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——————————— Sunday 22, October 2017 ———————————
fiche-lecture -

Insoumission à l'école obligatoire - Catherine Baker - éditions tahin party

Je suis radicalement opposé à l'école (que ce soit celles de l'éduc' nat' ou celles sous contrat ou celles hors contrat) depuis ma scolarité. À la fin de la version papier du guide d'autodéfense numérique, dans la section « du même éditeur », ce livre de Catherine Baker était référencé. Je m'étais dis que ça serait cool de lire ce que d'autres ont écrit afin de formaliser et affûter mes arguments anti-école.

Entre temps, j'ai lu le livre-recueil de quelques écrits d'Aaron Swartz (mes notes) dont certains ont l'école comme sujet. Ce dernier se concentre sur les faits historiques pour illustrer que l'école a été conçue, au moins aux États-Unis, comme un moyen de contrôle social au service du patronat. Il effleure aussi la psychologie pour expliquer l'échec de l'école à instruire depuis 2 siècles ainsi que la volonté implicite de domination de celle-ci.

Dans ce livre, l'auteure étudie le sujet sous les angles de la philosophie, de la morale et de la psychologie. Elle nous y parle de l'école comme lieu de maintien du Système, comme d'un empêchement de l'enfant de réfléchir au monde qui l'entoure et de se construire (ce qui en fera un⋅e citoyen⋅ne passif⋅ve). Tout comme Aaron, elle expose la violence de l'école (domination, humiliation, etc.). Elle réfute les arguments pro-école classiquee "l’école n’est plus comme ça de nos jours !" et "il n'y a pas d'uniformisation puisque il y a la liberté de l'enseignant⋅e". Au final, l'auteur⋅e explique que l'enfant est un adulte à part entière et qu'il ne faudrait pas le considérer comme un être diminué, donc il faut lui reconnaître sa capacité de réflexion, sa liberté totale, sa possibilité de travailler et de baiser, etc. ainsi que de participer aux choix qui construisent son environnement. Ce livre et les écrits d'Aaron sont complémentaires.

Ce qui manque à ce livre, c'est un contrepoint : ni l'école, ni l'instruction en famille ne sont parfaites, mais l'auteure s'acharne uniquement sur la première. Dans certains chapitres, l'auteure semble réfuter implicitement l'autorité (parfois sous la forme de manipulation pour tromper l’enfant dans ses choix afin de le conduire à faire ce que l'on veut) et la reproduction sociale qui sévit dans certaines (toutes ?) familles. L’auteure n’écrit pas un mot sur le fait que tout le monde n'a pas le temps d'instruire son enfant. De même, tout le monde ne sait pas instruire sans forcer ni vivre en groupe (famille) sans imposer à l'autre. Je n'ose pas croire que la vie des instruit⋅e⋅s en famille est aussi idyllique que celle décrite par l'auteure ("je ne t'ai jamais rien ordonné, on a toujours discuté, sauf une fois où je ne voulais pas que tu achètes des boucles d'oreille", "tu décides librement de tout, d'ailleurs tu vas te coucher bien après moi depuis tes 4 ans").

Le style littéraire (l'auteure s'adresse à sa fille à travers ce livre) rend certaines pages vraiment pénibles à lire, mais on les repère vite (début/fin de chapitre, par exemple), donc on peut les ignorer. En effet, l'auteure en fait parfois des tonnes sur les dommages que provoquerait l'école sur les enfants et sur les (ir)responsabilités qu'on lui prêtera concernant la non-scolarisation de sa fille. Mais, d'un côté, je comprends cette forte externalisation des sentiments… Après tout, je suis celui qui a écrit, dans un courrier à des élu⋅e⋅s, que « l'école de la République [est] une machine à échecs qui broie des âmes. » et qui assume ces propos. Mais je comprends qu’ils puissent faire peur en apparaissant « too much ».

Je recommande vivement la lecture de ce livre.



