C'est le dernier avatar de l’affaire Kerviel, et il pèse lourd. La Société générale va devoir s’acquitter d’un surcroît d’impôt aussi important qu’imprévu : 2,2 milliards d’euros. Jusqu’ici, elle espérait pouvoir diminuer son imposition d’autant, en retranchant de ses bénéfices les 6,3 milliards perdus par l’imprudent tradeur Jérôme Kerviel en 2008. L’administration fiscale a — discrètement mais fermement — douché les espoirs de la banque au printemps dernier.
La Générale, qui n’a pas encore contesté ce redressement en justice, n’émet « aucun commentaire sur une information couverte par le secret fiscal ». Pas plus de réaction au sein du ministère des finances.
En 2008, les spéculations de Kerviel, s’ajoutant à la crise des subprimes, s’étaient traduites pour la banque par une énorme perte fiscale : 10,8 milliards. Heureusement pour elle, la loi autorise les sociétés à déduire de leurs bénéfices — passés ou futurs — les pertes enregistrées.
La Société générale avait donc utilisé quelque 4 milliards de pertes pour se faire rembourser une somme équivalant aux impôts qu’elle avait réglés entre 2005 et 2007. En 2010, le Trésor lui avait ainsi signé un chèque de 1,3 milliard. Mais le meilleur restait à venir. Le solde de sa perte (6,9 milliards), soit à peu près le montant imputable à Kerviel, devait lui permettre d’économiser près de 2,2 milliards d’impôt sur ses bénéfices futurs.
Mais l’arrêt de la cour d’appel de Versailles prononcé le 23 septembre 2016 a tout bousculé. C’est l’absence de contrôle de la banque, estime cette dernière, qui a permis à Kerviel de jeter les milliards par les fenêtres.
Sans compter que la banque ne pouvait ignorer les actions de son trader. On se souviendra aussi que les avocat⋅e⋅s de la Société générale ont tout fait pour manipuler la justice en faveur de la SG et que la vérité a triomphé grâce à la lanceuse d'alerte Nathalie Le Roy, flic qui s'en est pris plein la tête lors de ses déclarations et qui se fait laminer par sa hiérarchie aujourd'hui encore.
Le banquier joue la montre
Or la jurisprudence du Conseil d’Etat considère qu’une perte enregistrée par une société à la suite de malversations de l’un de ses employés n’est pas fiscalement déductible si la société a concouru à cette perte par sa « carence manifeste dans l’organisation, notamment dans le domaine du contrôle interne ». Soit très exactement ce qu’avançait la cour d’appel (et, avant elle, la Banque de France, dans un rapport daté de 2008).
La sentence connue, les ministres de l’Economie et du Budget, Michel Sapin et Christian Eckert, demandent le jour même à l’administration fiscale d’« examiner les conséquences de cet arrêt sur la situation fiscale de la Société générale [afin] de préserver intégralement les intérêts de l’Etat ». Vite fait, bien fait : début novembre 2016, le fisc pond une note juridique détaillée selon laquelle la Générale n’a effectivement plus droit à sa « déduction Kerviel ». Instruction manuscrite des deux ministres : « Engagez une procédure de “rectification contradictoire”. » Pour le dire moins galamment : un redressement fiscal. Celui-ci est peaufiné pendant trois mois par les Impôts, qui le transmettent au printemps à la Société générale.
Laquelle joue la montre. Plutôt que de contester immédiatement en justice le redressement, elle a choisi d’attendre un refus clair de l’administration pour le jour où elle voudra dégonfler ses bénéfices avec son crédit d’impôt. La messe ne sera pas dite pour autant : entre la contestation du redressement devant le tribunal administratif, puis la cour administrative d’appel et, enfin, le Conseil d’Etat, cinq ans, au moins, risquent de s’écouler.
L’affaire Kerviel a encore de beaux jours devant elle.
Je vois ça positivement : le fisc et les ministres ont essayé de faire leur boulot. Affaire à suivre.
Dans le Canard enchaîné du 17 janvier 2018.