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  • Le porc de l'angoisse

    L'affaire Harvey Weinstein n’est ni la première ni, sans doute et malheureusement, la dernière du genre. Mais, à mesurer l’ampleur du flot de paroles qu’elle ne finit pas de susciter, elle est indéniablement celle de trop. A tout le moins celle du trop-plein.

    Après deux, puis trois, puis dix et près de trente récits non anonymes d’actrices, de mannequins, de collaboratrices révélant avoir été victimes de beauferie bestiale et de chantage sexuel de la part du sur-puissant et désormais déchu producteur hollywoodien dont dépendaient leur carrière ou leur succès, c’est un déferlement. Des milliers d’autres récits d’autres victimes de drague lourdingue, de harcèlement, de pressions, d’agressions de la part d'autres hommes abusant de leur pouvoir pour abuser d’elles ont envahi les réseaux sociaux. Aux Etats-Unis, bien sûr, pays dont le délicat président Trump - même si Harvey Weinstein a beaucoup financé ses concurrents démocrates — s'est, quant à lui, grassement vanté de la facilité, quand on est riche et connu, d’ « attraper les femmes par la chatte », et est également accusé par plusieurs d’entre elles. Mais aussi dans le monde entier, et chez nous, au pays de DSK en particulier, avec le hashtag #balancetonporc ! C’est du brutal !

    Et du plus violent que le #metoo (« moi aussi »), lancé dans le même esprit « name and shame » (« nommer et faire honte ») par l’actrice Alyssa Milano, aux Etats-Unis. Ici comme ailleurs, il convient évidemment d’écouter les mots de ces femmes qui, hier ou dans des délais prescrits, ont eu à subir l’intolérable violence de ce harcèlement, ces chantages, ces attouchements, voire ces viols, dont elles n’avaient jusque-là rien dit ou osé dire. Il convient de saluer leur courage d’en parler et de mesurer la difficulté de le faire.

    Et, après cela, finasser sur la brutalité des mots « porc » et « balance » peut sembler aussi déplacé que de s’indigner d’une main sur la figure méritée après une main au cul non souhaitée. Mais, si le choix des mots de ce hashtag vengeur dérange, ce n’est pas parce que la violence de son intitulé n’est rien par rapport à celle qui a été subie et qu’il entend mettre à mal. Si #balancetonporc met mal à l’aise, ce n’est pas par ce qu’il dénonce, c’est par la façon dont il le fait. Traiter les hommes de « porcs » quels qu’ils soient et quoi qu’ils aient fait, c’est régler des comptes en usant d’une violence contre une autre. Et, inviter à « balancer », avec tous les risques de dérives et de dérapages que l’on sait, ce n’est pas dénoncer à la justice, c'est, dans une logique de vengeance justicière, livrer des hommes à la vindicte populacière. Les femmes victimes de ces actes insupportables, et pas seulement celles des milieux où s’exerce le pouvoir, méritent mieux que d’être des « balances ». Et, même si les réseaux sociaux ont un rôle à jouer dans la prise de parole et de conscience, ces femmes ont droit à une autre justice que celle, expédifive et arbitraire, des vengeurs de Twitter ou des Zorro anonymes de la Toile, qui ne s’embarrassent pas de preuves.

    La culpabilité d’un harceleur, d’un agresseur sexuel, d’un violeur ne se décrète pas sur Twitter. Elle relève d’une démarche judiciaire. Les lois en ce sens existent et ne manquent pas. Elles peuvent sans doute être améliorées, et la difficulté pour les victimes d’apporter des preuves, comme celle d’en parler, ne facilite pas, bien sûr, leur application. Mais, dans une démocratie, ce n’est en rien une raison de vouloir se venger des « porcs » par une « justice » de cochon.



    Cet édito du Canard enchaîné du 18 octobre 2017 me pose problème en cela qu'il est corporatiste, dans le déni de la réalité et qu'il rejoue une énième fois la mise en lumière excessive de la violence des victimes dans le but de ne retenir que celle-ci pour discréditer l'action. Bref, c'est un plaidoyer implicite en faveur d'un monde qui ne change pas.

    Commençons par les faits : selon le documentaire « Harcèlement sexuel, le fléau silencieux » diffusé sur France 5 (mon avis) : 95 % des plaintes pour harcèlement sexuel sont classées sans suite (un chiffre similaire, 93 %, est avancé par Alliance, le syndicat des flics (!), pour les violences sexuelles en général). C'est-à-dire que le Parquet estime qu'il n'est pas utile d'enquêter ni de saisir le tribunal pour l'ouverture d'un procès. Un classement sans suite peut signifier que le délai de prescription est écoulé, que le Parquet estime qu'il n'y a pas assez d'éléments dans le dossier, que la justice est débordée donc merci de ne pas la déranger ou que… Bref, c'est vague.

