Sommé de cesser son activité fin mai, il réclame une indemnisation colossale au préfet de Meaux.
Une entreprise de traitement des métaux de Meaux réclame au préfet de Seine-et-Marne la somme colossale de 2 984 000 euros. Motif ? Le serviteur de l’Etat lui a causé un grave préjudice en suspendant, le 31 mai dernier, son activité pour cause de pollution chronique !
Wipelec — c’est son nom — a déposé, le 4 janvier, un recours devant le tribunal administratif de Melun. Spécialisée dans le traitement de surface des métaux, elle se revendique comme l’« unique fournisseur
de grands groupes de l’armement et de l’aéronautique français », tels que Safran et Thales. Pensait-elle, du coup, pouvoir polluer en toute impunité ? Six fois, entre 2016 et 2017, elle a été visitée par les inspecteurs des installations classées, dépendant de la Direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie.Ses manquements répétés, jugés « extrêmement graves » pour les salariés et les riverains, ont été maintes fois detaillés par « Le Parisien ». Wipelec a notamment été accusé de rejeter « des déchets dangereux dans le réseau urbain » — de l’acide cyanhydrique, entre autres. Malgré la quarantaine d’emplois en jeu, l’Etat n’a pas calé. Ni la justice, qui a validé l’arrêté de suspension.
Sortez les mouchoirs
En redressement judiciaire depuis août 2009, Wipelec multiplie les exploits en Ile-de-France. En 2010, la pollution importante des sols et de la nappe phréatique de son usine de Romainville a obligé l’Ademe, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, à dépenser plus de 1,2 million d’euros pour reloger des riverains. A Pomponne, en Seine-et-Marne, Wipelec a stoppé en 2012 l’exploitation d’un site, après quatorze années passées sans le nettoyer. A Lagny, la société Ceres Technologie, l’une de ses filiales, s’est subitement arrêtée, après avoir travaillé sans toutes les autorisations requises. Les sols y sont assaisonnés de plomb, de cyanure, d’hydrocarbures…
Pas impressionné, Wipelec a continué, malgré la suspension. Aujourd’hui sous contrôle judiciaire, son gérant, Guy Pelamourgue, a été placé en garde à vue le 20 juin et mis en examen pour « exposition d’autrui à risque immédiat de mort ». Tout de suite les grands mots…
Voitures brûlées portables volés
Dans son recours déposé le 4 janvier, Wipelec explique avoir trouvé la coupable de tous ses maux : Joëlle Roborg, sa « responsable qualité sécurité environnement ». « Un audit réalisé par M. Guy Pelamourgue permet de façon saisissanie de se rendre compte de la non-exécution de son travail par la salariée et de la délation opérée à destination des services préfectoraux », s’indignent ses avocats. L’employée est accusée d’avoir collaboré avec les inspecteurs du ministère de l’Environnement sans prévenir sa direction.
Selon la loi Sapin, cela l’empêche de bénéficier du statut de lanceur d’alerte. Son licenciement pour faute lourde a été validé par l’Inspection du travail, après que des échanges de SMS entre elle et une inspectrice de l’Environnement ont été retrouvés. Wipelec assure que l’indélicate aurait agi pour favoriser la « reprise à moindre coût de la société » par son ancien directeur. Mais, alors, pourquoi a-t-elle fait marcher le préfet dans la combine ?
Coîncidence ? Joëlle Roborg a vu sa voiture volée et brûlée, le 23 octobre — cinq jours après que les inspecteurs de l’Environnement qui revenaient du site de Meaux se sont fait dérober leur auto et leurs ordinateurs portables. L’ambiance est vraiment exquise dans ce coin de Seine-et-Mame.
À ma connaissance, il s'agit du premier cas concret qui illustre la vacuité de la loi Sapin 2 censée définir et protéger les lanceur⋅euse⋅s d'alerte…
Dans le Canard enchaîné du 10 janvier 2018.