit la loi. Elle adapte un principe présent dans notre législation depuis 2013 : pour toute une palette de crimes et de délits, le⋅a juge devrait prononcer une peine complémentaire d'inégibilité… sauf qu'il⋅elle peut ne pas le faire en justifiant sa démarche (comme la Cour de justice de la République a justifié sa clémence envers Lagarde dans l’affaire Tapie ?!). Sans compter que, pour les délits, une peine d'inégibilité n'interdit pas d'exercer une fonction publique pour se la couler douce le temps que ça se tasse. Sans compter que la peine d'inéligibilité peut expirer avant que le casier judiciaire redevienne vierge… ;
- La loi pinaille sur les délais pour rendre publiques les déclarations de patrimoine du Président avant/après mandat. Comme s'il allait encaisser ses avantages durant son mandat… ;
- Il faut être à jour de ses impôts pour entrer au Parlement. Il faut une loi pour forcer les hauts revenus à payer leurs impôts… Allô ? Des gens qui n'aident pas financièrement la collectivité veulent se mettre à son service. Allô ?! T'as pas payé, t'es inéligible, point final ! ;
- L'interdiction, pour un⋅e parlementaire de mener des activités de conseil en sus de son activité parlementaire est légèrement renforcée : pour être exercée, l'activité doit avoir été lancée plus d'un an avant l'entrée en fonction et le parlementaire ne doit pas participer à la direction et/au contrôle de sociétés de conseils (sauf si c'était déjà le cas 1 an avant son entrée en fonction) ni intervenir auprès d'une société commerciale en lien avec une activité publique (réceptrice d'une commande publique / d’un marché public, par exemple). Bref, c’est uniquement du pinaillage, il n’y pas de quoi limiter réellement les conflits d'intérêts, il suffit de se lancer dans le consulting bien avant son (ré)-élection et lala la loi ;
- Quelques mesures sont prévues pour renforcer le financement des partis politiques et pour contrôler le financement des campagnes électorales. La loi impose la déclaration de tous les donateur⋅rice⋅s à la commission de vérification des comptes de campagne et le fait que les institutions financières (et les micro-parti politiques) sont les seules personnes morales qui peuvent financer une campagne électorale. La loi dipose de forcer la main aux banques pour prêter aux partis via un médiateur (c'est trop choupi, n'est-ce pas ?) ainsi que l'instauration d'une banque publique de la démocratie… La loi ne définit pas cette coquille vide, son fonctionnement, la manière de la rendre indépendante, etc. Je trouve que l'idée d'une telle banque est juste géniale pour émanciper la politique (vie de la cité) de la finance mais si son fonctionnement n'est pas défini démocratiquement, c'est perdu d'avance. :(
- Cette loi prévoit que le linge sale se nettoie en famille : seul le bureau (ou le⋅a déontologue) d'une des chambres du parlement peut conduire un⋅e parlementaire à une éventuelle sanction en cas de non-paiement de ses impôts ou d'usage litigieux de son IRFM ou s'il mène des activités de conseil. De même, les bureaux sont missionnés pour définir les règles permettant de prévenir l'apparition de conflits d'intérêts… SUPER. On sent le nouveau monde qui arrive, tremblez élu⋅e⋅s ! Ou pas… :(
- Notons enfin quelques drôleries pour limiter les conflits d'intérêts. D'abord, la tenue d'un registre public (en Open Data) qui mentionne les parlementaires et les ministres qui, de leur propre chef, se sont dénoncés comme étant inaptes à participer à l'élaboration d'un texte (ou d’une décision) en raison de conflits d'intérêts. LOL, on verra si Hulot s'inscrit. Ensuite, la déclaration, auprès du bureau de la chambre du parlement, des activités des assistant⋅e⋅s parlementaires au profit des lobbies. Aucune sanction en cas "d'oubli", bien entendu.
Notons que le Conseil constitutionnel a censuré, entre autres, la peine d'inéligibilité obligatoire (mais pas vraiment) applicable aux infractions de presse aggravées (diffamation ou injure en raison de la race, du sexe, du genre, d'un handicap, de la nationalité, etc. + appel à la commission de crimes + négationnisme + etc.) au motif que « la liberté d'expression revêt une importance particulière dans le débat politique et dans les campagnes électorales » et que cette disposition serait donc disproportionnée. Je comprends la décision du Conseil : la loi appliquait la peine d'inéligibilité aux délits de presse aggravés punis d'une peine de prison. Avec un périmètre aussi flou, on peut très vite rendre inéligible n'importe qui pour n'importe quel propos en modifiant la loi sur la liberté d'expression et de la presse de 1881… Avec les surenchères récentes en matière de sanction des infractions de presse, cette décision du Conseil m'apparaît plutôt sage.