Dans un arrêt du 08/03/2023, la Cour de cassation a confirmé la possibilité, pour une salariée du privé, de se voir communiquer, par son (ex-)employeur, les fiches de paie de salariés masculins occupant des postes de niveau comparable au sien, expurgées des données persos.
Attention : on est dans le cadre de l'article 145 du Code de procédure civile, c'est-à-dire dans une procédure permettant de demander à un juge d'ordonner toute mesure pour établir ou conserver des preuves avant un procès. On n'est donc pas dans un accès systématique / à tout moment, aux bulletins de paie de ses collègues (dans le cas d'espèce, on est même après un licenciement). De plus, il faut justifier d'un motif légitime (dans le cas jugé, la requérante a utilisé l'index et les rapports internes sur l'égalité hommes / femmes) et d'éléments de faits qui laissent supposer une inégalité infondée (pas objective).
Ce n'est pas nouveau, la Cour de cassation avait déjà jugée en ce sens en 2021.
Ces derniers temps, la Cour de cass a priorisé le droit à la preuve sur plusieurs autres droits. Nouvelle illustration ici. La Cour a arbitré entre le droit à la preuve et la vie privée (RGPD). Pour elle, l'atteinte à la vie privée était nécessaire et proportionnée au droit à la preuve, quand bien même les données à caractère personnel ont été générées pour un tout autre motif (le premier usage d'un bulletin de paie n'est pas de permettre à autrui d'ester en justice). Je pense que la CJUE pourrait, avec les mêmes éléments, prioriser la vie privée, notamment car l'arrêt de la Cour va au-delà de la directive européenne de mai 2023, donc, comme d'hab', tout se discute.
Pour moi, les salariés dont la fiche de paie a été communiquée doivent être informés : article 14 RGPD et droit d'accès à la liste des consultations de leurs données à caractère personnel.
La communication porte sur : nom, prénom, classification conventionnelle, rémunération mensuelle détaillée (fixe et variable) et rémunération brute totale par année civile. Le reste d'une fiche de paie doit être caviardé.
Toutes les primes sont communicables, y compris celles à la performance (qui ont un caractère individuel) ou uniquement celles liées à une fonction / sujétion particulière ? D'autant que la Cour de cass ne reprend pas le segment de phrase « (fixes et variable) » de la Cour d'appel.
Quel impact (par ricochet) sur l'employeur public ? Il n'existe pas d'équivalent du 145 CPC dans le droit administratif. Seules la rémunération indiciaire et les primes de fonctions / sujétion d'un fonctionnaire, bref, tout ce qui ne relève pas des primes liées à la personne, sont communicables. Depuis l'entrée en vigueur du RIFSEEP, comme tout est regroupé sous un même intitulé, IFSE, seule la rémunération indiciaire est communicable, alors que les inégalités injustes ne se cachent pas ici. La rémunération des contractuels, si elle est fixée d'un commun accord, sans règle régissant l'emploi occupé, n'est pas communicable (CE 343024 et CE 342339), alors qu'il peut y avoir des inégalités entre contractuels. Bref, il y a, me semble-t-il, une disparité entre public et privé. Mais, je pense qu'il sera difficile de convaincre une juridiction administrative d'harmoniser puisque une demande de communication au titre de l'article 145 du Code de procédure civile n'est pas l'équivalent d'une demande de communication au titre du Code des Relations entre le Public et l'Administration, notamment car cette dernière peut intervenir n'importe quand et viser n'importe quel agent. Mais quid d'une demande de communication CRPA ciblée et effectuée au motif d'alimenter un contentieux en cours ?
Quid, enfin, des autres formes de discrimination salariale (liée à la couleur de peau, etc.) ? Pour moi, le principe dégagé par la Cour s'applique vu que toutes ces discriminations relèvent de la même interdiction légale (au moins au niveau européen).