Deux entretiens avec David Koubbi, l'un des avocats de Jérôme Kerviel dans ses procès qui l'opposent à la Société Générale.
Mes notes sur le premier entretien (pointé par ce shaarli) :
- Un procès monsieur machin contre madame bidule se passera bien, le droit dira ce qui est. Quand c'est des dossiers dits signalés, où l'une des parties est une institution, un ancien président de la République, un industriel, un financier, etc., un pacte silencieux dans lequel chacun sait ce qu'il a à faire pour faire capoter la justice, se met en place. C'est le monde des réseaux, quand l'avocat d'une des parties est pote avec le procureur qui est lui-même pote avec…, et le monde de l'invention d'une vérité médiatique ("Kerviel est un magouilleur", "il est le seul responsable des pertes, la banque n'a rien vu") ;
- Plusieurs strates de fonctionnaires de justice cohabitent : les hautes sphères, qui sont promues et chouchoutés, car elles filent droit, et les basses sphères, c'est-à-dire les rebelles, ceux qui n'acceptent pas le pacte silencieux décrit au point précédent ;
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La justice, c'est ce qui fait que je ne peux pas me comporter avec toi comme j'ai envie de me comporter si je suis dans un jour où je dévisse. C'est le truc qui fait que tu ne peux pas me tuer, que tu ne peux pas me violer, que tu ne peux pas me voler, que tu ne peux pas te comporter n'importe comment.
- Dans le feuilleton judiciaire Société Générale contre Jérôme Kerviel, la logique de la Société Générale serait : brûlez médiatiquement les traders boucs émissaires, brûlez-les judiciairement, on paiera les amendes que vous voudrez, mais ne touchez pas à nos licences bancaires. Car, si la Société Générale est bien la victime qu'elle prétend être, alors on condamne Kerviel au motif qu'il a bien fraudé tout seul, pas de problèmes, mais alors on devrait fermer cette banque, car ça veut dire qu'on peut y faire entrer et sortir des milliards sans trace avec la complicité d'un employé ;
- Si une société est victime d'une fraude, l'État octroie un crédit d'impôt d'une valeur d'un tiers de la perte, à condition qu'il n'y ait pas de complicité entre la société et le fraudeur et pas de manquement des systèmes de contrôle. Il est intéressant de noter que, dès 2008, alors que l'enquête débute à peine (donc, on sait rien d'une éventuelle complicité) et que l'ancêtre de l'ACPR sanctionne la Société Générale pour manquement de ses systèmes de contrôle, Christine Lagarde, alors ministre de l'économie, octroie ce crédit d'impôt de 2,2 milliards. Début 2018, le Canard enchaîné rapportait que la Société Générale ne semblait pas pressée de rembourser. Je n'ai pas trouvé d'informations plus récentes ;
- Notre amour pour les familles de dirigeants est assez incompréhensible : les États-Unis ont eu le clan Kennedy, ont eu Bush senior puis Bush junior, ont eu Clinton mari puis ont faillit avoir Clinton épouse, ont eu les Roosevelt ; La France a faillit avoir Royal avant d'avoir Hollande (ex-mari de Royal). « J'ai du mal à croire qu'à chaque fois les plus compétents soient dans la même famille ». +1 ;
- Koubbi nous rappelle cette directive européenne, transposée en France par ordonnance (acte du gouvernement, que le Parlement délégue et dont il peut rejeter le résultat), qui permet de saisir, en troisième recours, les dépôts bancaires des particuliers si ceux-ci sont supérieurs à 100 000 € par établissement bancaire ;
- David Koubi nous rappelle le mélange des genres entre privé et public : à l'été 2016, Thierry Aulagnon, haut-fonctionnaire qui a été pantoufler chez Gan puis dans la filiale finance et investissements de la Société Générale, est devenu directeur de cabinet du ministre des finances, Michel Sapin. La HATVP a donné son accord. La seule précaution prise est un courrier, signé par Sapin, demandant à ne pas aiguiller les notes de service concernant la Société Générale et les autres sociétés dans lesquelles Aulagnon a eu des activités vers Aulagnon mais vers d'autres collaborateurs. Qui empêche le directeur de cabinet d'exercer une pression, de donner son avis, de se saisir lui-même des notes en transit ? ;
- L'avocat pavoise sur les victoires judiciaires à venir de son client, mais la réalité est plus nuancée : au pénal, Kerviel a été définitivement condamné en 2014 à 3 ans de prison ferme ; Aux prud'hommes, Kerviel est condamné depuis décembre 2018, mais il peut porter un recours devant la Cour de cassation ; Au civil, en 2016, l'amende de Kerviel a été définitivement réduite de 4,9 milliards à 1 million d'euro et les responsabilités ont été partagées, donc Kerviel n'est pas blanc comme neige comme Koubbi tente de nous le faire croire ; Concernant la manipulation du procès pénal, la Cour de révision a rejeté le recours de Kerviel en septembre 2018 au motif que les propos de la flic sont des impressions, pas des faits, et que seul le Parquet est accusé d'avoir été sous influence de la Société Générale, pas les juges qui ont statué sur le fond (mon avis : lolilol).
Alors que ces deux entretiens évoquent les réseaux, le copinage, tout ça, je constate que Thinkerview offre une tribune médiatique à son pote juste après le verdict des prud'hommes (d'autant que, dans cette entrevue, la charge contre la Société Générale est soutenue) et juste après l'appel au civil. Mais comme Kerviel ne ferait pas partie de l'élite, ça passe, je suppose. ;) Cela renforce ma position selon laquelle il y a du copinage à tous les niveaux de la société, chez les élites, chez les intermédiaires, chez les pauvres, dans les associations, etc. car c'est le propre de l'espèce humaine que d'être une espèce sociale, donc de tisser des réseaux.