Quelques notes :

  • L'auteure s'oppose à toute forme d'éducation et de journalisme : la transmission des savoirs devrait seulement se faire en discutant de gré à gré entre personnes égales. Sinon, le rapport de force ne permet pas la remise en question ("tu exagères" "tu as mal interprété", "tu te trompes", "tu oublies de mettre en perspective"), ce qui est possible dans un rapport entre pairs ;

  • L'école est un investissement pour que l'enfant obtienne un rang dans la société productiviste. Ce rang dépend d'un diplôme donc d'un examen qui est en fait un contrôle de conformité de l'individu : on choisit ce qui est utile à la société. Jadis on apprenait le tricot ou la mécanique, aujourd'hui, c'est l'informatique. Il s'agit aussi de transmettre de la morale afin que la société ne s'effondre pas : l'amour de la patrie en 1913, la rentabilité de nos jours (d'où le système de compétition à laquelle ;) ). Jules Ferry (si, si !) disait que l'État s'occupe de l'éducation « pour y maintenir une certaine morale d'État, certaines doctrines d'État qui importent à sa conservation ». Ce n'est donc pas une erreur, l'éducation nationale n'a pas déviée, elle a été conçue comme cela ;

  • La crèche libère les femmes afin qu'elles puissent retourner travailler. Il en va de même pour l'école. Là encore, l'école est un mécanisme pour améliorer la productivité nationale ;

  • Partout, on enseigne de gré ou de force « pour le bien de l'humanité ». Partout, tu trouveras sous toutes les latitudes, les mêmes règles scolaires : on te fait entrer dans le troupeau des gens nés la même année que toi, on t'oblige à écouter quelqu'un, ce quelqu'un que tu n'as pas choisi et qui ne t'a pas choisie est payé pour te mettre, quels qu'en soient les moyens, certaines choses dans le crâne, lesquelles choses sont choisies par les États qui, en fin de course, sélectionnent par les diplômes la place qu'ils t'assignent dans leur société. Ton espace est aussi clôturé que ton temps : tu ne peux participer d'aucune manière à la vie de ceux qui ne sont pas en âge d'être scolairement conscrits.

  • En réalité, l'école est là pour apprendre aux enfants l'autorité, l'oppression, l'obéissance. Apprendre à aire plaisir au maître, puis au prof puis aux parents en montrant son intérêt et en ayant de bonnes notes. Apprendre à se taire, apprendre la servitude (exemple : pour aller aux toilettes, il faut demander la permission… et parfois s'entendre répondre « D'accord, mais en revenant, tu me récites la table de sept, t'avais qu'à prendre tes précautions ! » [ Note : je suis content d'apprendre que je ne suis pas la seule personne au monde à avoir subit ça ! ]). Bref, on apprend ce dont la société a besoin pour se maintenir ;

  • Libérale ou non, l'école postule l'inachèvement de la jeunesse. Elle doit avoir une action « maturante ». Bien sûr, me dit-on, que les fruits de toute façon mûriront, mais ils seront plus beaux si on a mis de l'engrais aux arbres ! Peut-être, mais vos fruits n'ont plus de goût.

  • L'auteure met le doigt sur le fait que les adultes qui défendent l'école obligatoire bec et ongle sont ceux et celles pour qui l'école s'est plutôt bien passée et leur a apporté une position décente dans la société. De même, si l'école s'est plutôt mal passée, mais que la personne a obtenu un rôle décent dans la société, elle considérera que l'école a été un investissement douloureux, mais qu'il en valait la peine. En gros, ceux et celles qui défendent l'école utilisent le même procédé cognitif que les personnes qui défendent un monde libéral sur le plan économique et conservateur sur le reste : ils et elles savent que ce modèle détruit des gens, mais, boarf, qu'est-ce que ça peut faire puisque ce modèle leur a environ bien réussi ? Tu parles d'un argument… ;

  • Il faut garder la jeunesse du vrai savoir (alors on lui donne du savoir « placebo » pour canaliser ses curiosités) afin qu'elle ne rivalise avec ses aînés que sur des sujets sans grand intérêt.

