Voici le mail que je viens d'envoyer au sénateur François Pillet concernant les propos qu'il a tenus lors de l'examen, en commission des Lois, de l'article 3 de la ppl de réforme des délais de prescription en matière pénale dont je n'arrrête pas de parler ici même :
Bonjour,
Je vous écris en tant que citoyen. Je ne représente aucune structure (commerciale ou non).
J'ai lu le compte-rendu de la commission des Lois du 01/02/2017 et notamment la partie sur la ppl de réforme de la prescription pénale, ppl à laquelle je m'intéresse depuis le début, car je considère que l'augmentation des délais de prescription est un vrai sujet de société qui nécessite une discussion de fond qui ne devrait pas être limitée aux parlementaires dans le cadre d'une ppl fort discrète.
Tout d'abord, vous avez déclaré : « Je rappelle que la prescription que nous voulons allonger ne vise que des délits, en l'occurrence ceux commis sur Internet : dès lors qu'il ne s'agit pas d'injures ou de diffamation, l'expression d'opinions ou de sentiments et la divulgation d'informations n'en seraient absolument pas gênées ! ».Justement, tout le problème est que les infractions de presse que sont l'injure et la diffamation, par exemple, sont systématiquement utilisées comme première ligne de défense, comme diversion, dès la publication du moindre contenu, même si les faits sont avérés et que l'expression est de bonne foi. On le voit avec des journaux tels que Mediapart mais c'est également le cas au niveau citoyen. À titre d'exemple, je vous rappelle la situation vécue par Émilie Colin, citoyenne accusée de diffamation pour avoir publié le prénom+nom des négociateurs français du traité international ACTA. Et elle n'est pas un cas isolé. Systématiquement, ces journaux et ces personnes gagnent en justice, mais doivent en assumer le coût et notamment celui de la fatigue mentale. C'est de la remise en question de cet équilibre de la loi de 1881 dont il s'agit en réalité dans le fond de vos propositions !
Ensuite, vous avez déclaré : « Vraiment, j'aimerais comprendre pourquoi 34 députés ont voté la suppression de ces dispositions... Quelle image cela donne-t-il des accords entre le Sénat et l'Assemblée nationale [...] »Quelques explications potentielles : parce que ces député-e-s écoutent les syndicats de presse déjà échaudés par les dispositions liberticides qui fut un temps contenues dans l'article 37 du pjl égalité et citoyenneté ? Parce que ces député-e-s écoutent également les citoyen-ne-s, comme moi, qui essayent d'expliquer en quoi cette modification de la loi de 1881 est une mauvaise idée ? Parce que ces député-e-s considèrent, et je leur apporte mon soutien, qu'un petit arrangement en coulisse entre les deux chambres de notre Parlement est insupportable et sans valeur, surtout lorsqu'il vise à restreindre une liberté (celle d'expression) afin de promulguer une faible disposition visant à faciliter la poursuite des infractions financières dissimulées qui ne sera jamais utilisée en pratique ! Je me contrefiche des accords entre le Sénat et l'Assemblée, je leur préfère une législation bien pensée, bien écrite et co-produite en bonne intelligence.
Enfin, je souhaite réagir à votre invitation « Vraiment, j'aimerais comprendre la motivation réelle de ceux et de celles qui vont sans doute continuer ce week-end à nous persécuter sur Internet... » et vous exposer mes motivations :
Expliquer à nos élu-e-s qu'il-elle-s se trompent lorsqu'il-elle-s considèrent Internet comme étant une circonstance aggravante. Il s'agit uniquement d'un support. Pas plus, pas moins que du papier.
- La croyance selon laquelle tout ce qui est publié quelque part sur le web est forcément lu par au moins 3 milliards de personnes est fausse : un article sur mon blog personnel est 100 fois moins lu qu'un article dans le Canard Enchaîné ! La force de diffusion de mon Twitter est très largement inférieure à celle de n'importe quelle station de radio ou TV ! De plus, ces supports traditionnels ne réalisent pas non plus forcément un contrôle approfondi en amont de la diffusion. Illustrations : le direct, les émissions de libre antenne, les divertissements qui volent bas et qui regorgent d'atteintes au respect de la personne humaine, etc.
- Au contraire de la presse papier avec laquelle les revues de presse étaient fastidieuses et incomplètes, le web permet de mettre en évidence très rapidement les éventuelles infractions de la presse. Pour cela, il suffit de chercher régulièrement son prénom+nom dans un moteur de recherche. Mieux, chacun-e peut utiliser un système d'alertes automatiquement (dont certains sont gratuits et faciles d'utilisation comme Google Alerts) afin d'être informé, en temps réel, des publications le-a concernant. Ces systèmes peuvent être configurés pour éviter la surcharge d'alertes en cas de forte activité sur Twitter, par exemple. Internet est un support compatible avec un délai de prescription de 3 mois !
- La croyance selon laquelle il n'y aurait plus de droit à l'oubli, que tout contenu est forcément très visible et très bien référencé ad vitam æternam, est tout aussi fausse. Produire du contenu récent qui parle de nous "éloigne" systématiquement les contenus plus anciens. Illustration : cherchez le prénom+nom d'un-e élu-e actif-ve, Alain Juppé, par exemple : les premières pages de résultats ne font pas état de sa condamnation judiciaire passée. Pour trouver cette information, il faudra délibérément utiliser les bons mots-clés, le contenu n'apparaît pas de manière magique. Quelle différence avec un-e passionné-e d'une thématique et ressortira de vieilles coupures de presse papier quand l'occasion se présentera, de même que la presse papier refait sortir les vieux dossiers régulièrement ? Illustration : l'interview passée de Pénélope Fillon exhumée par Envoyé Spécial. La remise en question ponctuelle du droit à l'oubli n'a pas besoin d'Internet pour exister et, là encore, il s'agit d'un équilibre entre la liberté d'information et celle du respect des personnes.
- Il est vain d'opposer citoyen-ne et journaliste professionnel-le : tous d'eux peuvent informer (qui mieux qu'un-e citoyen-ne local-e sait ce qui se trame dans son conseil municipal ?!), tous deux peuvent avoir de la déontologie, tous d'eux peuvent se tromper, être manipulés ou être induit en erreur. Tous deux peuvent savoir s'exprimer et argumenter. Tous deux sont dotés d'une capacité d'analyse (contrairement à ce que vous affirmiez en octobre 2016).
- M'opposer à tout changement de la loi de 1881 qui serait une atteinte à la liberté d'expression. Je refuse de participer à créer un monde inacceptable dans lequel seules les personnes les plus solides mentalement peuvent prendre le risque de s'exprimer. Je refuse de participer à créer un monde dans lequel tout organe de presse doit s'accoler à un cabinet d'avocats, ce que ne pourront faire que les plus gros ce qui nuit à la pluralité des médias (qui permet l'existence de journaux locaux citoyens). Je pense que les propositions que vous avez formulées avec vos collègues, dont la modification du délai de prescription fait partie, sont des atteintes disproportionnées à la liberté d'expression qui contribueraient à créer ce monde malsain que je décris.
Afin de vous illustrer que je ne m'exprime pas uniquement sur Internet, je téléphonerai à votre permanence en début de semaine afin de vérifier si ce mail vous a bien été transmis.Cordialement.
Oui, j'ai du temps à perdre dans ma vie…