    Pour moi, le vrai problème est là : comment ce taux s'explique-t-il ? L'absence de preuve est une excuse bien pratique. Sauf que le documentaire de France 5 illustre que des plaintes avec des enregistrements sonores ont été classées sans suite (alors que les juges ont jusque-là reconnu l'exploitabilité d'écoutes privées dans l'affaire Bettencourt, par exemple). De plus, quand les journalistes de ce documentaire s'informent sur ces cas précis auprès du Parquet, pouf, les dossiers sont rouverts ! Magie ! Alors quoi ? Manque de moyens de la Justice donc les Parquets ne traitent que ce qu'ils estiment être important ? Manque de formation des procureur⋅e⋅s leur permettant de détecter les dossiers solides ? Manque de parité dans les postes clés des Parquets (point 4 de la page 32) entraînant une justice de la caste des hommes ? D'autres pistes ?

    Oui, il est toujours possible de déposer une plainte avec constitution de partie civile afin de saisir directement le tribunal. Encore faut-il connaître cette procédure et/ou avoir des sous pour l'avocat⋅e…

    La Justice qui s'égare parfois, le Canard enchaîné la connaît bien. D'ailleurs, sous cet édito se trouve un article questionnant le classement sans suite de l'affaire Ferrand / Mutuelles de Bretagne. Dans le numéro précédent (11 octobre), il y a un article qui s'indigne des propos glaciaux et peu courtois qu'une juge aurait réservés, en audience, à un journaliste du Canard et à son avocat dans une action en diffamation intentée par Marcel Campion.

    Voici donc la solution que le Canard propose aux femmes : utiliser la presse, le fameux 4e pouvoir, pour contre-balancer une justice en dérive ! Évidemment, tous les journaux sérieux auront le temps d'enquêter et d'éventuellement médiatiser toutes les affaires de « drague lourdingue, de harcèlement, de pressions [et] d’agressions ». Évidemment, les journalistes sont plus habilité⋅e⋅s que le⋅a citoyen⋅ne moyen⋅ne pour « décréter » « la culpabilité d’un harceleur, d’un agresseur sexuel, d’un violeur » et bien plus encore. Au moins, la presse « [s’embarrasse] de preuves », elle ! Quel corporatisme… Nous ne sommes plus au 20e siècle, la presse n'a plus le monopole de la diffusion d'une information de qualité ni celui du formatage de l'opinion ni même celui de l’expression écrite. Et c’est tant mieux.

    Un autre problème de fond, c'est que la justice traite au cas par cas (et c'est très bien ainsi). Or, ici, nous avons besoin d'une prise de conscience de la société dans son ensemble, car le problème est global. Comment espérer l'émergence d'une telle prise de conscience, la seule à même d'endiguer cette deuxième bonne excuse qu'est le « Not all men » - vu le nombre de témoignages, certains devraient réfléchir avant d'exprimer ceci - dans un système judiciaire plutôt opaque (les minutes - décisions - des tribunaux sont publiques, mais difficiles à se procurer et pas toutes pérennes, par exemple) ? Les femmes doivent-elles patiemment attendre que les médias, en perte d'audience donc de pouvoir, s'intéressent à leur condition ? Quand les voies sont bouchées, do it yourself.

    Au final, le Canard enchaîné retiendra uniquement la violence des opprimées (voir aussi), gag classique pour éviter de réfléchir au fond du sujet posé et moyen d'affirmer que l'on est une personne dominante dans la société actuelle et que tout va bien pour nous. L'empathie, oui, mais la remise en cause, non, faut pas charrier ! Quelles gourdes, ces femmes, elles auraient dû utiliser la procédure (inefficace) habituelle pour se défendre et se faire entendre, un peu comme un⋅e lanceur⋅euse d'alerte doit d'abord passer par sa hiérarchie avant de faire fuiter l'info ! Ainsi, elles n'auraient pas blessé ces pauvres choux d'hommes, tous innocents, qui trouvent trop « brutal » de se voir (temporairement, c'est ça, le pire !) assimilés à des porcs. Le vrai drame, c'est que des animaux sont comparés à des pratiques humaines détestables.

    Mais, que les femmes se rassurent, car « il convient évidemment d’écouter [leurs] mots »… et de les laisser immédiatement sortir par l'autre oreille ? Les pauvres femmes sont tellement trop sensibles - ça doit être les hormones ou les gènes - qu'il convient de les écouter, car elles « méritent mieux » que de se donner en spectacle. Ben voyons…

    Accessoirement, il faudrait sortir du schéma bien français dans lequel la dénonciation est toujours implicitement assimilée à la collaboration de Vichy (« les risques de dérives et de dérapages que l’on sait »). Oui, une justice réellement indépendante avec les moyens de son ambition est l'idéal à poursuivre sans cesse. Oui, il y aura de faux témoignages. Oui, il y aura des abus. Comme toujours. Le numérique n'a rien inventé, mais c'est toujours bon de sortir cet argument à un lectorat vieillissant. En attendant, le mouvement #balancetonporc me semble plutôt positif dans l'ensemble… à condition qu'il ne retombe pas aussi vite qu'il est devenu populaire. De plus, il est bon de rappeler que tout le monde n'a pas 400 000 suiveur⋅euses⋅s sur Twitter ni que Google ne classe pas premier des résultats tout écrit pour toujours. Ça aide à relativiser la portée de la « vindicte populacière » : agglomérat de voix dissonantes n'est pas lynchage public, l'effet d'amplification se perdant en chemin.

    Wed Oct 25 15:08:23 2017 - permalink -
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