  • L'Éducation nationale croit tout faire pour la réussite des enfants avec ses redoublements, son collège unique, ses filières adaptées, etc. Donc, si t'échoues, c'est que t'es mauvais. On intériorise l'échec donc on fait naître de l’agressivité ;

  • Quand on critique négativement l'école, on s'entend répondre que l'école a bien changé depuis le temps où on y était. En lisant ce livre, on comprend que les grandes lignes et les petits exemples (comme la sanction pour la pause pipi impromptue) n'ont pas changé entre les années 50-60 (scolarisation de l'auteure), les années 1970-1980 (là d'où elle tire ses exemples actualisés), et 1990-2000 (ma scolarité). De plus, oui, on était heureux à l'école, c'est vrai. La satisfaction d'être bien noté est le meilleur moyen dont dispose l'école pour éviter les remises en question de ses méthodes, de son utilité et de son fondement : rien ne fait plus plaisir un⋅e humain⋅e que de satisfaire un⋅e autre humain⋅e. Ainsi, en apprenant, en faisant la pute auprès du prof (comme l'écrit l'auteure), en ayant de bonnes notes, on se récompensait nous-mêmes à travers la satisfaction du corps enseignant. C'est ce qu'on nomme la soumission consentie, très répandue dans notre société ;

  • Le deuxième retour de flammes, quand on critique négativement l'école est que si l'école uniformisait autant de cela, comment se fait-il que lui aime ceci et cela et suit tel courant de pensée alors qu'elle aime cela et ceci et suit tel autre courant de pensée sur un même sujet. [Foucault]( a déjà répondu à tout ça : le système s'en fiche qu'ils y ait quelques profs qui sortent un poil des sentiers battus, qui présentent des choses que le programme ne prévoit pas ou qui disent quelques vérités, car le système n'a pas besoin d'une uniformisation complète, sinon elle se fait démasquée et devient inutile, mais il a besoin d'une soumission à des schémas généraux. Donc, l'école uniformise tout en conservant les singularités nécessaires et suffisante à l'exercice et au maintien de son pouvoir et de celui du système. En revanche, les profs qui vont au-delà, qui tentent quelque chose de dangereux pour le maintien du système (comme ceux et celles qui refusent de noter leurs élèves, exemple choisi par l'auteure) sont mis au placard assez vite ;

  • Les profs, comme tout le monde, sont victimes de l'effet Pygmalion : si quelqu'un croit qu'une personne possède une qualité que l'on recherche (intelligence ou facilité à apprendre des pavés, par exemple), ce quelqu'un changera son attitude et permettra ainsi à la personne de développer la qualité rechercher. Cela signifie donc qu'il faut disposer d'un préjugé favorable de la part du prof si l'on espère progresser… ;

  • On occupe un enfant comme on occupe un pays, pour que ni l'un ni l'autre ne fasse chier le pauvre monde, pour empêcher l'enfant de faire des bêtises, dit-on poliment ;

  • D'une manière générale, l'auteure dénonce la domination de l'adulte sur l'enfant comme si l'adulte connaissait LA grande vérité et qu'il se devait d'y conduire l'enfant. Or, l'enfant n'est pas une embauche ni un projet d'adulte : il est un être total et présent à part entière. L'enfant, comme l'adulte est doté de raison, de volonté, de conscience, de culture, etc. Stop aux remarques déplacées des adultes que les enfants ne peuvent leur retourner par manque d'autorité (arrête de bouge ! mange ! etc.). Stop aux phrases comme « arrête de faire l’enfant ! ». L'enfant doit forcément participer aux choix qui construisent son environnement.

  • Les enfants peuvent travailler. Le travail des enfants ne devraient pas être interdit. Leur exploitation doit l'être, tout comme pour les adultes. Pour éviter que les enfants de familles pauvres ne soient contraints de travailler et donc d'être exploités (puisqu'aucun contrôle n'empêchera l'exploitation étant donné que le rapport de force entre employeur et enfant sera totalement déséquilibré), on peut penser à une allocation individuelle à l'enfant, au salaire de base, etc.

  • Réserver un comportement à une tranche d'âge prédéfini et nommer « régression » les personnes qui le pratique en dehors de cette norme est une idiotie : on ne retourne pas en arrière, on tire de notre expérience passée ce qui est le mieux pour notre avenir. « Si je joue ou que je fais un câlin « comme quand j'étais petite », c'est bien dans mon âge que je le fais, et c'est ma façon, consciente de tout ce qui s'est passée après mon enfance, de vivre au mieux la situation présente. ».

  • L'individualisation de chaque être ne mène pas à une solitude pire. Au contraire, seul l'être humain dégagé de son animalité sociale (de sa bêtise organisée) donne une chance à chacun de vivre dans un monde où peuvent enfin s'aimer des individus délivrés des mécanismes.

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