À la maison, j'ai déjà eu des accès Internet 56k, ADSL, FTTLA (Numericable), mais jamais FTTH, c'est-à-dire la fibre optique qui arrive jusqu'à l'intérieur du logement. J'ai lu le cadre règlementaire français de la pose de fibre optique donc je connais les étapes et quelques mots de vocabulaire. Oui, mais entre la théorie réglementaire et la pratique, il y a quelques écarts. L'objet de ce shaarl est justement de mettre en exergue ces écarts et d'illustrer comment se passe concrétement le déploiement de la fibre optique en France.
Je réside dans une ville classée Zone Très Dense (ZTD) par l'ARCEP (l'autorité de régulation des télécoms). Le fibrage vertical (dans les parties communes, à chaque étage) de mon immeuble a été réalisé par SFR… … … qui ne l'exploite pas : SFR n'a pas réalisé le fibrage horizontal (dans les trottoirs, jusqu'à l'immeuble) donc les quelques accès FTTH ouverts le sont chez Orange pendant que SFR continue de commercialiser son réseau coaxial jusqu'à 30 mégas. Dans la terminologie, on dit que SFR est l'opérateur d'immeuble. De mon côté, j'ai choisi Orange comme FAI : c'est Orange qui va me raccorder à son réseau, m'attribuer des IP publiques, me raccorder aux restes des Internets, etc. On dit qu'Orange est l'opérateur commercial.
J'ai passé commande le 2 mars 2017 au soir sur le site web d'Orange. Le 3 vers 12h (et plusieurs fois dans l'après-midi), le service client d'Orange essaye de me joindre sur mon 06 afin d'identifier mon logement dans le système d'information. Bah oui, à partir de mon adresse postale, il faut qu'Orange puisse dire au technicien "tu le branches ici puis là et comme ceci puis comme cela". Sauf qu'Orange et SFR n'ont pas adopté la même nomenclature pour désigner les éléments mutualisés sur le réseau. Il a donc fallu comprendre la nomenclature de SFR… bâtiment X, escalier Y, étage Z. Évidemment, l'étage renseigné par SFR ne correspond pas à mon numéro d'étage réel, sinon c'est trop facile. Évidemment, SFR a identifié plusieurs escaliers par bâtiment alors qu'il y en a un seul, allez comprendre… Évidemment, SFR a vu des bâtiments avec plus d'étages qu'il n'y en a en réalité… Bref, on est dans du pourrissage de la concurrence en bonne et due forme. Ce point a déjà été identifié par l'ARCEP qui, en 2015, a émis des préconisations sans ambition. N'empêche que, comme d'hab, ce sont les petites mains qui trinquent : la femme du service client d'Orange était vraiment gênée (ben oui, ça explose son temps imparti pour traiter une demande, elle croit passer pour une idiote auprès du client, etc.) malgré mes tentatives amusées de la rassurer. Pas cool.
Le rendez-vous avec un technicien pour réaliser le raccordement de mon logement au réseau fibre (un peu comme quand tu veux raccorder un logement neuf (jamais raccordé avant) au service téléphonique universel) est pris pour le 14 mars soit une 10aine de jours plus tard (et Pi day, accessoirement). Pas possible avant. Entre 10h et 12h, donc il faut poser une demi-journée… Le technicien est salarié dans une petite société commerciale locale contractée par Orange pour faire le taff. Évidemment, Orange (et les autres) contracte avec plusieurs sociétés locales histoire de bien mettre la pression en jouant sur la concurrence. Le technicien dispose de 3h (à compter du créneau fixé, donc 10h dans mon cas, osef s'il y a du retard) pour raccorder le logement, après quoi son ticket d'intervention est fermé… Ouais, sauf qu'avec les embouteillages, les clients à la bourre, les topologies d'immeuble totalement différentes, etc. ben c'est une cadence infernale.
Au début d'une liaison fibre, côté logement, il y a un routeur IP (une Livebox, en noir sur la photo) qui peut être remplacé par le routeur de votre choix (c'est un produit en vente libre) et un Optical Network Unit (ONT, en blanc crème sur l'image), ici un Huawei HG8010H, qui sert d'interface avec le réseau de l'opérateur : c'est lui qui allume la fibre à la bonne fréquence et qui peut déchiffrer le trafic destiné à l'abonné-e (si utilisé par l'opérateur commercial). Car, oui, ces engins ne sont pas passifs, il s'agit de petits ordinateurs fonctionnant sous Linux ayant une adresse IP et tout. C'est l'équivalent fibre du modem 56k/ADSL (intégré dans les box, de nos jours). Le fin câble blanc avec le connecteur vert est la fibre qui part vers la PTO.
La prise terminale optique (PTO) et le dispositif de terminaison intérieure optique (DTIO) se trouvent être le même boîtier chez Orange. Ce matériel est fixé au mur, grâce à un pistocolle, près des autres arrivées télécoms/TV, en général. C'est la limite administrative entre ce qui appartient au propriétaire du logement et ce qui appartient à l'opérateur d'immeuble (oui, dans la pose du câble entre DTIO et PBO, l'opérateur commercial agit comme sous-traitant de l'opérateur d'immeuble) le temps de la convention entre cet opérateur et les proprios / le syndic. L'autre câble qui en sort, lui aussi fixé au pistocolle sur une plinthe ou sur une baguette électrique, part au PBO.
Ce câble optique entre la DTIO et le PBO contient 4 fibres (mais si, regarde bien : une avec un revêtement rouge, une verte, une bleue et une jaune) et pas mal de gainage (les filoches jaunâtres). La présence de fibres surnuméraires dans chaque logement en zone dense est imposée par l'ARCEP avec l'objectif de déployer une seule fois la fibre dans les couloirs d'un même immeuble / dans les murs d'une même maison.
Dans la littérature, dans un immeuble, le Point de Branchement Optique (PBO) est un boîtier d'interconnexion passif situé à chaque étage de la colonne montante, à côté des compteurs électriques et des arrivées de la télévision, généralement. Dans mon cas, le PBO se situe à l'étage inférieur car ce n'est pas déconnant de mutualiser mon étage, qui comprend seulement 4 logements, avec l'étage inférieur qui en contient le double. Passer un câble de 48 fibres pour 4 logements… Passer un câble de 12 fibres était jouable mais ça suppose de s'adapter à chaque lieu de déploiement et donc d'abandonner les commandes groupées de grande quantité de matos fibre… Impensable.
Le mince câble blanc sans étiquette qui sort du PBO par le bas et à gauche contient la fibre qui me permet de poster ce shaarli. \o/ Le gros câble blanc crème avec une étiquette rouge qui sort du PBO par le bas et à droite va au PM. Il contient 12 tubes de 4 fibres chacun, soit 48 fibres au total.
Mais, c'est quoi un PBO ? Une simple cassette optique, de 32 positions dans mon cas, comme on en trouve dans les datacenters, c'est-à-dire un simple système de stockage du surplus de fibre après raccordement de deux fibres. Le but du jeu est de souder 2 des fibres qui arrivent dans mon logement à 2 fibres qui viennent du PM et de laisser quelques dizaines de centimètres de rabe de fibre "ôcazoù". Les 2 fibres seront reliées à deux fibres dans 2 tubes différents côté segment PBO<->PM, pour une raison qui m'échappe. Oui, deux fibres seront soudées mais une seule sera effectivement utilisée pour mon accès Internet. Je ne sais pas pourquoi Orange fait comme ça : l'ARCEP n'a pas imposé cela à ma connaissance et le technicien me dit que ça varie en fonction des opérateurs genre SFR, quand il intervient en opérateur commercial, soude une seule fibre.
Cette étape du raccordement est la plus longue. Elle varie en fonction du modèle de cassette qui peut être plus ou moins pratique. Dans mon cas, pas de bol, il s'agit d'un vieux modèle de cassette pas pratique et il faudra 1h10 d'extrême patience (sincèrement GG !) au technicien pour démêler les fibres, souder mes fibres, ranger le tout.
On repasse dans le logement, le technicien éclaire la fibre avec un laser bien visible et direction le point de mutualisation (PM). C'est ici que se fait la jonction entre le segment mutualisé déployé par un opérateur d'immeuble et les opérateurs commerciaux. Après ce point, il n'y a plus de coupleurs, ce qui signifie que la fibre de chaque logement arrive ici. C'est donc ici que l'on branche la ligne de GuiGui sur les équipements d'Orange ou de SFR ou de TartapionTelecom. Il s'agit donc juste d'un tableau de brassage. Où se situe ce PM ? Ça dépend. Pour les immeubles de plus de 12 logements situés en ZTD, il peut être situé à l'intérieur de la propriété privée. Sinon, il doit être à l'extérieur de la propriété. Dans le premier cas, il s'agit d'un boîtier en bas de l'immeuble. Dans le deuxième cas, il s'agit d'une armoire de rue ou des chambres dans le sous-sol (comme les plaques « France Telecom » que l'on voit sur les trottoirs ;) ).
Je suis dans un immeuble de plus de 12 logements situé en ZTD donc je n'ai pas été surpris de constater que le PM a été installé à l'intérieur de la propriété privée. L'immeuble étant à l'écart de la rue, le PM n'est pas situé au pied de l'immeuble mais dans le bâtiment qui fait interface avec la rue, à côté des transfos électriques :
Le technicien a-t-il la clé du local avec lui ? Bien sûr que non, ça serait trop facile. La clé est stockée dans le mur, à l'entrée, côté rue, dans un cylindre protégé par une clé que possède le technicien :
J'apprendrais plus tard que c'est une pratique fortement répandue également utilisée par EDF. L'indirection permet d'avoir une clé passe-partout qui ouvre tous les cylindres de ce genre, ce qui évite de devoir distribuer les clés différentes de chaque local (ben oui, la réglementation nous dit qu'il appartient aux proprios / syndic de mettre à disposition le local et le moyen d'accès donc forcément que la serrure ne correspondra pas à une autre).
Voici enfin le PM, ce tableau de brassage tout simple :
La partie verticale regroupe toutes les fibres déployées à l'intérieur de l'immeuble :
En bas, la partie horizontale est un bloc opérateur : un même opérateur (Orange, SFR, TartapionTelecom, etc.) y relie tous ses clients de l'immeuble, le tout est multiplexé sur quelques fibres et hop, direction le NRO en passant dans les trottoirs. On voit qu'il y a un deuxième logement pour qu'un deuxième opérateur puisse proposer ses services fibre dans l'immeuble. À l'heure actuelle, il est vide (ça confirme que SFR n'est pas en mesure de proposer des accès FTTH dans mon immeuble).
L'envers d'un bloc opérateur dans un PM :
On y voit la grosse gaine noire qui part au NRO, la cassette et les interconnexions vers la façade du bloc opérateur.
La première étape de l'intervention dans le PM est de trouver la position de ma fibre dans la partie verticale du PM. Souvenez-vous que le technicien a éclairé la fibre depuis mon logement avec un laser. Il suffit donc de chercher une position éclairée. C'est ici que le stress du technicien monte en flèche : si aucune position n'est éclairée, soit la position est obstruée par un câble, soit les soudures dans le PBO se sont mal passées, soit la fibre est brisée quelque part. Dans mon cas, le point rouge salvateur est là (mais si, regarde la 7e position de la rangée la plus en bas ;) ). \o/
Note : la deuxième fibre qui équipe mon logement et qui a été soudée dans le PBO ne sera pas raccordée ici. Le technicien ne vérifiera même pas que la continuité du signal entre le logement et le PM est OK.
La deuxième étape est d'identifier ma position dans le bloc opérateur. Je pensais que ça serait simple : c'est à Orange de décider où me raccorder sur son bloc en fonction de la position qu'il m'a attribué sur son OLT situé dans le NRO. Grave erreur ! Orange m'avait initialement attribué la position 13 (5e entrée du coupleur numéro 2, en partant de la gauche et de bas en haut)… qui est déjà prise. Le service client Orange dédié aux technicien-ne-s nous a fait débrancher la position 9 puis la 11 puis la 13 avant d'en arriver à la conclusion qu'il faut me raccorder en position 38 (de mémoire)… Oui, oui, Orange demande vraiment à débrancher/rebrancher des clients déjà raccordés à une heure de possible affluence (12h30, regarder Youtube en mangeant, TMTC) pour compenser les carences de son système d'information (débrancher permet de voir quel port de l'OLT ne reçoit plus de lumière et donc de comprendre la correspondance entre les ports de l'OLT et les positions dans le PM…).
ÉDIT DU 19/04/2017 À 12H : La fin de ce paragraphe est erronée : un port sur un OLT dessert tout un arbre PON, pas un client en particulier. En revanche, débrancher permet aux technicien-ne-s Orange de voir quel ONT (donc quel-le client-e) disparaît. Il demeure que cette méthode sert à contourner un fail d'affectation (correspondance abonné-e <-> emplacement bloc opérateur) dans le système d'information (SI) d'Orange. FIN DE L'ÉDIT du 19/04/2017 À 12H.
La troisième étape est de mesurer l'existence d'un signal entre le NRO et le PM et la puissance de celui-ci. Dans mon cas, la longueur d'onde utilisée dans la fibre est 1490nm et la puissance est de -17,95 dBm. Une autre mesure sera effectuée dans le logement car le cahier des charges de sous-traitance d'Orange stipule d'avoir moins de 1 dBm de perte entre le PM et le logement. Dans une fibre, l'atténuation du signal est due à la distance parcourue (un peu, mais laaaargement moins que sur un support cuivre) et surtout aux divers raccordements & points de soudure qui diminuent la capacité de réflexion de la fibre.
La dernière étape est de poser un câble optique, nommé jarretière, entre ma position dans le bloc opérateur du PM et ma position dans le tableau d'arrivé.
À ce stade-là, nous avons donc une connectivité optique de bout en bout, du NRO jusqu'à mon logement. On notera qu'il n'y a aucun équipement actif entre le NRO et mon logement : tout est uniquement du passif : fibre, coupleur, cassette, etc.
Quelques mots à propos du NRO : il s'agit d'un bâtiment qui concentre plusieurs centaines de lignes optiques. Il est l'équivalent du NRA ADSL. D'ailleurs, il s'agit souvent du même bâtiment. Il s'agit d'une délimitation entre le réseau de distribution, très capillaire, qui relie chaque logement, au réseau de collecte qui agrège tout cela, qui relie les NRO/A entre eux et jusqu'au datacenter des opérateurs. Dans un NRO, on trouve des onduleurs électriques, des switchs, mais surtout des Optical Line Terminal (OLT) qui sont les équivalents des DSLAM ADSL : ils émettent et modulent le signal optique, ce qui signifie qu'ils causent aux ONT des clients qu'ils authentifient par ailleurs. ;) Pour avoir une idée de ce à quoi ressemble un NRO, voir : Visites des NRO de Free.
Retour dans mon logement. Il ne reste plus qu'à faire la mesure de la puissance du signal (souviens-toi c'est le cahier des charges Orange qui l'exige) et à installer l'ONT et la box (je n'ai pas souhaité le décodeur TV lors de ma souscription). Il est très intéressant de noter que l'ONT n'est plus configuré par le-a technicien-ne à l'aide d'un ordinateur portable comme ce fut le cas un moment, mais bien par le réseau sitôt que le technicien effectue une action dans l'extranet Orange. Du coup, à quel moment est configuré le SLID (l'identifiant unique qui permet à un OLT d'identifier un ONT) ? :/ Ensuite, un speedtest.net est effectué et consigné par le technicien afin de démontrer l'efficacité de son travail. Je n'en vois pas l'intérêt : si, un jour, speedtest.net est en rade, montrant un débit pas top, que doivent faire les technicien-ne-s ? :/
L'intervention est terminée. Le technicien peut valider son intervention dans l'extranet d'Orange où il a déjà renseigné toutes les infos utiles : position dans le PM, couleurs des fibres qu'il a soudé entre elles dans le PBO, photos pour montrer que le travail effectué est propre, puissance du signal au PM et dans le logement, etc. Mais, là, comme quasi tous les jours, l'extranet se viande, tout est perdu. Il faut tout re-saisir, reprendre les photos… … … Je trouve que ça porte atteinte à la qualité des données remontées à Orange : quand tu as perdu tout ton taff et que t'as la pression vis-à-vis des horaires, tu peux être tenté de re-saisir partiellement voire pas du tout les données… ce qui, in fine, nuira à la mutualisation des réseaux et aux debugs futurs.
Le-a technicien-ne se ramène chez le-a client-e avec un kit de raccordement qui comprend, entre autres, 10 mètres de fibre. Cette longueur est quasiment jamais utilisée intégralement. Que faire de ces chutes ? Il est parfaitement possible de les récupérer et d'y souder des connecteurs dits pigtail à l'aide d'une soudeuse à fibre classique et d'utiliser ces câbles avec des optiques (qui "allument" la fibre) adaptés. Mais l'opération n'est pas rentable : la fibre en elle-même ne vaut rien et une fibre avec des connecteurs coûtera très vite moins cher que de la fibre de récup' + des connecteurs pigtail… Le seul cas où ça commence à valoir le coup, c'est de récupérer masse de chutes afin d'en faire un looooooooooooong câble de plusieurs dizaines de mètres. Là, on peut s'en servir pour fibrer l'intérieur d'une maison. Mais ça demande du temps de travail humain.
Merci au technicien qui a fait preuve de pédagogie, c'est hyper intéressant de comprendre comment est construit la partie terminale d'un réseau FTTH. :)
ÉDIT DU 19/04/2017 À 12H :
Infos complémentaires :
FIN DE L'ÉDIT DU 19/04/2017 À 12H.